Correspondance de Voltaire avec le roi de Prusse - 08
Total number of words is 4676
Total number of unique words is 1577
35.7 of words are in the 2000 most common words
48.6 of words are in the 5000 most common words
54.7 of words are in the 8000 most common words
Moustapha. Je voudrais que vous vous amusassiez à battre Moustapha
aussi, et que vous partageassiez avec elle; mais je ne suis chargé que
de proposer un tableau à Votre Majesté, et nullement la guerre contre le
Turc. M. Hénin, résident de France à Genève, a le tableau des trois
Grâces, de Vanloo, haut de six pieds, avec des bordures. Il le veut
vendre 11,000 livres: voilà tout ce que j'en sais. Il était destiné pour
le feu roi de Pologne. S'il convient à votre nouveau palais, vous n'avez
qu'à ordonner qu'on vous l'envoie, et voilà ma commission faite.
Comme j'ai presque perdu la vue au milieu des neiges du mont Jura, ce
n'est pas à moi à parler de tableaux. Je ne puis guère non plus parler
de vers dans l'état où je suis; car si Votre Majesté a eu la goutte,
votre vieux serviteur se meurt de la poitrine. Nous avons l'hiver pour
printemps dans nos Alpes. Je ne sais si la nature traite mieux les
sables de Berlin, mais je me souviens que le temps était toujours beau
auprès de Votre Majesté. Je la supplie de me conserver ses bontés, et de
n'avoir plus de goutte. Je suis plus près du paradis qu'elle; car elle
n'est que protectrice des jésuites, et moi je suis réellement capucin;
j'en ai la patente avec le portrait de saint François, tiré sur
l'original.
Je me mets à vos pieds malgré mes honneurs divins.
Frère _François Voltaire_.
DU ROI
À Charlottembourg, le 24 mai 1770.
Je vous crois très capucin, puisque vous le voulez, et même sûr de votre
canonisation parmi les saints de l'Église. Je n'en connais aucun qui
vous soit comparable, et je commence par dire: _Sancte Voltarie, ora pro
nobis_.
Cependant le saint-père vous a fait brûler à Rome. Ne pensez pas que
vous soyez le seul qui ayez joui de cette faveur: l'_Abrégé_ de Fleury a
eu un sort tout semblable. Il y a je ne sais quelle affinité entre nous
qui me frappe. Je suis le protecteur des jésuites; vous, des capucins;
vos ouvrages sont brûlés à Rome; les miens aussi. Mais vous êtes saint,
et je vous cède la préférence.
Comment, monsieur le saint, vous vous étonnez qu'il y ait une guerre en
Europe dont je ne sois pas! cela n'est pas trop canonique. Sachez donc
que les philosophes, par leurs déclamations perpétuelles contre ce
qu'ils appellent brigands mercenaires, m'ont rendu pacifique.
L'impératrice de Russie peut guerroyer à son aise: elle a obtenu de
Diderot, à beaux deniers comptants, une dispense pour faire battre les
Russes contre les Turcs. Pour moi, qui crains les censeurs philosophes,
l'excommunication encyclopédique, et de commettre un crime de
lèse-philosophie, je me tiens en repos. Et comme aucun livre n'a paru
encore contre les subsides, j'ai cru qu'il m'était permis, selon les
lois civiles et naturelles, d'en payer à mon allié auquel je les dois;
et je suis en règle vis-à-vis de ces précepteurs du genre humain qui
s'arrogent le droit de fesser les princes, rois et empereurs qui
désobéissent à leurs règles.....
DE M. DE VOLTAIRE
8 juin 1770.
Quand un cordelier incendie
Les ouvrages d'un capucin,
On sent bien que c'est jalousie,
Et l'effet de l'esprit malin.
Mais lorsque d'un grand souverain
Les beaux écrits il associe
Aux farces de saint Cucufin,
C'est une énorme étourderie.
Le saint-père est un pauvre saint;
C'est un sot moine qui s'oublie;
Au hasard il excommunie.
Qui trop embrasse mal étreint.
Voilà Votre Majesté bien payée de s'être vouée à saint Ignace; passe
pour moi chétif, qui n'appartiens qu'à saint François.
Le malheur, sire, c'est qu'il n'y a rien à gagner à punir frère
Ganganelli: plût à Dieu qu'il eût quelque bon domaine dans votre
voisinage, et que vous ne fussiez pas si loin de Notre-Dame de Lorette!
Il est beau de savoir railler
Ces arlequins faiseurs de bulles;
J'aime à les rendre ridicules;
J'aimerais mieux les dépouiller.
Que ne vous chargez-vous du vicaire de Simon Barjone, tandis que
l'impératrice de Russie époussette le vicaire de Mahomet? Vous auriez à
vous deux purgé la terre de deux étranges sottises. J'avais autrefois
conçu ces grandes espérances de vous; mais vous vous êtes contenté de
vous moquer de Rome et de moi, d'aller droit au solide, et d'être un
héros très avisé.....
DU ROI
À Postdam, le 16 septembre 1770.
Je n'ai point été fâché que les sentiments que j'annonce au sujet de
votre statue, dans une lettre écrite à M. d'Alembert, aient été
divulgués. Ce sont des vérités dont j'ai toujours été intimement
convaincu, et que Maupertuis ni personne n'ont effacées de mon esprit.
Il était très juste que vous jouissiez vivant de la reconnaissance
publique, et que je me trouvasse avoir quelque part à cette
démonstration de vos contemporains, en ayant eu tant au plaisir que leur
ont fait vos ouvrages.
Les bagatelles que j'écris ne sont pas de ce genre: elles sont un
amusement pour moi. Je m'instruis moi-même en pensant à des matières de
philosophie, sur lesquelles je griffonne quelquefois trop hardiment mes
pensées. Cet ouvrage sur le _Système de la nature_ est trop hardi pour
les lecteurs actuels auxquels il pourrait tomber entre les mains. Je ne
veux scandaliser personne: je n'ai parlé qu'à moi-même en l'écrivant.
Mais dès qu'il s'agit de s'énoncer en public, ma maxime constante est de
ménager la délicatesse des oreilles superstitieuses, de ne choquer
personne et d'attendre que le siècle soit assez éclairé pour qu'on
puisse impunément penser tout haut.....
....Mon occupation principale est de combattre l'ignorance et les
préjugés dans les pays que le hasard de la naissance me fait gouverner,
d'éclairer les esprits, de cultiver les mœurs et de rendre les hommes
aussi heureux que le comporte la nature humaine et que le permettent
les moyens que je puis employer.....
.....Ce que je sais certainement, c'est que j'aurai une copie de ce
buste auquel Pigalle travaille: ne pouvant posséder l'original, j'en
aurai au moins la copie. C'est se contenter de peu lorsqu'on se souvient
qu'autrefois on a possédé ce divin génie même. La jeunesse est l'âge des
bonnes aventures; quand on devient vieux et décrépit, il faut renoncer
aux beaux esprits comme aux maîtresses.
Conservez-vous toujours pour éclairer encore, dans vos vieux jours, la
fin de ce siècle qui se glorifie de vous posséder, et qui sait connaître
le prix de ce trésor. FÉDÉRIC.
DU ROI
À Postdam, le 16 septembre 1770.
Il faut convenir que nous autres citoyens du nord de l'Allemagne, nous
n'avons point d'imagination. Le P. Bouhours l'assure; il faut l'en
croire sur sa parole. À vous autres voyants de Paris, votre imagination
vous fait trouver des liaisons où nous n'aurions pas supposé les
moindres rapports. En vérité le prophète, quel qu'il soit, qui me fait
l'honneur de s'amuser sur mon compte, me traite avec distinction. Ce
n'est pas pour tous les êtres que les gens de cette espèce exaltent leur
âme. Je me croirai un homme important; et il ne faudra qu'une comète ou
quelque éclipse qui m'honore de son attention, pour achever de me
tourner la tête.
