De l'amour - 8

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belle, mais en somme c'est une âme féminine.
Voyez comme en peu de jours notre situation a été bouleversée. D'abord,
nous sommes tous les deux possédés de la peur d'affliger un honnête
homme qui a le bonheur d'être toujours amoureux. Ensuite, nous avons
peur de notre propre orage, parce que nous savons (moi surtout) qu'il y
a des nœuds difficiles à délier.
Et enfin, il y a quelques jours, tu étais une divinité, ce qui est
si commode, ce qui est si beau, si inviolable. Te voilà femme,
maintenant.--Et si, par malheur pour moi, j'acquiers le droit d'être
jaloux! quelle horreur seulement d'y penser! mais, avec une personne
telle que vous, dont les yeux sont pleins de sourires et de grâces pour
tout le monde, on doit souffrir le martyre.
La seconde lettre porte un cachet d'une solennité qui me plairait, si
j'étais bien sûr que vous la comprenez. _Never meet or never part!_
Cela veut dire positivement qu'il vaudrait bien mieux ne s'être jamais
connu, mais que quand on s'est connu on ne doit pas se quitter. Sur une
lettre d'adieux, ce cachet serait très plaisant.
Enfin, arrive ce que pourra. Je suis un peu fataliste. Mais, ce que je
s c'est que j'ai horreur de la passion,--parce que je la connais, avec
toutes ses ignominies;--et voilà que l'image bien-aimée qui dominait
toutes les aventures de la vie devient trop séduisante.
Je n'ose pas trop relire cette lettre; je serais peut-être obligé de la
modifier, car je crains bien de vous affliger; il me semble que j'ai dû
laisser percer quelque chose de la vilaine partie de mon caractère.
Il me paraît impossible de vous faire aller ainsi dans cette sale rue
J.-J. Rousseau. Car j'ai bien d'autres choses à vous dire. Il faut donc
que vous m'écriviez pour m'indiquer un moyen.
Quant à notre petit projet, s'il devient possible, avertissez-moi
quelques jours d'avance.
Adieu, chère bien-aimée; je vous en veux un peu d'être trop charmante.
Songez donc que, quand j'emporte le parfum de vos bras et de vos
cheveux, j'emporte aussi le désir d'y revenir. Et alors quelle
insupportable obsession.
Décidément, je porte ceci moi-même rue J.-J. Rousseau, dans la crainte
que vous n'y alliez aujourd'hui.--Cela y sera plutôt.


[Le ].
Si je n'ai pas le plaisir de vous trouver, je vous laisserai ces
babioles que je désirais vous faire lire. Je les emprunte à un de mes
amis.
Tout à vous, de cœur.


[Le ].
Très chère amie,
C'est jouer de malheur; je ne vous ai pas répondu hier, alors que je
me croyais sûr de venir ce soir chez vous, et, aujourd'hui, comme
tant d'autres dimanches, il m'arrive des ennuis qui font que je vais
m'enfermer comme une bête féroce. Tantôt, c'est la fatigue, le besoin
de me coucher tout de suite, tantôt, c'est un travail. Dimanche
dernier, c'était (ne riez pas, et gardez pour vous ce que je vous dis à
l'oreille) une peur épouvantable d'être obligé de parler à Feydeau de
son dernier roman.
Si vous supposiez que je ne pense jamais à vous, vous vous tromperiez
beaucoup,--et je vous le dirais plus souvent, si vous n'aviez pas
adopté pour moi de si vilains yeux. Hier, je voulais vous apporter
un album que j'ai fait mettre de côté pour vous, mais j'ai préféré
tarder un peu et demander d'autres épreuves. _Je ne les ai pas trouvées
assez belles._ On fera un nouveau tirage, ou bien on en cherchera de
meilleures dans un tirage précédent.
Rendez-moi le grand service de dire ce soir à Christophe _qu'il faut
absolument qu'il vienne demain, lundi soir, dîner chez moi, à l'Hôtel
de Dieppe. Il le faut._
Saviez-vous que l'infortunée señora Martinez roulait dans les cafés
lyriques, et qu'elle chantait, il y a quelques jours, à l'Alcazar?
Je suis si malheureux, et si ennuyé, que je fuis toute distraction.
J'ai même, tout récemment, malgré l'envie que j'ai de le connaître,
refusé une charmante invitation de Wagner. Je vous raconterai plus tard
ce que tout cela veut dire.
Je vous embrasse, avec votre permission, bien cordialement.


