De l'amour - 6

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l'île de Cythère_ des misérables coloriages suspendus dans les chambres
des filles, au-dessus d'un pot fêlé et d'une console branlante; mais
dans un sujet aussi important rien n'est à négliger. Et puis le génie
sanctifie toutes choses, et, si ces sujets étaient traités avec le
soin et le recueillement nécessaires, ils ne seraient point souillés
par cette obscénité révoltante, qui est plutôt une fanfaronnade qu'une
vérité.

Que le moraliste ne s'effraye pas trop; je saurai garder les justes
mesures, et mon rêve d'ailleurs se bornait à désirer ce poème immense
de l'amour crayonné par les mains les plus pures, par Ingres, par
Watteau, par Rubens, par Delacroix! Les folâtres et élégantes
princesses de Watteau, à côté des Vénus sérieuses et reposées de M.
Ingres; les splendides blancheurs de Rubens et de Jordaens, et les
mornes beautés de Delacroix, telles qu'on peut se les figurer: de
grandes femmes pâles, noyées dans le satin! (On m'a dit qu'il avait
fait autrefois pour son _Sardanapale_ une foule d'études merveilleuses
de femmes, dans les attitudes les plus voluptueuses).
Ainsi pour rassurer complètement la chasteté effarouchée du lecteur, je
dirai que je rangerais dans les sujets amoureux, non seulement tous les
tableaux qui traitent spécialement de l'amour, mais encore tout tableau
qui respire l'amour, fût-ce un portrait. (Deux tableaux essentiellement
amoureux, et admirables du reste, composés dans ce temps-ci, sont _La
Grande Odalisque_ et _La Petite Odalisque_, de M. Ingres).

Dans cette immense exposition, je me figure la beauté et l'amour de
tous les climats exprimés par les premiers artistes; depuis les folles,
évaporées et merveilleuses créatures que nous a laissées Watteau fils
dans ses gravures de mode, jusqu'à ces Vénus de Rembrandt qui se font
faire les ongles, comme de simples mortelles, et peigner avec un gros
peigne de buis.
Les sujets de cette nature sont chose si importante, qu'il n'est point
d'artiste, petit ou grand, qui ne s'y soit appliqué, secrètement ou
publiquement, depuis Jules Romain jusqu'à Devéria et Gavarni.

Leur grand défaut, en général, est de manquer de naïveté et de
sincérité. Je me rappelle pourtant une lithographie qui exprime,--sans
trop de délicatesse malheureusement,--une des grandes vérités de
l'amour libertin. Un jeune homme déguisé en femme et sa maîtresse
habillée en homme sont assis à côté l'un de l'autre, sur un
_sopha_,--le sopha que vous savez, le sopha de l'hôtel garni et du
cabinet particulier. La jeune femme veut relever les jupes de son
amant. _Sedebant in fornicibus pueri puellæve sub titulis et lychnis,
illi femineo compti mundo sub stola, hæ parum comptæ sub puerorum
veste, ore ad puerilem formant composito. Alter venibat sexus sub
altero sexu. Corruperat omni caro viam suam.--Meursius._

Ainsi, devant le portrait bleu de M. Amaury-Duval et bien d'autres
portraits de femmes ingristes ou ingrisées, j'ai senti passer dans mon
esprit, amenées par je ne sais quelle association d'idées, ces sages
paroles du chien Berganza, qui fuyait les _bas-bleus_ aussi ardemment
que ces messieurs les recherchent: «_Corinne ne t'a-t-elle jamais paru
insupportable?_......................................
_À l'idée de la voir s'approcher de moi, animée d'une vie
véritable, je me sentais comme oppressé par une sensation pénible,
et incapable de conserver auprès d'elle ma sérénité et ma liberté
d'esprit_.......................
_Quelque beaux que pussent être son bras ou sa main, jamais je n'aurais
pu supporter ses caresses sans une certaine répugnance, un certain
frémissement intérieur qui m'ôte ordinairement l'appétit.--Je ne parle
ici qu'en ma qualité de chien!_»
J'ai éprouvé la même sensation que le spirituel Berganza devant presque
tous les portraits de femmes, anciens ou présents... Dulcinée de Toboso
elle-même, en passant par l'atelier, en sortirait diaphane et bégueule
comme une élégie, et amaigrie par le thé et le beurre esthétiques.