Mais tout cela n'était pas nécessaire pour rendre justice à Voltaire;
une âme sensible et un cœur reconnaissant suffiraient. Il est bien juste
que le public lui paye le plaisir qu'il en a reçu. Aucun auteur n'a
jamais eu un goût aussi perfectionné que ce grand homme. La profane
Grèce en aurait fait un dieu: on lui aurait élevé un temple. Nous ne lui
érigeons qu'une statue: faible dédommagement de toutes les persécutions
que l'envie lui a suscitées, mais récompense capable d'échauffer la
jeunesse et de l'encourager à s'élever dans la carrière que ce grand
génie a parcourue, et où d'autres génies peuvent trouver encore à
glaner. J'ai aimé dès mon enfance les arts, les lettres et les sciences;
et lorsque je puis contribuer à leurs progrès, je m'y porte avec toute
l'ardeur dont je suis capable, parce que dans ce monde il n'y a point de
vrai bonheur sans elles. Vous autres qui vous trouvez à Paris dans le
vestibule de leur temple, vous qui en êtes les desservants, vous pouvez
jouir de ce bonheur inaltérable, pourvu que vous empêchiez l'envie et la
cabale d'en approcher.....
DU ROI Postdam, le 30 octobre 1770.
Une mitte qui végète dans le nord de l'Allemagne est un mince sujet
d'entretien pour des philosophes qui discutent des mondes divers
flottant dans l'espace de l'infini, du principe et du mouvement de la
vie, du temps et de l'éternité de l'esprit et de la matière, des choses
possibles et de celles qui ne sont pas. J'appréhende fort que cette
mitte n'ait distrait ces deux grands philosophes d'objets plus
importants et plus dignes de les occuper. Les empereurs ainsi que les
rois disparaissent dans l'immense tableau que la nature offre aux yeux
des spéculateurs. Vous qui réunissez tous les genres, vous descendez
quelquefois de l'empirée; tantôt Anaxagore, tantôt Triptolème, vous
quittez le Portique pour l'agriculture, et vous offrez sur vos terres un
asile aux malheureux. Je préférerais bien la colonie de Ferney dont
Voltaire est le législateur, à celle des quakers de Philadelphie,
auxquels Locke donna des lois.
Nous avons ici des fugitifs d'une autre espèce; ce sont des Polonais
qui, redoutant les déprédations, le pillage et les cruautés de leurs
compatriotes, ont cherché un asile sur mes terres. Il y a plus de cent
vingt familles nobles qui se sont expatriées pour attendre des temps
plus tranquilles et qui leur permettent le retour chez eux. Je
m'aperçois de plus en plus que les hommes se ressemblent d'un bout de
notre globe à l'autre, qu'ils se persécutent et se troublent
mutuellement, autant qu'il est en eux: leur félicité, leur unique
ressource, est en quelques bonnes âmes qui les recueillent et les
consolent de leurs adversités.....
DU ROI
À Berlin, le 29 janvier 1771.
J'ai reçu en même temps ces _Questions encyclopédiques_, qu'on pourrait
appeler à plus juste titre, _Instructions encyclopédiques_. Cet ouvrage
est plein de choses. Quelle variété! que de connaissances, de
profondeur! et quel art pour traiter tant de sujets avec le même
agrément! Si je me servais du style précieux, je pourrais dire qu'entre
vos mains tout se convertit en or.
Je vous dois encore des remerciements au nom des militaires pour le
détail que vous donnez des évolutions d'un bataillon. Quoique je vous
connusse grand littérateur, grand philosophe, grand poète, je ne savais
pas que vous joignissiez à tant de talents les connaissances d'un grand
capitaine. Les règles que vous donnez de la tactique sont une marque
certaine que vous jugez cette fièvre intermittente des rois, la guerre,
moins dangereuse que de certains auteurs ne la représentent.
Mais quelle circonspection édifiante dans les articles qui regardent la
foi! Vos protégés les _Pediculosi_ en auront été ravis; la Sorbonne vous
agrégera à son corps, le Très Chrétien (s'il lit) bénira le ciel d'avoir
un gentilhomme de la chambre aussi orthodoxe; et l'évêque d'Orléans vous
assignera une place auprès d'Abraham, d'Isaac et de Jacob. À coup sûr
vos reliques feront des miracles, et l'_inf_.... célébrera son triomphe.
Où donc est l'esprit philosophique du dix-huitième siècle, si les
philosophes, par ménagement pour leurs lecteurs, osent à peine leur
laisser entrevoir la vérité? Il faut avouer que l'auteur du _Système de
la nature_ a trop impudemment cassé les vitres. Ce livre a fait beaucoup
de mal: il a rendu la philosophie odieuse par de certaines conséquences
qu'il tire de ses principes. Et peut-être à présent faut-il de la
douceur et du ménagement pour réconcilier avec la philosophie les
esprits que cet auteur avait effarouchés et révoltés.
Il est certain qu'à Pétersbourg on se scandalise moins qu'à Paris, et
que la vérité n'est point rejetée du trône de votre souveraine, comme
elle l'est chez le vulgaire de nos princes. Mon frère Henri se trouve
actuellement à la cour de cette princesse. Il ne cesse d'admirer les
grands établissements qu'elle a faits, et les soins qu'elle se donne de
décrasser, d'élever et d'éclairer ses sujets.
Je ne sais ce que vos ingénieurs sans génie ont fait aux Dardanelles:
ils sont peut-être cause de l'exil de Choiseul. À l'exception du
cardinal de Fleury, Choiseul a tenu plus longtemps qu'aucun autre
ministre de Louis XV. Lorsqu'il était ambassadeur à Rome, Benoît XIV le
définissait un fou qui avait bien de l'esprit. On dit que les parlements
et la noblesse le regrettent et le comparent à Richelieu: en revanche,
ses ennemis disent que c'était un boute-feu qui aurait embrasé l'Europe.
Pour moi, je laisse raisonner tout le monde. Choiseul n'a pu me faire ni
bien ni mal; je ne l'ai point connu; et je me repose sur les grandes
lumières de votre monarque pour le choix et le renvoi de ses ministres
et de ses maîtresses. Je ne me mêle que de mes affaires et du carnaval
qui dure encore.
Nous avons un bon Opéra; et, à l'exception d'une seule actrice, mauvaise
comédie. Vos histrions welches se vouent tous à l'opéra-comique; et des
platitudes mises en musique sont chantées par des voix qui hurlent et
détonnent à donner des convulsions aux assistants. Durant les beaux
jours du siècle de Louis XIV, ce spectacle n'aurait pas fait fortune. Il
passe pour bon dans ce siècle de petitesses, où le génie est aussi rare
que le bon sens, où la médiocrité en tout genre annonce le mauvais goût
qui probablement replongera l'Europe dans une espèce de barbarie dont
une foule de grands hommes l'avaient tirée.
Tant que nous conserverons Voltaire, il n'y aura rien à craindre; lui
seul est l'Atlas qui soutient par ses forces cet édifice ruineux. Son
tombeau sera celui du bon goût et des lettres. Vivez donc, vivez, et
rajeunissez, s'il est possible: ce sont les vœux de toutes les personnes
qui s'intéressent à la belle littérature, et principalement les miens.
FÉDÉRIC.
DE M. DE VOLTAIRE
À Ferney, 15 février 1771.
Sire, tandis que vos bontés me donnent les louanges qui me sont si
légitimement dues sur mon orthodoxie et sur mon tendre amour pour la
religion catholique, apostolique et romaine, j'ai bien peur que mon zèle
ardent ne soit pas approuvé par les principaux membres de notre
sanhédrin infaillible. Ils prétendent que je me mets à genoux devant eux
pour leur donner des croquignoles, et que je les rends ridicules avec
tout le respect possible. J'ai beau leur citer la belle préface d'un
grand homme, qui est au devant d'une histoire de l'Église très
édifiante, ils ne reçoivent point mon excuse; ils disent que ce qui est
très bon dans le vainqueur de Rosbach et de Lissa, n'est pas tolérable
dans un pauvre diable qui n'a qu'une chaumière entre un lac et une
montagne, et que, quand je serais sur la montagne du Thabor en habits
blancs, je ne viendrais pas à bout de leur ôter la pourpre dont ils
sont revêtus. Nous connaissons, disent-ils, vos mauvais sentiments et
vos mauvaises plaisanteries. Vous ne vous êtes pas contenté de servir un
hérétique, vous vous êtes attaché depuis peu à un schismatique, et si on
vous en croyait, le pouvoir du pape et celui du grand-turc seraient
bientôt resserrés dans des bornes fort étroites.
