Actes et Paroles, Volume 3 - 16

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Ordre, liberte, paix; ce que la monarchie cherche, la republique le
trouve.
VICTOR HUGO.


XXII
POUR UN SOLDAT

(Fevrier 1875.)
Il est desirable que le fait qu'on va lire ne passe point inapercu.
Un soldat, nomme Blanc, fusilier au 112e de ligne, en garnison a
Aix, vient d'etre condamne a mort "pour insulte grave envers son
superieur".
On annonce la prochaine execution de ce soldat.
Cette execution me semble impossible.
Pourquoi? Le voici:
Le 10 decembre 1873, les chefs de l'armee, siegeant a Trianon en haute
cour de justice militaire, ont fait un acte considerable.
Ils ont aboli la peine de mort dans l'armee.
Un homme etait devant eux; un soldat, un soldat responsable entre
tous, un marechal de France. Ce soldat, a l'heure supreme des
catastrophes, avait deserte le devoir; il avait jete bas la
France devant la Prusse; il avait passe a l'ennemi de cette facon
epouvantable que, pouvant vaincre, il s'etait laisse battre; il tenait
une forteresse, la plus forte de l'Europe, il l'avait donnee; il avait
des drapeaux, les plus fiers drapeaux de l'histoire, il les avait
livres; il commandait une armee, la derniere qui restat a l'honneur
national, il l'avait garrottee et offerte aux coups de plat de sabre
des allemands; il avait envoye, prisonniere de guerre, aux casemates
de Spandau et de Magdebourg, la gloire de la France, les bras lies
derriere le dos; pouvant sauver son pays, il l'avait perdu; en livrant
Metz, la cite vierge, il avait livre Paris, la ville heroique; cet
homme avait assassine la patrie.
Le haut conseil de guerre a juge qu'il meritait la mort, et a declare
qu'il devait vivre. En faisant cela, qu'a fait le conseil de guerre?
je le repete, il a aboli dans l'armee la peine de mort. Il a decide
que desormais ni la trahison, ni la desertion a l'ennemi, ni le
parricide, car tuer sa patrie, c'est tuer sa mere, ne seraient punis
de mort.
Le conseil de guerre a bien fait; et nous le felicitons hautement.
Certes, bien des raisons pouvaient conseiller a ces sages et vaillants
officiers le maintien de la peine de mort militaire. Il y a une guerre
dans l'avenir; pour cette guerre il faut une armee; pour l'armee il
faut la discipline; la plus haute des disciplines, c'est la loyaute;
la plus inviolable des subordinations, c'est la fidelite au drapeau;
le plus monstrueux des crimes, c'est la felonie. Qui frappera-t-on si
ce n'est le traitre? quel soldat sera puni si ce n'est le general? qui
sera foudroye par la loi si ce n'est le chef? Ou est l'exemple s'il
n'est en haut? Ces juges se sont dit tout cela; mais ils ont pense, et
nous les en louons, que l'exemple pouvait se faire autrement; que le
moment etait venu de remplacer dans le code de l'armee l'intimidation
par un sentiment plus digne du soldat, de relever l'ideal militaire,
et de substituer a la question de la vie la question de l'honneur.
Profond progres d'ou sortira, pour les besoins du prochain avenir, un
nouveau code militaire, plus efficace que l'ancien.
La peine morale substituee a la peine materielle est plus terrible.
Preuve: Bazaine.
Oui, la degradation suffit. Ou la honte coule, le sang verse est
inutile. La punition assaisonnee de cette hautaine clemence est plus
redoutable. Laissez cet homme a son abime. C'est toujours la sombre et
grande histoire de Cain. Bazaine mis a mort laisse derriere lui une
legende; Bazaine vivant traine la nuit.
Donc le conseil de guerre a bien fait.
Qu'ajouter maintenant?
Le marechal disparait, voici un soldat.
