Histoires extraordinaires - 10
très-rare de trouver une phrase d'une certaine longueur dont il ne soit
pas le caractère principal.
«Nous avons donc, tout en commençant, une base d'opérations qui donne
quelque chose de mieux qu'une conjecture. L'usage général qu'on peut
faire de cette table est évident; mais, pour ce chiffre particulier,
nous ne nous en servirons que très-médiocrement. Puisque notre caractère
dominant est 8, nous commencerons par le prendre pour l'_e_ de
l'alphabet naturel. Pour vérifier cette supposition, voyons si le 8 se
rencontre souvent double; car l'_e_ se redouble très-fréquemment en
anglais, comme par exemple dans les mots: _meet, fleet, speed, seen,
been, agree_, etc. Or, dans le cas présent, nous voyons qu'il n'est pas
redoublé moins de cinq fois, bien que le cryptogramme soit très-court.
«Donc 8 représentera _e_. Maintenant, de tous les mots de la langue,
_the_ est le plus utilisé; conséquemment, il nous faut voir si nous ne
trouverons pas répétée plusieurs fois la même combinaison de trois
caractères, ce 8 étant le dernier des trois. Si nous trouvons des
répétitions de ce genre, elles représenteront très-probablement le mot
_the_. Vérification faite, nous n'en trouvons pas moins de 7; et les
caractères sont;48. Nous pouvons donc supposer que _;_ représente _t_,
que 4 représente _h_, et que 8 représente _e_,—la valeur du dernier se
trouvant ainsi confirmée de nouveau. Il y a maintenant un grand pas de
fait.
«Nous n'avons déterminé qu'un mot, mais ce seul mot nous permet
d'établir un point beaucoup plus important, c'est-à-dire les
commencements et les terminaisons d'autres mots. Voyons, par exemple,
l'avant-dernier cas où se présente la combinaison;48, presque à la fin
du chiffre. Nous savons que le _;_ qui vient immédiatement après est le
commencement d'un mot, et des six caractères qui suivent ces _the_, nous
n'en connaissons pas moins de cinq. Remplaçons donc ces caractères par
les lettres qu'ils représentent, en laissant un espace pour l'inconnu:
_t eeth._
«Nous devons tout d'abord écarter le _th_ comme ne pouvant pas faire
partie du mot qui commence par le premier _t_, puisque nous voyons, en
essayant successivement toutes les lettres de l'alphabet pour combler la
lacune, qu'il est impossible de former un mot dont ce _th_ puisse faire
partie. Réduisons donc nos caractères à:
_t ee,_
et reprenant de nouveau tout l'alphabet, s'il le faut, nous concluons au
mot _tree_ (arbre), comme à la seule version possible. Nous gagnons
ainsi une nouvelle lettre, _r_, représentée par (, plus deux mots
juxtaposés, _the tree_ (l'arbre).
«Un peu plus loin, nous retrouvons la combinaison;48, et nous nous en
servons comme de terminaison à ce qui précède immédiatement. Cela nous
donne l'arrangement suivant:
the tree; 4(@?34 _the_,
ou, en substituant les lettres naturelles aux caractères que nous
connaissons,
_the tree thr_@? 3 _h the_.
Maintenant, si aux caractères inconnus nous substituons des blancs ou
des points, nous aurons:
_the tree thr... h the,_
et le mot _through_ (par, à travers) se dégage pour ainsi dire de
lui-même. Mais cette découverte nous donne trois lettres de plus, _o, u_
et _g_, représentées par @,? et 3.
«Maintenant, cherchons attentivement dans le cryptogramme des
combinaisons de caractères connus, et nous trouverons, non loin du
commencement, l'arrangement suivant:
83(88, ou _egree_,
qui est évidemment la terminaison du mot _degree_ (degré), et qui nous
livre encore une lettre _d_ représentée par +.
«Quatre lettres plus loin que ce mot _degree_, nous trouvons la
combinaison:
;46(;88,
dont nous traduisons les caractères connus et représentons l'inconnu par
un point; cela nous donne:
_th. rtee_*,
arrangement qui nous suggère immédiatement le mot _thirteen_ (treize),
et nous fournit deux lettres nouvelles, _i_ et _n_, représentées par 6
et *.
«Reportons-nous maintenant au commencement du cryptogramme, nous
trouvons la combinaison:
53@@+.
«Traduisant comme nous avons déjà fait, nous obtenons
._good_,
ce qui nous montre que la première lettre est un _a_, et que les deux
premiers mots sont _a good_ (un bon, une bonne).
«Il serait temps maintenant, pour éviter toute confusion, de disposer
toutes nos découvertes sous forme de table. Cela nous fera un
commencement de clef:
5 représente a
+ représente d
8 représente e
3 représente g
4 représente h
6 représente i
* représente n
@ représente o
(représente r
; représente t
? représente u
Ainsi, nous n'avons pas moins de onze des lettres les plus importantes,
et il est inutile que nous poursuivions la solution à travers tous ses
détails. Je vous en ai dit assez pour vous convaincre que des chiffres
de cette nature sont faciles à résoudre, et pour vous donner un aperçu
de l'analyse raisonnée qui sert à les débrouiller. Mais tenez pour
certain que le spécimen que nous avons sous les yeux appartient à la
catégorie la plus simple de la cryptographie. Il ne me reste plus qu'à
vous donner la traduction complète du document, comme si nous avions
déchiffré successivement tous les caractères. La voici:
_A good glass in the bishop's hostel in the devil's seat forty-one
degrees and thirteen minutes northeast and by north main branch seventh
limb east side shoot from the left eye of the death's-head a bee-line
from the tree through the shot fifty feet out._
_(Un bon verre dans l'hostel de l'évêque dans la chaise du diable
quarante et un degrés et treize minutes nord-est quart de nord
principale tige septième branche côté est lâchez de l'œil gauche de la
tête de mort une ligne d'abeille de l'arbre à travers la balle cinquante
pieds au large.)_
—Mais, dis-je, l'énigme me paraît d'une qualité tout aussi désagréable
qu'auparavant. Comment peut-on tirer un sens quelconque de tout ce
jargon de _chaise du diable_, de _tête de mort_ et d'_hostel de
l'évêque?_
—Je conviens, répliqua Legrand, que l'affaire a l'air encore
passablement sérieux, quand on y jette un simple coup d'œil. Mon
premier soin fut d'essayer de retrouver dans la phrase les divisions
naturelles qui étaient dans l'esprit de celui qui l'écrivit.
—De la ponctuer, voulez-vous dire?
—Quelque chose comme cela.
—Mais comment diable avez-vous fait?
—Je réfléchis que l'écrivain s'était fait une loi d'assembler les mots
sans aucune division, espérant rendre ainsi la solution plus difficile.
Or, un homme qui n'est pas excessivement fin sera presque toujours
enclin, dans une pareille tentative, à dépasser la mesure. Quand, dans
le cours de sa composition, il arrive à une interruption de sens qui
demanderait naturellement une pause ou un point, il est fatalement porté
à serrer les caractères plus que d'habitude. Examinez ce manuscrit, et
vous découvrirez facilement cinq endroits de ce genre où il y a pour
ainsi dire encombrement de caractères. En me dirigeant d'après cet
indice j'établis la division suivante:
_A good glass in the bishop's hostel in the devil's seat—forty-one
degrees and thirteen minutes—northeast and by north—main branch
seventh limb east side—shoot from the left eye of the death's-head—a
bee line from the tree through the shot fifty feet out._
_(Un bon verre dans l'hostel de l'évêque dans la chaise du
diable—quarante et un degrés et treize minutes—nord-est quart de
nord—principale tige septième branche côté est—lâchez de l'œil gauche
de la tête de mort—une ligne d'abeille de l'arbre à travers la balle
cinquante pieds au large.)_
—Malgré votre division, dis-je, je reste toujours dans les ténèbres.