_Dimanche._
Comme je sens que je ne vous trouverai pas, je prépare un mot, d'avance.
Avant-hier, j'étais venu pour vous dire une chose que vous savez et
dont vous ne doutez pas: c'est que je suis toujours consterné et
affligé de tout ce qui vous afflige.
Je comptais dîner avec vous et Mosselmann, mais ce fut an dîner dont la
grâce était absente. Car vous ne pouvez présumer que le monsieur russe
vous ait remplacé.--Pour moi, du moins.
Tout à vous. Mille amitiés.


_Mardi_, 8 _Septembre_ 1857.
Chère Madame,
Je vous écris de chez Rouvière qui ne peut m'offrir que deux stalles
de balcon pour la première représentation du _Roi Lear_ (vendredi). Je
suis vraiment bien honteux, car j'eusse vivement désiré vous envoyer
une loge. Ces stalles seront évidemment bonnes, et, si M. Mosselmann
voulait bien accepter une de mes stalles, vous iriez demander
l'hospitalité à Théophile, qui assurément recevra une loge de la
direction du Cirque.
Ayez la bonté de me répondre un petit mot.
Je vous baise très humblement vos royales mains.


10 _Septembre_ 1857.
Il se trouve, chère Madame, que cette représentation est avancée d'un
jour.
Je n'entends pas grand'chose aux billets. Cependant ceux-ci ne me
paraissent pas mauvais. Si vous jugez à propos de vous en servir, je,
m'arrangerai pour aller là-bas de mon côté; si vous jugez bon que
j'aille chercher Mosselmann chez vous, j'irai, à l'heure que vous
voudrez bien m'indiquer.
Ayez l'obligeance de me répondre par le commissionnaire, car je ne
rentrerai chez moi que tard.
Tout à vous.


_Dimanche_, 13 _Septembre_ 1857.
Chère Madame,
Je serai obligé, ce soir, de me priver du plaisir de dîner chez vous.
Je suis accablé d'affaires empiétant même sur le dimanche soir. De
plus, quelques mésaventures, que je n'ai pas méritées, m'ont mis assez
de noir dans l'esprit pour faire de moi un piteux convive,--plus piteux
que d'ordinaire,--n'étant jamais bien gai.
Cependant, je saurai aller vous souhaiter un petit bonsoir, ainsi qu'à
nos excellents amis.--Je vous supplie de ne pas mal interpréter mes
très humbles excuses.
Présentez mes amitiés à tout le monde.


_Vendredi_, 25 _Septembre_ 1857.
Très chère amie,
J'ai commis hier une énorme sottise. Sachant que vous aimiez les
vieilleries et les bibelots, j'avais avisé depuis longtemps un encrier
qui pouvait vous plaire. Mais je n'osais pas vous l'envoyer. Un de mes
amis a montré l'intention de s'en emparer, et cela m'a décidé. Mais
jugez de mon désappointement quand j'ai trouvé un objet usé, écorné,
éraillé, qui avait l'air si joli, derrière la vitre.
Quant à la grosse sottise, la voici: je n'ai laissé au marchand ni ma
carte, ni un mot pour vous, de façon que l'objet a dû tomber chez vous,
comme un mystère: c'est moi, le coupable. Ne soupçonnez donc personne.
Je n'ai réfléchi à ma sottise que ce soir.
Croyez aux affectueux sentiments de votre bien dévoué ami et serviteur.


17 _Novembre_ 1857.
Très chère amie,
Je me proposais de vous demander, aujourd'hui, la permission de vous
faire une de ces bonnes visites où vous jouez, sans le savoir, le rôle
divin du médecin. Mais je viens de recevoir un _Monsieur_ galonné,
muni d'une lettre du Ministre qui veut me voir aujourd'hui. Cela me
dérange et m'ennuie.
J'ignore absolument quand je pourrai jouir de votre dimanche, car j'ai
commencé ce tour de force dont je ne suis capable que si rarement.
Je vous envoie les livres que je désirais vous faire lire.
_L'Ensorcelée_ est d'une nature beaucoup plus élevée que _La Vieille
Maîtresse._ Mais j'ai le malheur m'entendre de si peu avec vous que
je crains que vous ne partagiez pas mon enthousiasme,--enthousiasme
ancien, il est vrai, et que je vérifierai de nouveau, quand vous aurez
fini.
Mes amitiés à M. Mosselmann.
Votre bien dévoué.


