Actes et Paroles, Volume 3 - 17

Total number of words is 4539
Total number of unique words is 1503
37.4 of words are in the 2000 most common words
49.8 of words are in the 5000 most common words
56.3 of words are in the 8000 most common words
Each bar represents the percentage of words per 1000 most common words.
heros des grands drames d'autrefois, Paris reconnaissant a fait un
cortege supreme comme n'en ont pas les rois.
"Toutes les illustrations dans les lettres, dans les arts, tous les
artistes de tous les theatres de Paris etaient la; plus cinquante
mille inconnus. On a vu la comme Frederick etait avant tout l'artiste
populaire.
"Des le matin, une foule considerable se portait aux abords du numero
15 de la rue de Bondy, ou le corps etait expose. Vers onze heures, les
abords de la petite eglise de la rue des Marais devenaient difficiles.
De nombreux agents s'echelonnaient, barrant le passage et faisant
circuler les groupes qui se formaient. Heureusement, a quelques metres
de l'eglise, la rue des Marais debouche sur le boulevard Magenta et
forme une sorte de place irreguliere avec terre-plein plante d'arbres.
La foule s'est refugiee la.
"A midi precis, le corbillard quittait la maison mortuaire. Le fils de
Frederick a prie Victor Hugo, qui arrivait en ce moment, de vouloir
bien tenir un des cordons du char funebre. "De tout mon coeur", a
repondu Victor Hugo. Et il a tenu l'un des cordons jusqu'a l'eglise,
avec MM. Taylor, Halanzier, Dumaine, Febvre et Laferriere.
"Le service religieux s'est prolonge jusqu'a une heure et demie. Faure
a rendu ce dernier hommage a son camarade mort, d'interpreter le
_Requiem_ devant son cercueil, avec cette ampleur de voix et cette
surete de style qui font de lui l'un des premiers chanteurs de
l'Europe. Bosquin et Menu ont ensuite chante, l'un le _Pie Jesu_, et
l'autre l'_Agnus Dei_.
"A deux heures moins un quart, le char se mettait en marche avec
difficulte au milieu des flots profonds de la foule. Les maisons
etaient garnies jusque sur les toits, et cela tout le long de la
route. La circulation des voitures s'arretait jusqu'au boulevard
Magenta. Des deux cotes de la chaussee, une haie compacte sur cinq ou
six rangs.
"Le cortege est arrive a deux heures et demie, par le boulevard
Magenta et les boulevards Rochechouart et Clichy, au cimetiere
Montmartre. Une foule nouvelle attendait la.
"Frederick devait etre inhume dans le caveau ou l'avait precede son
fils, le malheureux Charles Lemaitre, qui s'est, comme on sait,
precipite d'une fenetre dans un acces de fievre chaude. Les abords de
la tombe etaient gardes depuis deux heures par plusieurs centaines de
personnes. Les agents du cimetiere et un officier de paix suivi de
gardiens ont eu toutes les peines du monde a faire ouvrir un passage
au corps.
"Au sortir de l'eglise, M. Frederick-Lemaitre fils avait prie encore
Victor Hugo de dire quelques paroles sur la tombe de son pere; et
Victor Hugo, quoique pris a l'improviste, n'avait pas voulu refuser de
rendre ce supreme hommage au magnifique createur du role de Ruy-Blas.
"Il a donc pris le premier la parole, et prononce, d'une voix emue,
mais nette et forte, l'adieu que voici:
On me demande de dire un mot. Je ne m'attendais pas a l'honneur
qu'on me fait de desirer ma parole; je suis bien emu pour parler:
j'essayerai pourtant. Je salue dans cette tombe le plus grand acteur
de ce siecle; le plus merveilleux comedien peut-etre de tous les
temps.
Il y a comme une famille d'esprits puissants et singuliers qui se
succedent et qui ont le privilege de reverberer pour la foule et
de faire vivre et marcher sur le theatre les grandes creations des
poetes; cette serie superbe commence par Thespis, traverse Roscius et
arrive jusqu'a nous par Talma; Frederick-Lemaitre en a ete, dans notre
siecle, le continuateur eclatant. Il est le dernier de ces grands
acteurs par la date, le premier par la gloire. Aucun comedien ne
l'a egale, parce qu'aucun n'a pu l'egaler. Les autres acteurs, ses
predecesseurs, ont represente les rois, les pontifes, les capitaines,
ce qu'on appelle les heros, ce qu'on appelle les dieux; lui, grace
a l'epoque ou il est ne, il a ete le peuple. (_Mouvement._) Pas
d'incarnation plus feconde et plus haute. Etant le peuple, il a ete le
drame; il a eu toutes les facultes, toutes les forces et toutes les
graces du peuple; il a ete indomptable, robuste, pathetique, orageux,
charmant. Comme le peuple, il a ete la tragedie et il a ete aussi la
comedie. De la sa toute-puissance; car l'epouvante et la pitie sont
d'autant plus tragiques qu'elles sont melees a la poignante ironie
humaine. Aristophane complete Eschyle; et, ce qui emeut le plus
completement les foules, c'est la terreur doublee du rire.