—J'y restai moi-même pendant quelques jours, répliqua Legrand. Pendant
ce temps, je fis force recherches dans le voisinage de l'île de Sullivan
sur un bâtiment qui devait s'appeler l'_Hôtel de l'Évêque_, car je ne
m'inquiétai pas de la vieille orthographe du mot _hostel_. N'ayant
trouvé aucun renseignement à ce sujet, j'étais sur le point d'étendre la
sphère de mes recherches et de procéder d'une manière plus systématique,
quand, un matin, je m'avisai tout à coup que ce _Bishop's hostel_
pouvait bien avoir rapport à une vieille famille du nom de Bessop, qui,
de temps immémorial, était en possession d'un ancien manoir à quatre
milles environ au nord de l'île. J'allai donc à la plantation, et je
recommençai mes questions parmi les plus vieux nègres de l'endroit.
Enfin, une des femmes les plus âgées me dit qu'elle avait entendu parler
d'un endroit comme _Bessop's castle_ (château de Bessop), et qu'elle
croyait bien pouvoir m'y conduire, mais que ce n'était ni un château, ni
une auberge, mais un grand rocher.
«Je lui offris de la bien payer pour sa peine, et, après quelque
hésitation, elle consentit à m'accompagner jusqu'à l'endroit précis.
Nous le découvrîmes sans trop de difficulté, je la congédiai, et
commençai à examiner la localité. Le _château_ consistait en un
assemblage irrégulier de pics et de rochers, dont l'un était aussi
remarquable par sa hauteur que par son isolement et sa configuration
quasi artificielle. Je grimpai au sommet, et, là, je me sentis fort
embarrassé de ce que j'avais désormais à faire.
«Pendant que j'y rêvais, mes yeux tombèrent sur une étroite saillie dans
la face orientale du rocher, à un yard environ au-dessous de la pointe
où j'étais placé. Cette saillie se projetait de dix-huit pouces à peu
près, et n'avait guère plus d'un pied de large; une niche creusée dans
le pic juste au-dessus lui donnait une grossière ressemblance avec les
chaises à dos concave dont se servaient nos ancêtres. Je ne doutai pas
que ce ne fût la _chaise du Diable_ dont il était fait mention dans le
manuscrit, et il me sembla que je tenais désormais tout le secret de
l'énigme.
«Le _bon verre_, je le savais, ne pouvait pas désigner autre chose
qu'une longue-vue; car nos marins emploient rarement le mot glass dans
un autre sens. Je compris tout de suite qu'il fallait ici se servir
d'une longue-vue, en se plaçant à un point de vue défini et _n'admettant
aucune variation_. Or, les phrases: _quarante et un degrés et treize
minutes, et nord-est quart de nord_,—je n'hésitai pas un instant à le
croire,—devaient donner la direction pour pointer la longue-vue.
Fortement remué par toutes ces découvertes, je me précipitai chez moi,
je me procurai une longue-vue, et je retournai au rocher.
«Je me laissai glisser sur la corniche, et je m'aperçus qu'on ne pouvait
s'y tenir assis que dans une certaine position. Ce fait confirma ma
conjecture. Je pensai alors à me servir de la longue-vue. Naturellement,
les _quarante et un degrés et treize minutes_ ne pouvaient avoir trait
qu'à l'élévation au-dessus de l'horizon sensible, puisque la direction
horizontale était clairement indiquée par les mots _nord-est quart de
nord_. J'établis cette direction au moyen d'une boussole de poche; puis,
pointant, aussi juste que possible par approximation, ma longue-vue à un
angle de quarante et un degrés d'élévation, je la fis mouvoir avec
précaution de haut en bas et de bas en haut, jusqu'à ce que mon
attention fût arrêtée par une espèce de trou circulaire ou de lucarne
dans le feuillage d'un grand arbre qui dominait tous ses voisins dans
l'étendue visible. Au centre de ce trou, j'aperçus un point blanc, mais
je ne pus pas tout d'abord distinguer ce que c'était. Après avoir ajusté
le foyer de ma longue-vue, je regardai de nouveau, et je m'assurai enfin
que c'était un crâne humain.
«Après cette découverte qui me combla de confiance, je considérai
l'énigme comme résolue; car la phrase: _principale tige, septième
branche, côté est_, ne pouvait avoir trait qu'à la position du crâne sur
l'arbre, et celle-ci: _lâchez de l'œil gauche de la tête de mort_,
n'admettait aussi qu'une interprétation, puisqu'il s'agissait de la
recherche d'un trésor enfoui. Je compris qu'il fallait laisser tomber
une balle de l'œil gauche du crâne et qu'une ligne d'abeille, ou, en
d'autres termes, une ligne droite, partant du point le plus rapproché du
tronc, et s'étendant, _à travers la balle_, c'est-à-dire à travers le
point où tomberait la balle, indiquerait l'endroit précis,—et sous cet
endroit je jugeai qu'il était pour le moins possible qu'un dépôt
précieux fût encore enfoui.
—Tout cela, dis-je, est excessivement clair, et tout à la fois
ingénieux, simple et explicite. Et, quand vous eûtes quitté l'_Hôtel de
l'Évêque_, que fîtes-vous?
—Mais, ayant soigneusement noté mon arbre, sa forme et sa position, je
retournai chez moi. À peine eus-je quitté _la chaise du Diable_, que le
trou circulaire disparut, et, de quelque côté que je me tournasse, il me
fut désormais impossible de l'apercevoir. Ce qui me paraît le
chef-d'œuvre de l'ingéniosité dans toute cette affaire, c'est ce fait
(car j'ai répété l'expérience et me suis convaincu que c'est un fait),
que l'ouverture circulaire en question n'est visible que d'un seul
point, et cet unique point de vue, c'est l'étroite corniche sur le flanc
du rocher.
«Dans cette expédition à l'_Hôtel de l'Évêque_ j'avais été suivi par
Jupiter, qui observait sans doute depuis quelques semaines mon air
préoccupé, et mettait un soin particulier à ne pas me laisser seul.
Mais, le jour suivant, je me levai de très-grand matin, je réussis à lui
échapper, et je courus dans les montagnes à la recherche de mon arbre.
J'eus beaucoup de peine à le trouver. Quand je revins chez moi à la
nuit, mon domestique se disposait à me donner la bastonnade. Quant au
reste de l'aventure, vous êtes, je présume, aussi bien renseigné que
moi.
—Je suppose, dis-je, que, lors de nos premières fouilles, vous aviez
manqué l'endroit par suite de la bêtise de Jupiter, qui laissa tomber le
scarabée par l'œil droit du crâne au lieu de le laisser filer par
l'œil gauche.
