De l'amour - 4

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mal à propos vous inspirent de l'horreur pour l'idole, et il arrive
parfois que votre joie vous donne le frisson. Vous voilà fort empêché
dans vos raisonnements platoniques. La vertu et l'orgueil vous crient:
Fuis-la. La nature vous dit à l'oreille: Où la fuir? Alternatives
terribles où les âmes les plus fortes montrent toute l'insuffisance de
notre éducation philosophique. Les plus habiles, se voyant contraints
par la nature de jouer l'éternel roman de Manon Lescaut et de Leone
Leoni, se sont tirés d'affaire en disant que le mépris allait très bien
avec l'amour.--Je vais vous donner une recette bien simple qui non
seulement vous dispensera de ces honteuses justifications, mais encore
vous permettra de ne pas écorner votre idole, et de ne pas endommager
votre _cristallisation._ (Nous savons que tous nos lecteurs ont lu _le
Stendhal._)
Je suppose que l'héroïne de votre cœur, ayant abusé du _fas_ et du
_nefas_, est arrivée aux limites de la perdition, après avoir--dernière
infidélité, torture suprême!--essayé le pouvoir de ses charmes sur
ses geôliers et ses exécuteurs. (Ainsi que _L'Âne mort._) Irez-vous
abjurer si facilement l'idéal, ou, si la nature vous précipite, fidèle
et pleurant, dans les bras de cette pâle guillotinée, direz-vous avec
l'accent mortifié de la résignation: Le mépris et l'amour sont cousins
germains!--Non point; car ce sont là les paradoxes d'une âme timorée
et d'une intelligence obscure.--Dites hardiment, et avec la candeur
du vrai philosophe: «Moins scélérat, mon idéal n'eût pas été complet.
Je le contemple, et me soumets; d'une si puissante coquine la grande
Nature seule sait ce qu'elle veut faire. Bonheur et raison suprêmes!
absolu! résultante des contraires! Ormuzd et Arimane, vous êtes le
même!»
Et c'est ainsi, grâce à une vue plus synthétique des choses, que
l'admiration vous ramènera tout naturellement vers l'amour pur, ce
soleil dont l'intensité absorbe toutes les taches.
Rappelez-vous ceci, c'est surtout du paradoxe en amour qu'il faut
se garder. C'est la naïveté qui sauve, c'est la naïveté qui rend
heureux, votre maîtresse fut-elle laide comme la vieille Mab, la reine
des épouvantements! En général, pour les gens du monde,--un habile
moraliste l'a dit,--l'amour n'est que l'amour du jeu, l'amour des
combats. C'est un grand tort; il faut que l'amour soit l'amour; le
combat et le jeu ne sont permis que comme politique en cas d'amour.
Le tort le plus grave de la jeunesse moderne est de _se monter des
coups._ Bon nombre d'amoureux sont des malades imaginaires qui
dépensent beaucoup en pharmacopées, et payent grassement M. Fleurant
et M. Purgon, sans avoir les plaisirs et les privilèges d'une maladie
sincère. Notez bien qu'ils impatientent leur estomac par des drogues
absurdes, et usent en eux la faculté digestive d'amour.
Bien qu'il faille être de son siècle, gardez-vous bien de singer
l'illustre don Juan qui ne fut d'abord, selon Molière, qu'un
rude coquin, bien stylé et affilié à l'amour, aux crimes et aux
arguties,--puis est devenu, grâce à MM. Alfred de Musset et Théophile
Gautier, un flâneur _artistique_, courant après la perfection à travers
les mauvais lieux, et finalement n'est plus qu'un vieux dandy éreinté
de tous ses voyages, et le plus sot du monde auprès d'une honnête femme
bien éprise de son mari.
Règle sommaire et générale: en amour, gardez-vous de la _lune_ et des
_étoiles_, gardez-vous de la Vénus de Milo, des lacs, des guitares, des
échelles de cordes et de tous romans,--du plus beau du monde,--fût-il
écrit par Apollon lui-même!
Mais aimez bien, Vigoureusement, crânement, orientalement, férocement,
celle que vous aimez; que votre amour,--l'harmonie étant bien
comprise,--ne tourmente point l'amour d'un autre; que votre choix
ne trouble point l'état. Chez les Incas l'on aimait sa sœur;
contentez-vous de votre cousine. N'escaladez jamais les balcons,
n'insultez jamais la force publique; n'enlevez point à votre maîtresse
la douceur de croire aux dieux, et, quand vous raccompagnerez au
temple, sachez tremper convenablement vos doigts dans l'eau pure et
fraîche du bénitier.

