Actes et Paroles, Volume 3 - 19

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l'Acropole, de meme que Rome qui s'est appelee Urbs, de meme que
Londres qui s'appelle la Cite; la justice aura considere d'un autre
cote a quel point est abominable le guet-apens d'un parvenu quasi
princier qui assassine pour regner; et pesant d'un cote le droit, de
l'autre l'usurpation, la justice aura reserve toute son indulgence
pour la population desesperee et fievreuse, et toute sa severite pour
le miserable prince d'aventure, repu et insatiable, qui apres l'Elysee
veut le Louvre, et qui, en poignardant la Republique, poignarde son
propre serment. (_Tres bien! a l'extreme gauche._)
Messieurs, ecoutez la reponse de l'histoire. Le poteau de Satory,
Noumea, dix-huit mille neuf cent quatrevingt-quatre condamnes, la
deportation simple et muree, les travaux forces, le bagne a cinq mille
lieues de la patrie, voila de quelle facon la justice a chatie le
18 Mars; et quant au crime du 2 Decembre, qu'a fait la justice? la
justice lui a prete serment. (_Mouvement prolonge._)
Je me borne aux faits judiciaires; je pourrais en constater d'autres,
plus lamentables encore; mais je m'arrete.
Oui, cela est reel, des fosses, de larges fosses, ont ete creusees ici
et en Caledonie; depuis la fatale annee 1871 de longs cris d'agonie se
melent a l'espece de paix que fait l'etat de siege; un enfant de vingt
ans, condamne a mort pour un article de journal, a eu sa grace, le
bagne, et a ete neanmoins execute par la nostalgie, a cinq mille
lieues de sa mere; les penalites ont ete et sont encore absolues; il y
a des presidents de tribunaux militaires qui interdisent aux avocats
de prononcer des mots d'indulgence et d'apaisement; ces jours-ci,
le 28 avril, une sentence atteignait, apres cinq annees, un ouvrier
declare honnete et laborieux par tous les temoignages, et le
condamnait a la deportation dans une enceinte fortifiee, arrachant
ainsi ce travailleur a sa famille, ce mari a sa femme et ce pere a ses
enfants; et il y a quelques semaines a peine, le 1er mars, un nouveau
convoi de condamnes politiques, confondus avec des forcats, etait,
malgre nos reclamations, embarque pour Noumea. Le vent d'equinoxe a
empeche le depart; il semble par moment que le ciel veut donner aux
hommes le temps de reflechir; la tempete, clemente, a accorde
un sursis; mais, la tempete ayant cesse, le navire est parti.
(_Sensation._) La repression est inexorable. C'est ainsi que le 18
Mars a ete frappe.
Quant au 2 Decembre, j'y insiste, dire qu'il a ete impuni serait
derisoire, il a ete glorifie; il a ete, non subi, mais adore; il
est passe a l'etat de crime legal et de forfait inviolable.
(_Applaudissements a l'extreme gauche._) Les pretres ont prie pour
lui; les juges ont juge sous lui; des representants du peuple, a qui
ce crime avait donne des coups de crosse, non seulement les ont
recus, mais les ont acceptes (_rires a gauche_), et se sont faits
ses serviteurs. L'auteur du crime est mort dans son lit, apres avoir
complete le 2 Decembre par Sedan, la trahison par l'ineptie et le
renversement de la republique par la chute de la France; et, quant aux
complices, Morny, Billault, Magnan, Saint-Arnaud, Abbatucci, ils ont
donne leurs noms a des rues de Paris. (_Sensation._) Ainsi, a vingt
ans d'intervalle, pour deux revoltes, pour le 18 Mars et le 2
Decembre, telles ont ete les deux conduites tenues dans les regions du
haut desquelles on gouverne; contre le peuple, toutes les rigueurs;
devant l'empereur, toutes les bassesses.
Il est temps de faire cesser l'etonnement de la conscience humaine. Il
est temps de renoncer a cette honte de deux poids et de deux mesures;
je demande, pour les faits du 18 Mars, l'amnistie pleine et entiere.
(_Applaudissements prolonges a l'extreme gauche.--La seance est
suspendue. L'orateur regagne son banc, felicite par ses collegues._)
QUELQUES MEMBRES AU CENTRE.--Aux voix! Aux voix!
