Histoires extraordinaires - 01

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Edgar Allan Poe
HISTOIRES EXTRAORDINAIRES
Traduction par Charles Baudelaire Première publication en France en 1856


Table des matières

EDGAR POE, SA VIE ET SES ŒuVRES.
DOUBLE ASSASSINAT DANS LA RUE MORGUE.
LA LETTRE VOLÉE.
LE SCARABÉE D'OR.
LE CANARD AU BALLON.—Le ballon.—Le journal
AVENTURE SANS PAREILLE D'UN CERTAIN HANS PFAALL.
MANUSCRIT TROUVÉ DANS UNE BOUTEILLE.
UNE DESCENTE DANS LE MAELSTRÖM.
LA VÉRITÉ SUR LE CAS DE M. VALDEMAR.
RÉVÉLATION MAGNÉTIQUE.
LES SOUVENIRS DE M. AUGUSTE BEDLOE.
MORELLA.
LIGEIA.
METZENGERSTEIN.
EDGAR ALLAN POE, SA VIE ET SES OUVRAGES.
* * * * *


EDGAR POE, SA VIE ET SES ŒuVRES[1]
par Charles Baudelaire (1856).
...Quelque maître malheureux à qui l'inexorable Fatalité a donné une
chasse acharnée, toujours plus acharnée, jusqu'à ce que ses chants
n'aient plus qu'un unique refrain, jusqu'à ce que les chants funèbres de
son Espérance aient adopté ce mélancolique refrain: «Jamais! Jamais
plus!»
Edgar Poe.—_Le Corbeau_.
Sur son trône d'airain le Destin, qui s'en raille,
Imbibe leur éponge avec du fiel amer,
Et la nécessité les tord dans sa tenaille.
Théophile Gautier.—_Ténèbres_.

I
Dans ces derniers temps, un malheureux fut amené devant nos tribunaux,
dont le front était illustré d'un rare et singulier tatouage: _Pas de
chance!_ Il portait ainsi au-dessus de ses yeux l'étiquette de sa vie,
comme un livre son titre, et l'interrogatoire prouve que ce bizarre
écriteau était cruellement véridique. Il y a, dans l'histoire
littéraire, des destinées analogues, de vraies damnations,—des hommes
qui portent le mot _guignon_ écrit en caractères mystérieux dans les
plis sinueux de leur front. L'Ange aveugle de l'expiation s'est emparé
d'eux et les fouette à tour de bras pour l'édification des autres. En
vain leur vie montre-t-elle des talents, des vertus, de la grâce; la
Société a pour eux un anathème spécial, et accuse en eux les infirmités
que sa persécution leur a données.—Que ne fit pas Hoffmann pour
désarmer la destinée, et que n'entreprit pas Balzac pour conjurer la
fortune?—Existe-t-il donc une Providence diabolique qui prépare le
malheur dès le berceau,—qui jette avec _préméditation_ des natures
spirituelles et angéliques dans des milieux hostiles, comme des martyrs
dans les cirques? Y a-t-il donc des âmes _sacrées_, vouées à l'autel,
condamnées à marcher à la mort et à la gloire à travers leurs propres
ruines? Le cauchemar des _Ténèbres_ assiègera-t-il éternellement ces
âmes de choix? Vainement elles se débattent, vainement elles se ferment
au monde, à ses prévoyances, à ses ruses; elles perfectionneront la
prudence, boucheront toutes les issues, matelasseront les fenêtres
contre les projectiles du hasard; mais le Diable entrera par la serrure;
une perfection sera le défaut de leur cuirasse, et une qualité
superlative le germe de leur damnation.
_L'aigle, pour le briser du haut du firmament,_
_Sur le front découvert lâchera la tortue,_
_Car ils doivent périr inévitablement._
Leur destinée est écrite dans toute leur constitution, elle brille d'un
éclat sinistre dans leurs regards et dans leurs gestes, elle circule
dans leurs artères avec chacun de leurs globules sanguins.
Un écrivain célèbre de notre temps a écrit un livre pour démontrer que
le poëte ne pouvait trouver une bonne place ni dans une société
démocratique ni dans une aristocratique, pas plus dans une république
que dans une monarchie absolue ou tempérée. Qui donc a su lui répondre
péremptoirement? J'apporte aujourd'hui une nouvelle légende à l'appui de
sa thèse, j'ajoute un saint nouveau au martyrologe: j'ai à écrire
l'histoire d'un de ces illustres malheureux, trop riche de poésie et de
passion, qui est venu, après tant d'autres, faire en ce bas monde le
rude apprentissage du génie chez les âmes inférieures.