Frederick-Lemaitre avait ce double don; c'est pourquoi il a ete, parmi
tous les artistes dramatiques de son epoque, le comedien supreme. Il a
ete l'acteur sans pair. Il a eu tout le triomphe possible dans son art
et dans son temps; il a eu aussi l'insulte, ce qui est l'autre forme
du triomphe.
Il est mort. Saluons cette tombe. Que reste-t-il de lui aujourd'hui?
Ici-bas un genie. La-haut une ame.
Le genie de l'acteur est une lueur qui s'efface; il ne laisse qu'un
souvenir. L'immortalite qui appartient a Moliere poete, n'appartient
pas a Moliere comedien. Mais, disons-le, la memoire qui survivra a
Frederick-Lemaitre sera magnifique; il est destine a laisser au sommet
de son art un souvenir souverain.
Je salue et je remercie Frederick-Lemaitre. Je salue le prodigieux
artiste; je remercie mon fidele et superbe auxiliaire dans ma longue
vie de combat. Adieu, Frederick-Lemaitre!
Je salue en meme temps, car votre emotion profonde, a vous tous qui
etes ici, m'emplit et me deborde moi-meme, je salue ce peuple qui
m'entoure et qui m'ecoute. Je salue en ce peuple le grand Paris.
Paris, quelque effort qu'on fasse pour l'amoindrir, reste la ville
incomparable. Il a cette double qualite, d'etre la ville de la
revolution et d'etre la ville de la civilisation, et il les tempere
l'une par l'autre. Paris est comme une ame immense ou tout peut tenir.
Rien ne l'absorbe tout a fait, et il donne aux nations tous les
spectacles. Hier il avait la fievre des agitations politiques;
aujourd'hui le voila tout entier a l'emotion litteraire. A l'heure la
plus decisive et la plus grave, au milieu des preoccupations les
plus severes, il se derange de sa haute et laborieuse pensee pour
s'attendrir sur un grand artiste mort. Disons-le bien haut, d'une
telle ville on doit tout esperer et ne rien craindre; elle aura
toujours en elle la mesure civilisatrice; car elle a tous les dons et
toutes les puissances. Paris est la seule cite sur la terre qui ait le
don de transformation, qui, devant l'ennemi a repousser, sache etre
Sparte, qui devant le monde a dominer, sache etre Rome, et qui,
devant l'art et l'ideal a honorer, sache etre Athenes. (_Profonde
sensation._)


XXVII
ELECTION DES SENATEURS DE LA SEINE.

Le 30 janvier 1876, Victor Hugo fut nomme membre du senat par les
electeurs privilegies, dits electeurs senatoriaux.
Ces electeurs nommerent les senateurs de Paris, dans l'ordre suivant:
1.--FREYCINET.
2.--TOLAIN.
3.--HEROLD.
4.--VICTOR HUGO.
5.--ALPHONSE PEYRAT.


XXVIII
LE CONDAMNE SIMBOZEL

M. Victor Hugo a recu la lettre suivante:
Paris, 1er fevrier 1876.
Monsieur,
C'est une infortune qui vient a vous, certaine que ma douleur trouvera
un echo dans votre coeur.
J'ai demande la grace de mon pauvre ami a tous ceux qui auraient du
m'entendre, mais toutes les portes m'ont ete fermees. J'ai ecrit
partout et je n'ai obtenu aucune reponse. Le seul crime de mon mari
est d'avoir pris part a l'insurrection du 18 Mars. Il a ete condamne
pour ce fait (arrete depuis une annee seulement), comme tant d'autres
malheureux, a la deportation simple.
Quoique tout prouvat, au jugement, qu'il s'etait conduit en honnete
homme, rien n'y a fait, il a ete condamne. En m'adressant a vous,
monsieur, je sais bien que je ne pourrai avoir la grace de mon mari,
mais cette pensee-la m'est venue; mon mari professait un veritable
culte pour vous; il avait foi dans votre grand et genereux coeur, qui
a toujours plaide en faveur des plus humbles et des plus malheureux.
Il vous appelait le grand medecin de l'humanite. C'est pourquoi je
vous adresse ma priere.