J'ai entendu dire à un poète ordinaire de la Comédie-Française qu'il ne
concevait pas que des amoureux vécussent d'autre chose que du parfum
des fleurs et des pleurs de l'aurore.

À propos des _Adieux de Roméo et Juliette_, j'ai une remarque à faire
que je crois fort importante. J'ai tant entendu plaisanter de la
laideur des femmes de Delacroix, sans pouvoir comprendre ce genre
de plaisanterie, que je saisis l'occasion pour protester contre
ce préjugé. M. Victor Hugo le partageait, à ce qu'on m'a dit. Il
déplorait,--c'était dans les beaux temps du Romantisme,--que celui à
qui l'opinion publique faisait une gloire parallèle à la sienne commît
de si monstrueuses erreurs à l'endroit de la beauté. Il lui est arrivé
d'appeler les femmes de Delacroix des grenouilles. Mais M. Victor Hugo
est un grand poète sculptural qui a l'œil fermé à la spiritualité.
Je suis fâché que le _Sardanapale_ n'ait pas reparu cette année. On y
aurait vu de très belles femmes, claires, lumineuses, roses, autant
qu'il m'en souvient du moins. Sardanapale lui-même était beau comme une
femme. Généralement les femmes de Delacroix peuvent se diviser en deux
classes: les unes, faciles à comprendre, souvent mythologiques, sont
nécessairement belles (la Nymphe couchée et vue de dos, dans le plafond
de la galerie d'Apollon). Elles sont riches, très fortes, plantureuses,
abondantes, et jouissent d'une transparence de chair merveilleuse et de
chevelures admirables.
Quant aux autres, quelquefois des femmes historiques (la _Cléopâtre_
regardant l'aspic), plus souvent des femmes de caprice, de tableaux
de genre, tantôt des Marguerite, tantôt des Ophélia, des Desdémone,
des Sainte-Vierge même, des Madeleine, je les appellerais volontiers
des femmes d'intimité. On dirait qu'elles portent dans les yeux un
secret douloureux, impossible à enfouir dans les profondeurs de la
dissimulation. Leur pâleur est comme une révélation de batailles
intérieures. Qu'elles se distinguent par le charme du crime ou par
l'odeur de la sainteté, que leurs gestes soient alanguis ou violents,
ces femmes malades du cœur ou de l'esprit ont dans les yeux le plombé
de la fièvre ou la nitescence anormale et bizarre de leur mal, dans le
regard, l'intensité du surnaturalisme.
Mais toujours, et quand même, ce sont des femmes _distinguées_,
essentiellement distinguées; et enfin, pour tout dire en un seul mot,
M. Delacroix me paraît être l'artiste le mieux doué pour exprimer la
femme moderne, surtout la femme moderne dans sa manifestation héroïque,
dans le sens infernal ou divin. Ces femmes ont même la beauté physique
moderne, l'air de rêverie, mais la gorge abondante, avec une poitrine
un peu étroite, le bassin ample, et des bras et des jambes charmants.

L'Amour, l'inévitable Amour, l'immortel Cupidon des confiseurs, joue
dans l'école néogrecque, que je nommerai l'école des _pointus_, un
rôle dominateur et universel. Il est le président de cette république
galante et minaudière. C'est un poisson qui s'accommode à toutes les
sauces. Ne sommes-nous pas cependant bien las de voir la couleur et
le marbre prodigués en faveur de ce vieux polisson, ailé comme un
insecte, ou comme un canard, que Thomas Hood nous montre accroupi,
et, comme un impotent, écrasant de sa molle obésité le nuage qui lui
sert de coussin? De sa main gauche il tient en manière de sabre son
arc appuyé contre sa cuisse; de la droite il exécute avec sa flèche
le commandement: Portez armes! sa chevelure est frisée drue comme une
perruque de cocher; ses joues rebondissantes oppriment ses narines
et ses yeux; sa chair, ou plutôt sa viande, capitonnée, tubuleuse et
soufflée, comme les graisses suspendues aux crochets des bouchers, est
sans doute distendue par les soupirs de l'idylle universelle; à son
dos montagneux sont accrochées deux ailes de papillon. «Est-ce bien
là l'incube qui oppresse le sein des belles?... Ce personnage est-il
le partenaire disproportionné pour lequel soupire Pastorella, dans la
plus étroite des couchettes virginales? La platonique Amanda (qui est
tout âme) fait-elle donc, quand elle disserte sur l'Amour, allusion à
cet être trop palpable, qui est tout corps? Et Bélinda croit-elle, en
vérité, que ce Sagittaire ultra-substantiel puisse être embusqué dans
son dangereux œil bleu?