Vous ne croyez point aux miracles, mais sachez que nous en faisons. C'en
est déjà un fort grand que nous ayons engagé votre héros hérétique à
protéger les jésuites.
C'en est un plus grand encore, que notre nonce en Pologne ait déterminé
les Mahométans à faire la guerre à l'empire chrétien de Russie; ce
nonce, en cas de besoin, aurait béni l'étendard du grand prophète
Mahomet. Si les Turcs ont toujours été battus, ce n'est pas notre faute,
nous avons toujours prié Dieu pour eux.
On nous rendra peut-être bientôt Avignon, malgré tous vos quolibets;
nous rentrerons dans Bénévent, et nous aurons toujours un temporel très
royal pour ressembler à Jésus-Christ notre Sauveur, qui n'avait pas où
reposer sa tête. Tâchez de régler là vôtre qui radote, et recevez notre
malédiction sous l'anneau du pêcheur.
Voilà, Sire, comme on me traite, et je n'ai pas un mot à répliquer. Si
je suis excommunié, j'en appellerai à mon héros, à Julien, à Marc-Aurèle
ses devanciers, et j'espère que leurs aigles ou romaines ou prussiennes
(c'est la même chose) me couvriront de leurs ailes. Je me mets sous leur
protection dans ce monde, en attendant que je sois damné dans l'autre.
J'ai envoyé un petit paquet à monseigneur le prince royal, je ne sais
s'il l'a reçu.
Je me mets aux pieds de mon héros avec autant de respect que
d'attachement. _Le vieux malade du mont Jura_.
DE M. DE VOLTAIRE
À Ferney, 1er mars 1771.
Sire, il n'est pas juste que je vous cite comme un de nos grands auteurs
sans vous soumettre l'ouvrage dans lequel je prends cette liberté:
j'envoie donc à Votre Majesté l'Épître contre Moustapha. Je suis
toujours acharné contre Moustapha et Fréron. L'un étant un infidèle, je
suis sûr de faire mon salut en lui disant des injures; et l'autre étant
un sot et un très mauvais écrivain, il est de plein droit un de mes
justiciables.
Il n'y a rien à mon gré de si étonnant, depuis les aventures de Rosbach
et de Lissa, que de voir mon impératrice envoyer du fond du Nord quatre
flottes aux Dardanelles. Si Annibal avait entendu parler d'une pareille
entreprise, il aurait compté son voyage des Alpes pour bien peu de
chose.
Je haïrai toujours les Turcs oppresseurs de la Grèce, quoiqu'ils m'aient
demandé depuis peu des montres de ma colonie. Quels plats barbares! Il y
a soixante ans qu'on leur envoie des montres de Genève, et ils n'ont pas
su encore en faire: ils ne savent pas même les régler.
Je suis toujours très fâché que Votre Majesté et l'empereur des
Vénitiens ne se soient pas entendus avec mon impératrice pour chasser
ces vilains Turcs de l'Europe: c'eût été la besogne d'une seule
campagne; vous auriez partagé chacun également. C'est un axiome de
géométrie qu'ajoutant choses égales à choses égales, les touts sont
égaux; ainsi vous seriez demeurés précisément dans la situation où vous
êtes.
Je persiste toujours à croire que cette guerre était bien plus
raisonnable que celle de 1756, qui n'avait pas le sens commun; mais je
laisse là ma politique qui n'en a pas davantage, pour dire à Votre
Majesté que j'espère faire ma cour après Pâques, dans mon ermitage, aux
princes de Suède vos neveux, dont tout Paris est enchanté. On parle
beaucoup plus d'eux que du Parlement. Deux princes aimables font
toujours plus d'effet que cent quatre-vingts pédants en robe.
On m'a dit que d'Argens est mort: j'en suis très fâché; c'était un impie
très utile à la bonne cause, malgré tout son bavardage.
À propos de la bonne cause, je me mets toujours à vos pieds et sous
votre protection. On me reprochera peut-être de n'être pas plus attaché
à Ganganelli qu'à Moustapha; je répondrai que je le suis à Frédéric le
Grand et à Catherine la Surprenante.
Daignez, Sire, me conserver vos bontés pour le temps qui me reste encore
à faire de mauvais vers en ce monde. _Le vieux ermite des Alpes_.
DU ROI
À Sans-Souci, le 18 novembre 1771.
.....Je vous ai mille obligations des sixième et septième tomes de votre
_Encyclopédie_, que j'ai reçus. Si le style de Voiture était encore à la
mode, je vous dirais que le père des Muses est l'auteur de cet ouvrage;
et que l'approbation est signée du dieu du Goût. J'ai été fort surpris
d'y trouver mon nom, que par charité vous y avez mis. J'y ai trouvé
quelques paraboles moins obscures que celles de l'Évangile, et je me
suis applaudi de les avoir expliquées. Cet ouvrage est admirable, et je
vous exhorte à le continuer. Si c'était un discours académique,
assujetti à la révision de la Sorbonne, je serais peut-être d'un autre
avis.
Travaillez toujours; envoyez vos ouvrages en Angleterre, en Hollande, en
Allemagne et en Russie: je vous réponds qu'on les y dévorera. Quelque
précaution qu'on prenne, ils entreront en France; et vos Welches auront
honte de ne pas approuver ce qui est admiré partout ailleurs.
J'avais un très violent accès de goutte quand vos livres sont arrivés,
les pieds et les bras garrottés, enchaînés et perclus: ces livres m'ont
été d'une grande ressource. En les lisant, j'ai béni mille fois le ciel
de vous avoir mis au monde.
Pour vous rendre compte du reste de mes occupations, vous saurez qu'à
peine eus-je recouvré l'articulation de la main droite, que je m'avisai
de barbouiller du papier; non pour éclairer l'Europe, non pour instruire
le public et l'Europe qui a les yeux très ouverts, mais pour m'amuser.
Ce ne sont pas les victoires de Catherine que j'ai chantées, mais les
folies des confédérés. Le badinage convient mieux à un convalescent que
l'austérité du style majestueux. Vous en verrez un échantillon. Il y a
six chants. Tout est fini; car une maladie de cinq semaines m'a donné le
temps de rimer et de corriger tout à mon aise. C'est vous ennuyer assez
que deux chants de lecture que je vous prépare.....
DE M. DE VOLTAIRE.
À Ferney, le 6 décembre 1771.
Sire, je n'ai jamais si bien compris qu'on peut pleurer et rire dans le
même jour. J'étais tout plein et tout attendri de l'horrible attentat
commis contre le roi de Pologne, qui m'honore de quelque bonté. Ces
mots, qui dureront à jamais, _vous êtes pourtant mon roi, mais j'ai fait
serment de vous tuer_, m'arrachaient des larmes d'horreur, lorsque j'ai
reçu votre lettre et votre très philosophique poème, qui dit si
plaisamment les choses du monde les plus vraies. Je me suis mis à rire
malgré moi, malgré mon effroi et ma consternation. Que vous peignez bien
le diable et les prêtres, et surtout cet évêque, premier auteur de tout
le mal!