Un navire va partir de Saint-Brieuc le 1er mars prochain pour la
Nouvelle-Caledonie, contenant tous prisonniers politiques, et mon mari
en fait partie. Jugez de ma douleur. Si je le suis, comme c'est mon
devoir, je laisse mon pere et ma mere sans ressources, trop vieux pour
gagner leur vie; je suis leur seul soutien, puisqu'il n'est plus la.
Au nom de votre petite Jeanne, que vous aimez tant, je vous implore;
faites entendre votre grande voix pour empecher que ce dernier depart
ait lieu.
Depuis cinq ans, ne devrait-il pas y avoir un pardon, apres tout ce
que nous avons souffert?
Pardonnez ma lettre, monsieur, la main me tremble en pensant que j'ose
vous ecrire, vous si illustre, moi si humble. Je ne suis qu'une pauvre
ouvriere, mais je vous sais si bon! et je sais que ma lettre trouvera
le chemin de votre coeur, car je vous ecris avec mes larmes, non
seulement pour moi, mais aussi pour tous les malheureux qui souffrent
de ma douleur. Si Dieu voulait que par votre genereuse intervention
vous puissiez les sauver de cette affreuse mer qui doit les emporter
loin de leur patrie!
J'espere, car je crois en vous.
Agreez, monsieur, l'expression de ma vive reconnaissance.
Celle qui vous honore et qui vous benit,
LOUISE SIMBOZEL,
rue Leregrattier, 2 (ile Saint-Louis).

M. Victor Hugo a repondu:
Paris, 2 fevrier 1876.
Ne desesperez pas, madame. L'amnistie approche. En attendant, je ferai
tous mes efforts pour empecher ce fatal depart du 1er mars. Comptez
sur moi.
Agreez, madame, l'hommage de mon respect,
VICTOR HUGO.

Informations prises, et un depart de condamnes politiques devant en
effet avoir lieu le 1er mars, M. Victor Hugo a ecrit au president de
la republique la lettre qui suit:
Paris, 7 fevrier 1876.
Monsieur le president de la republique,
La femme d'un condamne politique qui n'a pas encore quitte la France
me fait l'honneur de m'ecrire. Je mets la lettre sous vos yeux.
En l'absence de la commission des graces, c'est a vous que je crois
devoir m'adresser. Ce condamne fait partie d'un convoi de transportes
qui doit partir pour la Nouvelle-Caledonie le 1er mars.
C'est huit jours apres, le 8 mars, que les Chambres nouvelles
entreront en fonction. Je suis de ceux qui pensent qu'elles voudront
signaler leur avenement par l'amnistie. Ce grand acte d'apaisement est
attendu par la France.
En presence de cette eventualite, et pour toutes les raisons reunies,
vous jugerez sans doute, monsieur le marechal, qu'il conviendrait que
le depart du 1er mars fut ajourne jusqu'a la decision des Chambres.
Un ordre de vous suffirait pour faire surseoir au depart. J'espere cet
ordre de votre humanite, et je serais heureux d'y applaudir.
Recevez, monsieur le president de la republique, l'assurance de ma
haute consideration.
VICTOR HUGO.

Malgre cette reclamation, l'ordre du depart fut maintenu par M. le
president de la republique, alors conseille par M. Buffet. Deux
semaines apres, les electeurs du suffrage universel et les electeurs
du suffrage restreint, cette fois d'accord, destituerent M. Buffet,
et, l'excluant du Senat et de l'Assemblee legislative, le mirent hors
de la vie politique.
Depuis, M. Buffet y est rentre; mais pas par une tres grande porte.


XXIX
L'EXPOSITION DE PHILADELPHIE 16 AVRIL 1876, JOUR DE PAQUES.
(Salle du Chateau-d'Eau.)

Amis et concitoyens.
La pensee qui se degage du milieu de nous en ce moment est la plus
sainte pensee de concorde et d'harmonie que puissent avoir les
peuples. La civilisation a ses hauts faits; et entre tous eclate
cette Exposition de Philadelphie a laquelle, dans deux ans, repondra
l'Exposition de Paris. Nous faisons ici l'annonce de ces grands
evenements pacifiques. Nous venons proclamer l'auguste amitie des deux
mondes, et affirmer l'alliance entre les deux vastes groupes d'hommes
que l'Atlantique separe par la tempete et unit par la navigation. Dans
une epoque inquiete et troublee, cela est bon a dire et beau a voir.
Nous, citoyens, nous n'avons ni trouble ni inquietude, et en entrant
dans cette enceinte avec la serenite de l'esperance, avec un ferme
desir et un ferme dessein d'apaisement universel, sachant que nous ne
voulons que le juste, l'honnete et le vrai, resolus a glorifier le
travail qui est la grande probite civique, nous constatons que la
France est plus que jamais en equilibre avec le monde civilise, et
nous sommes heureux de sentir que nous avons en nous la conscience du
genre humain.