Toute morale, témoignant de la bonne volonté des législateurs,--toute
religion étant une suprême consolation pour les affligés,--toute femme
étant un morceau de la femme essentielle,--l'amour étant la seule chose
qui vaille la peine de tourner un sonnet et de mettre du linge fin,--je
révère toutes ces choses plus que qui que ce soit, et je dénonce comme
calomniateur quiconque ferait de ce lambeau de morale un motif à signes
de croix et une pâture à scandale.--Morale chatoyante, n'est-ce pas?
Verres de couleur colorant trop peut-être l'éternelle lampe de vérité
qui brille au dedans?--Non pas, non pas.--Si j'avais voulu prouver
que tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles, le
lecteur aurait le droit de me dire, comme au _singe de génie_: tu es
un méchant! Mais j'ai voulu prouver que tout est pour le mieux dans le
plus mauvais des mondes possibles. Il me sera donc beaucoup pardonné,
parce que j'ai beaucoup aimé... mon lecteur... ou ma lectrice.
3 Mars 1846.

Voilà bien ces yeux dont la flamme traverse le crépuscule; ces
subtiles et terribles _mirettes_, que je reconnais à leur effrayante
malice! Elles attirent, elles subjuguent, elles dévorent le regard de
l'imprudent qui les contemple. Je les ai souvent étudiées, ces étoiles
noires qui commandent la curiosité et l'admiration.

«Ce monstre est un de ces animaux qu'on appelle généralement «mon
ange!» c'est à dire une femme.»

«Maintenant, à nous deux, chère précieuse! A voir les enfers dont le
monde est peuplé, que voulez-vous que je pense de votre joli enfer,
vous qui ne reposez que sur des étoffes aussi douces que votre peau,
qui ne mangez que de la viande cuite, et pour qui un domestique habile
prend soin de découper les morceaux?
«Et que peuvent signifier pour moi tous ces petits soupirs qui gonflent
votre poitrine parfumée, robuste coquette? Et toutes ces affectations
apprises dans les livres, et cette infatigable mélancolie, faite pour
inspirer au spectateur un tout autre sentiment que la pitié? En vérité,
il me prend quelquefois envie de vous apprendre ce que c'est que le
vrai malheur.
«A vous voir ainsi, ma belle délicate, les pieds dans la fange et les
yeux tournés vaporeusement vers le ciel, comme pour lui demander un
roi, on dirait vraisemblablement une jeune grenouille qui invoquerait
l'idéal. Si vous méprisez le soliveau (ce que je suis maintenant, comme
vous savez bien), gare la grue _qui vous croquera, vous gobera et vous
tuera à son plaisir!_

«Tant poète que je sois, je ne suis pas aussi dupe que vous voudriez
le croire, et si vous me fatiguez trop souvent de vos _précieuses_
pleurnicheries, je vous traiterai en _femme sauvage_, ou je vous
jetterai par la fenêtre, comme une bouteille vide.

Ce que les hommes nomment amour est bien petit, bien restreint et bien
faible, comparé à cette ineffable orgie, à cette sainte prostitution de
l'âme qui se donne tout entière, poésie et charité, à l'imprévu qui se
montre, à l'inconnu qui passe.

L'enfant attira ses camarades plus près de lui, et parla d'une voix
plus basse.--«Ça fait un singulier effet, allez, de n'être pas couché
seul et d'être dans un lit avec sa bonne, dans les ténèbres. Comme je
ne dormais pas, je me suis amusé, pendant qu'elle dormait, à passer
ma main sur ses bras, sur son cou et sur ses épaules. Elle a les bras
et le cou bien plus gros que toutes les autres femmes, et la peau en
est si douce, si douce, qu'on dirait du papier à lettre ou du papier
de soie. J'y avais tant de plaisir que j'aurais longtemps continué, si
je n'avais pas eu peur, peur de la réveiller d'abord, et puis encore
peur de je ne sais quoi. Ensuite j'ai fourré ma tête dans ses cheveux
qui pendaient dans son dos, épais comme une crinière, et ils sentaient
aussi bon, je vous assure, que les fleurs du jardin, à cette heure-ci.
Essayez, quand vous pourrez, d'en faire autant que moi, et vous verrez!»