Lamentable tragédie que la vie d'Edgar Poe! Sa mort, dénoûment horrible
dont l'horreur est accrue par la trivialité!—De tous les documents que
j'ai lus est résultée pour moi la conviction que les États-Unis ne
furent pour Poe qu'une vaste prison qu'il parcourait avec l'agitation
fiévreuse d'un être fait pour respirer dans un monde plus
aromal,—qu'une grande barbarie éclairée au gaz,—et que sa vie
intérieure, spirituelle, de poëte ou même d'ivrogne, n'était qu'un
effort perpétuel pour échapper à l'influence de cette atmosphère
antipathique. Impitoyable dictature que celle de l'opinion dans les
sociétés démocratiques; n'implorez d'elle ni charité, ni indulgence, ni
élasticité quelconque dans l'application de ses lois aux cas multiples
et complexes de la vie morale. On dirait que de l'amour impie de la
liberté est née une tyrannie nouvelle, la tyrannie des bêtes, ou
zoocratie, qui par son insensibilité féroce ressemble à l'idole de
Jaggernaut.—Un biographe nous dira gravement—il est bien intentionné,
le brave homme,—que Poe, s'il avait voulu régulariser son génie et
appliquer ses facultés créatrices d'une manière plus appropriée au sol
américain, aurait pu devenir un auteur à argent, _a money making
author;_—un autre,—un naïf cynique, celui-là,—que, quelque beau que
soit le génie de Poe, il eût mieux valu pour lui n'avoir que du talent,
le talent s'escomptant toujours plus facilement que le génie. Un autre,
qui a dirigé des journaux et des revues, un ami du poëte, avoue qu'il
était difficile de l'employer et qu'on était obligé de le payer moins
que d'autres, parce qu'il écrivait dans un style trop au-dessus du
vulgaire. _Quelle odeur de magasin!_ comme disait Joseph de Maistre.
Quelques-uns ont osé davantage, et, unissant l'intelligence la plus
lourde de son génie à la férocité de l'hypocrisie bourgeoise, l'ont
insulté à l'envi; et, après sa soudaine disparition, ils ont rudement
morigéné ce cadavre,—particulièrement M. Rufus Griswold, qui, pour
rappeler ici l'expression vengeresse de M. George Graham, a commis alors
une immortelle infamie. Poe, éprouvant peut-être le sinistre
pressentiment d'une fin subite, avait désigné MM. Griswold et Willis
pour mettre ses œuvres en ordre, écrire sa vie et restaurer sa mémoire.
Ce pédagogue-vampire a diffamé longuement son ami dans un énorme
article, plat et haineux, juste en tête de l'édition posthume de ses
œuvres.—Il n'existe donc pas en Amérique d'ordonnance qui interdise
aux chiens l'entrée des cimetières?—Quant à M. Willis, il a prouvé, au
contraire, que la bienveillance et la décence marchaient toujours avec
le véritable esprit, et que la charité envers nos confrères, qui est un
devoir moral, était aussi un des commandements du goût.
Causez de Poe avec un Américain, il avouera peut-être son génie,
peut-être même s'en montrera-t-il fier; mais, avec un ton sardonique
supérieur qui sent son homme positif, il vous parlera de la vie
débraillée du poëte, de son haleine alcoolisée qui aurait pris feu à la
flamme d'une chandelle, de ses habitudes vagabondes; il vous dira que
c'était un être erratique et hétéroclite, une planète désorbitée, qu'il
roulait sans cesse de Baltimore à New-York, de New-York à Philadelphie,
de Philadelphie à Boston, de Boston à Baltimore, de Baltimore à
Richmond. Et si, le cœur ému par ces préludes d'une histoire navrante,
vous donnez à entendre que l'individu n'est peut-être pas seul coupable
et qu'il doit être difficile de penser et d'écrire commodément dans un
pays où il y a des millions de souverains, un pays sans capitale à
proprement parler, et sans aristocratie,—alors vous verrez ses yeux
s'agrandir et jeter des éclairs, la bave du patriotisme souffrant lui
monter aux lèvres, et l'Amérique, par sa bouche, lancer des injures à
l'Europe, sa vieille mère, et à la philosophie des anciens jours.