—Précisément. Cette méprise faisait une différence de deux pouces et
demi environ relativement _à la balle_, c'est-à-dire à la position de la
cheville près de l'arbre; si le trésor avait été sous l'endroit marqué
par _la balle_, cette erreur eût été sans importance; mais _la balle_ et
le point le plus rapproché de l'arbre étaient deux points ne servant
qu'à établir une ligne de direction; naturellement, l'erreur, fort
minime au commencement, augmentait en proportion de la longueur de la
ligne, et, quand nous fûmes arrivés à une distance de cinquante pieds,
elle nous avait totalement dévoyés. Sans l'idée fixe dont j'étais
possédé, qu'il y avait positivement là, quelque part, un trésor enfoui,
nous aurions peut-être bien perdu toutes nos peines.
—Mais votre emphase, vos attitudes solennelles, en balançant le
scarabée!—quelles bizarreries! Je vous croyais positivement fou. Et
pourquoi avez-vous absolument voulu laisser tomber du crâne votre
insecte, au lieu d'une balle?
—Ma foi! pour être franc, je vous avouerai que je me sentais quelque
peu vexé par vos soupçons relativement à l'état de mon esprit, et je
résolus de vous punir tranquillement, à ma manière, par un petit brin de
mystification froide. Voilà pourquoi je balançais le scarabée, et voilà
pourquoi je voulus le faire tomber du haut de l'arbre. Une observation
que vous fîtes sur son poids singulier me suggéra cette dernière idée.
—Oui, je comprends; et maintenant il n'y a plus qu'un point qui
m'embarrasse. Que dirons-nous des squelettes trouvés dans le trou?
—Ah! c'est une question à laquelle je ne saurais pas mieux répondre que
vous. Je ne vois qu'une manière plausible de l'expliquer,—et mon
hypothèse implique une atrocité telle que cela est horrible à croire. Il
est clair que Kidd,—si c'est bien Kidd qui a enfoui le trésor, ce dont
je ne doute pas, pour mon compte,—il est clair que Kidd a dû se faire
aider dans son travail. Mais, la besogne finie, il a pu juger convenable
de faire disparaître tous ceux qui possédaient son secret. Deux bons
coups de pioche ont peut-être suffi, pendant que ses aides étaient
encore occupés dans la fosse; il en a peut être fallu une douzaine.—Qui
nous le dira?
LE CANARD AU BALLON
ÉTONNANTES NOUVELLES PAR EXPRÈS, _VIA_ NORFOLK!—L'ATLANTIQUE TRAVERSÉ
EN TROIS JOURS!—TRIOMPHE SIGNALÉ DE LA MACHINE VOLANTE DE M. MONCK
MASSON!—ARRIVÉE À L'ÎLE DE SULLIVAN, PRÈS CHARLESTON, S. C., DE MM.
MASON, ROBERT HOLLAND, HENSON, HARRISON AINSWORTH, ET DE QUATRE AUTRES
PERSONNES, PAR LE BALLON DIRIGEABLE VICTORIA, APRÈS UNE TRAVERSÉE DE
SOIXANTE-CINQ HEURES D'UN CONTINENT À L'AUTRE!—DÉTAILS CIRCONSTANCIÉS
DU VOYAGE!
_Le jeu d'esprit ci-dessous, avec l'en-tête qui précède en
magnifiques capitales, soigneusement émaillé de points
d'admiration, fut publié primitivement, comme un fait positif, dans
le_ New-York Sun, _feuille périodique, et y remplit complètement le
but de fournir un aliment indigeste aux insatiables badauds durant
les quelques heures d'intervalle entre deux courriers de
Charleston. La cohue qui se fit pour se disputer_ le seul journal
qui eût les nouvelles _fut quelque chose qui dépasse même le
prodige; et, en somme, si, comme quelques-uns l'affirment, le_
VICTORIA _n'a pas absolument accompli la traversée en question, il
serait difficile de trouver une raison quelconque qui l'eût empêché
de l'accomplir._
Le grand problème est à la fin résolu! L'air, aussi bien que la terre et
l'Océan, a été conquis par la science, et deviendra pour l'humanité une
grande voie commune et commode. L'Atlantique vient d'être traversé en
ballon! et cela, sans trop de difficultés,—sans grand danger
apparent,—avec une machine dont on est absolument maître,—et dans
l'espace inconcevablement court de soixante-cinq heures d'un continent à
l'autre! Grâce à l'activité d'un correspondant de Charleston, nous
sommes en mesure de donner les premiers au public un récit détaillé de
cet extraordinaire voyage, qui a été accompli,—du samedi 6 du courant,
à quatre heures du matin, au mardi 9 du courant, à deux heures de
l'après-midi,—par sir Everard Bringhurst, M. Osborne, un neveu de lord
Bentinck, MM. Monck Mason et Robert Holland, les célèbres aéronautes, M.
Harrison Ainsworth[14], auteur de _Jack Sheppard_, etc., M. Henson,
inventeur du malheureux projet de la dernière machine volante,—et deux
marins de Woolwich,—en tout huit personnes. Les détails fournis
ci-dessous peuvent être considérés comme parfaitement authentiques et
exacts sous tous les rapports, puisqu'ils sont, à une légère exception
près, copiés mot à mot d'après les journaux réunis de MM. Monck Mason et
Harrison Ainsworth, à la politesse desquels notre agent doit également
bon nombre d'explications verbales relativement au ballon lui-même, à sa
construction, et à d'autres matières d'un haut intérêt. La seule
altération dans le manuscrit communiqué a été faite dans le but de
donner au récif hâtif de notre agent, M. Forsyth, une forme suivie et
intelligible.
Le ballon
Deux insuccès notoires et récents—ceux de M. Henson et de sir George
Cayley—avaient beaucoup amorti l'intérêt du public relativement à la
navigation aérienne. Le plan de M. Henson (qui fut d'abord considéré
comme très-praticable, même par les hommes de science) était fondé sur
le principe d'un plan incliné, lancé d'une hauteur par une force
intrinsèque créée et continuée par la rotation de palettes semblables,
en forme et en nombre, aux ailes d'un moulin à vent. Mais, dans toutes
les expériences qui furent faites avec des modèles à
l'_Adelaïde-Gallery_, il se trouva que l'opération de ces ailes, non
seulement ne faisait pas avancer la machine, mais empêchait positivement
son vol.
La seule force propulsive qu'elle ait jamais montrée fut le simple
mouvement acquis par la descente du plan incliné; et ce mouvement
portait la machine plus loin quand les palettes étaient au repos que
quand elles fonctionnaient,—fait qui démontrait suffisamment leur
inutilité; et, en l'absence du propulseur, qui lui servait en même temps
d'appui, toute la machine devait nécessairement descendre vers le sol.
Cette considération induisit sir George Cayley à ajuster un propulseur à
une machine qui aurait en elle-même la force de se soutenir,—en un mot,
à un ballon. L'idée, néanmoins, n'était nouvelle ou originale, chez sir
George, qu'en ce qui regardait le mode d'application pratique. Il exhiba
un modèle de son invention à l'Institution polytechnique. La force
motrice, ou principe propulseur, était, ici encore, attribuée à des
surfaces non continues ou ailes tournantes. Ces ailes étaient au nombre
de quatre; mais il se trouva qu'elles étaient totalement impuissantes à
mouvoir le ballon ou à aider sa force ascensionnelle. Tout le projet,
dès lors, n'était plus qu'un _four_ complet.