Je vois bien que quand vous fîtes ces deux premiers chants, le crime
infâme des confédérés n'avait point encore été commis. Vous serez forcé
d'être aussi tragique dans le dernier chant que vous avez été gai dans
les autres que Votre Majesté a bien voulu m'envoyer. Malheur est bon à
quelque chose, puisque la goutte vous a fait composer un ouvrage si
agréable. Depuis Scarron, on ne faisait point de vers si plaisants au
milieu des souffrances. Le roi de la Chine ne sera jamais si drôle que
Votre Majesté, et je défie Moustapha d'en approcher.
N'ayez plus la goutte, mais faites souvent des vers à Sans-Souci dans ce
goût-là. Plus vous serez gai, plus longtemps vous vivrez: c'est ce que
je souhaite passionnément pour vous, pour mon héroïne, et pour moi
chétif.
Je pense que l'assassinat du roi de Pologne lui fera beaucoup de bien.
Il est impossible que les confédérés, devenus en horreur au genre
humain, persistent dans une faction si criminelle. Je ne sais si je me
trompe, mais il me semble que la paix de la Pologne peut naître de cette
exécrable aventure.
Je suis fâché de vous dire que voilà cinq têtes couronnées assassinées
en peu de temps dans notre siècle philosophique. Heureusement, parmi
tous ces assassins, il se trouve des Malagrida, et pas un philosophe. On
dit que nous sommes des séditieux; que sera donc l'évêque de Kiovie? On
dit que les conjurés avaient fait serment sur une image de la sainte
Vierge, après avoir communié. J'ose supplier instamment Votre Majesté,
si ingénieuse et si diabolique, de daigner m'envoyer quelques détails
bien vrais de cet étrange événement, qui devrait bien ouvrir les yeux à
une partie de l'Europe. Je prends la liberté de recommander à vos bontés
l'abbaye d'Oliva.
Je me mets à vos pieds (pourvu qu'ils n'aient plus la goutte) avec le
plus profond respect et le plus grand ébahissement de tout ce que je
viens de lire.
DU ROI
À Berlin, le 12 janvier 1772.
Je conviens que je me suis imposé l'obligation de vous instruire sur le
sujet des Confédérés que j'ai chantés, comme vous avez été obligé
d'exposer les anecdotes de la Ligue, afin de répandre tous les
éclaircissements nécessaires sur _la Henriade_.
Vous saurez donc que mes Confédérés, moins braves que vos Ligueurs, mais
aussi fanatiques, n'ont pas voulu leur céder en forfaits. L'horrible
attentat entrepris et manqué contre le roi de Pologne s'est passé, à la
communion près, de la manière qu'il est détaillé dans les gazettes. Il
est vrai que le misérable qui a voulu assassiner le roi de Pologne en
avait prêté le serment à Pulawski, maréchal de confédération, devant le
maître-autel de la Vierge à Czenstokova. Je vous envoie des papiers
publics, qui peut-être ne se répandent pas en Suisse, où vous trouverez
cette scène tragique détaillée avec les circonstances exactement
conformes à ce que mon ministre à Varsovie en a marqué dans sa relation.
Il est vrai que mon poème (si vous voulez l'appeler ainsi) était achevé
lorsque cet attentat se commit; je ne le jugeai pas propre à entrer dans
un ouvrage où règne d'un bout à l'autre un ton de plaisanterie et de
gaieté. Cependant je n'ai pas voulu non plus passer cette horreur sous
silence, et j'en ai dit deux mots en passant, au commencement du
cinquième chant; de sorte que cet ouvrage badin, fait uniquement pour
m'amuser, n'a pas été défiguré par un morceau tragique qui aurait juré
avec le reste.
Il semble que pour détourner mes yeux des sottises polonaises et de la
scène atroce de Varsovie, ma sœur la reine de Suède ait pris ce temps
pour venir revoir ses parents, après une absence de vingt-huit années.
Son arrivée a ranimé toute la famille; je m'en suis cru de dix ans plus
jeune. Je fais mes efforts pour dissiper les regrets qu'elle donne à la
perte d'un époux tendrement aimé, en lui procurant toutes les sortes
d'amusements dans lesquels les arts et les sciences peuvent avoir la
plus grande part. Nous avons beaucoup parlé de vous. Ma sœur trouvait
que vous manquiez à Berlin: je lui ai répondu qu'il y avait treize ans
que je m'en apercevais. Cela n'a pas empêché que nous n'ayons fait des
vœux pour votre conservation; et nous avons conclu, quoique nous ne vous
possédions pas, que vous n'en étiez pas moins nécessaire à l'Europe.
Laissez donc à la Fortune, à l'Amour, à Plutus, leur bandeau: ce serait
une contradiction que celui qui éclaira si longtemps l'Europe fût
aveugle lui-même. Voilà peut-être un mauvais jeu de mots; j'en fais
amende honorable au dieu du Goût qui siège à Ferney; je le prie de
m'inspirer, et d'être assuré qu'en fait de belles lettres, je crois ses
décisions plus infaillibles que celles de Ganganelli pour les articles
de foi. _Vale_. FÉDÉRIC.
DE M. DE VOLTAIRE
À Ferney, 1er février 1772.
Sire, mon cœur, quoique bien vieux, est tout aussi sensible à vos bontés
que s'il était jeune. Vos troisième et quatrième chants m'ont presque
guéri d'une maladie assez sérieuse; vos vers ne le sont pas. Je m'étonne
toujours que vous ayez pu faire quelque chose d'aussi gai sur un sujet
si triste. Ce que Votre Majesté dit des Confédérés dans sa lettre
inspire l'indignation contre eux autant que vos vers inspirent de
gaieté. Je me flatte que tout ceci finira heureusement pour le roi de
Pologne et pour Votre Majesté. Quand vous n'auriez que six villes pour
vos six chants, vous n'auriez pas perdu votre papier et votre encre.
La reine de Suède ne gagnera rien aux dissensions polonaises, mais elle
augmentera le bonheur de son frère et le sien. Permettez que je la
remercie des bontés dont vous m'apprenez qu'elle daigne m'honorer, et
que je mette mes respects pour elle dans votre paquet.....
DE M. DE VOLTAIRE
À Ferney, le 4 septembre 1772.
Sire, si votre vieux baron a bien dansé à l'âge de quatre-vingt-six ans,
je me flatte que vous danserez mieux que lui à cent ans révolus. Il est
juste que vous dansiez longtemps au son de votre flûte et de votre lyre,
après avoir fait danser tant de monde, soit en cadence, soit hors de
cadence, au son de vos trompettes. Il est vrai que ce n'est pas la
coutume des gens de votre espèce de vivre longtemps. Charles XII, qui
aurait été un excellent capitaine dans un de vos régiments;
aussi, et que vous partageassiez avec elle; mais je ne suis chargé que
de proposer un tableau à Votre Majesté, et nullement la guerre contre le
Turc. M. Hénin, résident de France à Genève, a le tableau des trois
Grâces, de Vanloo, haut de six pieds, avec des bordures. Il le veut
vendre 11,000 livres: voilà tout ce que j'en sais. Il était destiné pour
le feu roi de Pologne. S'il convient à votre nouveau palais, vous n'avez
qu'à ordonner qu'on vous l'envoie, et voilà ma commission faite.
Comme j'ai presque perdu la vue au milieu des neiges du mont Jura, ce
n'est pas à moi à parler de tableaux. Je ne puis guère non plus parler
de vers dans l'état où je suis; car si Votre Majesté a eu la goutte,
votre vieux serviteur se meurt de la poitrine. Nous avons l'hiver pour
printemps dans nos Alpes. Je ne sais si la nature traite mieux les
sables de Berlin, mais je me souviens que le temps était toujours beau
auprès de Votre Majesté. Je la supplie de me conserver ses bontés, et de
n'avoir plus de goutte. Je suis plus près du paradis qu'elle; car elle
n'est que protectrice des jésuites, et moi je suis réellement capucin;
j'en ai la patente avec le portrait de saint François, tiré sur
l'original.
Je me mets à vos pieds malgré mes honneurs divins.
Frère _François Voltaire_.
DU ROI
À Charlottembourg, le 24 mai 1770.
