Correspondance de Voltaire avec le roi de Prusse - 11

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écus de draps. On a trouvé une mine de cobalt dans les montagnes, qui
fournit à toute Silésie. Nous faisons du vitriol aussi bon que
l'étranger. Un homme fort industrieux y fait de l'indigo tel que celui
des Indes; on change le fer en acier avec avantage, bien plus simplement
que de la façon que Réaumur le propose. Notre population est augmentée,
depuis 1756 (qui était l'année de la guerre), de cent quatre-vingt
mille hommes. Enfin tous les fléaux qui avaient abîmé ce pauvre pays
sont comme s'ils n'avaient jamais été; et je vous avoue que je ressens
une douce satisfaction à voir une province revenir de si loin.
Ces occupations ne m'ont point empêché de barbouiller mes idées sur le
papier; et pour épargner la peine de les transcrire, j'ai fait imprimer
six exemplaires de mes rêveries: je vous en envoie un. Je n'ai eu que le
temps de faire une esquisse; cela devrait être plus étendu; mais c'est à
de vrais savants à y mettre la dernière main. Messieurs les
encyclopédistes ne seront peut-être pas toujours de mon avis: chacun
peut avoir le sien. Toutefois si l'expérience est le plus sûr des
guides, j'ose dire que mes assertions sont uniquement fondées sur ce que
j'ai vu, et sur ce que j'ai réfléchi.
Vivez, patriarche des êtres pensants, et continuez, comme l'astre de la
lumière, à tirer l'univers. _Vale_. FÉDÉRIC.


DU ROI
À Potsdam, le 9 novembre 1777.

Monsieur Bitaubé doit se trouver fort heureux d'avoir vu le patriarche
de Ferney. Vous êtes l'aimant qui attirez à vous tous les êtres qui
pensent: chacun veut voir cet homme unique qui fait la gloire de notre
siècle. Le comte de Falkenstein a senti la même attraction; mais, dans
sa course, l'astre de Thérèse lui imprima un mouvement centrifuge qui,
de tangente en tangente, l'attira à Genève. Un traducteur d'Homère se
croit gentilhomme de la chambre de Melpomène, ou marmiton dans les
offices d'Apollon; et muni de ce caractère il se présente hardiment à la
cour de l'auteur de _La Henriade_; et celui-là sait abaisser son génie
pour se mettre au niveau de ceux qui lui rendent leurs hommages.
Bitaubé vous a dit vrai: j'ai fait construire à Berlin une bibliothèque
publique. Les œuvres de Voltaire étaient trop maussadement logées
auparavant; un laboratoire chimique qui se trouvait au rez-de-chaussée
menaçait d'incendier toute notre collection. Alexandre-le-Grand plaça
bien les œuvres d'Homère dans la cassette la plus précieuse qu'il avait
trouvée parmi les dépouilles de Darius: pour moi qui ne suis ni
Alexandre ni grand, et qui n'ai dépouillé personne, j'ai fait, selon mes
petites facultés, construire le plus bel étui possible pour y placer les
œuvres de l'Homère de nos jours.
Si, pour compléter cette bibliothèque vous vouliez bien y ajouter ce que
vous avez composé sur les lois, vous me feriez plaisir, d'autant plus
que je ne crains pas les ports. Je crois vous avoir donné, dans ma
dernière lettre, des notions générales à l'égard de nos lois, et du
nombre des punitions qui se font annuellement. Je dois cependant y
ajouter nécessairement qu'une bonne police empêche autant de crimes que
la douceur des lois. La police est ce que les moralistes appellent le
principe réprimant. Si l'on ne vole point, si l'on n'assassine point,
c'est qu'on est sûr d'être incontinent découvert et saisi. Cela retient
les scélérats timides. Ceux qui sont plus aguerris vont chercher fortune
dans l'empire où la proximité des frontières de tant de petits États
leur offre des asiles en assez grand nombre.
Vous voyez que dans l'empire on ne restitue pas même l'argent qu'on a
emprunté des philosophes. Je vous envoie ci-joint la copie de la réponse
que j'ai reçue de M. le duc de Virtemberg. Ce prince, qui tend au
sublime, veut imiter en tout les grandes puissances; et, comme la
France, l'Angleterre, la Hollande et l'Autriche sont surchargées de
dettes, il veut ranger son duché de Virtemberg dans la même catégorie;
et s'il arrive que quelqu'une de ces puissances fasse banqueroute, je ne
garantirais pas que, piqué d'honneur, il n'en fît autant. Cependant je
ne crois pas que maintenant vous ayez à craindre pour votre capital, vu
que les États de Virtemberg ont garanti les dettes de Son Altesse
Sérénissime, et qu'au demeurant il vous reste libre de vous adresser aux
parlements de Lorraine et d'Alsace. J'avais bien prévu que Son Altesse
Sérénissime serait récalcitrante sur le fait des remboursements, et je
vous assure de plus que ce soi-disant pupille n'a jamais écouté mes avis
ni suivi mes conseils.
Que ces misères ne troublent point la sérénité de vos jours: tranquille,
du palais des sages, vous pouvez contempler de cette élévation les
défauts et les faiblesses du genre humain, les égarements des uns, et
les folies des autres: heureux dans la possession de vous-même, vous
vous conserverez pour ceux qui savent vous admirer, au nombre desquels,
et en première ligne, vous compterez, comme je l'espère, le solitaire de
Sans-Souci. _Vale_. FÉDÉRIC.