Ce fut dans cette conjoncture que M. Monck Mason (dont le voyage de
Douvres à Weilburg sur le ballon _le Nassau_ excita un si grand intérêt
en 1837) eut l'idée d'appliquer le principe de la vis d'Archimède au
projet de la navigation aérienne, attribuant judicieusement l'insuccès
des plans de M. Henson et de sir George Cayley à la non-continuité des
surfaces dans l'appareil des roues. Il fit sa première expérience
publique à _Willis's Rooms_, puis plus tard porta son modèle à
l'_Adelaïde-Gallery_.
Comme le ballon de sir George Cayley, le sien était un ellipsoïde. Sa
longueur était de treize pieds six pouces, sa hauteur de six pieds huit
pouces. Il contenait environ trois cent vingt pieds cubes de gaz, qui,
si c'était de l'hydrogène pur, pouvaient supporter vingt et une livres
aussitôt après qu'il était enflé, avant que le gaz n'eût eu le temps de
se détériorer ou de fuir. Le poids de toute la machine et de l'appareil
était de dix-sept livres,—donnant ainsi une économie de quatre livres
environ. Au centre du ballon, en dessous, était une charpente de bois
fort léger, longue d'environ neuf pieds, et attachée au ballon par un
réseau de l'espèce ordinaire. À cette charpente était suspendue une
corbeille ou nacelle d'osier.
La vis consiste en un axe formé d'un tube de cuivre creux, long de six
pouces, à travers lequel, sur une spirale inclinée à un angle de quinze
degrés, passe une série de rayons de fil d'acier, longs de deux pieds et
se projetant d'un pied de chaque côté. Ces rayons sont réunis à leurs
extrémités externes par deux lames de fil métallique aplati,—le tout
formant ainsi la charpente de la vis, qui est complétée par un tissu de
soie huilée, coupée en pointes et tendue de manière à présenter une
surface passablement lisse. Aux deux bouts de son axe, cette vis est
surmontée par des montants cylindriques de cuivre descendant du cerceau.
Aux bouts inférieurs de ces tubes sont des trous dans lesquels tournent
les pivots de l'axe. Du bout de l'axe qui est le plus près de la nacelle
part une flèche d'acier qui relie la vis à une machine à levier fixée à
la nacelle. Par l'opération de ce ressort, la vis est forcée et tournée
avec une grande rapidité, communiquant à l'ensemble un mouvement de
progression.
Au moyen du gouvernail, la machine pouvait aisément s'orienter dans
toutes les directions. Le levier était d'une grande puissance,
comparativement à sa dimension, pouvant soulever un poids de
quarante-cinq livres sur un cylindre de quatre pouces de diamètre après
le premier tour, et davantage à mesure qu'il fonctionnait. Il pesait en
tout huit livres six onces. Le gouvernail était une légère charpente de
roseau recouverte de soie, façonnée à peu près comme une raquette, de
trois pieds de long à peu près et d'un pied dans sa plus grande largeur.
Son poids était de deux onces environ. Il pouvait se tourner à plat et
se diriger en haut et en bas, aussi bien qu'à droite et à gauche, et
donner à l'aéronaute la faculté de transporter la résistance de l'air,
qu'il devait, dans une position inclinée, créer sur son passage, du côté
sur lequel il désirait agir, déterminant ainsi pour le ballon la
direction opposée.
Ce modèle (que, faute de temps, nous avons nécessairement décrit d'une
manière imparfaite) fut mis en mouvement dans l'_Adelaïde-Gallery_, où
il donna une vélocité de cinq milles à l'heure; et, chose étrange à
dire, il n'excita qu'un mince intérêt en comparaison de la précédente
machine compliquée de M. Henson,—tant le monde est décidé à mépriser
toute chose qui se présente avec un air de simplicité! Pour accomplir le
grand _desideratum_ de la navigation aérienne, on supposait généralement
l'application singulièrement compliquée de quelque principe
extraordinairement profond de dynamique.
Toutefois, M. Mason était tellement satisfait du récent succès de son
invention qu'il résolut de construire immédiatement, s'il était
possible, un ballon d'une capacité suffisante pour vérifier le problème
par un voyage de quelque étendue;—son projet primitif était de
traverser la Manche comme il avait déjà fait avec le ballon _le Nassau_.
Pour favoriser ses vues, il sollicita et obtint le patronage de sir
Everard Bringhurst et de M. Osborne, deux gentlemen bien connus par
leurs lumières scientifiques et spécialement pour l'intérêt qu'ils ont
manifesté pour les progrès de l'aérostation. Le projet, selon le désir
de M. Osborne, fut soigneusement caché au public;—les seules personnes
auxquelles il fut confié furent les personnes engagées dans la
construction de la machine, qui fut établie sous la surveillance de MM.
Mason, Holland, de sir Everard Bringhurst et de M. Osborne, dans
l'habitation de ce dernier, près de Penstruthal, dans le pays de Galles.
M. Henson, accompagné de son ami M. Ainsworth, fut admis à examiner le
ballon samedi dernier,—après les derniers arrangements pris par ces
messieurs pour être admis à la participation de l'entreprise. Nous ne
savons pas pour quelle raison les deux marins firent aussi partie de
l'expédition,—mais dans un délai d'un ou deux jours nous mettrons le
lecteur en possession des plus minutieux détails concernant cet
extraordinaire voyage.
Le ballon est fait de soie recouverte d'un vernis de caoutchouc. Il est
conçu dans de grandes proportions et contient plus de 40 000 pieds cubes
de gaz; mais, comme le gaz de houille a été employé préférablement à
l'hydrogène, dont la trop grande force d'expansion a des inconvénients,
la puissance de l'appareil, quand il est parfaitement gonflé et aussitôt
après son gonflement, n'enlève pas plus de 2 500 livres environ. Non
seulement le gaz de houille est moins coûteux, mais on peut se le
procurer et le gouverner plus aisément.
L'introduction de ce gaz dans les procédés usuels de l'aérostation est
due à M. Charles Green. Avant sa découverte, le procédé du gonflement
était non seulement excessivement dispendieux, mais peu sûr. On a
souvent perdu deux ou même trois jours en efforts futiles pour se
procurer la quantité suffisante d'hydrogène pour un ballon d'où il avait
toujours une tendance à fuir, grâce à son excessive subtilité et à son
affinité pour l'atmosphère ambiante. Un ballon assez bien fait pour
tenir sa contenance de gaz de houille intacte, en qualité et en
quantité, pendant six mois, ne pourrait pas conserver six semaines la
même quantité d'hydrogène dans une égale intégrité.
La force du support étant estimée à 2 500 livres, et les poids réunis de
cinq individus seulement à 1 200 environ, il restait un surplus de 1
300, dont 1 200 étaient prises par le lest, réparti en différents sacs,
dont le poids était marqué sur chacun,—par les cordages, les
baromètres, les télescopes, les barils contenant des provisions pour une
quinzaine, les barils d'eau, les portemanteaux, les sacs de nuits et
divers autres objets indispensables, y compris une cafetière à faire
bouillir le café à la chaux, pour se dispenser totalement de feu, si
cela était jugé prudent. Tous ces articles, à l'exception du lest et de
quelques bagatelles, étaient appendus au cerceau. La nacelle est plus
légère et plus petite à proportion que celle qui la représente dans le
modèle. Elle est faite d'un osier fort léger, et singulièrement forte
pour une machine qui a l'air si fragile. Elle a environ quatre pieds de
profondeur. Le gouvernail diffère aussi de celui du modèle en ce qu'il
pas le caractère principal.