Je répète que pour moi la persuasion s'est faite qu'Edgar Poe et sa
patrie n'étaient pas de niveau. Les États-Unis sont un pays gigantesque
et enfant, naturellement jaloux du vieux continent. Fier de son
développement matériel, anormal et presque monstrueux, ce nouveau venu
dans l'histoire a une foi naïve dans la toute-puissance de l'industrie;
il est convaincu, comme quelques malheureux parmi nous, qu'elle finira
par manger le Diable. Le temps et l'argent ont là-bas une valeur si
grande! L'activité matérielle, exagérée jusqu'aux proportions d'une
manie nationale, laisse dans les esprits bien peu de place pour les
choses qui ne sont pas de la terre. Poe, qui était de bonne souche, et
qui d'ailleurs professait que le grand malheur de son pays était de
n'avoir pas d'aristocratie de race, attendu, disait-il, que chez un
peuple sans aristocratie le culte du Beau ne peut que se corrompre,
s'amoindrir et disparaître,—qui accusait chez ses concitoyens, jusque
dans leur luxe emphatique et coûteux, sous les symptômes du mauvais goût
caractéristiques des parvenus,—qui considérait le Progrès, la grande
idée moderne, comme une extase de gobe-mouches, et qui appelait les
_perfectionnements_ de l'habitacle humain des cicatrices et des
abominations rectangulaires,—Poe était là-bas un cerveau singulièrement
solitaire. Il ne croyait qu'à l'immuable, à l'éternel, au _self-same_,
et il jouissait—cruel privilège dans une société amoureuse
d'elle-même!—de ce grand bon sens à la Machiavel qui marche devant le
sage, comme une colonne lumineuse, à travers le désert de
l'histoire.—Qu'eût-il pensé, qu'eût-il écrit, l'infortuné, s'il avait
entendu la théologienne du sentiment supprimer l'Enfer par amitié pour
le genre humain, le philosophe du chiffre proposer un système
d'assurances, une souscription à un sou par tête pour la suppression de
la guerre,—et l'abolition de la peine de mort et de l'orthographe, ces
deux folies corrélatives!—et tant d'autres malades qui écrivent,
_l'oreille inclinée au vent_, des fantaisies giratoires aussi flatueuses
que l'élément qui les leur dicte?—Si vous ajoutez à cette vision
impeccable du vrai, véritable infirmité dans de certaines circonstances,
une délicatesse exquise de sens qu'une note fausse torturait, une
finesse de goût que tout, excepté l'exacte proportion, révoltait, un
amour insatiable du Beau, qui avait pris la puissance d'une passion
morbide, vous ne vous étonnerez pas que pour un pareil homme la vie soit
devenue un enfer, et qu'il ait mal fini; vous admirerez qu'il ait pu
_durer_ aussi longtemps.

II
La famille de Poe était une des plus respectables de Baltimore. Son
grand-père maternel avait servi comme _quarter-master-general_ dans la
guerre de l'Indépendance, et La Fayette l'avait en haute estime et
amitié. Celui-ci, lors de son dernier voyage aux États-Unis, voulut voir
la veuve du général et lui témoigner sa gratitude pour les services que
lui avait rendus son mari. Le bisaïeul avait épousé une fille de
l'amiral anglais Mac Bride, qui était allié avec les plus nobles maisons
d'Angleterre. David Poe, père d'Edgar et fils du général, s'éprit
violemment d'une actrice anglaise, Elisabeth Arnold, célèbre par sa
beauté; il s'enfuit avec elle et l'épousa. Pour mêler plus intimement sa
destinée à la sienne, il se fit comédien et parut avec sa femme sur
différents théâtres, dans les principales villes de l'Union. Les deux
époux moururent à Richmond, presque en même temps, laissant dans
l'abandon et le dénûment le plus complet trois enfants en bas âge, dont
Edgar.
Edgar Poe était né à Baltimore, en 1813.—C'est d'après son propre dire
que je donne cette date, car il a réclamé contre l'affirmation de
Griswold, qui place sa naissance en 1811.—Si jamais l'esprit de roman,
pour me servir d'une expression de notre poëte, a présidé à une
naissance,—esprit sinistre et orageux!—certes, il présida à la sienne.