Nous avons devant les yeux, non plus le haut dignitaire, non plus le
grand-croix de la legion d'honneur, non plus le senateur de l'empire,
non plus le general d'armee; mais un paysan. Non plus le vieux
chef plein d'aventures et d'annees; mais un jeune homme. Non plus
l'experience, mais l'ignorance.
Ayant epargne celui-ci, allez-vous frapper celui-la?
De tels contrastes sont-ils possibles? Est-il utile de proposer a
l'intelligence des hommes de telles enigmes?
Ce rapprochement n'est-il pas effrayant? Est-il bon de contraindre la
profonde honnetete du peuple a des confrontations de cette nature:
avoir vendu son drapeau, avoir livre son armee, avoir trahi son pays,
la vie; avoir soufflete son caporal, la mort!
La societe n'est pas vide; il y a quelqu'un; il y a des ministres,
il y a un gouvernement, il y a une assemblee, et, au-dessus des
ministres, au-dessus du gouvernement, au-dessus de l'assemblee,
au-dessus de tout, il y a la droiture publique; c'est a cela que je
m'adresse.
L'impot du sang paye a outrance, c'etait la loi des regimes anciens;
ce ne peut etre la loi de la civilisation nouvelle. Autrefois, la
chaumiere etait sans defense, les larmes des meres et des fiancees
ne comptaient pas, les veuves sanglotaient dans la surdite publique,
l'accablement des penalites etait inexprimable; ces moeurs ne sont
plus les notres. Aujourd'hui, la pitie existe; l'ecrasement de ce qui
est dans l'ombre repugne a une societe qui ne marche plus qu'en avant;
on comprend mieux le grand devoir fraternel; on sent le besoin, non
d'extirper, mais d'eclairer. Du reste, disons-le, c'est une erreur
de croire que la revolution a pour resultat l'amoindrissement de
l'energie sociale; loin de la, qui dit societe libre dit societe
forte. La magistrature peut se transformer, mais pour croitre en
dignite et en justice; l'armee peut se modifier, mais pour grandir
en honneur. La puissance sociale est une necessite; l'armee et la
magistrature sont une vaste protection; mais qui doit-on proteger
d'abord? Ceux qui ne peuvent se proteger eux-memes; ceux qui sont en
bas, ceux sur qui tout pese; ceux qui ignorent, ceux qui souffrent.
Oui, codes, chambres, tribunaux, cet ensemble est utile; oui, cet
ensemble est bon et beau, a la condition que toute cette force ait
pour loi morale un majestueux respect des faibles.
Autrefois, il n'y avait que les grands, maintenant il y a les petits.
Je me resume.
On n'a pas fusille le marechal de France; fusillera-t-on le soldat?
Je le repete, cela est impossible.
J'eusse intercede pour Bazaine, j'intercede pour Blanc.
J'eusse demande la vie du miserable, je demande la vie du malheureux.
Si l'on veut savoir de quel droit j'interviens dans cette douloureuse
affaire, je reponds: De l'immense droit du premier venu. Le premier
venu, c'est la conscience humaine.
* * * * *
Le 26 fevrier 1875, Victor Hugo publia cette reclamation, et attendit.
En 1854, quand Victor Hugo, proscrit, etait intervenu pour le condamne
Tapner, les journaux bonapartistes avaient declare que, puisque
Victor Hugo demandait la vie de Tapner, Tapner devait etre execute. A
l'occasion du soldat Blanc, ce fait monstrueux se renouvela. Certaines
feuilles reactionnaires intimerent au gouvernement l'ordre de resister
a "la pression de M. Victor Hugo", et dirent hautement que, puisque M.
Victor Hugo intercedait pour le soldat Blanc, il fallait fusiller le
soldat Blanc.
Ces journaux n'eurent pas en 1875 le meme succes qu'en 1854. Tapner
avait ete pendu, Blanc ne fut pas fusille. Il eut grace de la vie. Sa
peine fut commuee en cinq ans de prison, sans degradation militaire.