«Nous avons donc, tout en commençant, une base d'opérations qui donne
quelque chose de mieux qu'une conjecture. L'usage général qu'on peut
faire de cette table est évident; mais, pour ce chiffre particulier,
nous ne nous en servirons que très-médiocrement. Puisque notre caractère
dominant est 8, nous commencerons par le prendre pour l'_e_ de
l'alphabet naturel. Pour vérifier cette supposition, voyons si le 8 se
rencontre souvent double; car l'_e_ se redouble très-fréquemment en
anglais, comme par exemple dans les mots: _meet, fleet, speed, seen,
been, agree_, etc. Or, dans le cas présent, nous voyons qu'il n'est pas
redoublé moins de cinq fois, bien que le cryptogramme soit très-court.
«Donc 8 représentera _e_. Maintenant, de tous les mots de la langue,
_the_ est le plus utilisé; conséquemment, il nous faut voir si nous ne
trouverons pas répétée plusieurs fois la même combinaison de trois
caractères, ce 8 étant le dernier des trois. Si nous trouvons des
répétitions de ce genre, elles représenteront très-probablement le mot
_the_. Vérification faite, nous n'en trouvons pas moins de 7; et les
caractères sont;48. Nous pouvons donc supposer que _;_ représente _t_,
que 4 représente _h_, et que 8 représente _e_,—la valeur du dernier se
trouvant ainsi confirmée de nouveau. Il y a maintenant un grand pas de
fait.
«Nous n'avons déterminé qu'un mot, mais ce seul mot nous permet
d'établir un point beaucoup plus important, c'est-à-dire les
commencements et les terminaisons d'autres mots. Voyons, par exemple,
l'avant-dernier cas où se présente la combinaison;48, presque à la fin
du chiffre. Nous savons que le _;_ qui vient immédiatement après est le
commencement d'un mot, et des six caractères qui suivent ces _the_, nous
n'en connaissons pas moins de cinq. Remplaçons donc ces caractères par
les lettres qu'ils représentent, en laissant un espace pour l'inconnu:
_t eeth._
«Nous devons tout d'abord écarter le _th_ comme ne pouvant pas faire
partie du mot qui commence par le premier _t_, puisque nous voyons, en
essayant successivement toutes les lettres de l'alphabet pour combler la
lacune, qu'il est impossible de former un mot dont ce _th_ puisse faire
partie. Réduisons donc nos caractères à:
_t ee,_
et reprenant de nouveau tout l'alphabet, s'il le faut, nous concluons au
mot _tree_ (arbre), comme à la seule version possible. Nous gagnons
ainsi une nouvelle lettre, _r_, représentée par (, plus deux mots
juxtaposés, _the tree_ (l'arbre).
«Un peu plus loin, nous retrouvons la combinaison;48, et nous nous en
servons comme de terminaison à ce qui précède immédiatement. Cela nous
donne l'arrangement suivant:
the tree; 4(@?34 _the_,
ou, en substituant les lettres naturelles aux caractères que nous
connaissons,
_the tree thr_@? 3 _h the_.
Maintenant, si aux caractères inconnus nous substituons des blancs ou
des points, nous aurons:
_the tree thr... h the,_
et le mot _through_ (par, à travers) se dégage pour ainsi dire de
lui-même. Mais cette découverte nous donne trois lettres de plus, _o, u_
et _g_, représentées par @,? et 3.
«Maintenant, cherchons attentivement dans le cryptogramme des
combinaisons de caractères connus, et nous trouverons, non loin du
commencement, l'arrangement suivant:
83(88, ou _egree_,
qui est évidemment la terminaison du mot _degree_ (degré), et qui nous
livre encore une lettre _d_ représentée par +.
«Quatre lettres plus loin que ce mot _degree_, nous trouvons la
combinaison:
;46(;88,
dont nous traduisons les caractères connus et représentons l'inconnu par
un point; cela nous donne:
_th. rtee_*,
arrangement qui nous suggère immédiatement le mot _thirteen_ (treize),
et nous fournit deux lettres nouvelles, _i_ et _n_, représentées par 6
et *.
«Reportons-nous maintenant au commencement du cryptogramme, nous
trouvons la combinaison:
53@@+.
«Traduisant comme nous avons déjà fait, nous obtenons
._good_,
ce qui nous montre que la première lettre est un _a_, et que les deux
premiers mots sont _a good_ (un bon, une bonne).
«Il serait temps maintenant, pour éviter toute confusion, de disposer
toutes nos découvertes sous forme de table. Cela nous fera un
commencement de clef:
5 représente a
+ représente d
8 représente e
3 représente g
4 représente h
6 représente i
* représente n
@ représente o
(représente r
; représente t
? représente u
Ainsi, nous n'avons pas moins de onze des lettres les plus importantes,
et il est inutile que nous poursuivions la solution à travers tous ses
détails. Je vous en ai dit assez pour vous convaincre que des chiffres
de cette nature sont faciles à résoudre, et pour vous donner un aperçu
de l'analyse raisonnée qui sert à les débrouiller. Mais tenez pour
certain que le spécimen que nous avons sous les yeux appartient à la
catégorie la plus simple de la cryptographie. Il ne me reste plus qu'à
vous donner la traduction complète du document, comme si nous avions
déchiffré successivement tous les caractères. La voici:
_A good glass in the bishop's hostel in the devil's seat forty-one
degrees and thirteen minutes northeast and by north main branch seventh
limb east side shoot from the left eye of the death's-head a bee-line
from the tree through the shot fifty feet out._
_(Un bon verre dans l'hostel de l'évêque dans la chaise du diable
quarante et un degrés et treize minutes nord-est quart de nord
principale tige septième branche côté est lâchez de l'œil gauche de la
tête de mort une ligne d'abeille de l'arbre à travers la balle cinquante
pieds au large.)_
—Mais, dis-je, l'énigme me paraît d'une qualité tout aussi désagréable
qu'auparavant. Comment peut-on tirer un sens quelconque de tout ce
jargon de _chaise du diable_, de _tête de mort_ et d'_hostel de
l'évêque?_
—Je conviens, répliqua Legrand, que l'affaire a l'air encore
passablement sérieux, quand on y jette un simple coup d'œil. Mon
premier soin fut d'essayer de retrouver dans la phrase les divisions
naturelles qui étaient dans l'esprit de celui qui l'écrivit.
—De la ponctuer, voulez-vous dire?
—Quelque chose comme cela.
—Mais comment diable avez-vous fait?
—Je réfléchis que l'écrivain s'était fait une loi d'assembler les mots
sans aucune division, espérant rendre ainsi la solution plus difficile.
Or, un homme qui n'est pas excessivement fin sera presque toujours
enclin, dans une pareille tentative, à dépasser la mesure. Quand, dans
le cours de sa composition, il arrive à une interruption de sens qui
demanderait naturellement une pause ou un point, il est fatalement porté
à serrer les caractères plus que d'habitude. Examinez ce manuscrit, et
vous découvrirez facilement cinq endroits de ce genre où il y a pour
ainsi dire encombrement de caractères. En me dirigeant d'après cet
indice j'établis la division suivante:
_A good glass in the bishop's hostel in the devil's seat—forty-one
degrees and thirteen minutes—northeast and by north—main branch
seventh limb east side—shoot from the left eye of the death's-head—a
bee line from the tree through the shot fifty feet out._
_(Un bon verre dans l'hostel de l'évêque dans la chaise du
diable—quarante et un degrés et treize minutes—nord-est quart de
nord—principale tige septième branche côté est—lâchez de l'œil gauche
de la tête de mort—une ligne d'abeille de l'arbre à travers la balle
cinquante pieds au large.)_
—Malgré votre division, dis-je, je reste toujours dans les ténèbres.