«La légende raconte qu'une fille de Provence s'amouracha de la statue
d'Apollon et en mourut. Mais demoiselle passionnée délira-t-elle
jamais et se dessécha-t-elle devant le piédestal de cette monstrueuse
figure? ou plutôt ne serait-ce pas un emblème indécent qui servirait
à expliquer la timidité et la résistance proverbiale des filles à
l'approche de l'Amour?
«Je crois facilement qu'il lui faut _tout un cœur_ pour lui tout seul;
car il doit le bourrer jusqu'à la réplétion. Je crois à sa confiance;
car il a l'air sédentaire et peu propre à la marche. Qu'il soit prompt
à _fondre_, cela tient à sa graisse, et, s'il brûle avec _flamme_, il
en est de même de tous les corps gras. Il a des _langueurs_ comme tous
les corps d'un pareil tonnage, et il est naturel qu'un si gros soufflet
_soupire._
«Je ne nie pas qu'il s'_agenouille_ aux pieds des dames, puisque c'est
la posture des éléphants; qu'il _jure_ que cet hommage sera _éternel_;
certes il serait malaisé de concevoir qu'il en fût autrement. Qu'il
_meure_, je n'en fais aucun doute, avec une pareille corpulence et un
cou si court! S'il est _aveugle_, c'est l'enflure de sa joue de cochon
qui lui bouche la vue. Mais qu'il loge dans l'œil bleu de Bélinda,
ah! je me sens hérétique, je ne le croirai jamais; car elle n'a jamais
eu une étable dans l'œil!»--Une étable contient _plusieurs_ cochons,
et, de plus, il y a calembour; on peut deviner quel est le sens du mot
_sty_ au figuré.
Cela est doux à lire, n'est-ce pas? et cela nous venge un peu de ce
gros poupard troué de fossettes qui représente l'idée populaire de
l'Amour. Pour moi, si j'étais invité à représenter l'Amour, il me
semble que je le peindrais sous la forme d'un cheval enragé qui dévore
son maître, ou bien d'un démon aux yeux cernés par la débauche et
l'insomnie, traînant, comme un spectre ou un galérien, des chaînes
bruyantes à ses chevilles, et secouant d'une main une fiole de poison,
de l'autre le poignard sanglant du crime.

...La gouge qui, je crois, n'est pas là, mais qui pouvait y être,
cette _fille peinte_ du moyen âge, qui suivait les soldats avec
l'autorisation du prince et de l'Église, comme la courtisane du Canada
accompagnait les guerriers au manteau de castor.

Quant aux figures grotesques que nous a laissées l'antiquité, les
masques, les figurines de bronze, les Hercules tout en muscles, les
petits Priapes à la langue recourbée en l'air, aux oreilles pointues,
tout en cervelet et en phallus,--quant à ces phallus prodigieux sur
lesquels les blanches filles de Romulus montent innocemment à cheval,
ces monstrueux appareils de la génération armée de sonnettes et
d'ailes, je crois que toutes ces choses sont pleines de sérieux. Vénus,
Pan, Hercule, n'étaient pas des personnages risibles. On en a ri après
la venue de Jésus, Platon et Sénèque aidant.

Gavarni a créé la Lorette. Elle existait bien un peu avant lui, mais
il l'a complétée. Je crois même que c'est lui qui a inventé le mot.
La Lorette, on l'a déjà dit, n'est pas la fille entretenue, cette
chose de l'Empire, condamnée à vivre en tête-à-tête funèbre avec le
cadavre métallique dont elle vivait, général ou banquier. La Lorette
est une personne libre. Elle va et elle vient. Elle tient maison
ouverte. Elle n'a pas de maître; elle fréquente les artistes et les
journalistes. Elle fait ce qu'elle peut pour avoir de l'esprit. J'ai
dit que Gavarni l'avait complétée; et, en effet, entraîné par son
imagination littéraire, il invente au moins autant qu'il voit, et, pour
cette raison, il a beaucoup agi sur les mœurs. Paul de Kock a créé la
Grisette, et Gavarni, la Lorette; et quelques-unes de ces filles se
sont perfectionnées en se l'assimilant, comme la jeunesse du quartier
latin avait subi l'influence de ses _étudiants_, comme beaucoup de gens
s'efforcent de ressembler aux gravures de mode.