Ce que nous celebrons aujourd'hui, c'est la communion des nations;
nous acceptons la solennite de ce jour, et nous l'augmentons par la
fraternite. De la paque chretienne, nous faisons la paque populaire.
(_Applaudissements prolonges._)
Nous venons ici confiants et paisibles. Quel motif de trouble ou de
crainte aurions-nous? Aucun. Nous sommes une France nouvelle. Une ere
de stabilite s'ouvre. Les catastrophes ont passe, mais elles nous ont
laisse notre ame. La monarchie est morte et la patrie est vivante.
(_Acclamation. Cris de Vive la republique!_)
Il ne sortira pas de nos levres une parole de rancune et de colere.
Ce que fait l'histoire est bien fait. Dix-huit siecles de monarchie
finissent par creer une force des choses, et, a un moment donne, cette
force des choses abat l'oppression, detrone l'usurpation, et releve
cet immense vaincu, le peuple. Elle fait plus que le relever, elle le
couronne. C'est ce couronnement du peuple qu'on appelle la republique.
La souverainete legitime est aujourd'hui fondee. Au sacre d'un homme,
fait par un pretre, Dieu, l'eternel juste, a substitue le sacre d'une
nation, fait par le droit. (_Mouvement._)
Cela est grand, et nous sommes contents.
Maintenant, que voulons-nous? La paix.
La paix entre les nations par le travail feconde, la paix entre les
hommes par le devoir accompli.
Devoir et travail, tout est la.
Nous entrons resolument dans la vie fiere et tranquille des peuples
majeurs.
Citoyens, en affirmant ces verites, je vous sens d'accord avec moi. Ce
que j'ai a vous dire, vous le devinez d'avance; car vos consciences
et la mienne se penetrent et se melent; c'est ma pensee qui est dans
votre coeur et c'est votre parole qui est dans ma bouche.
Hommes de Paris, c'est avec une emotion profonde que je vous parle.
Vous etes les initiateurs du progres. Vous etes le peuple des peuples.
Apres avoir repousse l'invasion militaire, qui est la barbarie,
vous allez accepter chez vous et porter chez les autres l'invasion
industrielle, qui est la civilisation. Apres avoir bravement fait la
guerre, vous allez faire magnifiquement la paix. (_Applaudissements
repetes._) Vous etes la vaillante jeunesse de l'humanite nouvelle. La
vieillesse a le droit de saluer la jeunesse. Laissez-moi vous saluer.
Laissez celui qui s'en va souhaiter la bienvenue a vous qui arrivez.
(_Mouvement._) Non, je ne me lasserai pas de vous rendre temoignage.
J'ai ete dix-neuf ans absent; j'ai passe ces dix-neuf annees dans
l'isolement de la mer, en contemplation devant les heroiques et
sublimes spectacles de la nature, et, quand il m'a ete donne enfin de
revenir dans mon pays, quand je suis sorti de la tempete des flots
pour rentrer dans la tempete des hommes, j'ai pu comparer a la
grandeur de l'ocean devant l'ouragan et le tonnerre la grandeur de
Paris devant l'ennemi. (_Longs applaudissements._) De la mon orgueil
quand je suis parmi vous. Hommes de Paris, femmes de Paris, enfants
de Paris, soyez glorifies et remercies par le solitaire en cheveux
blancs; il a partage vos epreuves, et dans ses angoisses vos ames ont
secouru son ame; il vous sert depuis quarante ans, et il est heureux
d'user ses dernieres forces a vous servir encore; il rend graces a la
destinee qui lui a accorde un moment supreme pour vous seconder et
vous defendre, et qui lui a permis de faire pour cela une halte entre
l'exil et la tombe. (_Profonde sensation. Vive Victor Hugo!_)
Citoyens, nous sommes dans la voie juste, continuons. Perseverer,
c'est vaincre. O peuple calomnie et meconnu, ne vous decouragez pas;
soyez toujours le peuple superbe et bon qui fonde l'ordre sur le
devoir et la liberte sur le travail. Soyez cette elite humaine qui
a toutes les volontes honnetes, qui enseigne et qui conseille, qui
marche sans cesse, qui lutte sans cesse, et qui fait tous ses efforts
pour ne hair personne. Helas! cela est quelquefois difficile.
N'importe, o mes freres, soutenons ceux qui chancellent, rassurons
ceux qui tremblent, assistons ceux qui souffrent, aimons ceux qui
aiment, et, quant a ceux qui ne pardonnent pas,--pardonnons-leur!