—J'y restai moi-même pendant quelques jours, répliqua Legrand. Pendant
ce temps, je fis force recherches dans le voisinage de l'île de Sullivan
sur un bâtiment qui devait s'appeler l'_Hôtel de l'Évêque_, car je ne
m'inquiétai pas de la vieille orthographe du mot _hostel_. N'ayant
trouvé aucun renseignement à ce sujet, j'étais sur le point d'étendre la
sphère de mes recherches et de procéder d'une manière plus systématique,
quand, un matin, je m'avisai tout à coup que ce _Bishop's hostel_
pouvait bien avoir rapport à une vieille famille du nom de Bessop, qui,
de temps immémorial, était en possession d'un ancien manoir à quatre
milles environ au nord de l'île. J'allai donc à la plantation, et je
recommençai mes questions parmi les plus vieux nègres de l'endroit.
Enfin, une des femmes les plus âgées me dit qu'elle avait entendu parler
d'un endroit comme _Bessop's castle_ (château de Bessop), et qu'elle
croyait bien pouvoir m'y conduire, mais que ce n'était ni un château, ni
une auberge, mais un grand rocher.
«Je lui offris de la bien payer pour sa peine, et, après quelque
hésitation, elle consentit à m'accompagner jusqu'à l'endroit précis.
Nous le découvrîmes sans trop de difficulté, je la congédiai, et
commençai à examiner la localité. Le _château_ consistait en un
assemblage irrégulier de pics et de rochers, dont l'un était aussi
remarquable par sa hauteur que par son isolement et sa configuration
quasi artificielle. Je grimpai au sommet, et, là, je me sentis fort
embarrassé de ce que j'avais désormais à faire.
«Pendant que j'y rêvais, mes yeux tombèrent sur une étroite saillie dans
la face orientale du rocher, à un yard environ au-dessous de la pointe
où j'étais placé. Cette saillie se projetait de dix-huit pouces à peu
près, et n'avait guère plus d'un pied de large; une niche creusée dans
le pic juste au-dessus lui donnait une grossière ressemblance avec les
chaises à dos concave dont se servaient nos ancêtres. Je ne doutai pas
que ce ne fût la _chaise du Diable_ dont il était fait mention dans le
manuscrit, et il me sembla que je tenais désormais tout le secret de
l'énigme.
«Le _bon verre_, je le savais, ne pouvait pas désigner autre chose
qu'une longue-vue; car nos marins emploient rarement le mot glass dans
un autre sens. Je compris tout de suite qu'il fallait ici se servir
d'une longue-vue, en se plaçant à un point de vue défini et _n'admettant
aucune variation_. Or, les phrases: _quarante et un degrés et treize
minutes, et nord-est quart de nord_,—je n'hésitai pas un instant à le
croire,—devaient donner la direction pour pointer la longue-vue.
Fortement remué par toutes ces découvertes, je me précipitai chez moi,
je me procurai une longue-vue, et je retournai au rocher.
«Je me laissai glisser sur la corniche, et je m'aperçus qu'on ne pouvait
s'y tenir assis que dans une certaine position. Ce fait confirma ma
conjecture. Je pensai alors à me servir de la longue-vue. Naturellement,
les _quarante et un degrés et treize minutes_ ne pouvaient avoir trait
qu'à l'élévation au-dessus de l'horizon sensible, puisque la direction
horizontale était clairement indiquée par les mots _nord-est quart de
nord_. J'établis cette direction au moyen d'une boussole de poche; puis,
pointant, aussi juste que possible par approximation, ma longue-vue à un
angle de quarante et un degrés d'élévation, je la fis mouvoir avec
précaution de haut en bas et de bas en haut, jusqu'à ce que mon
attention fût arrêtée par une espèce de trou circulaire ou de lucarne
dans le feuillage d'un grand arbre qui dominait tous ses voisins dans
l'étendue visible. Au centre de ce trou, j'aperçus un point blanc, mais
je ne pus pas tout d'abord distinguer ce que c'était. Après avoir ajusté
le foyer de ma longue-vue, je regardai de nouveau, et je m'assurai enfin
que c'était un crâne humain.
«Après cette découverte qui me combla de confiance, je considérai
l'énigme comme résolue; car la phrase: _principale tige, septième
branche, côté est_, ne pouvait avoir trait qu'à la position du crâne sur
l'arbre, et celle-ci: _lâchez de l'œil gauche de la tête de mort_,
n'admettait aussi qu'une interprétation, puisqu'il s'agissait de la
recherche d'un trésor enfoui. Je compris qu'il fallait laisser tomber
une balle de l'œil gauche du crâne et qu'une ligne d'abeille, ou, en
d'autres termes, une ligne droite, partant du point le plus rapproché du
tronc, et s'étendant, _à travers la balle_, c'est-à-dire à travers le
point où tomberait la balle, indiquerait l'endroit précis,—et sous cet
endroit je jugeai qu'il était pour le moins possible qu'un dépôt
précieux fût encore enfoui.
—Tout cela, dis-je, est excessivement clair, et tout à la fois
ingénieux, simple et explicite. Et, quand vous eûtes quitté l'_Hôtel de
l'Évêque_, que fîtes-vous?
—Mais, ayant soigneusement noté mon arbre, sa forme et sa position, je
retournai chez moi. À peine eus-je quitté _la chaise du Diable_, que le
trou circulaire disparut, et, de quelque côté que je me tournasse, il me
fut désormais impossible de l'apercevoir. Ce qui me paraît le
chef-d'œuvre de l'ingéniosité dans toute cette affaire, c'est ce fait
(car j'ai répété l'expérience et me suis convaincu que c'est un fait),
que l'ouverture circulaire en question n'est visible que d'un seul
point, et cet unique point de vue, c'est l'étroite corniche sur le flanc
du rocher.
«Dans cette expédition à l'_Hôtel de l'Évêque_ j'avais été suivi par
Jupiter, qui observait sans doute depuis quelques semaines mon air
préoccupé, et mettait un soin particulier à ne pas me laisser seul.
Mais, le jour suivant, je me levai de très-grand matin, je réussis à lui
échapper, et je courus dans les montagnes à la recherche de mon arbre.
J'eus beaucoup de peine à le trouver. Quand je revins chez moi à la
nuit, mon domestique se disposait à me donner la bastonnade. Quant au
reste de l'aventure, vous êtes, je présume, aussi bien renseigné que
moi.
—Je suppose, dis-je, que, lors de nos premières fouilles, vous aviez
manqué l'endroit par suite de la bêtise de Jupiter, qui laissa tomber le
scarabée par l'œil droit du crâne au lieu de le laisser filer par
l'œil gauche.