Il y a des femmes qui inspirent l'envie de les vaincre et de jouir
d'elles; mais celle-ci donne le désir de mourir lentement sous son
regard.

«Tous les hommes ont eu l'âge de Chérubin: c'est l'époque où, faute
de dryades, on en embrasse, sans dégoût, le tronc des chênes. C'est
le premier degré de l'amour. Au second degré, on commence à choisir.
Pouvoir délibérer, c'est déjà une décadence. C'est alors qu'on
recherche décidément la beauté. Pour moi, Messieurs, je me fais gloire
d'être arrivé, depuis longtemps, à l'époque climatérique du troisième
degré où la beauté elle-même ne suffit plus, si elle n'est assaisonnée
par le parfum, la parure, etc... J'avouerai même que j'aspire
quelquefois, comme à un bonheur inconnu, à un certain quatrième degré
qui doit marquer le calme absolu. Mais, durant toute ma vie, excepté à
l'âge de Chérubin, j'ai été plus sensible que tout autre à l'énervante
sottise, à l'irritante médiocrité des femmes. Ce que j'aime surtout
dans les animaux, c'est, leur candeur. Jugez donc combien j'ai dû
souffrir par ma dernière maîtresse.

À des esprits niais il paraîtra singulier, et même impertinent, qu'un
tableau de voluptés artificielles soit dédié à une femme, source la
plus ordinaire des voluptés les plus naturelles. Toutefois il est
évident que comme le monde naturel pénètre dans le spirituel, lui sert
de pâture et concourt ainsi à opérer cet amalgame indéfinissable que
nous nommons notre individualité, la femme est l'être qui projette la
plus grande ombre ou la plus grande lumière dans nos rêves. La femme
est fatalement suggestive; elle vit d'une autre vie que la sienne
propre; elle vit spirituellement dans les imaginations qu'elle hante et
qu'elle féconde.

Quant à l'amour, j'ai entendu bien des personnes animées d'une
curiosité; de lycéen, chercher à se renseigner auprès de celles à qui
était familier l'usage du haschisch. Que peut être cette ivresse de
l'amour, déjà si puissante à son état naturel, quand elle est enfermée
dans l'autre ivresse, comme un soleil dans un soleil? Telle est la
question qui se dressera dans une foule d'esprits que j'appellerai
les badauds du monde intellectuel. Pour répondre à un sous-entendu
déshonnête, à cette partie de la question qui n'ose pas se produire, je
renverrai le lecteur à Pline, qui a parlé quelque part des propriétés
du chanvre de façon à dissiper sur ce sujet bien des illusions. On
sait, en outre, que l'atonie est le résultat le plus ordinaire de
l'abus que les hommes font de leurs nerfs et des substances propres à
les exciter. Or, comme il ne s'agit pas ici de puissance effective,
mais d'émotion ou de susceptibilité, je prierai simplement le
lecteur de considérer que l'imagination d'un homme nerveux, enivré
de haschisch, est poussée jusqu'à un degré prodigieux, aussi peu
déterminable que la force extrême possible du vent dans un ouragan,
et ses sens subtilisés à un point presque aussi difficile à définir.
Il est donc permis de croire qu'une caresse légère, la plus innocente
de toutes, une poignée de main, par exemple, peut avoir une valeur
centuplée par l'état actuel de l'âme et des sens, et les conduire
peut-être, et très rapidement, jusqu'à cette syncope qui est considérée
par les vulgaires mortels comme le _summum_ du bonheur. Mais que le
haschisch réveille, dans une imagination souvent occupée des choses
de l'amour, des souvenirs tendres, auxquels la douleur et le malheur
donnent même un lustre nouveau, cela est indubitable. Il n'est pas
moins certain qu'une forte dose de sensualité se mêle à ces agitations
de l'esprit; et d'ailleurs il n'est pas inutile de remarquer, ce qui
suffirait à constater sur ce point l'immoralité du haschisch, qu'une
secte d'Ismaïlites (c'est des Ismaïlites que sont issus les Assassins)
égarait ses adorations bien au-delà de l'impartial Lingam, c'est à dire
jusqu'au culte absolu et exclusif de la moitié féminine du symbole. Il
n'y aurait rien que de naturel, chaque homme étant la représentation
de l'histoire, de voir une hérésie obscène, une religion monstrueuse
se produire dans un esprit qui s'est lâchement livré à la merci d'une
drogue infernale, et qui sourit à la dilapidation de ses propres
facultés.