M. LE PRESIDENT.--Personne ne demande la parole? (_Silence au banc de
la commission et au banc du gouvernement._) Il y a un amendement de M.
Tolain.
M. TOLAIN, _au pied de la tribune._--En presence du silence de la
commission et du gouvernement, qui ne trouvent rien a repondre, je
retire mon amendement.
M. LE PRESIDENT _donne lecture des articles de la proposition
d'amnistie, qui sont successivement rejetes, par assis et leve._
La proposition est mise aux voix dans son ensemble.
Se levent pour:
MM. Victor Hugo.
Peyrat.
Schoelcher.
Laurent Pichat.
Scheurer-Kestner.
Corbon.
Ferouillat.
Brillier.
Pomel (d'Oran).
Lelievre (d'Alger).
Le reste de l'Assemblee se leve contre.
La proposition d'amnistie est rejetee.


NOTES

NOTE I.
ELECTIONS DU 8 FEVRIER 1871
SEINE
_Liste complete des representants elus_.
Electeurs inscrits: 545,605.
1. Louis Blanc 216,471
2. Victor Hugo 214,169
3. Garibaldi 200,065
4. Edgar Quinet 169,008
5. Gambetta 191,211
6. Henri Rochefort 193,248
7. Amiral Saisset 154,347
8. Ch. Delescluze 153,897
9. P. Joigneaux 153,314
10. Victor Schoelcher 149,918
11. Felix Pyat 141,118
12. Henri Martin 139,155
13. Amiral Pothuau 138,122
14. Edouard Lockroy 134,635
15. F. Gambon 129,573
16. Dorian 128,197
17. Ranc 126,572
18. Malon 117,253
19. Henri Brisson 115,710
20. Thiers 102,945
21. Sauvage 102,690
22. Martin Bernard 102,188
23. Marc Dufraisse 101,192
24. Greppo 101,001
25. Langlois 95,756
26. General Frebault 95,235
27. Clemenceau 95,048
28. Vacherot 94,394
29. Jean Brunet 93,345
30. Charles Floquet 93,438
31. Cournet 91,648
32. Tolain 89,160
33. Littre 87,780
34. Jules Favre 81,126
35. Arnaud (de l'Ariege) 79,710
36. Ledru-Rollin 76,736
37. Leon Say 75,939
38. Tirard 75,178
39. Razona 74,415
40. Edmond Adam 73,217
41. Milliere 73,145
42. A. Peyrat 72,243
43. E. Farcy 69,798
NOTE II.
VICTOR HUGO A BORDEAUX.
_(Extrait de la Gironde, 16 fevrier 1871._)
A l'issue de la seance, des groupes nombreux stationnaient autour
du palais de l'Assemblee, qui etait protege par un cordon de garde
nationale. Chaque depute, a sa sortie, a ete accueilli par le cri de:
Vive la republique!
Les acclamations ont redouble lorsque Victor Hugo, qui avait assiste a
la seance, est arrive a son tour sur le grand perron. A partir de ce
moment, les vivats en l'honneur du grand poete des _Chatiments_ ont
alterne avec les vivats en l'honneur de la republique.
Cette ovation, a laquelle la garde nationale elle-meme a pris part,
s'est prolongee sur tout le passage de Victor Hugo, qui, du geste et
du regard, repondait aux acclamations de la foule.

NOTE III.
DEMISSION DE VICTOR HUGO.
Nous reproduisons, en les attenuant, les appreciations des principaux
ecrivains politiques presents a Bordeaux, sur la seance ou Victor Hugo
a du donner sa demission.
Bordeaux, 8 mars (5 heures 1/2).
A la derniere minute, quelques mots en hate sur l'evenement qui met
l'Assemblee et la ville en rumeur.
Victor Hugo vient de donner sa demission.
Voici comment et pourquoi.
La verification des pouvoirs en etait arrivee aux elections de
l'Algerie. La nomination de Gambetta a Oran et celle de M. Mocquard a
Constantine venaient d'etre validees.
Pour l'election de Garibaldi a Oran, le rapporteur proposait
l'annulation, attendu que "Garibaldi n'est pas francais".
Applaudissements violents a droite.
Le president dit:--Je mets l'annulation aux voix. Personne ne demande
la parole?
--Si fait, moi! dit Victor Hugo.