_Dimanche_, 3 _Janvier_ 1858.
Que je vous demande pardon de ne pas aller ce soir à cette bonne
réunion! Outre que je suis peu gai, j'ai fait, toute la journée, des
préparatifs de départ,et j'en suis fatigué. Je vais passer par Alençon,
et puis j'irai peut-être inspecter mon futur domicile, au bord de la
mer.
Faites bien toutes mes amitiés à Théophile et à Mosselmann, et dites à
Flaubert qu'il va recevoir de mes nouvelles.
Votre bien dévoué.


_Lundi_, 11 _Janvier_ 1858.
Hélas! votre lettre m'arrive ou plutôt m'est remise, comme je rentre, à
3 h.
Mais, pour dire toute la vérité, je l'aurais eue dès hier, que je ne
crois pas que j'eusse réussi. Je ne connais là-bas que Rouvière, que
je ne vois plus depuis longtemps, et je sais que le sieur B*** est
affreusement avare avec ses comédiens.
Ne m'en veuillez pas trop, vous en prie.
Bouvière n'a évidemment pas reçu plus d'une ou deux stalles.


_Mardi_, 12 _Janvier_ 1858.
Chère amie,
Si, c'est bien moi que Mosselmann a vu, il m'a vu dans un piteux
état, cherchant partout une voiture. J'étais, parvenu à détruire les
étouffements, avec tes capsules d'éther, et les coliques, avec l'opium,
quand une nouvelle infirmité est tombée sur moi. Je ne peux marcher
qu'avec beaucoup de peine; quant à descendre un escalier tout seul,
c'est une grande histoire. Pour comble de malheur, je suis plein de
courses et d'affaires. Je n'ai pas besoin de vous dire que le ridicule
de la douleur me fait plus de mal que la douleur.
J'irai vous voir dans peu de jours,--mais quand toutefois je ne
boiterai plus, et quand je me sentirai très gai; vous connaissez mes
principes.
Il m'est arrivé, relativement à vous, un petit chagrin que je veux
vous avouer, parce qu'il est irréparable.--J'avais, vers la fin du
mois, avisé deux éventails ou plutôt deux modèles d'éventail _empire_
fort bien peints,--dont l'un, le tableau de _Thésée et Hippolyte,_ de
Guérin;--je me proposais de vous les offrir, connaissant votre passion
pour les choses de cette époque. Mais je me figure à tort que personne
n'a les mêmes idées que moi et que les choses doivent m'attendre
interminablement dans les boutiques. À mon retour, ils avaient disparu.
Je vous remercie de tout mon cœur des excellents conseils littéraires
que vous m'adressez. Ils sont excellents (abstractivement et
généralement), surtout parce qu'ils viennent d'un excellent cœur; mais
je vous assure que, dans le cas présent, ils ont tort. Avant de faire
mon installation définitive, il faut bien que je me débarrasse de tout
ce que je ne pourrai pas faire là-bas.
Amitiés à Mosselmann.
_All yours._


_Dimanche_, 2 _Mai_ 1858.
Voilà, ma chère amie, le petit livre dont je vous avais parlé et qui
vous amusera, j'en suis sûr.
Que vous avez été méchante de ne pas même me laisser le temps de vous
remercier de toute la joie que j'ai trouvée dimanche et hier auprès de
vous!
Votre extraordinaire Madame Nieri a commis en me quittant un
enfantillage digne d'une étrangère. Avant que j'eusse eu le temps de
donner mon adresse au cocher, elle s'était avisée de le payer, et,
comme je me fâchais, elle a dit: _Il est trop tard, c'est fait!_--et
puis, avec une vitesse aussi extraordinaire qu'elle, elle s'est
élancée, elle et ses jupes, dans le grand escalier de l'hôtel.
Tout à vous.--Je vous embrasse comme un _très ancien_ camarade que
j'aimerai toujours. (Le mot _camarade_ est un mensonge; il est trop
vulgaire, et il n'est pas assez tendre.)