XXIII
OBSEQUES D'EDGAR QUINET

(29 mars 1875.)
Je viens, devant cette fosse ouverte, saluer une grande ame.
Nous vivons dans un temps ou abondent glorieusement les ecrivains et
les philosophes. La pensee humaine a de tres hautes cimes dans notre
epoque, et, parmi ces cimes, Edgar Quinet est un sommet. La clarte
sereine du vrai est sur le front de ce penseur. C'est pourquoi je le
salue.
Je le salue parce qu'il a ete citoyen, patriote, homme; triple vertu;
le penseur doit dilater sa fraternite de la famille a la patrie et de
la patrie a l'humanite; c'est par ces elargissements d'horizon que le
philosophe devient apotre. Je salue Edgar Quinet parce qu'il a ete
genereux et utile, vaillant et clement, convaincu et persistant, homme
de principes et homme de douceur; tendre et altier; altier devant
ceux qui regnent, tendre pour ceux qui souffrent.
(_Applaudissements._--_Cris de_: Vive la republique!)
L'oeuvre d'Edgar Quinet est illustre et vaste. Elle a le double
aspect, ce qu'on pourrait appeler le double versant, politique et
litteraire, et par consequent la double utilite dont notre siecle a
besoin; d'un cote le droit, de l'autre l'art; d'un cote l'absolu, de
l'autre l'ideal.
Au point de vue purement litteraire, elle charme en meme temps qu'elle
enseigne; elle emeut en meme temps qu'elle conseille. Le style d'Edgar
Quinet est robuste et grave, ce qui ne l'empeche pas d'etre penetrant.
On ne sait quoi d'affectueux lui concilie le lecteur. Une profondeur
melee de bonte fait l'autorite de cet ecrivain. On l'aime. Quinet est
un de ces philosophes qui se font comprendre jusqu'a se faire obeir.
C'est un sage parce que c'est un juste.
Le poete en lui s'ajoutait a l'historien. Ce qui caracterise les vrais
penseurs, c'est un melange de mystere et de clarte. Ce don profond de
la pensee entrevue, Quinet l'avait. On sent qu'il pense, pour ainsi
dire, au dela meme de la pensee. (_Mouvement._) Tels sont les
ecrivains de la grande race.
Quinet etait un esprit; c'est-a-dire un de ces etres pour qui la
vieillesse n'est pas, et qui s'accroissent par l'accroissement des
annees. Ainsi ses dernieres oeuvres sont les plus belles. Ses deux
ouvrages les plus recents, la _Creation_ et l'_Esprit nouveau_,
offrent au plus haut degre ce double caractere actuel et prophetique
qui est le signe des grandes oeuvres. Dans l'un et dans l'autre de
ces ouvrages, il y a la Revolution qui fait les livres vivants, et la
poesie qui fait les livres immortels. (_Bravos._) C'est ainsi qu'un
ecrivain existe a la fois pour le present et pour l'avenir.
Il ne suffit pas de faire une oeuvre, il faut en faire la preuve.
L'oeuvre est faite par l'ecrivain, la preuve est faite par l'homme. La
preuve d'une oeuvre, c'est la souffrance acceptee.
Quinet a eu cet honneur, d'etre exile, et cette grandeur, d'aimer
l'exil. Cette douleur a ete pour lui la bien venue. Etre genant au
tyran plait aux fieres ames. (_Sensation._) Il y a de l'election dans
la proscription. Etre proscrit, c'est etre choisi par le crime pour
representer le droit. (_Acclamations.--Cris de:_ Vive la republique!
vive Victor Hugo!) Le crime se connait en vertu; le proscrit est l'elu
du maudit. Il semble que le maudit lui dise: Sois mon contraire. De la
une fonction.