Profond silence.--Victor Hugo a parle admirablement, avec une
indignation calme, si ces deux mots peuvent s'allier. Le _Moniteur_
vous portera ses paroles exactes; je les resume tant bien que mal:
--La France, a-t-il dit, vient de passer par des phases terribles,
dont elle est sortie sanglante et vaincue; elle n'a rencontre que la
lachete de l'Europe. La France a toujours pris en main la cause de
l'Europe, et pas un roi ne s'est leve pour elle, pas une puissance. Un
homme seul est intervenu, qui est une puissance aussi. Son epee, qui
avait deja delivre un peuple, voulait en sauver un autre. Il est venu,
il a combattu....
--Non! non! crie la droite furieuse. Non! il n'a pas combattu!
Et des insultes pour Garibaldi.
--Allons! riposte Victor Hugo, je ne veux offenser ici personne; mais,
de tous les generaux francais engages dans cette guerre, Garibaldi est
le seul qui n'ait pas ete vaincu!
La-dessus, epouvantable tempete. Cris: A l'ordre! a l'ordre!
Dans un intervalle entre deux ouragans, Victor Hugo reprend:
--Je demande la validation de l'election de Garibaldi.
Cris de la droite plus effroyables encore:--A l'ordre! a l'ordre! Nous
voulons que le president rappelle M. Victor Hugo a l'ordre.
Le general Ducrot se fait remarquer parmi les plus bruyants.
Le president.--Je demande a M. Victor Hugo de vouloir bien
s'expliquer. Je rappellerai a l'ordre ceux qui l'empecheront de
parler. Je suis juge du rappel a l'ordre.
Le tumulte est inexprimable. Victor Hugo fait de la main un geste; on
se tait; il dit:
--Je vais vous satisfaire. Je vais meme aller plus loin que vous. Il y
a trois semaines, vous avez refuse d'entendre Garibaldi; aujourd'hui
vous refusez de m'entendre; je donne ma demission.
Stupeur et consternation a droite. Le general Ducrot croit injurier
Garibaldi en disant qu'il est venu defendre, non la France, mais la
Republique.
Cependant le president annonce "que M. Victor Hugo vient de lui faire
remettre une lettre par laquelle il donne sa demission".
--Est-ce que M. Victor Hugo persiste? demande-t-il.
--Je persiste, dit Victor Hugo.
--Non! non! lui crie-t-on maintenant a droite.
Mais il repete:--Je persiste.
Et le president reprend:--Je ne lirai neanmoins cette lettre qu'a la
seance de demain.

_Seance du 8._
Je vous ai jete, a la derniere minute, quelques mots sur
l'evenement qui etait la rumeur d'hier et qui est encore la rumeur
d'aujourd'hui,--la demission de Victor Hugo.
Si vous aviez assiste a ce moment de la seance, aux vociferations de
la reaction, a sa rage, a son epilepsie, comme vous approuveriez le
grand orateur de n'etre pas reste la!
Victor Hugo avait dit que Garibaldi etait le seul de nos generaux qui
n'eut pas ete battu. Notez que c'est rigoureusement exact,--et que
ce n'est pas injurieux pour les quelques generaux energiques, mais
malheureux, qui n'ont pas a rougir de n'avoir pas reussi. Et; en
effet, quand la majorite a hurle: "Vous insultez nos generaux!"
Chanzy, Jaureguiberry, l'amiral La Ronciere, etc., ont fait signe que
non, et il n'y a eu que deux generaux parfaitement inconnus, et
un troisieme trop connu par son serment--M. Ducrot--qui se soient
declares offenses.
Lorsque Victor Hugo a dit que Garibaldi etait venu avec son epee
...--un vieux rural a ajoute:--Et Bordone! Ce vieux rural s'appelle M.
de Lorgeril.
Victor Hugo: "Garibaldi est venu, il a combattu...." Toute la
majorite: "Non! non!" Donc ils ne veulent meme pas que Garibaldi ait
combattu. On se demande s'ils comprennent ce qu'ils disent.
Il s'est trouve un rural pour cette interruption: "Faites donc taire
M. Victor Hugo; il ne parle pas francais."
Au paroxysme du tumulte, il fallait voir le dedain et l'impassibilite
de l'orateur attendant, les bras croises, la fin de ce vacarme
inferieur.