DU ROI
Potsdam, le 18 novembre 1777.

....On ne trouve dans nos contrées aucun catholique lettré, si ce n'est
parmi les jésuites; nous n'avions personne capable de tenir les classes;
nous n'avions ni pères de l'oratoire ni piaristes; le reste des moines
est d'une ignorance crasse; il fallait donc conserver les jésuites ou
laisser périr toutes les écoles. Il fallait donc que l'ordre subsistât
pour fournir des professeurs à mesure qu'il venait à en manquer; et la
fondation pouvait fournir la dépense à ces frais. Elle n'aurait pas été
suffisante pour payer des professeurs laïques. De plus c'était à
l'université des jésuites que se formaient les théologiens destinés à
remplir les cures. Si l'ordre avait été supprimé, l'université ne
subsisterait plus, et l'on aurait été nécessité d'envoyer les Silésiens
étudier la théologie en Bohème, ce qui aurait été contraire aux
principes fondamentaux du gouvernement.
Toutes ces raisons valables m'ont fait le paladin de cet ordre. Et j'ai
si bien combattu pour lui que je l'ai soutenu, à quelques modifications
près, tel qu'il se trouvait à présent, sans général, sans troisième vœu,
et décoré d'un nouvel uniforme que le pape lui a conféré. Le malheur de
cet ordre a influé sur un général qui en avait été dans sa jeunesse: ce
M. de Saint-Germain avait de grands et de beaux desseins, très
avantageux à vos Welches; mais tout le monde l'a traversé, parce que les
réformes qu'il se proposait de faire auraient obligé des freluquets à
une exactitude qui leur répugnait. Il lui fallait de l'argent pour
supprimer la maison du roi; on le lui a refusé. Voilà donc quarante
mille hommes, dont la France pouvait augmenter ses forces sans payer un
sou de plus, perdus pour vos Welches afin de conserver dix mille
fainéants bien chamarrés et bien galonnés. Et vous voulez que je
n'estime pas un homme qui pense si juste? Le mépris ne peut tomber que
sur les mauvais citoyens qui l'ont contrecarré.
Souvenez-vous, je vous prie, du P. Tournemine, votre nourricier (vous
avez sucé chez lui le doux lait des Muses), et réconciliez-vous avec un
Ordre qui vous a porté, et qui, le siècle passé, a fourni à la France
des hommes du plus grand mérite. Je sais très bien qu'ils ont cabalé et
se sont mêlés d'affaires; mais c'est la faute du gouvernement. Pourquoi
l'a-t-il souffert? Je ne m'en prends pas au père Letellier, mais à Louis
XIV.
Mais tout cela m'embarrasse moins que le patriarche de Ferney: il faut
qu'il vive, qu'il soit heureux et qu'il n'oublie pas les absents. Ce
sont les vœux du solitaire de Sans-Souci. _Vale_. FÉDÉRIC.


DE M. DE VOLTAIRE
À Ferney, 6 janvier 1778.