—Précisément. Cette méprise faisait une différence de deux pouces et
demi environ relativement _à la balle_, c'est-à-dire à la position de la
cheville près de l'arbre; si le trésor avait été sous l'endroit marqué
par _la balle_, cette erreur eût été sans importance; mais _la balle_ et
le point le plus rapproché de l'arbre étaient deux points ne servant
qu'à établir une ligne de direction; naturellement, l'erreur, fort
minime au commencement, augmentait en proportion de la longueur de la
ligne, et, quand nous fûmes arrivés à une distance de cinquante pieds,
elle nous avait totalement dévoyés. Sans l'idée fixe dont j'étais
possédé, qu'il y avait positivement là, quelque part, un trésor enfoui,
nous aurions peut-être bien perdu toutes nos peines.
—Mais votre emphase, vos attitudes solennelles, en balançant le
scarabée!—quelles bizarreries! Je vous croyais positivement fou. Et
pourquoi avez-vous absolument voulu laisser tomber du crâne votre
insecte, au lieu d'une balle?
—Ma foi! pour être franc, je vous avouerai que je me sentais quelque
peu vexé par vos soupçons relativement à l'état de mon esprit, et je
résolus de vous punir tranquillement, à ma manière, par un petit brin de
mystification froide. Voilà pourquoi je balançais le scarabée, et voilà
pourquoi je voulus le faire tomber du haut de l'arbre. Une observation
que vous fîtes sur son poids singulier me suggéra cette dernière idée.
—Oui, je comprends; et maintenant il n'y a plus qu'un point qui
m'embarrasse. Que dirons-nous des squelettes trouvés dans le trou?
—Ah! c'est une question à laquelle je ne saurais pas mieux répondre que
vous. Je ne vois qu'une manière plausible de l'expliquer,—et mon
hypothèse implique une atrocité telle que cela est horrible à croire. Il
est clair que Kidd,—si c'est bien Kidd qui a enfoui le trésor, ce dont
je ne doute pas, pour mon compte,—il est clair que Kidd a dû se faire
aider dans son travail. Mais, la besogne finie, il a pu juger convenable
de faire disparaître tous ceux qui possédaient son secret. Deux bons
coups de pioche ont peut-être suffi, pendant que ses aides étaient
encore occupés dans la fosse; il en a peut être fallu une douzaine.—Qui
nous le dira?
LE CANARD AU BALLON
ÉTONNANTES NOUVELLES PAR EXPRÈS, _VIA_ NORFOLK!—L'ATLANTIQUE TRAVERSÉ
EN TROIS JOURS!—TRIOMPHE SIGNALÉ DE LA MACHINE VOLANTE DE M. MONCK
MASSON!—ARRIVÉE À L'ÎLE DE SULLIVAN, PRÈS CHARLESTON, S. C., DE MM.
MASON, ROBERT HOLLAND, HENSON, HARRISON AINSWORTH, ET DE QUATRE AUTRES
PERSONNES, PAR LE BALLON DIRIGEABLE VICTORIA, APRÈS UNE TRAVERSÉE DE
SOIXANTE-CINQ HEURES D'UN CONTINENT À L'AUTRE!—DÉTAILS CIRCONSTANCIÉS
DU VOYAGE!
_Le jeu d'esprit ci-dessous, avec l'en-tête qui précède en
magnifiques capitales, soigneusement émaillé de points
d'admiration, fut publié primitivement, comme un fait positif, dans
le_ New-York Sun, _feuille périodique, et y remplit complètement le
but de fournir un aliment indigeste aux insatiables badauds durant
les quelques heures d'intervalle entre deux courriers de
Charleston. La cohue qui se fit pour se disputer_ le seul journal
qui eût les nouvelles _fut quelque chose qui dépasse même le
prodige; et, en somme, si, comme quelques-uns l'affirment, le_
VICTORIA _n'a pas absolument accompli la traversée en question, il
serait difficile de trouver une raison quelconque qui l'eût empêché
de l'accomplir._
Le grand problème est à la fin résolu! L'air, aussi bien que la terre et
l'Océan, a été conquis par la science, et deviendra pour l'humanité une
grande voie commune et commode. L'Atlantique vient d'être traversé en
ballon! et cela, sans trop de difficultés,—sans grand danger
apparent,—avec une machine dont on est absolument maître,—et dans
l'espace inconcevablement court de soixante-cinq heures d'un continent à
l'autre! Grâce à l'activité d'un correspondant de Charleston, nous
sommes en mesure de donner les premiers au public un récit détaillé de
cet extraordinaire voyage, qui a été accompli,—du samedi 6 du courant,
à quatre heures du matin, au mardi 9 du courant, à deux heures de
l'après-midi,—par sir Everard Bringhurst, M. Osborne, un neveu de lord
Bentinck, MM. Monck Mason et Robert Holland, les célèbres aéronautes, M.
Harrison Ainsworth[14], auteur de _Jack Sheppard_, etc., M. Henson,
inventeur du malheureux projet de la dernière machine volante,—et deux
marins de Woolwich,—en tout huit personnes. Les détails fournis
ci-dessous peuvent être considérés comme parfaitement authentiques et
exacts sous tous les rapports, puisqu'ils sont, à une légère exception
près, copiés mot à mot d'après les journaux réunis de MM. Monck Mason et
Harrison Ainsworth, à la politesse desquels notre agent doit également
bon nombre d'explications verbales relativement au ballon lui-même, à sa
construction, et à d'autres matières d'un haut intérêt. La seule
altération dans le manuscrit communiqué a été faite dans le but de
donner au récif hâtif de notre agent, M. Forsyth, une forme suivie et
intelligible.
Le ballon
Deux insuccès notoires et récents—ceux de M. Henson et de sir George
Cayley—avaient beaucoup amorti l'intérêt du public relativement à la
navigation aérienne. Le plan de M. Henson (qui fut d'abord considéré
comme très-praticable, même par les hommes de science) était fondé sur
le principe d'un plan incliné, lancé d'une hauteur par une force
intrinsèque créée et continuée par la rotation de palettes semblables,
en forme et en nombre, aux ailes d'un moulin à vent. Mais, dans toutes
les expériences qui furent faites avec des modèles à
l'_Adelaïde-Gallery_, il se trouva que l'opération de ces ailes, non
seulement ne faisait pas avancer la machine, mais empêchait positivement
son vol.
La seule force propulsive qu'elle ait jamais montrée fut le simple
mouvement acquis par la descente du plan incliné; et ce mouvement
portait la machine plus loin quand les palettes étaient au repos que
quand elles fonctionnaient,—fait qui démontrait suffisamment leur
inutilité; et, en l'absence du propulseur, qui lui servait en même temps
d'appui, toute la machine devait nécessairement descendre vers le sol.
Cette considération induisit sir George Cayley à ajuster un propulseur à
une machine qui aurait en elle-même la force de se soutenir,—en un mot,
à un ballon. L'idée, néanmoins, n'était nouvelle ou originale, chez sir
George, qu'en ce qui regardait le mode d'application pratique. Il exhiba
un modèle de son invention à l'Institution polytechnique. La force
motrice, ou principe propulseur, était, ici encore, attribuée à des
surfaces non continues ou ailes tournantes. Ces ailes étaient au nombre
de quatre; mais il se trouva qu'elles étaient totalement impuissantes à
mouvoir le ballon ou à aider sa force ascensionnelle. Tout le projet,
dès lors, n'était plus qu'un _four_ complet.