Les femmes galantes à grandes prétentions, grandes liseuses de romans,
se font appeler volontiers _miss Douglas, miss Montaguë_, etc..., mais
les plus humbles parmi ces pauvres filles ne se font connaître que par
leur nom de baptême, Mary, Jane, Frances, etc...

...Les hommes qui ont été élevés par les femmes et parmi les femmes
ne ressemblent pas tout à fait aux autres hommes, en supposant même
l'égalité dans le tempérament ou dans les facultés spirituelles. Le
bercement des nourrices, les câlineries maternelles, les chatteries des
sœurs, surtout des aînées, espèce de mères diminutives, transforment,
pour ainsi dire, en la pétrissant, la pâte masculine. L'homme qui, dès
le commencement, a été longtemps baigné dans la molle atmosphère de la
femme, dans l'odeur de ses mains, de son sein, de ses genoux, de sa
chevelure, de ses vêtements souples et flottants,
Dulce balneum suavibus
Unguentatum odoribus,
y a contracté une délicatesse d'épiderme et une distinction d'accent,
une espèce d'androgynéité, sans lesquelles le génie le plus âpre et
le plus viril reste, relativement à la perfection dans l'art, un être
incomplet. Enfin, je veux dire que le goût précoce du _monde_ féminin,
_mundi muliebris_, de tout cet appareil ondoyant, scintillant et
parfumé, fait les génies supérieurs.

Ce qu'il y a de plus désolant, dit-il, c'est que tout amour fait
toujours une mauvaise fin, d'autant plus mauvaise qu'il était plus
divin, plus ailé à son commencement. Il n'est pas de rêve, quelque
idéal qu'il soit, qu'on ne retrouve avec un poupard glouton suspendu
au sein; il n'est pas de retraite, de maisonnette si délicieuse et si
ignorée, que la pioche ne vienne abattre. Encore cette destruction
est-elle toute matérielle; mais il en est une autre plus impitoyable
et plus secrète qui s'attaque aux choses invisibles. Figurez-vous
qu'au moment où vous vous appuyez sur l'être de votre choix, et
que vous lui dites: Envolons-nous ensemble et cherchons le fond du
ciel!--une voix implacable et sérieuse penche à votre oreille pour
vous dire que nos passions sont des menteuses, que c'est notre myopie
qui fait les beaux visages et notre ignorance les belles âmes, et
qu'il vient nécessairement un jour où l'idole, pour le regard plus
clairvoyant, n'est plus qu'un objet, non pas de haine, mais de mépris
et d'étonnement!

Les enfants maladifs qui sortent d'un amour mourant sont la triste
débauche et la hideuse impuissance: la débauche de l'esprit,
l'impuissance du cœur, qui font que l'un ne vit plus que par
curiosité, et que l'autre se meurt chaque jour de lassitude.

...Il me semble qu'on ne peut pas plus accuser une honnête fille qui
veut se marier de faire un choix imprudent, qu'une femme perdue de
prendre un amant ignoble. L'une et l'autre,--malheureuses que nous
sommes!--sont également ignorantes. Il manque à ces malheureuses
victimes, qu'on nomme filles à marier, une honteuse éducation, je veux
dire la connaissance des vices d'un homme. Je voudrais que chacune de
ces pauvres petites, avant de subir le lien conjugal, pût entendre
dans un lieu secret, et sans être vue, deux hommes causer entre eux
des choses de la vie, et surtout des femmes. Après cette première et
redoutable épreuve, elles pourraient se livrer avec moins de danger aux
chances terribles du mariage, connaissant le fort et le faible de leurs
futurs tyrans.

Une femme belle et instruite se doit à Paris. Il faut qu'elle sache
poser devant le monde et faire tomber quelques-uns de ses rayons sur
son mari.--Une femme qui a l'esprit noble et du bon sens sait qu'elle
n'a de gloire à attendre ici-bas qu'autant qu'elle fait une partie de
la gloire de son compagnon de voyage, qu'elle sert les vertus de son
mari, et surtout qu'elle n'obtient de respect qu'autant qu'elle le fait
respecter.