Sire, grand homme, que vous m'instruisez, que vous me consolez, que vous
me fortifiez dans toutes mes idées au bout de ma carrière! Votre
Majesté, ou plutôt votre humanité a bien raison; le fatras métaphysique,
théologique, fanatique, est sans doute ce que nous avons de plus
méprisable, et cependant on écrira sur ces chimères absurdes tant qu'il
y aura des universités, des esprits faux, et de l'argent à gagner.
Parmi les géomètres, il n'y a guère qu'Archimède et Newton qui aient
acquis une véritable gloire, parce qu'ils ont inventé des choses très
difficiles, très inconnues et très utiles; il n'y a point de gloire pour
ceux qui ne savent que diviser A-B plus C, par X moins Z, et qui passent
leur vie à écrire ce que les autres ont imaginé.
Pour l'histoire, ce n'est, après tout qu'une gazette; la plus vraie est
remplie de faussetés; et elle ne peut avoir de mérite que celui du
style. Ce style est le fruit de la littérature: c'est donc à la
littérature qu'il faut s'en tenir. C'est ainsi que pense le grand Condé
dans sa retraite de Chantilly; c'est ainsi que pense le grand Frédéric à
Sans-Souci.....
.....Je vous ai plus d'obligation que vous ne pensez; votre pupille
vient de se laisser un peu attendrir; il m'a payé 20,000 francs sur les
80,000 que je lui avais prêtés, et peut-être avant ma mort me
payera-t-il le reste; c'est vous que j'en ai à remercier.
M. le comte de Montmorency-Laval saura bientôt assez d'allemand pour
faire tourner à droite et à gauche, et pour commander l'exercice; mais
en vous entendant parler français, il donnera la préférence à la langue
des Montmorency; sans doute les hommes de sa maison doivent aimer les
Prussiens. Il n'y a jamais eu que le cardinal Bernis qui ait imaginé
d'unir la France avec la maison d'Autriche contre la maison de
Brandebourg; il en a été bien puni. Sa politique a été aussi
malheureuse que les chimères théologiques de trente autres cardinaux
ont été ridicules.....


DE M. DE VOLTAIRE
À Paris, le 1er avril 1778.

Sire, le gentilhomme français qui rendra cette lettre à Votre Majesté,
et qui passe pour être digne de paraître devant Elle, pourra vous dire
que si je n'ai pas eu l'honneur de vous écrire depuis longtemps, c'est
que j'ai été occupé à éviter deux choses qui me poursuivaient dans
Paris: les sifflets et la mort.
Il est plaisant qu'à quatre-vingt-quatre ans j'aie échappé à deux
maladies mortelles. Voilà ce que c'est que de vous être consacré: je me
suis renommé de vous, et j'ai été sauvé.
J'ai vu avec surprise et avec une satisfaction bien douce, à la
représentation d'une tragédie nouvelle, que le public, qui regardait il
y a trente ans Constantin et Théodose comme les modèles des princes, et
même des saints, a applaudi avec des transports inouïs à des vers qui
disent que Constantin et Théodose n'ont été que des tyrans
superstitieux. J'ai vu vingt preuves pareilles du progrès que la
philosophie a fait enfin dans toutes les conditions. Je ne désespérerais
pas de faire prononcer dans un mois le panégyrique de l'empereur Julien:
et assurément si les Parisiens se souviennent qu'il a rendu chez eux la
justice comme Caton, et qu'il a combattu pour eux comme César, ils lui
doivent une éternelle reconnaissance.
Il est donc vrai, Sire, qu'à la fin les hommes s'éclairent, et que ceux
qui se croient payés pour les aveugler ne sont pas toujours les maîtres
de leur crever les yeux! Grâces en soient rendus à Votre Majesté! Vous
avez vaincu les préjugés comme vos autres ennemis: vous jouissez de vos
établissements en tout genre. Vous êtes le vainqueur de la superstition,
ainsi que le soutien de la liberté germanique.
Vivez plus longtemps que moi, pour affermir tous les empires que vous
avez fondés. Puisse Frédéric le Grand être Frédéric l'immortel!
Daignez agréer le profond respect et l'inviolable attachement de
VOLTAIRE.

FIN
Paris.--Impr. Dubuisson et Ce, 5, rue Coq-Héron, (PALLET gérant.)

NOTES:
[A] Le roi de Prusse a toujours signé _Fédéric_ qui est plus doux à
prononcer que _Frédéric_.
[B] Il s'agit d'une plume d'ambre envoyée à madame du Châtelet, et
qu'elle avait cassée.
[C] Boileau, _Art poétique_, ch. Ier.
[D] La marquise du Châtelet.
[E] On n'a point trouvé ces lettres et plusieurs autres qui manquent
également.
[F] La margrave de Bareith.
[G] Le pape Rezzonico (Clément XIII) avait envoyé une épée bénite et un
bonnet doublé d'agnus au maréchal Daun, qui avait eu la bêtise de se
prêter à cette facétie digne du treizième siècle.
[H] Élie de Beaumont.
[I] _Immortali_. Ce buste est conservé par madame la marquise de
Villette.
[J] Le maréchal de Saxe.
[K] M. le comte de Mui.
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