Je vous crois très capucin, puisque vous le voulez, et même sûr de votre
canonisation parmi les saints de l'Église. Je n'en connais aucun qui
vous soit comparable, et je commence par dire: _Sancte Voltarie, ora pro
nobis_.
Cependant le saint-père vous a fait brûler à Rome. Ne pensez pas que
vous soyez le seul qui ayez joui de cette faveur: l'_Abrégé_ de Fleury a
eu un sort tout semblable. Il y a je ne sais quelle affinité entre nous
qui me frappe. Je suis le protecteur des jésuites; vous, des capucins;
vos ouvrages sont brûlés à Rome; les miens aussi. Mais vous êtes saint,
et je vous cède la préférence.
Comment, monsieur le saint, vous vous étonnez qu'il y ait une guerre en
Europe dont je ne sois pas! cela n'est pas trop canonique. Sachez donc
que les philosophes, par leurs déclamations perpétuelles contre ce
qu'ils appellent brigands mercenaires, m'ont rendu pacifique.
L'impératrice de Russie peut guerroyer à son aise: elle a obtenu de
Diderot, à beaux deniers comptants, une dispense pour faire battre les
Russes contre les Turcs. Pour moi, qui crains les censeurs philosophes,
l'excommunication encyclopédique, et de commettre un crime de
lèse-philosophie, je me tiens en repos. Et comme aucun livre n'a paru
encore contre les subsides, j'ai cru qu'il m'était permis, selon les
lois civiles et naturelles, d'en payer à mon allié auquel je les dois;
et je suis en règle vis-à-vis de ces précepteurs du genre humain qui
s'arrogent le droit de fesser les princes, rois et empereurs qui
désobéissent à leurs règles.....
DE M. DE VOLTAIRE
8 juin 1770.
Quand un cordelier incendie
Les ouvrages d'un capucin,
On sent bien que c'est jalousie,
Et l'effet de l'esprit malin.
Mais lorsque d'un grand souverain
Les beaux écrits il associe
Aux farces de saint Cucufin,
C'est une énorme étourderie.
Le saint-père est un pauvre saint;
C'est un sot moine qui s'oublie;
Au hasard il excommunie.
Qui trop embrasse mal étreint.
Voilà Votre Majesté bien payée de s'être vouée à saint Ignace; passe
pour moi chétif, qui n'appartiens qu'à saint François.
Le malheur, sire, c'est qu'il n'y a rien à gagner à punir frère
Ganganelli: plût à Dieu qu'il eût quelque bon domaine dans votre
voisinage, et que vous ne fussiez pas si loin de Notre-Dame de Lorette!
Il est beau de savoir railler
Ces arlequins faiseurs de bulles;
J'aime à les rendre ridicules;
J'aimerais mieux les dépouiller.
Que ne vous chargez-vous du vicaire de Simon Barjone, tandis que
l'impératrice de Russie époussette le vicaire de Mahomet? Vous auriez à
vous deux purgé la terre de deux étranges sottises. J'avais autrefois
conçu ces grandes espérances de vous; mais vous vous êtes contenté de
vous moquer de Rome et de moi, d'aller droit au solide, et d'être un
héros très avisé.....
DU ROI
À Postdam, le 16 septembre 1770.
Je n'ai point été fâché que les sentiments que j'annonce au sujet de
votre statue, dans une lettre écrite à M. d'Alembert, aient été
divulgués. Ce sont des vérités dont j'ai toujours été intimement
convaincu, et que Maupertuis ni personne n'ont effacées de mon esprit.
Il était très juste que vous jouissiez vivant de la reconnaissance
publique, et que je me trouvasse avoir quelque part à cette
démonstration de vos contemporains, en ayant eu tant au plaisir que leur
ont fait vos ouvrages.
Les bagatelles que j'écris ne sont pas de ce genre: elles sont un
amusement pour moi. Je m'instruis moi-même en pensant à des matières de
philosophie, sur lesquelles je griffonne quelquefois trop hardiment mes
pensées. Cet ouvrage sur le _Système de la nature_ est trop hardi pour
les lecteurs actuels auxquels il pourrait tomber entre les mains. Je ne
veux scandaliser personne: je n'ai parlé qu'à moi-même en l'écrivant.
Mais dès qu'il s'agit de s'énoncer en public, ma maxime constante est de
ménager la délicatesse des oreilles superstitieuses, de ne choquer
personne et d'attendre que le siècle soit assez éclairé pour qu'on
puisse impunément penser tout haut.....
....Mon occupation principale est de combattre l'ignorance et les
préjugés dans les pays que le hasard de la naissance me fait gouverner,
d'éclairer les esprits, de cultiver les mœurs et de rendre les hommes
aussi heureux que le comporte la nature humaine et que le permettent
les moyens que je puis employer.....
.....Ce que je sais certainement, c'est que j'aurai une copie de ce
buste auquel Pigalle travaille: ne pouvant posséder l'original, j'en
aurai au moins la copie. C'est se contenter de peu lorsqu'on se souvient
qu'autrefois on a possédé ce divin génie même. La jeunesse est l'âge des
bonnes aventures; quand on devient vieux et décrépit, il faut renoncer
aux beaux esprits comme aux maîtresses.
Conservez-vous toujours pour éclairer encore, dans vos vieux jours, la
fin de ce siècle qui se glorifie de vous posséder, et qui sait connaître
le prix de ce trésor. FÉDÉRIC.
DU ROI
À Postdam, le 16 septembre 1770.
Il faut convenir que nous autres citoyens du nord de l'Allemagne, nous
n'avons point d'imagination. Le P. Bouhours l'assure; il faut l'en
croire sur sa parole. À vous autres voyants de Paris, votre imagination
vous fait trouver des liaisons où nous n'aurions pas supposé les
moindres rapports. En vérité le prophète, quel qu'il soit, qui me fait
l'honneur de s'amuser sur mon compte, me traite avec distinction. Ce
n'est pas pour tous les êtres que les gens de cette espèce exaltent leur
âme. Je me croirai un homme important; et il ne faudra qu'une comète ou
quelque éclipse qui m'honore de son attention, pour achever de me
tourner la tête.
Mais tout cela n'était pas nécessaire pour rendre justice à Voltaire;
une âme sensible et un cœur reconnaissant suffiraient. Il est bien juste
que le public lui paye le plaisir qu'il en a reçu. Aucun auteur n'a
jamais eu un goût aussi perfectionné que ce grand homme. La profane
Grèce en aurait fait un dieu: on lui aurait élevé un temple. Nous ne lui
érigeons qu'une statue: faible dédommagement de toutes les persécutions
que l'envie lui a suscitées, mais récompense capable d'échauffer la
jeunesse et de l'encourager à s'élever dans la carrière que ce grand
génie a parcourue, et où d'autres génies peuvent trouver encore à
glaner. J'ai aimé dès mon enfance les arts, les lettres et les sciences;
et lorsque je puis contribuer à leurs progrès, je m'y porte avec toute
l'ardeur dont je suis capable, parce que dans ce monde il n'y a point de
vrai bonheur sans elles. Vous autres qui vous trouvez à Paris dans le
vestibule de leur temple, vous qui en êtes les desservants, vous pouvez
jouir de ce bonheur inaltérable, pourvu que vous empêchiez l'envie et la
cabale d'en approcher.....
DU ROI Postdam, le 30 octobre 1770.
Une mitte qui végète dans le nord de l'Allemagne est un mince sujet
d'entretien pour des philosophes qui discutent des mondes divers
flottant dans l'espace de l'infini, du principe et du mouvement de la
vie, du temps et de l'éternité de l'esprit et de la matière, des choses
possibles et de celles qui ne sont pas. J'appréhende fort que cette
mitte n'ait distrait ces deux grands philosophes d'objets plus
importants et plus dignes de les occuper. Les empereurs ainsi que les
rois disparaissent dans l'immense tableau que la nature offre aux yeux
des spéculateurs. Vous qui réunissez tous les genres, vous descendez
quelquefois de l'empirée; tantôt Anaxagore, tantôt Triptolème, vous
quittez le Portique pour l'agriculture, et vous offrez sur vos terres un
asile aux malheureux. Je préférerais bien la colonie de Ferney dont
Voltaire est le législateur, à celle des quakers de Philadelphie,
auxquels Locke donna des lois.