L'amour, c'est le goût de la prostitution. Il n'est même pas de plaisir
noble qui ne puisse être ramené à la prostitution.
Dans un spectacle, dans un bal, chacun jouit de tous.
.......................................
L'amour peut dériver d'un sentiment généreux: le goût de la
prostitution; mais il est bientôt corrompu par le goût de la propriété.
L'amour veut sortir de soi, se confondre avec sa victime, comme le
vainqueur avec le vaincu, et cependant conserver des privilèges de
conquérant.
Les voluptés de l'entreteneur tiennent à la fois de l'ange et du
propriétaire. Charité et férocité. Elles sont même indépendantes du
sexe, de la beauté et du genre animal.
.......................................
Anecdote du chasseur, relative à la liaison intime de la férocité et de
l'amour.

De la couleur violette (amour contenu, mystérieux, voilé, couleur de
chanoinesse).

Je crois que j'ai déjà dans mes notes écrit que l'amour ressemblait
fort à une torture ou à une opération chirurgicale. Mais cette idée
peut être développée de la manière la plus amère. Quand même les deux
amants seraient très épris et très pleins de désirs réciproques, l'un
des deux sera toujours plus calme, ou moins possédé que l'autre.
Celui-là ou celle-là, c'est l'opérateur ou le bourreau; l'autre,
c'est le sujet, la victime. Entendez-vous ces soupirs, préludes d'une
tragédie de déshonneur, ces gémissements, ces cris, ces râles? Qui
ne les a proférés, qui ne les a irrésistiblement extorqués? Et que
trouvez-vous de pire dans la question appliquée par de soigneux
tortionnaires? ces yeux de somnambule révulsés, ces membres dont les
muscles jaillissent et se roidissent comme sous l'action d'une pile
galvanique, l'ivresse, le délire, l'opium, dans leurs plus furieux
résultats, ne vous en donneront certes pas d'aussi affreux, d'aussi
curieux exemples. Et le visage humain, qu'Ovide croyait façonné pour
refléter les astres, le voilà qui ne parle plus qu'une expression de
férocité folle, ou qui se détend dans une espèce de mort. Car, certes,
je croirais faire un sacrilège en appliquant le mot: extase à cette
sorte de décomposition.
--Épouvantable jeu, où il faut que l'un des joueurs perde le
gouvernement de soi-même!
Une fois, il fut demandé, devant moi, en quoi consistait le plus grand
plaisir de l'amour. Quelqu'un répondit naturellement: à recevoir, et
un autre: à se donner.--Celui-ci dit: plaisir d'orgueil;--et celui-là:
volupté d'humilité. Tous ces orduriers parlaient comme L'_Imitation de
Jésus-Christ._ Enfin, il se trouva un impudent utopiste qui affirma que
le plus grand plaisir de l'amour était de former des citoyens pour la
Patrie.
Moi, je dis: la volupté unique et suprême de l'amour gît dans la
certitude de faire _le mal._ Et l'homme et la femme savent, de
naissance, que dans le mal se trouve toute volupté.

Nous aimons les femmes à proportion qu'elles nous sont plus étrangères.
Aimer les femmes intelligentes est un plaisir de pédéraste. Ainsi la
bestialité exclut la pédérastie.

La maigreur est plus nue, plus indécente que la graisse.

...Le plaisir viendrait après, à bien plus juste titre qu'on ne dit:
l'amour vient après le mariage.