Vous allez avoir de la peine a me croire; eh bien, quand Victor Hugo
a donne sa demission, meme cette majorite-la a senti, ce dont
je l'aurais crue incapable, qu'en perdant l'eternel poete des
_Chatiments_, elle perdait quelque chose. M. Grevy ayant demande si
Victor Hugo persistait dans sa demission, il y a eu sur tous les bancs
des voix qui ont crie: Non! non!
Victor Hugo a persiste. Et comme il a eu raison! Qu'il retourne a
Paris, et qu'il laisse cette majorite parfaire toute seule ce qu'elle
a si bien commence en livrant a la Prusse Strasbourg et Metz.
* * * * *
La validation des elections a eu son cours. J'allais me retirer,
quand tout a coup Victor Hugo apparait a la tribune. Quelle que soit
l'opinion de M. Victor Hugo comme homme politique, il est un fait
incontestable, c'est qu'il est un puissant esprit, le plus grand poete
de France, et qu'a ce titre il a droit au respect d'une assemblee
francaise, et doit tout au moins etre ecoute d'elle. C'est au milieu
des hurlements, des cris, d'un tumulte indescriptible, du refus de
l'ecouter, que M. Victor Hugo est reste une bonne demi-heure a la
tribune. Il s'agissait de l'election de Garibaldi a Alger. On voulait
l'ecarter parce qu'il n'a pas la qualite de francais.
"La France accablee, mutilee en presence de toute l'Europe, n'a
rencontre que la lachete de l'Europe. Aucune puissance europeenne ne
s'est levee pour defendre la France, qui s'etait levee tant de fois
pour defendre l'Europe. Un homme est intervenu. (Ici les murmures
commencent.) Cet homme est une puissance. (A droite, grognements.) Cet
homme, qu'avait-il? (Rires des cacochymes.) Une epee. Cette epee avait
delivre un peuple. (La voix de l'orateur, si forte, est couverte par
les violentes apostrophes de la majorite.) Elle pouvait en sauver un
autre. (Denegations frenetiques, jeunes et vieux se levent ivres de
colere.) Enfin cet homme a combattu. (Ici l'orage creve. C'est un
torrent. La voix du president est etouffee; le bruit de la clochette
n'arrive pas jusqu'a nous, et pourtant elle est agitee avec vigueur.
On n'entend plus que ces mots: Ce n'est pas vrai, c'est un lache!
Garibaldi ne s'est jamais battu! Enfin le president saisit un moment
de calme relatif et, avec colere, lance une dure apostrophe a cette
assemblee que l'intolerance aveugle. Hugo, calme et serein, les mains
dans les poches, laisse passer l'orage.)
"Je ne veux blesser personne. Il est le seul des generaux qui ont
lutte pour la France qui n'ait pas ete vaincu." (A ces mots la rage
deborde: A l'ordre! a la porte! Qu'il ne parle plus! Nous ne voulons
plus l'entendre! Tels sont les cris qui s'echangent au milieu d'une
exasperation croissante.)
Hugo se croise les bras et attend. Le president refuse de rappeler
l'orateur a l'ordre. Hugo, alors, avec une grande dignite: "Il y a
trois semaines, vous avez refuse d'entendre Garibaldi--(Vous mentez;
tout le monde sait que ce n'est pas vrai! lui crie-t-on),--aujourd'hui
vous refusez de m'entendre, je me retire."
Alors Ducrot s'elance a la tribune et demande une enquete pour
savoir si Garibaldi est venu defendre la France ou la Republique
universelle.--Il est accueilli par des hourrahs de: Oui, oui.
Le president, consterne, demande publiquement a Hugo de retirer la
lettre par laquelle il donne sa demission. Sollicite vivement par
quelques amis, Hugo repond avec fermete: Non! non! non!
L'Assemblee comprend l'acte ridicule qu'elle a commis et le president
demande de ne lire cette lettre que demain.
Les hommes de coeur et d'intelligence ne peuvent plus
rester....--GERMAIN CASSE.
* * * * *
Deux delegations ont ete adressees a Victor Hugo pour l'engager a
retirer sa demission.
La premiere venait au nom de la reunion republicaine de la rue de
l'Academie. M. Bethmont a pris la parole.
La seconde au nom du centre gauche, l'envoye etait M. Target.
Victor Hugo, en les remerciant avec emotion de leur demarche, leur a
explique les raisons qui l'obligeaient a persister dans sa resolution
et a maintenir sa demission.