La vanité d'un mari fait la vertu d'une femme amoureuse.

Pourquoi donc, entre deux beautés égales, les hommes préfèrent-ils
souvent la fleur que tout le monde a respirée, à celle qui s'est
toujours gardée des passants dans les allées les plus obscures du
jardin conjugal? Pourquoi donc les femmes prodigues de leur corps,
trésor dont un seul sultan doit avoir la clef, possèdent-elles plus
d'adorateurs que nous autres, malheureuses martyres d'un amour unique?
De quel charme si magique le vice auréole-t-il certaines créatures?
Quel aspect gauche et repoussant leur vertu donne-t-elle à certaines
autres?

Quiconque a voulu, sans avoir en lui la force absolutrice de Valmont
ou de Lovelace, posséder une honnête femme qui ne s'en souciait guère,
sait avec quelle risible et emphatique gaucherie chacun dit en montrant
son cœur: prenez mon ours...

Cette jambe était déjà, pour Samuel, l'objet d'un éternel désir.
Longue, fine, forte, grasse et nerveuse à la fois, elle avait toute
la correction du beau et tout l'attrait libertin du joli. Tranchée
perpendiculairement à l'endroit le plus large, cette jambe eût donné
une espèce de triangle dont le sommet eût été situé sur le tibia,
et dont la ligne arrondie du mollet eût fourni la base convexe. Une
vraie jambe d'homme est trop dune, les jambes de femmes crayonnées par
Devéria sont trop molles pour en donner une idée.

Quoiqu'il fût une imagination dépravée, et peut-être à cause de
cela même, l'amour était chez lui moins une affaire des sens que du
raisonnement. C'était surtout l'admiration et l'appétit du beau; il
considérait la reproduction comme un vice de l'amour, la grossesse
comme une maladie d'araignée. Il a écrit quelque part: les anges sont
hermaphrodites et stériles.--Il aimait un corps humain comme une
harmonie matérielle, comme une belle architecture, plus le mouvement;
et ce matérialisme absolu n'était pas loin de l'idéalisme le plus pur.
Comme dans le beau, qui est la cause de l'amour, il y avait selon lui
deux éléments: la ligne et l'attrait.

...L'amour terrible, désolant et honteux, l'amour maladif des
courtisanes..., toutes les tortures de la jalousie, et l'abaissement
et la tristesse où nous jette la conscience d'un mal incurable et
constitutionnel,--bref, toutes les horreurs de ce mariage vicieux qu'on
nomme le concubinage.

Une figure bien dessinée vous pénètre d'un plaisir tout à fait étranger
au sujet. Voluptueuse ou terrible, cette figure ne doit son charme qu'à
l'arabesque qu'elle découpe dans l'espace. Les membres d'un martyr
qu'on écorche, le corps d'une nymphe pâmée, s'ils sont savamment
dessinés, comportent un genre de plaisir dans les éléments duquel le
sujet n'entre pour rien; si pour vous il en est autrement, je serai
forcé de croire que vous êtes un bourreau ou un libertin.