Poe fut véritablement l'enfant de la passion et de l'aventure. Un riche
négociant de la ville, M. Allan, s'éprit de ce joli malheureux que la
nature avait doté d'une manière charmante, et, comme il n'avait pas
d'enfants, il l'adopta. Celui-ci s'appela donc désormais Edgar Allan
Poe. Il fut ainsi élevé dans une belle aisance et dans l'espérance
légitime d'une de ces fortunes qui donnent au caractère une superbe
certitude. Ses parents adoptifs l'emmenèrent dans un voyage qu'ils
firent en Angleterre, en Écosse et en Irlande, et, avant de retourner
dans leur pays, ils le laissèrent chez le docteur Bransby, qui tenait
une importante maison d'éducation à Stoke-Newington, près de
Londres.—Poe a lui-même, dans _William Wilson_, décrit cette étrange
maison bâtie dans le vieux style d'Elisabeth, et les impressions de sa
vie d'écolier.
Il revint à Richmond en 1822, et continua ses études en Amérique, sous
la direction des meilleurs maîtres de l'endroit. À l'université de
Charlottesville, où il entra en 1825, il se distingua, non seulement par
une intelligence quasi miraculeuse, mais aussi par une abondance presque
sinistre de passions,—une précocité vraiment américaine,—qui,
finalement, fut la cause de son expulsion. Il est bon de noter en
passant que Poe avait déjà, à Charlottesville, manifesté une aptitude
des plus remarquables pour les sciences physiques et mathématiques. Plus
tard il en fera un usage fréquent dans ses étranges contes, et en tirera
des moyens très-inattendus. Mais j'ai des raisons de croire que ce n'est
pas à cet ordre de compositions qu'il attachait le plus d'importance, et
que—peut-être même à cause de cette précoce aptitude—il n'était pas
loin de les considérer comme de faciles jongleries, comparativement aux
ouvrages de pure imagination.—Quelques malheureuses dettes de jeu
amenèrent une brouille momentanée entre lui et son père adoptif, et
Edgar—fait des plus curieux et qui prouve, quoi qu'on ait dit, une dose
de chevalerie assez forte dans son impressionnable cerveau,—conçut le
projet de se mêler à la guerre des Hellènes et d'aller combattre les
Turcs. Il partit donc pour la Grèce.—Que devint-il en Orient? qu'y
fit-il? étudia-t-il les rivages classiques de la Méditerranée?—pourquoi
le trouvons-nous à Saint-Pétersbourg, sans passeport, compromis, et dans
quelle sorte d'affaire, obligé d'en appeler au ministre américain, Henry
Middleton, pour échapper à la pénalité russe et retourner chez lui?—on
l'ignore; il y a là une lacune que lui seul aurait pu combler. La vie
d'Edgar Poe, sa jeunesse, ses aventures en Russie et sa correspondance
ont été longtemps annoncées par les journaux américains et n'ont jamais
paru.
Revenu en Amérique en 1829, il manifesta le désir d'entrer à l'école
militaire de West-Point; il y fut admis en effet, et, là comme ailleurs,
il donna les signes d'une intelligence admirablement douée, mais
indisciplinable, et, au bout de quelques mois, il fut rayé.—En même
temps se passait dans sa famille adoptive un événement qui devait avoir
les conséquences les plus graves sur toute sa vie. Madame Allan, pour
laquelle il semble avoir éprouvé une affection réellement filiale,
mourait, et M. Allan épousait une femme toute jeune. Une querelle
domestique prend ici place,—une histoire bizarre et ténébreuse que je
ne peux pas raconter, parce qu'elle n'est clairement expliquée par aucun
biographe. Il n'y a donc pas lieu de s'étonner qu'il se soit
définitivement séparé de M. Allan, et que celui-ci, qui eut des enfants
de son second mariage, l'ait complètement frustré de sa succession.
Peu de temps après avoir quitté Richmond, Poe publia un petit volume de
poésies; c'était en vérité une aurore éclatante. Pour qui sait sentir la
poésie anglaise, il y a là déjà l'accent extra-terrestre, le calme dans
la mélancolie, la solennité délicieuse, l'expérience précoce,—j'allais,
je crois, dire _expérience innée_,—qui caractérisent les grands
poëtes[2].