L'Assemblee qui a chasse Garibaldi a refuse d'entendre Victor
Hugo. Ces deux actes suffiront a l'histoire pour la juger. Nous ne
regrettons pas seulement l'admirable orateur que nous n'entendrons
plus, nous regrettons encore, nous jeunes gens, cette grande
indulgence, cette grande bienveillance et cette grande bonte qui
etaient pres de nous. C'est un triple deuil.
Le tumulte a ete grand. La majorite, non contente d'avoir invalide
l'election de Garibaldi, a voulu qu'il fut calomnie a la tribune. Un
depute--que je ne connais pas--mais que l'Assemblee a pris pour le
general Ducrot, s'est charge de ce soin. Ce depute a donne a entendre
qu'il fallait attribuer a Garibaldi la defaite de l'armee de l'Est.
J'ai senti, a ces mots, comme tous les honnetes gens, une vive
indignation, et je n'ai pu me retenir de demander la parole. Elle me
fut retiree des mes premieres phrases, je ne sais pourquoi. Je voulais
seulement faire remarquer a mes honorables collegues qu'ils etaient
dans une erreur complete touchant le general Ducrot et le depute qui,
si audacieusement, usurpait ce titre et ce nom.
Le general Ducrot, dans une circulaire celebre, a dit:
--Je reviendrai mort ou victorieux!
Or le general Ducrot n'est point homme a prononcer de telles paroles
en l'air. Il a ete, malheureusement, vaincu, et je le tiens pour mort.
On me dira tout ce qu'on voudra, je n'en demordrai point. Le general
Ducrot est mort. Et le depute qui a parle hier et qui parait se porter
fort bien n'est point le general Ducrot.
M. Jules Favre a dit, il est vrai: "Ni un pouce de notre territoire,
ni une pierre de nos forteresses", et il a donne l'Alsace et il a
donne la Lorraine. M. Trochu a dit: "Je ne capitulerai pas", et il a
prie un de ses amis de capituler. Mais M. le general Ducrot est mort.
Jamais on ne me persuadera le contraire.
M. le general Ducrot, s'il avait vecu, aurait compris qu'il
n'appartenait point a un general battu d'attaquer un general
victorieux; il n'aurait rappele ni Wissembourg, ou il a ete defait, ni
Buzenval, ou il est arrive six heures trop tard. Il se serait tu,--se
conformant a cet axiome que les grandes douleurs doivent etre muettes.
L'histoire compte deja le faux Demetrius et le faux Smerdis. Nous
avons le faux Ducrot. Voila tout.--EDOUARD LOCKROY.

NOTE IV.
Le soir du 8 mars, a une deputation de citoyens de Bordeaux venant le
prier de retirer sa demission, M. Victor Hugo a dit :
Je ne juge pas cette Assemblee, je la constate. Je me sens meme
indulgent pour elle. Elle est comme un enfant mal venu.
Elle est le produit de la France mutilee. Elle m'afflige et
m'attendrit comme un nouveau-ne infirme. Elle se croit issue du
suffrage universel. Or le suffrage universel qui l'a nommee etait
separe de Paris. Sans Paris, il n'y a pas de lumiere sur le suffrage
universel, et le vote reste obscur. Electeur ignorant, elu quelconque.
C'est le malheur du moment. L'Assemblee en est plus victime que
coupable. Tout en souhaitant qu'elle disparaisse vite, je lui suis
bienveillant. Plus elle m'a insulte, plus je lui pardonne.
Ceci est la quatrieme Assemblee dont je fais partie. J'ai donc
l'habitude de la lutte parlementaire. On m'a interrompu, cela me
serait bien egal. L'Assemblee ne me connait point, mais vous me
connaissez, vous, et vous ne vous y meprenez pas. Je suis pour la
liberte de la tribune, et je suis pour la liberte de l'interruption.
D'abord, l'interruption est une liberte; cela suffit pour qu'elle me
plaise. Ensuite l'interruption aide l'improvisation; elle suggere
a l'orateur l'inattendu. Je fais donc plus que d'absoudre
l'interruption, je l'aime; a une condition, c'est qu'elle sera
passionnee, c'est-a-dire loyale. Je ne lui demande pas d'etre polie,
je lui demande d'etre honnete. Un jour un interrupteur m'a reproche
l'argent que couterait mon discours: _Et dire que ce discours coutera
vingt-cinq francs a la France!_ il etait de bonne foi, j'ai souri. Un
autre jour, le 17 juin 1851, je denoncais le complot qui a eclate en
decembre, et je declarais que le president de la republique conspirait
contre la republique; on m'a crie: _Vous etes un infame calomniateur!_
C'etait vif; cette fois encore, j'ai souri. Pourquoi? c'est que
l'interrupteur etait simplement un imbecile. Or, etre un imbecile,
c'est un droit; bien des gens en usent.