(_Vive emotion. Applaudissements prolonges._)
N'ayons aucune defaillance. J'en conviens, l'histoire par moments
semble pleine de tenebres. On dirait que le vieil effort du mal contre
le bien va reussir. Les hommes du passe, ceux qu'on appelle empereurs,
papes et rois, qui se croient les maitres du monde, et qui ne sont pas
meme les maitres de leur berceau ni de leur tombeau (_mouvement_), les
hommes du passe font un travail terrible. Pendant que nous tachons de
creer la vie, ils font la guerre, c'est-a-dire la mort. Faire la mort,
quelle sombre folie! Les hommes regnants, si differents des hommes
pensants, travaillent pendant que nous travaillons. Ils ont leur
fecondite a eux, qui est la destruction; ils ont, eux aussi, leurs
inventions, leurs perfectionnements, leurs decouvertes; ils inventent
quoi? le canon Krupp; ils perfectionnent, quoi? la mitrailleuse; ils
decouvrent, quoi? le Syllabus. (_Explosion de bravos._) Ils ont pour
epee la force et pour cuirasse l'ignorance; ils tournent dans le
cercle vicieux des batailles; ils cherchent la pierre philosophale de
l'armement invincible et definitif; ils depensent des millions pour
faire des navires que ne peut trouer aucun projectile, puis ils
depensent d'autres millions pour faire des projectiles qui peuvent
trouer tous les navires (_rires et bravos prolonges_); cela fait, ils
recommencent; leurs pugilats et leurs carnages vont de la Crimee
au Mexique et du Mexique a la Chine; ils ont Inkermann, ils ont
Balaklava, ils ont Sadowa, et Puebla qui a pour contre-coup Queretaro,
et Rosbach qui a pour replique Iena, et Iena qui a pour replique
Sedan (_sensation, bravos_); triste chaine sans fin de victoires,
c'est-a-dire de catastrophes; ils s'arrachent des provinces; ils
ecrasent les armees par les armees; ils multiplient les frontieres,
les prohibitions, les prejuges, les obstacles; ils mettent le plus de
muraille possible entre l'homme et l'homme; ici la vieille muraille
romaine, la la vieille muraille germanique; ici Pierre, la Cesar; et,
quand ils croient avoir bien separe les nations des nations, bien
rebati le moyen age sur la revolution, bien tire de la maxime diviser
pour regner tout ce qu'elle contient de monarchie et de haine, bien
fonde la discorde a jamais, bien dissipe tous les reves de paix
universelle, quand ils sont satisfaits et triomphants dans la
certitude de la guerre eternelle, quand ils disent: c'est fini!--tout
a coup, on voit, aux deux extremites de la terre, se lever, l'une a
l'orient, l'autre a l'occident, deux mains immenses qui se tendent
l'une vers l'autre, et se joignent et s'etreignent par-dessus
l'ocean; c'est l'Europe qui fraternise avec l'Amerique. (_Longs
applaudissements._]
C'est le genre humain qui dit: Aimons-nous!
L'avenir est des a present visible; il appartient a la democratie une
et pacifique; et, vous, nos delegues a l'Exposition de Philadelphie,
vous ebauchez sous nos yeux ce fait superbe que le vingtieme siecle
verra, l'embrassement des Etats-Unis d'Amerique et des Etats-Unis
d'Europe. (_Applaudissements._)
Allez, travailleurs de France, allez, ouvriers de Paris qui savez
penser, allez, ouvrieres de Paris qui savez combattre, hommes utiles,
femmes vaillantes, allez porter la bonne nouvelle, allez dire au
nouveau monde que le vieux monde est jeune. Vous etes les ambassadeurs
de la fraternite. Vous etes les representants de Gutenberg chez
Franklin et de Papin chez Fulton; vous etes les deputes de Voltaire
dans le pays de Washington. Dans cette illustre Amerique, vous
arriverez de l'orient; vous aurez pour etendard l'aurore; vous serez
des hommes eclairants; les porte-drapeau d'aujourd'hui sont les
porte-lumiere. Soyez suivis et benis par l'acclamation humaine, vous
qui, apres tant de desastres et tant de violences, le flambeau de la
civilisation a la main, allez de la terre ou naquit Jesus-Christ a la
terre ou naquit John Brown!
Que la civilisation, qui se compose d'activite, de concorde et de
mansuetude, soit satisfaite. Le rapprochement des deux grandes
republiques ne sera pas perdu; notre politique s'en ameliorera.
Un souffle de clemence dilatera les coeurs. Les deux continents
echangeront non seulement leurs produits, leurs commerces, leurs
industries, mais leurs idees, et les progres dans la justice aussi
bien que les progres dans la prosperite. L'Amerique, en presence des
esclaves, a imite de nous ce grand exemple, la delivrance; et nous,
en presence des condamnes de la guerre civile, nous imiterons
de l'Amerique ce grand exemple, l'amnistie.