J'ai trouvé la définition du Beau, de mon Beau.
C'est quelque chose d'ardent et de triste, quelque chose d'un peu
vague, laissant carrière à la conjecture. Je vais, si l'on veut,
appliquer mes idées à un objet sensible, à l'objet par exemple le
plus intéressant dans la société, à un visage de femme. Une tête
séduisante et belle, une tête de femme, veux-je dire, c'est une tête
qui fait rêver à la fois, mais d'une manière confuse, de volupté et de
tristesse; qui comporte une idée de mélancolie, de lassitude, même de
satiété,--soit une idée contraire, c'est-à-dire une ardeur, un désir de
vivre, associés avec une amertume refluante, comme venant de privation
ou de désespérance. Le mystère, le regret sont aussi des caractères du
Beau.
Une belle tête d'homme n'a pas besoin de comporter, excepté peut-être
aux yeux d'une femme, cette idée de volupté, qui, dans un visage de
femme, est une provocation d'autant plus attirante que le visage est
généralement plus mélancolique.

DE L'AIR DANS LA FEMME.--Les airs charmants, et qui font la beauté,
sont: l'air blasé, l'air ennuyé, l'air évaporé, l'air impudent,
l'air froid, l'air de regarder en dedans, l'air de domination, l'air
de volonté, l'air méchant, l'air malade, l'air chat, enfantillage,
nonchalance et malice mêlés.

Du culte de soi-même dans l'amour, au point de vue de la santé, de
l'hygiène, de la toilette, de la noblesse spirituelle et de l'éloquence.

Il y a dans l'acte de l'amour une grande ressemblance avec la torture
ou avec une opération chirurgicale.

Tantôt il lui demandait la permission de lui baiser la jambe, et il
profitait de la circonstance pour baiser cette belle jambe dans telle
position qu'elle dessinât nettement son contour sur le soleil couchant.

«Minette, minoutte, minouille, mon chat, mon loup, mon petit singe,
grand singe, grand serpent, mon petit singe mélancolique». De pareils
caprices de langue trop répétés, de trop fréquentes appellations
bestiales témoignent d'un côté satanique dans l'amour. Les satans
n'ont-ils pas des formes de bêtes? Le chameau de Cazotte, chameau,
diable et femme.

Un homme va au tir au pistolet, accompagné de sa femme. Il ajuste
une poupée, et dit à sa femme: Je me figure que c'est toi.--Il ferme
les yeux et abat la poupée.--Puis il dit, en baisant les mains de sa
compagne: Cher ange, que je te remercie de mon adresse.

Il n'y a que deux endroits où l'on paye pour avoir le droit de
dépenser: les latrines publiques et les femmes.

Par un concubinage ardent, on peut deviner les jouissances d'un jeune
ménage.
Le goût précoce des femmes. Je confondais l'odeur de la fourrure avec
l'odeur de la femme. Je me souviens... Enfin, j'aimais ma mère pour son
élégance. J'étais donc un dandy précoce.
.......................................
Les pays protestants manquent de deux éléments indispensables au
bonheur d'un homme bien élevé, la galanterie et la dévotion.
.......................................
L'Espagne met dans la religion la férocité naturelle de l'amour.

Le ton fille entretenue (_ma toute-belle! sexe volage!_)... La
prima-donna et le garçon boucher.

Ému au contact de ces voluptés qui ressemblaient à des souvenirs,
attendri par la pensée d'un passé mal rempli, de tant de fautes, de
tant de querelles, de tant de choses à se cacher réciproquement, il se
mit à pleurer; et ses larmes chaudes coulèrent, dans les ténèbres, sur
l'épaule nue de sa chère et toujours attirante maîtresse.
Elle tressaillit, elle se sentit, elle aussi, attendrie, et remuée.
Les ténèbres rassuraient sa vanité et son dandysme de femme froide. Ces
deux êtres déchus, mais souffrant encore de leur reste de noblesse,
s'enlacèrent spontanément, confondant, dans la pluie de leurs larmes et
de leurs baisers, les tristesses de leur passé avec leurs espérances
bien incertaines d'avenir. Il est présumable que jamais, pour eux,
la volupté ne fut si douce que dans cette nuit de mélancolie et de
charité;--volupté saturée de douleur et de remords.
À travers la noirceur de la nuit, il avait regardé derrière lui dans
les années profondes, puis il s'était jeté dans les bras de sa coupable
amie, pour y retrouver le pardon qu'il lui accordait.