Je n'interromps jamais, mais j'aime qu'on m'interrompe. Cela me
repose. Je me trompe en disant que je n'interromps jamais. Une fois
dans ma vie j'ai interrompu un ministre; M. Leon Faucher, je crois,
etait a la tribune. C'etait en 1849, il faisait l'eloge du roi de
Naples, et je lui criai:--_Le roi de Naples est un monstre._--Ce mot
a fait le tour de l'Italie et n'a evidemment pas nui a la chute des
Bourbons de Naples. L'interruption peut donc etre bonne.
J'admets l'interruption. Je l'admets pleinement. J'admets quel'orateur
soit vieux et que l'interrupteur soit jeune, j'admets que l'orateur
ait des cheveux blancs et que l'interrupteur n'ait pas meme de barbe
au menton, j'admets que l'orateur soit venerable et que l'interrupteur
soit ridicule. J'admets qu'on dise a Caton: Vous etes un lache.
J'admets qu'on dise a Tacite: Vous mentez. J'admets qu'on dise a
Moliere ou a Voltaire: Vous ne savez pas le francais. J'admets qu'un
homme de l'empire insulte un homme de l'exil. Ecoutez, je vais vous
dire, en fait d'injures, j'admets tout. Je vais loin, comme vous
voyez. Mais, en fait de servitude, je n'admets rien. Je n'admets
pas que la tribune soit supprimee par l'interruption. Opprimee oui,
supprimee non. La commence ma resistance. Je n'admets pas que la
liberte inferieure abolisse la liberte superieure. Je n'admets pas que
celui qui crie baillonne celui qui pense; criez tant que vous voudrez,
mais laissez-moi parler. Je n'admets pas que l'orateur soit l'esclave
de l'interrupteur. Or, voici en quoi consiste l'esclavage de
l'orateur; c'est en ceci seulement: ne pouvoir dire sa pensee. Vous
m'appelez calomniateur. Que m'importe, si vous me laissez dire ce que
vous appelez ma calomnie. Ma liberte, c'est ma dignite. Frappe, mais
ecoute. Insultez-moi, mais laissez-moi libre. Or, le 17 juillet 1851,
j'ai pu denoncer et menacer Bonaparte, et le 8 mars 1871, je n'ai pu
defendre Garibaldi. Cela, je ne l'admets pas. Je ne consens pas a
cette derision: avoir la parole et avoir un baillon. Etre a la tribune
et etre au bagne. Vouloir obeir a sa conscience, et ne pouvoir
qu'obeir a la majorite. On n'obtiendra pas de moi cette bassesse, et
je m'en vais.
En dehors de cette question de principes qui me commande ma demission,
je le repete, je n'en veux pas a l'Assemblee. Le loup est ne loup et
restera loup. On ne change pas son origine. Si certains membres de la
droite, qui peut-etre en leur particulier sont les meilleures gens du
monde, mais qui sont illettres, ignorants et inconvenants, font que
parfois l'Assemblee nationale de France ressemble a une populace, ce
n'est certes pas la faute de ces honorables membres qui sont, a leur
insu, une calamite publique. C'est le malheur de tous, et ce n'est le
crime de personne. Mais ce malheur, tant que l'Assemblee siegera, est
irremediable. La ou il n'y a pas de remede, le medecin est inutile.
Je n'espere rien de cette Assemblee, j'attends tout du peuple. C'est
pourquoi je sors de l'Assemblee, et je rentre dans le peuple.
La droite m'a fait l'honneur de me prendre pour ennemi personnel. Il y
a dans l'Assemblee bien des hommes du dernier empire; en entrant dans
l'Assemblee, j'ai oublie que j'avais fait _les Chatiments_; mais eux,
ils s'en souviennent. De la ces cris furieux.
J'amnistie ces clameurs, mais je veux rester libre. Et encore une
fois, je m'en vais.