(_Sensation.--Applaudissements.--Vive l'amnistie!_)
Que la paix soit entre les hommes! (_Longue acclamation. --Vive Victor
Hugo!--Vive la republique!_)


XXX
OBSEQUES DE MADAME LOUIS BLANC
26 AVRIL 1876.

On lit dans le _Rappel_:
"Bien longtemps avant l'heure indiquee, les abords du n deg. 96 de la rue
de Rivoli etaient encombres d'une foule qui grossissait de moment en
moment, et qui debordait sur le boulevard Sebastopol et sur le square
de la tour Saint-Jacques.
"Le cercueil, couvert de couronnes d'immortelles et de gros bouquets
de lilas blancs, etait expose dans l'allee.
"Les amis intimes qui montaient etaient recus par M. Charles Blanc.
Dans une chambre reculee, Louis Blanc, desespere; sanglotait. Victor
Hugo lui disait de grandes et profondes paroles, qui auraient ete des
consolations, s'il y en avait. Mme Charles Hugo, Mme Menard-Dorian,
MM. Gambetta, Cremieux, Paul Meurice, etc., etaient venus donner au
grand citoyen si cruellement eprouve un temoignage de leur douloureuse
amitie.
"A une heure un quart, le corps a ete place sur le corbillard, et le
cortege s'est mis en marche.
"Louis Blanc, si souffrant qu'il fut, moins de sa maladie que de son
malheur, avait voulu suivre a pied. Il marchait derriere le char,
donnant le bras a son frere.
"Le cortege a pris la rue de Rivoli et s'est dirige vers le cimetiere
du Pere-Lachaise par la rue Saint-Antoine, la place de la Bastille
et la rue de la Roquette. Sur tout ce parcours, les trottoirs et la
chaussee etaient couverts d'une multitude respectueuse et cordiale.
"Quant au cortege, il se composait de tout ce qu'il y a de
republicains dans les deux Chambres, dans le conseil municipal et
dans la presse. Nous n'avons pas besoin de dire que la redaction du
_Rappel_ y etait au complet.
"Sur tout le trajet, Victor Hugo a ete l'objet de l'ovation que le
peuple ne manque jamais de lui faire. Il etait dans une des voitures
de deuil. Pendant quelque temps, la police a pu empecher la foule de
trop s'approcher des roues. Mais a partir de la place de la Bastille,
rien n'a pu retenir hommes et femmes de se presser a la portiere, de
serrer la main qui a ecrit les _Chatiments_ et _Quatrevingt-Treize_,
de faire embrasser au grand poete les petits enfants.
"De la place de la Bastille au cimetiere, c'a ete une acclamation non
interrompue: "Vive Victor Hugo! Vive la republique! Vive l'amnistie!"
Devant la prison de la Roquette, une femme a crie: "Vive l'abolition
de la peine de mort!"
"Lorsqu'on est arrive au cimetiere, l'immense foule qui suivait le
corbillard y a trouve une nouvelle foule non moins immense. Ce n'est
pas sans difficulte que le cortege a pu arriver a la fosse, creusee
tout en haut du cimetiere, derriere la chapelle.
"Le corps descendu dans la fosse, M. le pasteur Auguste Dide a pris la
parole, Mme Louis Blanc etait de la religion reformee. M. Dide a dit
avec eloquence ce qu'a ete pour Louis Blanc celle qu'il a perdue, dans
la proscription, pendant le siege et depuis.
"La chaleureuse harangue de M. Dide a produit une vive et universelle
impression."

Ensuite Victor Hugo a parle:
DISCOURS DE VICTOR HUGO.
Ce que Louis Blanc a fait pour moi il y a deux ans, je le fais
aujourd'hui pour lui. Je viens dire en son nom l'adieu supreme a un
etre aime. L'ami qui a encore la force de parler supplee l'ami qui
ne sait meme plus s'il a encore la force de vivre. Ces douloureux
serrements de main au bord des tombes font partie de la destinee
humaine.
Madame Louis Blanc fut la compagne modeste d'un illustre exil.
Louis Blanc proscrit trouva cette ame. La providence reserve de ces
rencontres aux hommes justes; la vie portee a deux, c'est la vie
heureuse. Madame Louis Blanc fut une figure sereine et calme, entrevue
dans cette lumiere orageuse qui de nos jours se mele aux renommees.
Madame Louis Blanc disparaissait dans le rayonnement de son glorieux
mari, plus fiere de disparaitre que lui de rayonner. Il etait sa
gloire, elle etait sa joie. Elle remplissait la grande fonction
obscure de la femme, qui est d'aimer.