La misère le fit quelque temps soldat, et il est présumable qu'il se
servit des lourds loisirs de la vie de garnison pour préparer les
matériaux de ses futures compositions,—compositions étranges, qui
semblent avoir été créées pour nous démontrer que l'étrangeté est une
des parties intégrantes du beau. Rentré dans la vie littéraire, le seul
élément où puissent respirer certains êtres déclassés, Poe se mourait
dans une misère extrême, quand un hasard heureux le releva. Le
propriétaire d'une revue venait de fonder deux prix, l'un pour le
meilleur conte, l'autre pour le meilleur poëme. Une écriture
singulièrement belle attira les yeux de M. Kennedy, qui présidait le
comité, et lui donna l'envie d'examiner lui-même les manuscrits. Il se
trouva que Poe avait gagné les deux prix; mais un seul lui fut donné. Le
président de la commission fut curieux de voir l'inconnu. L'éditeur du
journal lui amena un jeune homme d'une beauté frappante, en guenilles,
boutonné jusqu'au menton, et qui avait l'air d'un gentilhomme aussi fier
qu'affamé[3]. Kennedy se conduisit bien. Il fit faire à Poe la
connaissance d'un M. Thomas White, qui fondait à Richmond le _Southern
Literary Messenger_. M. White était un homme d'audace, mais sans aucun
talent littéraire; il lui fallait un aide. Poe se trouva donc tout
jeune,—à vingt-deux ans,—directeur d'une revue dont la destinée
reposait tout entière sur lui. Cette prospérité, il la créa. Le
_Southern Literary Messenger_ a reconnu depuis lors que c'était à cet
excentrique maudit, à cet ivrogne incorrigible qu'il devait sa clientèle
et sa fructueuse notoriété. C'est dans ce magazine que parut pour la
première fois l'_Aventure sans pareille d'un certain Hans Pfaall_, et
plusieurs autres contes que nos lecteurs verront défiler sous leurs
yeux. Pendant près de deux ans, Edgar Poe, avec une ardeur merveilleuse,
étonna son public par une série de compositions d'un genre nouveau et
par des articles critiques dont la vivacité, la netteté, la sévérité
raisonnées étaient bien faites pour attirer les yeux. Ces articles
portaient sur des livres de tout genre, et la forte éducation que le
jeune homme s'était faite ne le servit pas médiocrement. Il est bon
qu'on sache que cette besogne considérable se faisait pour cinq cents
dollars, c'est-à-dire deux mille sept cents francs par
an.—_Immédiatement_,—dit Griswold, ce qui veut dire: «Il se croyait
assez riche, l'imbécile!»—il épousa une jeune fille, belle, charmante,
d'une nature aimable et héroïque; mais _ne possédant pas un
sou_,—ajoute le même Griswold avec une nuance de dédain. C'était une
demoiselle Virginia Clemm, sa cousine.
Malgré les services rendus à son journal, M. White se brouilla avec Poe
au bout de deux ans, à peu près. La raison de cette séparation se trouve
évidemment dans les accès d'hypocondrie et les crises d'ivrognerie du
poëte,—accidents caractéristiques qui assombrissaient son ciel
spirituel, comme ces nuages lugubres qui donnent soudainement au plus
romantique paysage un air de mélancolie en apparence irréparable.—Dès
lors, nous verrons l'infortuné déplacer sa tente, comme un homme du
désert, et transporter ses légers pénates dans les principales villes de
l'Union. Partout, il dirigera des revues ou y collaborera d'une manière
éclatante. Il répandra avec une éblouissante rapidité des articles
critiques, philosophiques, et des contes pleins de magie qui paraissent
réunis sous le titre de _Tales of the Grotesque and the
Arabesque_,—titre remarquable et intentionnel, car les ornements
grotesques et arabesques repoussent la figure humaine, et l'on verra
qu'à beaucoup d'égards la littérature de Poe est extra ou supra-humaine.
Nous apprendrons par des notes blessantes et scandaleuses insérées dans
les journaux, que M. Poe et sa femme se trouvent dangereusement malades
à Fordham et dans une absolue misère. Peu de temps après la mort de
Madame Poe, le poëte subit les premières attaques du _delirium tremens_.
Une note nouvelle paraît soudainement dans un journal,—celle-là plus
que cruelle,—qui accuse son mépris et son dégoût du monde, et lui fait
un de ces procès de tendance, véritables réquisitoires de l'opinion,
contre lesquels il eut toujours à se défendre,—une des luttes les plus
stérilement fatigantes que je connaisse.