* * * * *
Le meme soir, 8 mars, la reunion de la gauche radicale a vivement
presse le representant Victor Hugo de retirer sa demission. Il a
persiste, et il a adresse a la reunion quelques paroles que nous
reproduisons:
Je persiste dans ma resolution.
C'est pour moi une douleur de vous quitter, vous avec qui je
combattais.
Plusieurs d'entre vous et moi, nous etions ensemble dans Paris devant
l'ennemi, la Prusse; nous sommes ensemble a Bordeaux devant un autre
ennemi, la monarchie. Je vous quitte, mais c'est pour continuer le
combat. Soyez tranquilles.
Ici le combat est devenu impossible, a moi du moins. J'ai souri de
ce bon cure debout qui me montrait le poing et qui criait: _A mort_!
C'etait sa facon de demander le rappel a l'ordre. Cela ne serait
que risible si la droite finissait par ecouter. Mais non. C'est
l'interruption a jet continu. Nul moyen de dire sa pensee tout
entiere. La majorite ne veut pas qu'une idee se fasse jour. C'est la
voie de fait et la violence remplacant la discussion. L'Assemblee n'a
pas voulu entendre Garibaldi, et il n'a pu rester dans l'Assemblee
plus d'un jour. Elle n'a pas voulu m'entendre, et j'ai donne ma
demission. Tenez, le jour ou M. Thiers cessera de leur plaire, la
droite le traitera comme elle a traite Garibaldi, comme elle m'a
traite, et je ne serais pas surpris qu'elle le forcat, lui aussi, a
donner sa demission. [Note: Ceci s'est realise. Seance du 24 aout.] Ne
nous faisons aucune illusion.
La Chambre introuvable est retrouvee, nous sommes en 1815.
C'est du reste une loi, toute invasion etrangere est suivie d'une
invasion monarchique. Apres le droit de force, le droit divin. Apres
le glaive, le sceptre.
Ce sera pour moi un insigne honneur et un beau souvenir d'avoir
preside pendant quelques jours, moi le moindre d'entre vous, cette
genereuse reunion; cette reunion ou vous etes, vous, Louis Blanc,
historien profond, orateur puissant, grande ame; vous Schoelcher,
duquel j'ai dit: Schoelcher a eleve la vertu jusqu'a la gloire; vous
Peyrat, grand journaliste, conscience droite et talent fier; vous,
Lockroy, esprit eclatant et intrepide; vous, Langlois, combattant de
la tribune comme du champ de bataille; vous, Joigneaux, vous, Edmond
Adam, vous, Floquet, vous, Martin-Bernard, vous, Naquet, vous,
Brisson, hommes eloquents et vaillants, vous tous, car tous comptent
ici. Chez les vieux, la veterance n'exclut pas l'energie; chez les
jeunes, l'ardeur n'exclut pas la gravite. Dans le camp democratique,
on murit vite et on ne vieillit pas.
Je vous quitte, mais, je le repete, c'est pour mieux combattre. Quand
l'interruption devient la mutilation, l'orateur doit descendre de la
tribune; il le doit a sa dignite, il le doit a la liberte. Mais je
serai l'orateur du dehors. Je reste votre auxiliaire. Une haine
systematique etouffe ici ma voix. Mais on etouffe une voix, on
n'etouffe pas une pensee. Paralyse ici, je retrouve hors d'ici toute
ma liberte d'action. Et au besoin, je saurai, s'il le faut, reprendre
la route de l'exil. Souvent, parler de plus loin, c'est parler de plus
haut.
Je ne dis pas que je ne consentirai jamais a rentrer dans une Chambre;
plus tard, quand les lecons donnees auront porte leur fruit, quand la
liberte de la tribune sera retablie, si mes concitoyensse souviennent
assez de moi pour savoir mon nom, j'accepterai d'eux, alors comme
toujours, toutes les formes du devoir. Je remonterai, s'ils le
desirent, a la tribune redevenue possible pour moi, et j'y defendrai
la republique, le peuple, la France, et tous les grands principes du
droit auxquels appartiennent ma derniere parole comme orateur, ma
derniere pensee comme ecrivain, et mon dernier souffle comme citoyen.

NOTE V.
FIN DE L'INCIDENT BELGE.
L'incident belge a eu une suite. Le denoument a ete digne du
commencement. La conscience publique exigeait un proces. Le
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