Cette fonction, Quinet l'a superbement remplie. Il a dignement vecu
dans cette ombre tragique de l'exil ou Louis Blanc a rayonne, ou
Barbes est mort. (_Profonde emotion._)
Ne plaignez pas ces hommes; ils ont fait le devoir. Etre la France
hors de France, etre vaincu et pourtant vainqueur, souffrir pour ceux
qui croient prosperer, feconder la solitude insultee et saine du
proscrit, subir utilement la nostalgie, avoir une plaie qu'on peut
offrir a la patrie, adorer son pays accable et amoindri, en avoir
d'autant plus l'orgueil que l'etranger veut en avoir le dedain
(_applaudissements_), representer, debout, ce qui est tombe,
l'honneur, la justice, le droit, la loi; oui, cela est bon et doux,
oui, c'est le grand devoir, et a qui le remplit qu'importe la
souffrance, l'isolement, l'abandon! Avec quelle joie, pour servir son
pays de cette facon austere, on accepte, pendant dix ans, pendant
vingt ans, toute la vie, la confrontation severe des montagnes ou la
sinistre vision de la mer! (_Sensation profonde._)
Adieu, Quinet. Tu as ete utile et grand. C'est bien, et ta vie a ete
bonne. Entre dans toutes les memoires, ombre venerable. Sois aime du
peuple que tu as aime.
Adieu.
Un dernier mot.
La tombe est severe. Elle nous prend ce que nous aimons, elle nous
prend ce que nous admirons. Qu'elle nous serve du moins a dire les
choses necessaires. Ou la parole sera-t-elle haute et sincere si
ce n'est devant la mort? Profitons de notre douleur pour jeter
des clartes dans les ames. Les hommes comme Edgar Quinet sont des
exemples; par leurs epreuves comme par leurs travaux, ils ont aide,
dans la vaste marche des idees, le progres, la democratie, la
fraternite. L'emancipation des peuples est une oeuvre sacree. En
presence de la tombe, glorifions cette oeuvre. Que la realite celeste
nous aide a attester la realite terrestre. Devant cette delivrance,
la mort, affirmons cette autre delivrance, la Revolution.
(_Applaudissements._--Vive la republique!) Quinet y a travaille.
Disons-le ici, avec douceur, mais avec hauteur, disons-le a ceux
qui meconnaissent le present, disons-le a ceux qui nient l'avenir,
disons-le a tant d'ingrats delivres malgre eux (_mouvement_), car
c'est au profit de tous que le passe a ete vaincu, oui, les magnanimes
lutteurs comme Quinet ont bien merite du genre humain. Devant un tel
sepulcre, affirmons les hautes lois morales. Ecoutes par l'ombre
genereuse qui est ici, disons que le devoir est beau, que la probite
est sainte, que le sacrifice est auguste, qu'il y a des moments ou le
penseur est un heros, que les revolutions sont faites par les esprits,
sous la conduite de Dieu, et que ce sont les hommes justes qui font
les peuples libres. (_Bravos._) Disons que la verite, c'est la
liberte. Le tombeau, precisement parce qu'il est obscur, a cause de
sa noirceur meme, a une majeste utile a la proclamation des grandes
realites de la conscience humaine, et le meilleur emploi qu'on puisse
faire de ces tenebres, c'est d'en tirer cette lumiere. (_Acclamations
unanimes.--Cris de:_ Vive Victor Hugo! Vive la republique!)


XXIV
AU CONGRES DE LA PAIX

Victor Hugo, invite en septembre 1875 a adherer au Congres de la paix,
a repondu:
Le Congres de la paix veut bien se souvenir de moi et me faire appel.
J'en suis profondement touche.
Je ne puis que redire a mes concitoyens d'Europe ce que je leur ai
dit deja plusieurs fois depuis l'annee 1871, si fatale pour l'univers
entier. Mes esperances ne sont pas ebranlees, mais sont ajournees.
Il y a actuellement deux efforts dans la civilisation; l'un pour,
l'autre contre; l'effort de la France et l'effort de l'Allemagne.
Chacune veut creer un monde. Ce que l'Allemagne veut faire, c'est
l'Allemagne; ce que la France veut faire, c'est l'Europe.