Sans doute, il gagnait de l'argent, et ses travaux littéraires pouvaient
à peu près le faire vivre. Mais j'ai les preuves qu'il avait sans cesse
de dégoûtantes difficultés à surmonter. Il rêva, comme tant d'autres
écrivains, une _Revue_ à lui, il voulut être _chez lui_, et le fait est
qu'il avait suffisamment souffert pour désirer ardemment cet abri
définitif pour sa pensée. Pour arriver à ce résultat, pour se procurer
une somme d'argent suffisante, il eut recours aux _lectures_. On sait ce
que sont ces lectures,—une espèce de spéculation, le Collège de France
mis à la disposition de tous les littérateurs, l'auteur ne publiant sa
_lecture_ qu'après qu'il en a tiré toutes les recettes qu'elle peut
rendre. Poe avait déjà donné à New-York une _lecture_ _d'Eureka_, son
poëme cosmogonique, qui avait même soulevé de grosses discussions. Il
imagina cette fois de donner des _lectures_ dans son pays, dans la
Virginie. Il comptait, comme il l'écrivait à Willis, faire une tournée
dans l'Ouest et le Sud, et il espérait le concours de ses amis
littéraires et de ses anciennes connaissances de collège et de
West-Point. Il visita donc les principales villes de la Virginie, et
Richmond revit celui qu'on y avait connu si jeune, si pauvre, si
délabré. Tous ceux qui n'avaient pas vu Poe depuis les jours de son
obscurité accoururent en foule pour contempler leur illustre
compatriote. Il apparut, beau, élégant, correct comme le génie. Je crois
même que, depuis quelque temps, il avait poussé la condescendance
jusqu'à se faire admettre dans une société de tempérance. Il choisit un
thème aussi large qu'élevé: _le Principe de la Poésie_, et il le
développa avec cette lucidité qui est un de ses privilèges. Il croyait,
en vrai poëte qu'il était, que le but de la poésie est de même nature
que son principe, et qu'elle ne doit pas avoir en vue autre chose
qu'elle-même.
Le bel accueil qu'on lui fit inonda son pauvre cœur d'orgueil et de
joie; il se montrait tellement enchanté, qu'il parlait de s'établir
définitivement à Richmond et de finir sa vie dans les lieux que son
enfance lui avait rendus chers. Cependant, il avait affaire à New-York,
et il partit le 4 octobre, se plaignant de frissons et de faiblesses. Se
sentant toujours assez mal en arrivant à Baltimore, le 6, au soir, il
fit porter ses bagages à l'embarcadère d'où il devait se diriger sur
Philadelphie, et entra dans une taverne pour y prendre un excitant
quelconque. Là, malheureusement, il rencontra de vieilles connaissances
et s'attarda. Le lendemain matin, dans les pâles ténèbres du petit jour,
un cadavre fut trouvé sur la voie,—est-ce ainsi qu'il faut dire?—non,
un corps vivant encore, mais que la Mort avait déjà marqué de sa royale
estampille. Sur ce corps, dont on ignorait le nom, on ne trouva ni
papiers ni argent, et on le porta dans un hôpital. C'est là que Poe
mourut, le soir même du dimanche, 7 octobre 1849, à l'âge de trente-sept
ans, vaincu par le _delirium tremens_, ce terrible visiteur qui avait
déjà hanté son cerveau une ou deux fois. Ainsi disparut de ce monde un
des plus grands héros littéraires, l'homme de génie qui avait écrit dans
le _Chat noir_ ces mots fatidiques: _Quelle maladie est comparable à
l'alcool_![4]
Cette mort est presque un suicide,—un suicide préparé depuis longtemps.
Du moins, elle en causa le scandale. La clameur fut grande, et la vertu
donna carrière à son _cant_ emphatique, librement et voluptueusement.
Les oraisons funèbres les plus indulgentes ne purent pas ne pas donner
place à l'inévitable morale bourgeoise, qui n'eut garde de manquer une
si admirable occasion. M. Griswold diffama; M. Willis, sincèrement
affligé, fut mieux que convenable.—Hélas, celui qui avait franchi les
hauteurs les plus ardues de l'esthétique et plongé dans les abîmes les
moins explorés de l'intellect humain, celui qui, à travers une vie qui
ressemble à une tempête sans accalmie, avait trouvé des moyens nouveaux,
des procédés inconnus pour étonner l'imagination, pour séduire les
esprits assoiffés de Beau, venait de mourir en quelques heures dans un
lit d'hôpital,—quelle destinée! Et tant de grandeur et tant de malheur,
pour soulever un tourbillon de phraséologie bourgeoise, pour devenir la
pâture et le thème des journalistes vertueux!