L'homme s'efforce, invente, cree, seme et moissonne, detruit et
construit, pense, combat, contemple; la femme aime. Et que fait-elle
avec son amour? Elle fait la force de l'homme. Le travailleur a besoin
d'une vie accompagnee. Plus le travailleur est grand, plus la compagne
doit etre douce.
Madame Louis Blanc avait cette douceur. Louis Blanc est un apotre de
l'ideal; c'est le philosophe dans lequel il y a un tribun, c'est
le grand orateur, c'est le grand citoyen, c'est l'honnete homme
belligerant, c'est l'historien qui creuse dans le passe le sillon de
l'avenir. De la une vie insultee et tourmentee. Quand Louis Blanc,
dans sa lutte pour le juste et pour le vrai, en proie a toutes les
haines et a tous les outrages, avait bien employe sa journee et bien
fait dans la tempete son fier travail d'esprit combattant, il se
tournait vers cette humble et noble femme, et se reposait dans son
sourire. (_Sensation._)
Helas! elle est morte.
Ah! venerons la femme. Sanctifions-la. Glorifions-la. La femme, c'est
l'humanite vue par son cote tranquille; la femme, c'est le foyer,
c'est la maison, c'est le centre des pensees paisibles. C'est le
tendre conseil d'une voix innocente au milieu de tout ce qui nous
emporte, nous courrouce et nous entraine. Souvent, autour de nous,
tout est l'ennemi; la femme, c'est l'amie. Ah! protegeons-la.
Rendons-lui ce qui lui est du. Donnons-lui dans la loi la place
qu'elle a dans le droit. Honorons, o citoyens, cette mere, cette
soeur, cette epouse. La femme contient le probleme social et le
mystere humain. Elle semble la grande faiblesse, elle est la grande
force. L'homme sur lequel s'appuie un peuple a besoin de s'appuyer sur
une femme. Et le jour ou elle nous manque, tout nous manque. C'est
nous qui sommes morts, c'est elle qui est vivante. Son souvenir prend
possession de nous. Et quand nous sommes devant sa tombe, il nous
semble que nous voyons notre ame y descendre et la sienne en sortir.
(_Vive emotion._)
Vous voila seul, o Louis Blanc.
O cher proscrit, c'est maintenant que l'exil commence.
Mais j'ai foi dans votre indomptable courage. J'ai foi dans votre ame
illustre. Vous vaincrez. Vous vaincrez meme la douleur.
Vous savez bien que vous vous devez a la grande dispute du vrai, au
droit, a la republique, a la liberte. Vous savez bien que vous avez en
vous l'unique mandat imperatif, celui qu'aucune loi ne peut supprimer,
la conscience. Vous dedierez a votre chere morte les vaillants efforts
qui vous restent a faire. Vous vous sentirez regarde par elle. O
You have read 1 text from French literature.
Next - Actes et Paroles, Volume 3 - 18
  • Parts
  • Actes et Paroles, Volume 3 - 01
    Total number of words is 4517
    Total number of unique words is 1546
    38.2 of words are in the 2000 most common words
    52.6 of words are in the 5000 most common words
    58.8 of words are in the 8000 most common words
    Each bar represents the percentage of words per 1000 most common words.
  • Actes et Paroles, Volume 3 - 02
    Total number of words is 4552
    Total number of unique words is 1567
    35.9 of words are in the 2000 most common words
    47.1 of words are in the 5000 most common words
    53.3 of words are in the 8000 most common words
    Each bar represents the percentage of words per 1000 most common words.
  • Actes et Paroles, Volume 3 - 03
    Total number of words is 4470
    Total number of unique words is 1523
    36.1 of words are in the 2000 most common words
    48.6 of words are in the 5000 most common words
    55.8 of words are in the 8000 most common words
    Each bar represents the percentage of words per 1000 most common words.
  • Actes et Paroles, Volume 3 - 04
    Total number of words is 4014
    Total number of unique words is 1307
    39.1 of words are in the 2000 most common words
    49.9 of words are in the 5000 most common words
    56.9 of words are in the 8000 most common words
    Each bar represents the percentage of words per 1000 most common words.
  • Actes et Paroles, Volume 3 - 05
    Total number of words is 4432
    Total number of unique words is 1357
    36.6 of words are in the 2000 most common words
    49.3 of words are in the 5000 most common words
    55.7 of words are in the 8000 most common words
    Each bar represents the percentage of words per 1000 most common words.
  • Actes et Paroles, Volume 3 - 06
    Total number of words is 4398
    Total number of unique words is 1311
    39.4 of words are in the 2000 most common words
    51.8 of words are in the 5000 most common words
    58.1 of words are in the 8000 most common words
    Each bar represents the percentage of words per 1000 most common words.