Faire l'Allemagne, c'est construire l'empire, c'est-a-dire la nuit;
faire l'Europe, c'est enfanter la democratie, c'est-a-dire la lumiere.
N'en doutez pas, entre les deux mondes, l'un tenebreux, l'autre
radieux, l'un faux, l'autre vrai, le choix de l'avenir est fait.
L'avenir departagera l'Allemagne et la France; il rendra a l'une sa
part du Danube, a l'autre sa part du Rhin, et il fera a toutes deux ce
don magnifique, l'Europe, c'est-a-dire la grande republique federale
du continent.
Les rois s'allient pour se combattre et font entre eux des traites
de paix qui aboutissent a des cas de guerre; de la ces monstrueuses
ententes des forces monarchiques contre tous les progres sociaux,
contre la Revolution francaise, contre la liberte des peuples. De
la Wellington et Blucher, Pitt et Cobourg; de la ce crime, dit la
Sainte-Alliance; qui dit alliance de rois dit alliance de vautours.
Cette fraternite fratricide finira; et a l'Europe des Rois-Coalises
succedera l'Europe des Peuples-Unis.
Aujourd'hui? non. Demain? oui.
Donc, ayons foi et attendons l'avenir.
Pas de paix jusque-la. Je le dis avec douleur, mais avec fermete.
La France demembree est une calamite humaine. La France n'est pas a
la France, elle est au monde; pour que la croissance humaine soit
normale, il faut que la France soit entiere; une province qui manque a
la France, c'est une force qui manque au progres, c'est un organe qui
manque au genre humain; c'est pourquoi la France ne peut rien conceder
de la France. Sa mutilation mutile la civilisation.
D'ailleurs il y a des fractures partout, et en ce moment vous en
entendez une crier, l'Herzegovine. Helas! aucun sommeil n'est possible
avec des plaies comme celles-ci: la Pologne, la Crete, Metz et
Strasbourg, et apres des affronts comme ceux-ci: l'empire germanique
retabli en plein dix-neuvieme siecle, Paris viole par Berlin, la ville
de Frederic II insultant la ville de Voltaire, la saintete de la force
et l'equite de la violence proclamees, le progres soufflete sur la
joue de la France. On ne met point la paix la-dessus. Pour pacifier,
il faut apaiser; pour apaiser, il faut satisfaire. La fraternite n'est
pas un fait de surface. La paix n'est pas une superposition.
La paix est une resultante. On ne decrete pas plus la paix qu'on ne
decrete l'aurore. Quand la conscience humaine se sent en equilibre
avec la realite sociale; quand le morcellement des peuples a fait
place a l'unite des continents; quand l'empietement appele conquete et
l'usurpation appelee royaute ont disparu; quand aucune morsure
n'est faite, soit a un individu, soit a une nationalite, par aucun
voisinage; quand le pauvre comprend la necessite du travail et quand
le riche en comprend la majeste; quand le cote matiere de l'homme se
subordonne au cote esprit; quand l'appetit se laisse museler par la
raison; quand a la vieille loi, prendre, succede la nouvelle loi,
comprendre; quand la fraternite entre les ames s'appuie sur l'harmonie
entre les sexes; quand le pere est respecte par l'enfant et quand
l'enfant est venere par le pere; quand il n'y a plus d'autre autorite
que l'auteur; quand aucun homme ne peut dire a aucun homme: Tu es mon
betail; quand le pasteur fait place au docteur, et la bergerie (qui
dit bergerie dit boucherie) a l'ecole; quand il y a identite entre
l'honnetete politique et l'honnetete sociale; quand un Bonaparte n'est
pas plus possible en haut qu'un Troppmann en bas; quand le pretre
se sent juge et quand le juge se sent pretre, c'est-a-dire quand
la religion est integre et quand la justice est vraie; quand
les frontieres s'effacent entre une nation et une nation, et se
retablissent entre le bien et le mal; quand chaque homme se fait de sa
propre probite une sorte de patrie interieure; alors, de la meme facon
que le jour se fait, la paix se fait; le jour par le lever de l'astre,
la paix par l'ascension du droit.