Ce fut dans cette conjoncture que M. Monck Mason (dont le voyage de
Douvres à Weilburg sur le ballon _le Nassau_ excita un si grand intérêt
en 1837) eut l'idée d'appliquer le principe de la vis d'Archimède au
projet de la navigation aérienne, attribuant judicieusement l'insuccès
des plans de M. Henson et de sir George Cayley à la non-continuité des
surfaces dans l'appareil des roues. Il fit sa première expérience
publique à _Willis's Rooms_, puis plus tard porta son modèle à
l'_Adelaïde-Gallery_.
Comme le ballon de sir George Cayley, le sien était un ellipsoïde. Sa
longueur était de treize pieds six pouces, sa hauteur de six pieds huit
pouces. Il contenait environ trois cent vingt pieds cubes de gaz, qui,
si c'était de l'hydrogène pur, pouvaient supporter vingt et une livres
aussitôt après qu'il était enflé, avant que le gaz n'eût eu le temps de
se détériorer ou de fuir. Le poids de toute la machine et de l'appareil
était de dix-sept livres,—donnant ainsi une économie de quatre livres
environ. Au centre du ballon, en dessous, était une charpente de bois
fort léger, longue d'environ neuf pieds, et attachée au ballon par un
réseau de l'espèce ordinaire. À cette charpente était suspendue une
corbeille ou nacelle d'osier.
La vis consiste en un axe formé d'un tube de cuivre creux, long de six
pouces, à travers lequel, sur une spirale inclinée à un angle de quinze
degrés, passe une série de rayons de fil d'acier, longs de deux pieds et
se projetant d'un pied de chaque côté. Ces rayons sont réunis à leurs
extrémités externes par deux lames de fil métallique aplati,—le tout
formant ainsi la charpente de la vis, qui est complétée par un tissu de
soie huilée, coupée en pointes et tendue de manière à présenter une
surface passablement lisse. Aux deux bouts de son axe, cette vis est
surmontée par des montants cylindriques de cuivre descendant du cerceau.
Aux bouts inférieurs de ces tubes sont des trous dans lesquels tournent
les pivots de l'axe. Du bout de l'axe qui est le plus près de la nacelle
part une flèche d'acier qui relie la vis à une machine à levier fixée à
la nacelle. Par l'opération de ce ressort, la vis est forcée et tournée
avec une grande rapidité, communiquant à l'ensemble un mouvement de
progression.
Au moyen du gouvernail, la machine pouvait aisément s'orienter dans
toutes les directions. Le levier était d'une grande puissance,
comparativement à sa dimension, pouvant soulever un poids de
quarante-cinq livres sur un cylindre de quatre pouces de diamètre après
le premier tour, et davantage à mesure qu'il fonctionnait. Il pesait en
tout huit livres six onces. Le gouvernail était une légère charpente de
roseau recouverte de soie, façonnée à peu près comme une raquette, de
trois pieds de long à peu près et d'un pied dans sa plus grande largeur.
Son poids était de deux onces environ. Il pouvait se tourner à plat et
se diriger en haut et en bas, aussi bien qu'à droite et à gauche, et
donner à l'aéronaute la faculté de transporter la résistance de l'air,
qu'il devait, dans une position inclinée, créer sur son passage, du côté
sur lequel il désirait agir, déterminant ainsi pour le ballon la
direction opposée.
Ce modèle (que, faute de temps, nous avons nécessairement décrit d'une
manière imparfaite) fut mis en mouvement dans l'_Adelaïde-Gallery_, où
il donna une vélocité de cinq milles à l'heure; et, chose étrange à
dire, il n'excita qu'un mince intérêt en comparaison de la précédente
machine compliquée de M. Henson,—tant le monde est décidé à mépriser
toute chose qui se présente avec un air de simplicité! Pour accomplir le
grand _desideratum_ de la navigation aérienne, on supposait généralement
l'application singulièrement compliquée de quelque principe
extraordinairement profond de dynamique.
Toutefois, M. Mason était tellement satisfait du récent succès de son
invention qu'il résolut de construire immédiatement, s'il était
possible, un ballon d'une capacité suffisante pour vérifier le problème
par un voyage de quelque étendue;—son projet primitif était de
traverser la Manche comme il avait déjà fait avec le ballon _le Nassau_.
Pour favoriser ses vues, il sollicita et obtint le patronage de sir
Everard Bringhurst et de M. Osborne, deux gentlemen bien connus par
leurs lumières scientifiques et spécialement pour l'intérêt qu'ils ont
manifesté pour les progrès de l'aérostation. Le projet, selon le désir
de M. Osborne, fut soigneusement caché au public;—les seules personnes
auxquelles il fut confié furent les personnes engagées dans la
construction de la machine, qui fut établie sous la surveillance de MM.
Mason, Holland, de sir Everard Bringhurst et de M. Osborne, dans
l'habitation de ce dernier, près de Penstruthal, dans le pays de Galles.
M. Henson, accompagné de son ami M. Ainsworth, fut admis à examiner le
ballon samedi dernier,—après les derniers arrangements pris par ces
messieurs pour être admis à la participation de l'entreprise. Nous ne
savons pas pour quelle raison les deux marins firent aussi partie de
l'expédition,—mais dans un délai d'un ou deux jours nous mettrons le
lecteur en possession des plus minutieux détails concernant cet
extraordinaire voyage.
Le ballon est fait de soie recouverte d'un vernis de caoutchouc. Il est
conçu dans de grandes proportions et contient plus de 40 000 pieds cubes
de gaz; mais, comme le gaz de houille a été employé préférablement à
l'hydrogène, dont la trop grande force d'expansion a des inconvénients,
la puissance de l'appareil, quand il est parfaitement gonflé et aussitôt
après son gonflement, n'enlève pas plus de 2 500 livres environ. Non
seulement le gaz de houille est moins coûteux, mais on peut se le
procurer et le gouverner plus aisément.
L'introduction de ce gaz dans les procédés usuels de l'aérostation est
due à M. Charles Green. Avant sa découverte, le procédé du gonflement
était non seulement excessivement dispendieux, mais peu sûr. On a
souvent perdu deux ou même trois jours en efforts futiles pour se
procurer la quantité suffisante d'hydrogène pour un ballon d'où il avait
toujours une tendance à fuir, grâce à son excessive subtilité et à son
affinité pour l'atmosphère ambiante. Un ballon assez bien fait pour
tenir sa contenance de gaz de houille intacte, en qualité et en
quantité, pendant six mois, ne pourrait pas conserver six semaines la
même quantité d'hydrogène dans une égale intégrité.
La force du support étant estimée à 2 500 livres, et les poids réunis de
cinq individus seulement à 1 200 environ, il restait un surplus de 1
300, dont 1 200 étaient prises par le lest, réparti en différents sacs,
dont le poids était marqué sur chacun,—par les cordages, les
baromètres, les télescopes, les barils contenant des provisions pour une
quinzaine, les barils d'eau, les portemanteaux, les sacs de nuits et
divers autres objets indispensables, y compris une cafetière à faire
bouillir le café à la chaux, pour se dispenser totalement de feu, si
cela était jugé prudent. Tous ces articles, à l'exception du lest et de
quelques bagatelles, étaient appendus au cerceau. La nacelle est plus
légère et plus petite à proportion que celle qui la représente dans le
modèle. Elle est faite d'un osier fort léger, et singulièrement forte
pour une machine qui a l'air si fragile. Elle a environ quatre pieds de
profondeur. Le gouvernail diffère aussi de celui du modèle en ce qu'il
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