Nous avons ici des fugitifs d'une autre espèce; ce sont des Polonais
qui, redoutant les déprédations, le pillage et les cruautés de leurs
compatriotes, ont cherché un asile sur mes terres. Il y a plus de cent
vingt familles nobles qui se sont expatriées pour attendre des temps
plus tranquilles et qui leur permettent le retour chez eux. Je
m'aperçois de plus en plus que les hommes se ressemblent d'un bout de
notre globe à l'autre, qu'ils se persécutent et se troublent
mutuellement, autant qu'il est en eux: leur félicité, leur unique
ressource, est en quelques bonnes âmes qui les recueillent et les
consolent de leurs adversités.....
DU ROI
À Berlin, le 29 janvier 1771.
J'ai reçu en même temps ces _Questions encyclopédiques_, qu'on pourrait
appeler à plus juste titre, _Instructions encyclopédiques_. Cet ouvrage
est plein de choses. Quelle variété! que de connaissances, de
profondeur! et quel art pour traiter tant de sujets avec le même
agrément! Si je me servais du style précieux, je pourrais dire qu'entre
vos mains tout se convertit en or.
Je vous dois encore des remerciements au nom des militaires pour le
détail que vous donnez des évolutions d'un bataillon. Quoique je vous
connusse grand littérateur, grand philosophe, grand poète, je ne savais
pas que vous joignissiez à tant de talents les connaissances d'un grand
capitaine. Les règles que vous donnez de la tactique sont une marque
certaine que vous jugez cette fièvre intermittente des rois, la guerre,
moins dangereuse que de certains auteurs ne la représentent.
Mais quelle circonspection édifiante dans les articles qui regardent la
foi! Vos protégés les _Pediculosi_ en auront été ravis; la Sorbonne vous
agrégera à son corps, le Très Chrétien (s'il lit) bénira le ciel d'avoir
un gentilhomme de la chambre aussi orthodoxe; et l'évêque d'Orléans vous
assignera une place auprès d'Abraham, d'Isaac et de Jacob. À coup sûr
vos reliques feront des miracles, et l'_inf_.... célébrera son triomphe.
Où donc est l'esprit philosophique du dix-huitième siècle, si les
philosophes, par ménagement pour leurs lecteurs, osent à peine leur
laisser entrevoir la vérité? Il faut avouer que l'auteur du _Système de
la nature_ a trop impudemment cassé les vitres. Ce livre a fait beaucoup
de mal: il a rendu la philosophie odieuse par de certaines conséquences
qu'il tire de ses principes. Et peut-être à présent faut-il de la
douceur et du ménagement pour réconcilier avec la philosophie les
esprits que cet auteur avait effarouchés et révoltés.
Il est certain qu'à Pétersbourg on se scandalise moins qu'à Paris, et
que la vérité n'est point rejetée du trône de votre souveraine, comme
elle l'est chez le vulgaire de nos princes. Mon frère Henri se trouve
actuellement à la cour de cette princesse. Il ne cesse d'admirer les
grands établissements qu'elle a faits, et les soins qu'elle se donne de
décrasser, d'élever et d'éclairer ses sujets.
Je ne sais ce que vos ingénieurs sans génie ont fait aux Dardanelles:
ils sont peut-être cause de l'exil de Choiseul. À l'exception du
cardinal de Fleury, Choiseul a tenu plus longtemps qu'aucun autre
ministre de Louis XV. Lorsqu'il était ambassadeur à Rome, Benoît XIV le
définissait un fou qui avait bien de l'esprit. On dit que les parlements
et la noblesse le regrettent et le comparent à Richelieu: en revanche,
ses ennemis disent que c'était un boute-feu qui aurait embrasé l'Europe.
Pour moi, je laisse raisonner tout le monde. Choiseul n'a pu me faire ni
bien ni mal; je ne l'ai point connu; et je me repose sur les grandes
lumières de votre monarque pour le choix et le renvoi de ses ministres
et de ses maîtresses. Je ne me mêle que de mes affaires et du carnaval
qui dure encore.
Nous avons un bon Opéra; et, à l'exception d'une seule actrice, mauvaise
comédie. Vos histrions welches se vouent tous à l'opéra-comique; et des
platitudes mises en musique sont chantées par des voix qui hurlent et
détonnent à donner des convulsions aux assistants. Durant les beaux
jours du siècle de Louis XIV, ce spectacle n'aurait pas fait fortune. Il
passe pour bon dans ce siècle de petitesses, où le génie est aussi rare
que le bon sens, où la médiocrité en tout genre annonce le mauvais goût
qui probablement replongera l'Europe dans une espèce de barbarie dont
une foule de grands hommes l'avaient tirée.
Tant que nous conserverons Voltaire, il n'y aura rien à craindre; lui
seul est l'Atlas qui soutient par ses forces cet édifice ruineux. Son
tombeau sera celui du bon goût et des lettres. Vivez donc, vivez, et
rajeunissez, s'il est possible: ce sont les vœux de toutes les personnes
qui s'intéressent à la belle littérature, et principalement les miens.
FÉDÉRIC.
DE M. DE VOLTAIRE
À Ferney, 15 février 1771.
Sire, tandis que vos bontés me donnent les louanges qui me sont si
légitimement dues sur mon orthodoxie et sur mon tendre amour pour la
religion catholique, apostolique et romaine, j'ai bien peur que mon zèle
ardent ne soit pas approuvé par les principaux membres de notre
sanhédrin infaillible. Ils prétendent que je me mets à genoux devant eux
pour leur donner des croquignoles, et que je les rends ridicules avec
tout le respect possible. J'ai beau leur citer la belle préface d'un
grand homme, qui est au devant d'une histoire de l'Église très
édifiante, ils ne reçoivent point mon excuse; ils disent que ce qui est
très bon dans le vainqueur de Rosbach et de Lissa, n'est pas tolérable
dans un pauvre diable qui n'a qu'une chaumière entre un lac et une
montagne, et que, quand je serais sur la montagne du Thabor en habits
blancs, je ne viendrais pas à bout de leur ôter la pourpre dont ils
sont revêtus. Nous connaissons, disent-ils, vos mauvais sentiments et
vos mauvaises plaisanteries. Vous ne vous êtes pas contenté de servir un
hérétique, vous vous êtes attaché depuis peu à un schismatique, et si on
vous en croyait, le pouvoir du pape et celui du grand-turc seraient
bientôt resserrés dans des bornes fort étroites.
Vous ne croyez point aux miracles, mais sachez que nous en faisons. C'en
est déjà un fort grand que nous ayons engagé votre héros hérétique à
protéger les jésuites.
C'en est un plus grand encore, que notre nonce en Pologne ait déterminé
les Mahométans à faire la guerre à l'empire chrétien de Russie; ce
nonce, en cas de besoin, aurait béni l'étendard du grand prophète
Mahomet. Si les Turcs ont toujours été battus, ce n'est pas notre faute,
nous avons toujours prié Dieu pour eux.
On nous rendra peut-être bientôt Avignon, malgré tous vos quolibets;
nous rentrerons dans Bénévent, et nous aurons toujours un temporel très
royal pour ressembler à Jésus-Christ notre Sauveur, qui n'avait pas où
reposer sa tête. Tâchez de régler là vôtre qui radote, et recevez notre
malédiction sous l'anneau du pêcheur.
Voilà, Sire, comme on me traite, et je n'ai pas un mot à répliquer. Si
je suis excommunié, j'en appellerai à mon héros, à Julien, à Marc-Aurèle
ses devanciers, et j'espère que leurs aigles ou romaines ou prussiennes
(c'est la même chose) me couvriront de leurs ailes. Je me mets sous leur
protection dans ce monde, en attendant que je sois damné dans l'autre.