Tel est l'avenir. Je le salue.
VICTOR HUGO.

Paris, 9 septembre 1875.


XXV

Le 16 janvier 1876, Victor Hugo fut nomme, par le Conseil municipal,
Delegue de Paris aux elections senatoriales.
Il adressa immediatement a ses collegues, les Delegues de toutes les
communes de France, la lettre publique qu'on va lire.
LE DELEGUE DE PARIS
AUX DELEGUES DES 36,000 COMMUNES DE FRANCE
Electeurs des communes de France,
Voici ce que Paris attend de vous:
Elle a bien souffert, la noble ville. Elle avait pourtant accompli son
devoir. L'empire, en decembre 1851, l'avait prise de force, et, apres
avoir tout fait pour la vaincre, avait tout fait pour la corrompre;
corrompre est la vraie victoire des despotes; degrader les
consciences, amollir les coeurs, diminuer les ames, bon moyen de
regner; le crime devient vice et passe dans le sang des peuples; dans
un temps donne, le cesarisme finit par faire de la cite supreme une
Rome qui indigne Tacite; la violence degeneree en corruption, pas
de joug plus funeste; ce joug, Paris l'avait endure vingt ans;
l'empoisonnement avait eu le temps de reussir. Un jour, il y a cinq
annees de cela, jugeant l'heure favorable, estimant que le 2 Decembre
devait avoir acheve son oeuvre d'abaissement, les ennemis violerent
la France prise au piege, et, apres avoir souffle sur l'empire qui
disparut, se ruerent sur Paris. Ils croyaient rencontrer Sodome.
Ils trouverent Sparte. Quelle Sparte? Une Sparte de deux millions
d'hommes; un prodige; ce que l'histoire n'avait jamais vu; Babylone
ayant l'heroisme de Saragosse. Un investissement sauvage, le
bombardement, toutes les brutalites vandales, Paris, cette commune qui
vous parle en ce moment, o communes de France, Paris a tout subi; ces
deux millions d'hommes ont montre a quel point la patrie est une ame,
car ils ont ete un seul coeur. Cinq mois d'un hiver polaire, que ces
peuples du nord semblaient avoir amene avec eux, ont passe sur la
resistance des parisiens sans la lasser. On avait froid, on avait
faim, on etait heureux de sentir qu'on sauvait l'honneur de la France
et que le Paris de 1871 continuait le Paris de 1792; et, le jour ou de
faibles chefs militaires ont fait capituler Paris, toute autre ville
eut pousse un cri de joie, Paris a pousse un cri de douleur.
Comment cette ville a-t-elle ete recompensee? Par tous les outrages.
Aucun martyre n'a ete epargne a la cite sublime. Qui dit martyre dit
le supplice plus l'insulte. Elle seule avait desormais droit a l'Arc
de Triomphe. C'est par l'Arc de Triomphe que la France, representee
par son assemblee, eut voulu rentrer dans Paris, tete nue. La France
eut voulu s'honorer en honorant Paris. Le contraire a ete fait. Je ne
juge pas, je constate. L'avenir prononcera son verdict.
Quoi qu'il en soit, et sans insister, Paris a ete meconnu. Paris,
chose triste, a eu des ennemis ailleurs qu'a l'etranger. On a accable
de calomnies cette incomparable ville qui avait fait front dans le
desastre, qui avait arrete et deconcerte l'Allemagne, et qui, aidee
par l'intrepide et puissante assistance du gouvernement de Tours,
aurait, si la resistance eut dure un mois de plus, change l'invasion
en deroute. A ce Paris qui meritait toutes les venerations, on a jete
tous les affronts. On a mesure la quantite d'insulte prodiguee a
la quantite de respect du. Qu'importe d'ailleurs? En lui otant son
diademe de capitale de la France, ses ennemis ont mis a nu son cerveau
de capitale du monde. Ce grand front de Paris est maintenant tout a
fait visible, d'autant plus rayonnant qu'il est decouronne. Desormais
les peuples unanimes reconnaissent Paris pour le chef-lieu du genre
humain.