Les femmes sentimentales et précieuses seront peut-être choquées
d'apprendre que, semblable à Michel-Ange (rappelez-vous la fin d'un de
ses sonnets: «Sculpture! divine Sculpture, tu es ma seule amante!»),
Delacroix avait fait de la Peinture son unique muse, son unique
maîtresse, sa seule et suffisante volupté.
Sans doute il avait beaucoup aimé la femme aux heures agitées de sa
jeunesse. Qui n'a pas trop sacrifié à cette idole redoutable? Et qui
ne sait que ce sont justement ceux qui l'ont le mieux servie qui s'en
plaignent le plus? Mais longtemps déjà avant sa fin, il avait exclu
la femme de sa vie. Musulman, il ne l'eût peut-être pas chassée de la
mosquée, mais il se fût étonné de l'y voir entrer, ne comprenant pas
bien quelle sorte de conversation elle peut tenir à Allah.
En cette question, comme en beaucoup d'autres, l'idée orientale prenait
en lui vivement et despotiquement le dessus. Il considérait la femme
comme un objet d'art, délicieux et propre à exciter l'esprit, mais un
objet d'art désobéissant et troublant, si on lui livre le seuil du
cœur, et dévorant gloutonnement le temps et les forces.
Je me souviens qu'une fois, dans un lieu public, comme je lui montrais
le visage d'une femme d'une originale beauté et d'un caractère
mélancolique, il voulut bien en goûter la beauté, mais me dit, avec
son petit rire, pour répondre au reste: « Comment voulez-vous qu'une
femme puisse être mélancolique?» insinuant sans doute par là que, pour
connaître le sentiment de la mélancolie, il manque à la femme _certaine
chose_ essentielle.
C'est là, malheureusement, une théorie bien injurieuse, et je ne
voudrais pas préconiser des opinions diffamatoires sur un sexe qui
a si souvent montré d'ardentes vertus. Mais on m'accordera bien que
c'est une théorie de prudence; que le talent ne saurait trop s'armer
de prudence dans un monde plein d'embûches, et que l'homme de génie
possède le privilège de certaines doctrines (pourvu qu'elles ne
troublent pas l'ordre) qui nous scandaliseraient justement chez le pur
citoyen ou le simple père de famille.

...L'amateur du beau sexe compose sa famille de toutes les beautés
trouvées, trouvables et introuvables.

...L'attitude, le regard, la grimace, l'aspect vital d'une de ces
créatures que le dictionnaire de la mode a successivement classées sous
les titres grossiers ou badins d'_impures_, de _filles entretenues_, de
_lorettes_ et de _biches._

...Les lourdes voitures massives, espèces de carrosses à la Louis
XIV, dorés et agrémentés par le caprice oriental, d'où jaillissent
quelquefois des regards curieusement féminins, dans le strict
intervalle que laissent aux yeux les bandes de mousseline collées
sur le visage; les danses frénétiques des baladins du _troisième
sexe_ (Jamais l'expression bouffonne de Balzac ne fut plus applicable
que dans le cas présent, car, sous la palpitation de ces lueurs
tremblantes, sous l'agitation de ces amples vêtements, sous cet ardent
maquillage des joues, des yeux et des sourcils, dans ces gestes
hystériques et convulsifs, dans ces longues chevelures flottant sur
les reins, il vous serait difficile, pour ne pas dire impossible, de
deviner la virilité); enfin, les femmes galantes (si toutefois l'on
peut prononcer le mot de galanterie à propos de l'Orient), généralement
composées de Hongroises, de Valaques, de Juives, de Polonaises, de
Grecques et d'Arméniennes; car, sous un gouvernement despotique, ce
sont les races opprimées, et, parmi elles, celles surtout qui ont le
plus à souffrir, qui fournissent le plus de sujets à prostitution.
De ces femmes, les unes ont conservé le costume national, les vestes
brodées, à manches courtes, l'écharpe tombante, les vastes pantalons,
les babouches retroussées, les mousselines rayées ou lamées et tout le
clinquant du pays natal; les autres, et ce sont les plus nombreuses,
ont adopté le signe principal de la civilisation, qui, pour une femme,
est invariablement la crinoline, en gardant toutefois, dans un coin de
leur ajustement, un léger souvenir caractéristique de l'Orient, si bien
qu'elles ont l'air de Parisiennes qui auraient voulu se déguiser.

Il est malheureusement bien vrai que, sans le loisir et l'argent,
l'amour ne peut être qu'une orgie de roturier ou l'accomplissement d'un
devoir conjugal. Au lieu du caprice brûlant ou rêveur, il devient une
répugnante _utilité._
Si je parle de l'amour à propos du dandysme, c'est que l'amour est
l'occupation naturelle des oisifs. Mais le dandy ne vise pas à l'amour
comme but spécial.