III
À JEANNE DUVAL

_Honfleur_, 17 _Décembre_ 1859.
Ma chère fille,
Il ne faut pas m'en vouloir si j'ai brusquement quitté Paris sans
avoir été te chercher, pour te divertir un peu. Tu sais combien
j'étais exténué par l'inquiétude. De plus, ma mère, qui savait que
sur ma terrible échéance de 5,000 fr. il y avait 2,000 fr. payables
à Honfleur, me tourmentait beaucoup. D'ailleurs, elle s'ennuie. Tout
s'est arrangé heureusement, mais figure-toi que la veille il manquait
1.600 fr. De Calonne s'est conduit très généreusement et nous a tirés
d'affaire. Je te jure que je vais revenir dans quelques jours; il faut
que je m'entende avec Malassis, et d'ailleurs j'ai laissé tous mes
cartons à l'Hôtel. Désormais, je ne veux plus faire à Paris de ces
énormes séjours qui me coûtent tant d'argent. Il vaut mieux pour moi
venir souvent et ne rester que quelques jours. En attendant, comme je
puis rester une semaine absent, et que je ne veux pas que dans ton état
tu restes privée d'argent, même un jour, adresse-toi à M. Ancelle. Je
sais que je suis un peu en avance sur l'année prochaine, mais tu sais
que malgré ses hésitations il est assez généreux. Cette petite somme te
suffira pour m'attendre, et les environs du Jour de l'An m'apporteront
de l'argent. Mets donc ce billet dans une nouvelle enveloppe, et,
puisque tu n'as pas le courage d'écrire de la main gauche, fais écrire
l'adresse par ta domestique.
J'ai trouvé un logement transformé. Et ma mère, qui ne peut pas rester
une minute en repos, a arrangé et embelli (elle a cru embellir) mon
logement.
Je vais donc revenir, et si, comme je le crois, je suis _doué_ de
quelque argent, je tâcherai de t'amuser.
Avec ces chemins glissants, ne sors pas sans être accompagnée.
Ne perds pas mes vers et mes articles.