J'ai envoyé un petit paquet à monseigneur le prince royal, je ne sais
s'il l'a reçu.
Je me mets aux pieds de mon héros avec autant de respect que
d'attachement. _Le vieux malade du mont Jura_.
DE M. DE VOLTAIRE
À Ferney, 1er mars 1771.
Sire, il n'est pas juste que je vous cite comme un de nos grands auteurs
sans vous soumettre l'ouvrage dans lequel je prends cette liberté:
j'envoie donc à Votre Majesté l'Épître contre Moustapha. Je suis
toujours acharné contre Moustapha et Fréron. L'un étant un infidèle, je
suis sûr de faire mon salut en lui disant des injures; et l'autre étant
un sot et un très mauvais écrivain, il est de plein droit un de mes
justiciables.
Il n'y a rien à mon gré de si étonnant, depuis les aventures de Rosbach
et de Lissa, que de voir mon impératrice envoyer du fond du Nord quatre
flottes aux Dardanelles. Si Annibal avait entendu parler d'une pareille
entreprise, il aurait compté son voyage des Alpes pour bien peu de
chose.
Je haïrai toujours les Turcs oppresseurs de la Grèce, quoiqu'ils m'aient
demandé depuis peu des montres de ma colonie. Quels plats barbares! Il y
a soixante ans qu'on leur envoie des montres de Genève, et ils n'ont pas
su encore en faire: ils ne savent pas même les régler.
Je suis toujours très fâché que Votre Majesté et l'empereur des
Vénitiens ne se soient pas entendus avec mon impératrice pour chasser
ces vilains Turcs de l'Europe: c'eût été la besogne d'une seule
campagne; vous auriez partagé chacun également. C'est un axiome de
géométrie qu'ajoutant choses égales à choses égales, les touts sont
égaux; ainsi vous seriez demeurés précisément dans la situation où vous
êtes.
Je persiste toujours à croire que cette guerre était bien plus
raisonnable que celle de 1756, qui n'avait pas le sens commun; mais je
laisse là ma politique qui n'en a pas davantage, pour dire à Votre
Majesté que j'espère faire ma cour après Pâques, dans mon ermitage, aux
princes de Suède vos neveux, dont tout Paris est enchanté. On parle
beaucoup plus d'eux que du Parlement. Deux princes aimables font
toujours plus d'effet que cent quatre-vingts pédants en robe.
On m'a dit que d'Argens est mort: j'en suis très fâché; c'était un impie
très utile à la bonne cause, malgré tout son bavardage.
À propos de la bonne cause, je me mets toujours à vos pieds et sous
votre protection. On me reprochera peut-être de n'être pas plus attaché
à Ganganelli qu'à Moustapha; je répondrai que je le suis à Frédéric le
Grand et à Catherine la Surprenante.
Daignez, Sire, me conserver vos bontés pour le temps qui me reste encore
à faire de mauvais vers en ce monde. _Le vieux ermite des Alpes_.
DU ROI
À Sans-Souci, le 18 novembre 1771.
.....Je vous ai mille obligations des sixième et septième tomes de votre
_Encyclopédie_, que j'ai reçus. Si le style de Voiture était encore à la
mode, je vous dirais que le père des Muses est l'auteur de cet ouvrage;
et que l'approbation est signée du dieu du Goût. J'ai été fort surpris
d'y trouver mon nom, que par charité vous y avez mis. J'y ai trouvé
quelques paraboles moins obscures que celles de l'Évangile, et je me
suis applaudi de les avoir expliquées. Cet ouvrage est admirable, et je
vous exhorte à le continuer. Si c'était un discours académique,
assujetti à la révision de la Sorbonne, je serais peut-être d'un autre
avis.
Travaillez toujours; envoyez vos ouvrages en Angleterre, en Hollande, en
Allemagne et en Russie: je vous réponds qu'on les y dévorera. Quelque
précaution qu'on prenne, ils entreront en France; et vos Welches auront
honte de ne pas approuver ce qui est admiré partout ailleurs.
J'avais un très violent accès de goutte quand vos livres sont arrivés,
les pieds et les bras garrottés, enchaînés et perclus: ces livres m'ont
été d'une grande ressource. En les lisant, j'ai béni mille fois le ciel
de vous avoir mis au monde.
Pour vous rendre compte du reste de mes occupations, vous saurez qu'à
peine eus-je recouvré l'articulation de la main droite, que je m'avisai
de barbouiller du papier; non pour éclairer l'Europe, non pour instruire
le public et l'Europe qui a les yeux très ouverts, mais pour m'amuser.
Ce ne sont pas les victoires de Catherine que j'ai chantées, mais les
folies des confédérés. Le badinage convient mieux à un convalescent que
l'austérité du style majestueux. Vous en verrez un échantillon. Il y a
six chants. Tout est fini; car une maladie de cinq semaines m'a donné le
temps de rimer et de corriger tout à mon aise. C'est vous ennuyer assez
que deux chants de lecture que je vous prépare.....
DE M. DE VOLTAIRE.
À Ferney, le 6 décembre 1771.
Sire, je n'ai jamais si bien compris qu'on peut pleurer et rire dans le
même jour. J'étais tout plein et tout attendri de l'horrible attentat
commis contre le roi de Pologne, qui m'honore de quelque bonté. Ces
mots, qui dureront à jamais, _vous êtes pourtant mon roi, mais j'ai fait
serment de vous tuer_, m'arrachaient des larmes d'horreur, lorsque j'ai
reçu votre lettre et votre très philosophique poème, qui dit si
plaisamment les choses du monde les plus vraies. Je me suis mis à rire
malgré moi, malgré mon effroi et ma consternation. Que vous peignez bien
le diable et les prêtres, et surtout cet évêque, premier auteur de tout
le mal!
Je vois bien que quand vous fîtes ces deux premiers chants, le crime
infâme des confédérés n'avait point encore été commis. Vous serez forcé
d'être aussi tragique dans le dernier chant que vous avez été gai dans
les autres que Votre Majesté a bien voulu m'envoyer. Malheur est bon à
quelque chose, puisque la goutte vous a fait composer un ouvrage si
agréable. Depuis Scarron, on ne faisait point de vers si plaisants au
milieu des souffrances. Le roi de la Chine ne sera jamais si drôle que
Votre Majesté, et je défie Moustapha d'en approcher.
N'ayez plus la goutte, mais faites souvent des vers à Sans-Souci dans ce
goût-là. Plus vous serez gai, plus longtemps vous vivrez: c'est ce que
je souhaite passionnément pour vous, pour mon héroïne, et pour moi
chétif.
Je pense que l'assassinat du roi de Pologne lui fera beaucoup de bien.
Il est impossible que les confédérés, devenus en horreur au genre
humain, persistent dans une faction si criminelle. Je ne sais si je me
trompe, mais il me semble que la paix de la Pologne peut naître de cette
exécrable aventure.
Je suis fâché de vous dire que voilà cinq têtes couronnées assassinées
en peu de temps dans notre siècle philosophique. Heureusement, parmi
tous ces assassins, il se trouve des Malagrida, et pas un philosophe. On
dit que nous sommes des séditieux; que sera donc l'évêque de Kiovie? On
dit que les conjurés avaient fait serment sur une image de la sainte
Vierge, après avoir communié. J'ose supplier instamment Votre Majesté,
si ingénieuse et si diabolique, de daigner m'envoyer quelques détails
bien vrais de cet étrange événement, qui devrait bien ouvrir les yeux à
une partie de l'Europe. Je prends la liberté de recommander à vos bontés
l'abbaye d'Oliva.
Je me mets à vos pieds (pourvu qu'ils n'aient plus la goutte) avec le
plus profond respect et le plus grand ébahissement de tout ce que je
viens de lire.