Alors, les errantes, les déclassées, celles qui ont eu quelques amants
et qu'on appelle parfois des anges, en raison et en remerciement de
l'étourderie qui brille, lumière de hasard, dans leur existence logique
comme le mal,--alors celles-là, dis-je, ne seront plus qu'impitoyable
sagesse, sagesse qui condamnera tout, fors l'argent, tout, _même les
erreurs des sens!_ Alors, ce qui ressemblera à la vertu, que dis-je,
tout ce qui ne sera pas l'ardeur vers Plutus sera réputé un immense
ridicule. La justice, si, à cette époque fortunée, il peut encore
exister une justice, fera interdire les citoyens qui ne sauront pas
faire fortune. Ton épouse, ô Bourgeois! ta chaste moitié, dont la
légitimité fait pour toi la poésie, introduisant désormais dans la
légalité une infamie irréprochable, gardienne vigilante et amoureuse
de ton coffre-fort, ne sera plus que l'idéal parfait de la femme
entretenue. Ta fille, avec une nubilité enfantine, rêvera, dans son
berceau, qu'elle se vend un million.

La femme est le contraire du dandy. Donc elle doit faire horreur. La
femme a faim, et elle veut manger; soif, et elle veut boire. Elle est
en rut, et elle veut être f***.
Le beau mérite!
La femme est _naturelle_, c'est à dire abominable.
Aussi est-elle toujours vulgaire, c'est là dire le contraire du dandy.

Dans _Les Oreilles du Comte de Chesterfield_, Voltaire plaisante
sur cette âme immortelle qui a résidé, pendant neuf mois, entre des
excréments et des urines. Voltaire, comme tous les paresseux, haïssait
le mystère.
Ne pouvant pas supprimer l'amour, l'Église a voulu au moins le
désinfecter, et elle a fait le mariage.

[_En marge_]. Au moins aurait-il pu deviner dans cette localisation une
malice ou une satire de la Providence contre l'amour, et, dans le mode
de la génération, un signe du péché originel. De fait, nous ne pouvons
faire l'amour qu'avec des organes excrémentiels.

Pourquoi l'homme d'esprit aime les filles plus que les femmes du monde,
malgré qu'elles soient également bêtes? À trouver.

Il y a de certaines femmes qui ressemblent au ruban de la Légion
d'honneur. On n'en veut plus parce qu'elles se sont salies à de
certains hommes. C'est par la même raison que je ne chausserais pas les
culottes d'un galeux.
Ce qu'il y a d'ennuyeux dans l'amour, c'est que c'est un crime où l'on
ne peut pas se passer d'un complice.

Le goût du plaisir nous attache au présent. Le soin de notre salut nous
suspend à l'avenir.
Celui qui s'attache au plaisir, c'est a dire au présent, me fait
l'effet d'un homme roulant sur une pente, et qui, voulant se raccrocher
aux arbustes, les arracherait et les emporterait dans sa chute.

Avant tout, être un _grand homme_ et un saint pour soi-même.

Qu'est-ce que l'amour? Le besoin de sortir de soi.
L'homme est un animal adorateur. Adorer, c'est se sacrifier et se
prostituer.
Aussi tout amour est-il prostitution.
L'être le plus prostitué, c'est l'être par excellence, c'est Dieu,
puisqu'il est l'ami suprême pour chaque individu, puisqu'il est le
réservoir commun, inépuisable, de l'amour.

J'ai toujours été étonné qu'on laissât les femmes entrer dans les
églises. Quelle conversation peuvent-elles avoir avec Dieu?
L'éternelle Vénus (caprice, hystérie, fantaisie) est une des formes
séduisantes du diable.

La femme ne sait pas séparer l'âme du corps. Elle est simpliste, comme
les animaux.--Un satirique dirait que c'est parce qu'elle n'a que le
corps.
Un chapitre sur la toilette.--Moralité de la toilette, les bonheurs de
la toilette.

Musique. De l'esclavage.--Des femmes du monde.--Des filles.

Dans l'amour, comme dans presque toutes les affaires humaines,
l'entente cordiale est le résultat d'un malentendu. Ce malentendu,
c'est le plaisir. L'homme crie: O mon ange! La femme roucoule:
Maman! maman! Et ces deux imbéciles sont persuadés qu'ils pensent de
concert.--Le gouffre infranchissable, qui fait l'incommunicabilité,
reste infranchi.

La jeune fille des éditeurs. La jeune fille des rédacteurs en chef. La
jeune fille épouvantail, monstre, assassin de l'art.
La jeune fille, ce qu'elle est en réalité. Une petite sotte et une
petite salope; la plus grande imbécillité unie à la plus grande
dépravation.
Il y a dans la jeune fille toute l'abjection du voyou et du collégien.