IV
À CHARLES ASSELINEAU

_Jeudi_, 13 _Mars_ 1856.
Mon cher ami.
Puisque les rêves vous amusent, en voilà un qui, j'en suis sûr, ne
vous déplaira pas. Il est 5 h. du matin, il est donc tout chaud.
Remarquez que ce n'est qu'un des mille échantillons des rêves dont je
suis assiégé, et je n'ai pas besoin de vous dire que leur singularité
complète, leur caractère général qui est d'être absolument étrangers à
mes occupations ou à mes aventures passionnelles, me poussent toujours
à croire qu'ils sont un langage hiéroglyphique, dont je n'ai pas la
clef.
Il était (dans mon rêve) 2 ou 3 h. du matin, et je me promenais seul
dans les rues. Je rencontre Castille, qui avait, je crois, plusieurs
courses à faire, et je lui dis que je l'accompagnerai et que je
profiterai de la voiture pour faire une course personnelle. Nous
prenons donc une voiture. Je considérais comme un _devoir_ d'offrir
à la maîtresse d'une grande maison de prostitution un livre de moi
qui venait de paraître. En regardant mon livre, que je tenais à la
main, _il se trouva_ que c'était un livre obscène, ce qui m'expliqua
la nécessité d'offrir cet ouvrage à cette femme. De plus, dans mon
esprit, cette nécessité était au fond un prétexte, une occasion de
b***, en passant, une des filles de la maison; ce qui implique que,
sans la nécessité d'offrir le livre, je n'aurais pas osé aller dans une
pareille maison.
Je ne dis rien de tout cela à Castille, je fais arrêter la voiture à
la porte de cette maison, et je laisse Castille dans la voiture, me
promettant de ne pas le faire attendre longtemps.
Aussitôt après avoir sonné et être entré, je m'aperçois que ma ***
pend par la fente de mon pantalon déboutonné, et je juge qu'il est
indécent de me présenter ainsi (même dans un pareil endroit). De plus,
me sentant les pieds très mouillés, je m'aperçois que j'ai _les pieds
nus,_ et que je les ai posés dans un mare humide, au bas de l'escalier.
Bah! me dis-je, _je les laverai avant de b*** et avant de sortir de la
maison._ Je monte.--À partir de ce moment, il n'est plus question du
livre.
Je me trouve dans de vastes galeries, communiquant ensemble,--mal
éclairées,--d'un caractère triste et fané,--comme les vieux cafés,
les anciens cabinets de lecture, ou les vilaines maisons de jeu. Les
filles, éparpillées à travers ces vastes galeries, causent avec des
hommes, parmi lesquels je vois des collégiens.--Je me sens très triste
et très intimidé; je crains qu'on ne voie mes pieds. Je les regarde, je
m'aperçois qu'il y en a un qui porte un soulier.--Quelque temps après,
je m'aperçois qu'ils sont chaussés tous deux.--Ce qui me frappe, c'est
que les murs de ces vastes galeries sont ornés de dessins de toutes
sortes, dans des cadres. Tous ne sont pas obscènes. Il y a même des
dessins d'architecture et des figures égyptiennes. Comme je me sens
de plus en plus intimidé, et que je n'ose pas aborder une fille, je
m'amuse à examiner minutieusement tous les dessins.
Dans une partie reculée d'une de ces galeries, je trouve une série très
singulière.--Dans une foule de petits cadres, je vois des dessins, des
miniatures, des épreuves photographiques. Cela représente des oiseaux
coloriés, avec des plumages très brillants, dont l'œil est _vivant._
Quelquefois, il n'y a que des moitiés d'oiseaux.--Cela représente
quelquefois des images d'êtres bizarres, monstrueux, presque amorphes,
comme des aérolithes.--Dans un coin de chaque dessin, il y a une note:_
La fille une telle, âgée de ***, a donné le jour à ce fœtus, en telle
année._ Et d'autres notes de ce genre.
La réflexion me vient que ce genre de dessin est bien peu fait pour
donner des idées d'amour.
Une autre réflexion est celle-ci: Il n'y a vraiment dans le monde qu'un
seul journal, et c'est _Le Siècle,_ qui puisse être assez bête pour
ouvrir une maison de prostitution, et pour y mettre en même temps une
espèce de musée médical. _En effet,_ me dis-je soudainement, _c'est_ Le
Siècle _qui a fait les fonds de cette spéculation de b***, et le musée
médical s'explique par sa manière de progrès_, de science, de diffusion
des lumières.--Alors, je réfléchis que la bêtise et la sottise modernes
ont leur utilité mystérieuse, et que, souvent, ce qui a été fait pour
le mal, par une mécanique spirituelle, tourne pour le bien. J'admire en
moi-même la justesse de mon esprit philosophique.
Mais, parmi tous ces êtres, il y en a un qui a vécu. C'est un monstre
né dans la maison, et qui se tient éternellement sur un piédestal.
Quoique vivant, il fait donc partie du musée. Il n'est pas laid. Sa
figure est même jolie, très basanée, d'une couleur orientale. Il y a
en lui beaucoup de rose et de vert. Il se tient accroupi, mais dans
une position bizarre et contournée. Il y a de plus quelque chose de
noirâtre qui tourne plusieurs fois autour de lui, et autour de ses
membres, comme un gros serpent. Je lui demande ce que c'est; il me dit
que c'est un appendice monstrueux qui lui part de la tête, quelque
chose d'élastique comme du caoutchouc, et si long, si long, que, s'il
le roulait sur sa tête comme une queue de cheveux, cela serait beaucoup
trop lourd, et absolument impossible à porter;--que, dès lors, il est
obligé de le rouler autour de ses membres, ce qui, d'ailleurs, fait
un plus bel effet. Je cause longuement avec le monstre. Il me fait
part de ses ennuis et de ses chagrins. Voilà plusieurs années qu'il
est obligé de se tenir dans cette salle, sur ce piédestal, pour la
curiosité du public. Mais son principal ennui, c'est à l'heure du
souper. Étant un être vivant, il est obligé de souper avec les filles
de l'établissement,--de marcher en chancelant, avec son appendice de
caoutchouc, jusqu'à la salle du souper,--où il lui faut le garder roulé
autour de lui, ou le placer comme un paquet de cordes sur une chaise,
car, s'il le laissait trainer par terre, cela lui renverserait la tête
en arrière.
De plus, il est obligé, lui, petit et ramassé, de manger à côté
d'une fille grande et bien faite.--Il me donne du reste toutes ces
explications sans amertume.--Je n'ose pas le toucher,--mais je
m'intéresse à lui.
En ce moment,--(ceci n'est plus du rêve),--ma femme fait du bruit avec
un meuble dans la chambre, ce qui me réveille.--Je me réveille fatigué,
brisé, moulu par le dos, les jambes, et les hanches.--Je présume que
je dormais dans la position contournée du monstre.
J'ignore si tout cela vous paraîtra aussi drôle qu'à moi. Le bon
_Minot_ serait fort empêché, je présume, d'y trouver une adaptation
morale.
Tout à vous.


TABLE DES MATIÈRES
FAC-SIMILE D'UNE PAGE DU CARNET DE BAUDELAIRE
LA VIE AMOUREUSE DE BAUDELAIRE
FAC-SIMILE D'UNE PAGE DU CARNET DE BAUDELAIRE
DE L'AMOUR
FAC-SIMILE D'UNE PAGE DU CARNET DE BAUDELAIRE
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