  • Actes et Paroles, Volume 3 - 07
    Total number of words is 4423
    Total number of unique words is 1571
    36.4 of words are in the 2000 most common words
    49.3 of words are in the 5000 most common words
    55.5 of words are in the 8000 most common words
    Each bar represents the percentage of words per 1000 most common words.
  • Actes et Paroles, Volume 3 - 08
    Total number of words is 4496
    Total number of unique words is 1469
    37.7 of words are in the 2000 most common words
    50.8 of words are in the 5000 most common words
    57.3 of words are in the 8000 most common words
    Each bar represents the percentage of words per 1000 most common words.
  • Actes et Paroles, Volume 3 - 09
    Total number of words is 4479
    Total number of unique words is 1458
    37.8 of words are in the 2000 most common words
    49.5 of words are in the 5000 most common words
    55.6 of words are in the 8000 most common words
    Each bar represents the percentage of words per 1000 most common words.
  • Actes et Paroles, Volume 3 - 10
    Total number of words is 4498
    Total number of unique words is 1461
    39.4 of words are in the 2000 most common words
    52.8 of words are in the 5000 most common words
    59.3 of words are in the 8000 most common words
    Each bar represents the percentage of words per 1000 most common words.
  • Actes et Paroles, Volume 3 - 11
    Total number of words is 4501
    Total number of unique words is 1566
    34.5 of words are in the 2000 most common words
    47.0 of words are in the 5000 most common words
    54.3 of words are in the 8000 most common words
    Each bar represents the percentage of words per 1000 most common words.
  • Actes et Paroles, Volume 3 - 12
    Total number of words is 4423
    Total number of unique words is 1550
    35.7 of words are in the 2000 most common words
    48.4 of words are in the 5000 most common words
    54.1 of words are in the 8000 most common words
    Each bar represents the percentage of words per 1000 most common words.
  • Actes et Paroles, Volume 3 - 13
    Total number of words is 4331
    Total number of unique words is 1471
    33.9 of words are in the 2000 most common words
    45.5 of words are in the 5000 most common words
    52.7 of words are in the 8000 most common words
    Each bar represents the percentage of words per 1000 most common words.
  • Actes et Paroles, Volume 3 - 14
    Total number of words is 4430
    Total number of unique words is 1646
    38.0 of words are in the 2000 most common words
    50.8 of words are in the 5000 most common words
    57.2 of words are in the 8000 most common words
    Each bar represents the percentage of words per 1000 most common words.
  • Actes et Paroles, Volume 3 - 15
    Total number of words is 4517
    Total number of unique words is 1623
    35.2 of words are in the 2000 most common words
    47.3 of words are in the 5000 most common words
    53.9 of words are in the 8000 most common words
    Each bar represents the percentage of words per 1000 most common words.
  • Actes et Paroles, Volume 3 - 16
    Total number of words is 4538
    Total number of unique words is 1428
    37.4 of words are in the 2000 most common words
    48.4 of words are in the 5000 most common words
    54.9 of words are in the 8000 most common words
    Each bar represents the percentage of words per 1000 most common words.
  • Actes et Paroles, Volume 3 - 17
    Total number of words is 4539
    Total number of unique words is 1503
    37.4 of words are in the 2000 most common words
    49.8 of words are in the 5000 most common words
    56.3 of words are in the 8000 most common words
    Each bar represents the percentage of words per 1000 most common words.
  • Actes et Paroles, Volume 3 - 18
    Total number of words is 4547
    Total number of unique words is 1483
    36.8 of words are in the 2000 most common words
    48.5 of words are in the 5000 most common words
    56.5 of words are in the 8000 most common words
    Each bar represents the percentage of words per 1000 most common words.
  • Actes et Paroles, Volume 3 - 19
    Total number of words is 4279
    Total number of unique words is 1398
    38.3 of words are in the 2000 most common words
    50.1 of words are in the 5000 most common words
    55.7 of words are in the 8000 most common words
    Each bar represents the percentage of words per 1000 most common words.
  • Actes et Paroles, Volume 3 - 20
    Total number of words is 4279
    Total number of unique words is 1509
    35.1 of words are in the 2000 most common words
    49.1 of words are in the 5000 most common words
    55.5 of words are in the 8000 most common words
    Each bar represents the percentage of words per 1000 most common words.
  • Actes et Paroles, Volume 3 - 21
    Total number of words is 331
    Total number of unique words is 174
    29.8 of words are in the 2000 most common words
    45.1 of words are in the 5000 most common words
    52.3 of words are in the 8000 most common words
    Each bar represents the percentage of words per 1000 most common words.