Goût inamovible de la prostitution dans le cœur de l'homme, d'où naît
son horreur de la solitude.--Il veut être _deux._ L'homme de génie
veut être _un_, donc solitaire. La gloire, c'est rester _un_, et se
prostituer d'une manière particulière.
C'est cette horreur de la solitude, le besoin d'oublier son _moi_ dans
la chair extérieure, que l'homme appelle noblement _besoin d'aimer._
Deux belles religions, immortelles sur les murs, éternelles obsessions
du peuple: le phallus antique, et «Vive Barbés!» ou «À bas Philippe!»
ou «Vive la République»!

De la nécessité de battre les femmes.
On peut châtier ce que l'on aime. Ainsi, les enfants. Mais cela
implique la douleur de mépriser ce que l'on aime.
Du cocuage et des cocus. La douleur du cocu. Elle naît de son orgueil,
d'un raisonnement faux sur l'honneur et sur le bonheur, et d'un amour
niaisement détourné de Dieu pour être attribué aux créatures. C'est
toujours l'animal adorateur se trompant d'idole.

Plus l'homme cultive les arts, moins il b***.
Il se fait un divorce de plus en plus sensible entre l'esprit et la
brute.
La brute seule b*** bien et la fouterie est le lyrisme du peuple.
F***, c'est aspirer à entrer dans un autre, et l'artiste ne sort jamais
de lui-même.
J'ai oublié le nom de cette salope... Ah! bah! je le retrouverai au
jugement dernier.

Tous les imbéciles de la Bourgeoisie qui prononcent sans cesse les
mots: immoral, immoralité, moralité dans l'art et autres bêtises
me font penser à Louise Villedieu, putain à cinq francs, qui,
m'accompagnant une fois au Louvre, où elle n'était jamais allée, se mit
à rougir, à se couvrir le visage, et, me tirant à chaque instant par
la manche, me demandait devant les statues et les tableaux immortels
comment on pouvait étaler publiquement de pareilles indécences.

Chronique locale. J'ai appris par des ouvriers, qui travaillaient au
jardin, qu'on avait surpris, il y a déjà longtemps, la femme du ***, se
faisant f*** dans un confessionnal. Cela m'a été révélé, parce que je
demandais pourquoi l'église Sainte-Catherine était fermée aux heures où
il n'y a pas d'offices. Il paraît que le curé a pris depuis lors ses
précautions contre le sacrilège. C'est une femme insupportable, qui
me disait dernièrement qu'elle avait connu le peintre qui a peint le
fronton du Panthéon, mais qui doit avoir un c*** superbe (elle). Cette
histoire de f*** provinciale, dans un lieu sacré, n'a-t-elle pas tout
le sel classique des vieilles saletés françaises? Gardez-vous bien de
raconter cette histoire à des gens qui pourraient dire à Honfleur que
vous la tenez de moi, alors il me faudrait fuir mon lieu de repos.

C'est depuis ce temps que est obligé d'effacer des cornes que l'on
dessine sur sa porte.
Pour le curé, que tout le monde appelle ici un brave homme, c'est
presque un homme remarquable, et même érudit.

Nerciat (utilité de ses livres).
Au moment où la Révolution française éclata, la noblesse française
était une race physiquement diminuée (de Maistre).
Les livres libertins commentent donc et expliquent la Révolution.

La fouterie et la gloire de la fouterie étaient-elles plus immorales
que cette manière moderne d'_adorer_ et de mêler le saint au profane?
On se donnait alors beaucoup de mal pour ce qu'on avouait être une
bagatelle, et on ne se damnait pas plus qu'aujourd'hui.
Mais on se damnait moins bêtement, on ne se pipait pas.

Comment on faisait l'amour sous l'ancien régime.
Plus gaiement, il est vrai.

Ce n'était pas l'extase, comme aujourd'hui, c'était le délire.
C'était toujours le mensonge, mais on n'adorait pas son semblable. _On
le trompait_, mais on _se trompait soi-même._

Ici, comme dans la vie, la palme de la perversité reste à la femme.

Laufeia. Fæmina simplex dans sa petite maison.
Manœuvres de l'Amour.
Belleroche. Machines à plaisir.

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