L'être qui est, pour la plupart des hommes, la source des plus vives,
et même, disons-le à la honte des voluptés philosophiques, des plus
durables jouissances; l'être vers qui ou au profit de qui tendent
tous leurs efforts; cet être terrible et incommunicable comme Dieu
(avec cette différence que l'infini ne se communique pas parce qu'il
aveuglerait et écraserait le fini, tandis que l'être dont nous
parlons n'est peut-être incompréhensible que parce qu'il n'a rien à
communiquer); cet être en qui Joseph de Maistre voyait _un bel animal_
dont les grâces égayaient et rendaient plus facile le jeu sérieux de
la politique; pour qui et par qui se font et défont les fortunes; pour
qui, mais surtout _par qui_ les artistes et les poètes composent leurs
plus délicats bijoux; de qui dérivent les plaisirs les plus énervants
et les douleurs les plus fécondantes, la femme, en un mot, n'est pas
seulement pour l'artiste en général la femelle de l'homme. C'est plutôt
une divinité, un astre, qui préside à toutes les conceptions du cerveau
mâle; c'est un miroitement de toutes les grâces de la nature condensées
dans un seul être; c'est l'objet de l'admiration et de la curiosité
la plus vive que le tableau de la vie puisse offrir au contemplateur.
C'est une espèce d'idole, stupide peut-être, mais éblouissante,
enchanteresse, qui tient les destinées et les volontés suspendues à ses
regards. Ce n'est pas, dis-je, un animal dont les membres, correctement
assemblés, fournissent un parfait exemple d'harmonie; ce n'est même
pas le type de beauté pure, tel que peut le rêver le sculpteur dans
ses plus sévères méditations; non, ce ne serait pas encore suffisant
pour en expliquer le mystérieux et complexe enchantement. Nous n'avons
que faire ici de Winckelman et de Raphaël; et je suis bien sûr que M.
Constantin Guys, malgré toute l'étendue de son intelligence (cela soit
dit sans lui faire injure), négligerait un morceau de la statuaire
antique, s'il lui fallait perdre ainsi l'occasion de savourer un
portrait de Reynolds ou de Lawrence. Tout ce qui orne la femme, tout
ce qui sert à illustrer sa beauté, fait partie d'elle-même; et les
artistes qui se sont particulièrement appliqués à l'étude de cet être
énigmatique raffolent autant de tout le _mundus muliebris_ que de la
femme elle-même. La femme est sans doute une lumière, un regard, une
invitation au bonheur, une parole quelquefois; mais elle est surtout
une harmonie générale, non seulement dans son allure et le mouvement de
ses membres, mais aussi dans les mousselines, les gazes, les vastes et
chatoyantes nuées d'étoffes dont elle s'enveloppe, et qui sont comme
les attributs et le piédestal de sa divinité; dans le métal et le
minéral qui serpentent autour de ses bras et de son cou, qui ajoutent
leurs étincelles au feu de ses regards, ou qui jasent doucement à ses
oreilles. Quel poète oserait, dans la peinture du plaisir causé par
l'apparition d'une beauté, séparer la femme de son costume? Quel est
l'homme qui, dans la rue, au théâtre, au bois, n'a pas joui, de la
manière la plus désintéressée, d'une toilette savamment composée, et
n'en a pas emporté une image inséparable de la beauté de celle à qui
elle appartenait, faisant ainsi des deux, de la femme et de la robe,
une totalité indivisible? C'est ici le lieu, ce me semble, de revenir
sur certaines questions relatives à la mode et à la parure, que je n'ai
fait qu'effleurer au commencement de cette étude, et de venger l'art de
la toilette des ineptes calomnies dont l'accablent certains amants très
équivoques de la nature.
Malheur à celui qui, comme Louis XV (qui fut non le produit d'une
civilisation, mais d'une récurrence de barbarie), pousse la dépravation
jusqu'à ne plus goûter que la _simple nature._
On sait que Mme Dubarry, quand elle voulait éviter de recevoir le roi,
avait soin de mettre du rouge. C'était un signe suffisant. Elle fermait
ainsi sa porte. C'était en s'embellissant qu'elle faisait fuir ce royal
disciple de la nature.

La femme est bien dans son droit, et même elle accomplit une espèce
de devoir en s'appliquant à paraître magique et surnaturelle; il faut
qu'elle s'étonne, qu'elle charme; idole, elle doit se dorer pour
être adorée. Elle doit donc emprunter à tous les arts les moyens de
s'élever au-dessus de la nature pour mieux subjuguer les cœurs et
frapper les esprits. Il importe fort peu que la ruse et l'artifice
soient connus de tous, si le succès en est certain et l'effet toujours
irrésistible. C'est dans ces considérations que l'artiste philosophe
trouvera facilement la légitimation de toutes les pratiques employées
dans tous les temps par les femmes pour consolider et diviniser, pour
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