DU ROI
À Berlin, le 12 janvier 1772.
Je conviens que je me suis imposé l'obligation de vous instruire sur le
sujet des Confédérés que j'ai chantés, comme vous avez été obligé
d'exposer les anecdotes de la Ligue, afin de répandre tous les
éclaircissements nécessaires sur _la Henriade_.
Vous saurez donc que mes Confédérés, moins braves que vos Ligueurs, mais
aussi fanatiques, n'ont pas voulu leur céder en forfaits. L'horrible
attentat entrepris et manqué contre le roi de Pologne s'est passé, à la
communion près, de la manière qu'il est détaillé dans les gazettes. Il
est vrai que le misérable qui a voulu assassiner le roi de Pologne en
avait prêté le serment à Pulawski, maréchal de confédération, devant le
maître-autel de la Vierge à Czenstokova. Je vous envoie des papiers
publics, qui peut-être ne se répandent pas en Suisse, où vous trouverez
cette scène tragique détaillée avec les circonstances exactement
conformes à ce que mon ministre à Varsovie en a marqué dans sa relation.
Il est vrai que mon poème (si vous voulez l'appeler ainsi) était achevé
lorsque cet attentat se commit; je ne le jugeai pas propre à entrer dans
un ouvrage où règne d'un bout à l'autre un ton de plaisanterie et de
gaieté. Cependant je n'ai pas voulu non plus passer cette horreur sous
silence, et j'en ai dit deux mots en passant, au commencement du
cinquième chant; de sorte que cet ouvrage badin, fait uniquement pour
m'amuser, n'a pas été défiguré par un morceau tragique qui aurait juré
avec le reste.
Il semble que pour détourner mes yeux des sottises polonaises et de la
scène atroce de Varsovie, ma sœur la reine de Suède ait pris ce temps
pour venir revoir ses parents, après une absence de vingt-huit années.
Son arrivée a ranimé toute la famille; je m'en suis cru de dix ans plus
jeune. Je fais mes efforts pour dissiper les regrets qu'elle donne à la
perte d'un époux tendrement aimé, en lui procurant toutes les sortes
d'amusements dans lesquels les arts et les sciences peuvent avoir la
plus grande part. Nous avons beaucoup parlé de vous. Ma sœur trouvait
que vous manquiez à Berlin: je lui ai répondu qu'il y avait treize ans
que je m'en apercevais. Cela n'a pas empêché que nous n'ayons fait des
vœux pour votre conservation; et nous avons conclu, quoique nous ne vous
possédions pas, que vous n'en étiez pas moins nécessaire à l'Europe.
Laissez donc à la Fortune, à l'Amour, à Plutus, leur bandeau: ce serait
une contradiction que celui qui éclaira si longtemps l'Europe fût
aveugle lui-même. Voilà peut-être un mauvais jeu de mots; j'en fais
amende honorable au dieu du Goût qui siège à Ferney; je le prie de
m'inspirer, et d'être assuré qu'en fait de belles lettres, je crois ses
décisions plus infaillibles que celles de Ganganelli pour les articles
de foi. _Vale_. FÉDÉRIC.
DE M. DE VOLTAIRE
À Ferney, 1er février 1772.
Sire, mon cœur, quoique bien vieux, est tout aussi sensible à vos bontés
que s'il était jeune. Vos troisième et quatrième chants m'ont presque
guéri d'une maladie assez sérieuse; vos vers ne le sont pas. Je m'étonne
toujours que vous ayez pu faire quelque chose d'aussi gai sur un sujet
si triste. Ce que Votre Majesté dit des Confédérés dans sa lettre
inspire l'indignation contre eux autant que vos vers inspirent de
gaieté. Je me flatte que tout ceci finira heureusement pour le roi de
Pologne et pour Votre Majesté. Quand vous n'auriez que six villes pour
vos six chants, vous n'auriez pas perdu votre papier et votre encre.
La reine de Suède ne gagnera rien aux dissensions polonaises, mais elle
augmentera le bonheur de son frère et le sien. Permettez que je la
remercie des bontés dont vous m'apprenez qu'elle daigne m'honorer, et
que je mette mes respects pour elle dans votre paquet.....
DE M. DE VOLTAIRE
À Ferney, le 4 septembre 1772.
Sire, si votre vieux baron a bien dansé à l'âge de quatre-vingt-six ans,
je me flatte que vous danserez mieux que lui à cent ans révolus. Il est
juste que vous dansiez longtemps au son de votre flûte et de votre lyre,
après avoir fait danser tant de monde, soit en cadence, soit hors de
cadence, au son de vos trompettes. Il est vrai que ce n'est pas la
coutume des gens de votre espèce de vivre longtemps. Charles XII, qui
aurait été un excellent capitaine dans un de vos régiments;
You have read 1 text from French literature.
Next - Correspondance de Voltaire avec le roi de Prusse - 09
- Parts
- Correspondance de Voltaire avec le roi de Prusse - 01Each bar represents the percentage of words per 1000 most common words.Total number of words is 4633Total number of unique words is 154138.2 of words are in the 2000 most common words51.7 of words are in the 5000 most common words57.0 of words are in the 8000 most common words
- Correspondance de Voltaire avec le roi de Prusse - 02Each bar represents the percentage of words per 1000 most common words.Total number of words is 4712Total number of unique words is 156035.6 of words are in the 2000 most common words48.3 of words are in the 5000 most common words55.1 of words are in the 8000 most common words
- Correspondance de Voltaire avec le roi de Prusse - 03Each bar represents the percentage of words per 1000 most common words.Total number of words is 4762Total number of unique words is 147338.8 of words are in the 2000 most common words51.4 of words are in the 5000 most common words56.3 of words are in the 8000 most common words
- Correspondance de Voltaire avec le roi de Prusse - 04Each bar represents the percentage of words per 1000 most common words.Total number of words is 4729Total number of unique words is 150135.2 of words are in the 2000 most common words49.2 of words are in the 5000 most common words55.2 of words are in the 8000 most common words
- Correspondance de Voltaire avec le roi de Prusse - 05Each bar represents the percentage of words per 1000 most common words.Total number of words is 4622Total number of unique words is 156237.7 of words are in the 2000 most common words50.1 of words are in the 5000 most common words55.8 of words are in the 8000 most common words
- Correspondance de Voltaire avec le roi de Prusse - 06Each bar represents the percentage of words per 1000 most common words.Total number of words is 4643Total number of unique words is 142240.6 of words are in the 2000 most common words51.1 of words are in the 5000 most common words57.9 of words are in the 8000 most common words
- Correspondance de Voltaire avec le roi de Prusse - 07Each bar represents the percentage of words per 1000 most common words.Total number of words is 4712Total number of unique words is 160436.6 of words are in the 2000 most common words48.1 of words are in the 5000 most common words54.8 of words are in the 8000 most common words
- Correspondance de Voltaire avec le roi de Prusse - 08Each bar represents the percentage of words per 1000 most common words.Total number of words is 4676Total number of unique words is 157735.7 of words are in the 2000 most common words48.6 of words are in the 5000 most common words54.7 of words are in the 8000 most common words
- Correspondance de Voltaire avec le roi de Prusse - 09Each bar represents the percentage of words per 1000 most common words.Total number of words is 4689Total number of unique words is 161835.9 of words are in the 2000 most common words47.8 of words are in the 5000 most common words54.2 of words are in the 8000 most common words
- Correspondance de Voltaire avec le roi de Prusse - 10Each bar represents the percentage of words per 1000 most common words.Total number of words is 4625Total number of unique words is 157135.4 of words are in the 2000 most common words46.6 of words are in the 5000 most common words52.2 of words are in the 8000 most common words
- Correspondance de Voltaire avec le roi de Prusse - 11Each bar represents the percentage of words per 1000 most common words.Total number of words is 2049Total number of unique words is 87439.8 of words are in the 2000 most common words50.6 of words are in the 5000 most common words56.6 of words are in the 8000 most common words