_Ut declamatio fias!_
Ces spectacles ne sont pas nouveaux; il est rare qu'une sépulture
fraîche et illustre ne soit pas un rendez-vous de scandales. D'ailleurs,
la société n'aime pas ces enragés malheureux, et, soit qu'ils troublent
ses fêtes, soit qu'elle les considère naïvement comme des remords, elle
a incontestablement raison. Qui ne se rappelle les déclamations
parisiennes lors de la mort de Balzac, qui cependant mourut
correctement?—Et plus récemment encore,—il y a aujourd'hui, 26
janvier, juste un an,—quand un écrivain[5] d'une honnêteté admirable,
d'une haute intelligence, et _qui fut toujours lucide_, alla
discrètement, sans déranger personne,—si discrètement que sa discrétion
ressemblait à du mépris,—délier son âme dans la rue la plus noire qu'il
put trouver,—quelles dégoûtantes homélies!—quel assassinat raffiné! Un
journaliste célèbre, à qui Jésus n'enseignera jamais les manières
généreuses, trouva l'aventure assez joviale pour la célébrer en un gros
calembour.—Parmi l'énumération nombreuse des _droits de l'homme_ que la
sagesse du XIXe siècle a recommencée si souvent et si complaisamment,
deux assez importants ont été oubliés, qui sont le droit de se
contredire et le droit de _s'en aller_. Mais la _société_ regarde celui
qui s'en va comme un insolent; elle châtierait volontiers certaines
dépouilles funèbres, comme ce malheureux soldat, atteint de vampirisme,
que la vue d'un cadavre exaspérait jusqu'à la fureur.—Et cependant, on
peut dire que, sous la pression de certaines circonstances, après un
sérieux examen de certaines incompatibilités, avec de fermes croyances à
de certains dogmes et métempsycoses,—on peut dire, sans emphase et sans
jeu de mots, que le suicide est parfois l'action la plus raisonnable de
la vie. Et ainsi se forme une compagnie de fantômes déjà nombreuse, qui
nous hante familièrement, et dont chaque membre vient nous vanter son
repos actuel et nous verser ses persuasions.
Avouons toutefois que la lugubre fin de l'auteur d'_Eureka_ suscita
quelques consolantes exceptions, sans quoi il faudrait désespérer, et la
place ne serait plus tenable. M. Willis, comme je l'ai dit, parla
honnêtement, et même avec émotion, des bons rapports qu'il avait
toujours eus avec Poe. MM. John Neal et George Graham rappelèrent M.
Griswold à la pudeur. M. Longfellow—et celui-ci est d'autant plus
méritant que Poe l'avait cruellement maltraité—sut louer d'une manière
digne d'un poëte sa haute puissance comme poëte et comme prosateur. Un
inconnu écrivit que l'Amérique littéraire avait perdu sa plus forte
tête.
Mais le cœur brisé, le cœur déchiré, le cœur percé des sept glaives
fut celui de Mme Clemm. Edgar était à la fois son fils et sa fille. Rude
destinée, dit Willis, à qui j'emprunte ces détails, presque mot pour
mot, rude destinée que celle qu'elle surveillait et protégeait. Car
Edgar Poe était un homme embarrassant; outre qu'il écrivait avec une
fastidieuse difficulté et _dans un style trop au-dessus du niveau
intellectuel commun pour qu'on pût le payer cher_, il était toujours
plongé dans des embarras d'argent, et souvent lui et sa femme malade
manquaient des choses les plus nécessaires à la vie. Un jour, Willis vit
entrer dans son bureau une femme vieille, douce, grave. C'était Mme
Clemm. Elle _cherchait de l'ouvrage_ pour son cher Edgar. Le biographe
dit qu'il fut sincèrement frappé, non pas seulement de l'éloge parfait,
de l'appréciation exacte qu'elle faisait des talents de son fils, mais
aussi de tout son être extérieur,—de sa voix douce et triste, de ses
manières un peu surannées, mais belles et grandes. Et pendant plusieurs
années, ajoute-t-il, nous avons vu cet infatigable serviteur du génie,
pauvrement et insuffisamment vêtu, allant de journal en journal pour
vendre tantôt un poëme, tantôt un article, disant quelquefois qu'il
était malade,—unique explication, unique raison, invariable excuse
qu'elle donnait quand son fils se trouvait frappé momentanément d'une de
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