Electeurs des communes, aujourd'hui une grande heure sonne, la parole
est donnee au peuple, et, apres tant de combats, tant de souffrances,
tant d'injustices, tant de tortures, l'heroique ville, encore a ce
moment frappee d'ostracisme, vient a vous. Que vous demande-t-elle?
Rien pour elle, tout pour la patrie.
Elle vous demande de mettre hors de question l'avenir. Elle vous
demande de fonder la verite politique, de fonder la verite sociale, de
fonder la democratie, de fonder la France. Elle vous demande de faire
sortir de la solennite du vote la satisfaction des interets et des
consciences, la republique indestructible, le travail honore et
delivre, l'impot diminue dans l'ensemble et proportionne dans le
detail, le revenu social degage des parasitismes, le suffrage
universel complete, la penalite rectifiee, l'enseignement pour tous,
le droit pour tous. Electeurs des communes, Paris, la commune supreme,
vous demande, votre vote etant un decret, de decreter, par la
signification de vos choix, la fin des abus par l'avenement des
verites, la fin de la monarchie par la federation des peuples, la fin
de la guerre etrangere par l'arbitrage, la fin de la guerre civile par
l'amnistie, la fin de la misere par la fin de l'ignorance. Paris vous
demande la fermeture des plaies. A cette heure, ou tant de forces
hostiles sont encore debout et menacent, il vous demande de donner
confiance au progres; il vous demande d'affirmer le droit devant la
force, d'affirmer la France devant le germanisme, d'affirmer Paris
devant Rome, d'affirmer la lumiere devant la nuit.
Vous le ferez.
Un mot encore.
Dissipons les illusions. Dissipons-les sans colere, avec le calme
de la certitude. Ceux qui revent d'abolir legalement dans un temps
quelconque la republique, se trompent. La republique preexiste. Elle
est de droit naturel. On ne vote pas pour ou contre l'air qu'on
respire. On ne met pas aux voix la loi de croissance du genre humain.
Les monarchies, comme les tutelles, peuvent avoir leur raison d'etre,
tant que le peuple est petit. Parvenu a une certaine taille, le peuple
se sent de force a marcher seul, et il marche. Une republique, c'est
une nation qui se declare majeure. La revolution francaise, c'est la
civilisation emancipee. Ces verites sont simples.
La croissance est une delivrance. Cette delivrance ne depend de
personne; pas meme de vous. Mettez-vous aux voix l'heure ou vous
avez vingt et un ans? Le peuple francais est majeur. Modifier sa
constitution est possible. Changer son age, non. Le remettre en
monarchie, ce serait le remettre en tutelle. Il est trop grand pour
cela.
Qu'on renonce donc aux chimeres.
Acceptons la virilite. La virilite, c'est la republique. Acceptons-la
pour nous, desirons-la pour les autres. Souhaitons aux autres peuples
la pleine possession d'eux-memes. Offrons-leur cette inebranlable base
de paix, la federation. La France aime profondement les nations; elle
se sent soeur ainee. On la frappe, on la traite comme une enclume,
mais elle etincelle sous la haine; a ceux qui veulent lui faire une
blessure, elle envoie une clarte; c'est sa facon de rendre coup pour
coup. Faire du continent une famille; delivrer le commerce que les
frontieres entravent, l'industrie que les prohibitions paralysent, le
travail que les parasitismes exploitent, la propriete que les impots
accablent, la pensee que les despotismes muselent, la conscience
que les dogmes garrottent; tel est le but de la France. Y
parviendra-t-elle? Oui. Ce que la France fonde en ce moment, c'est
la liberte des peuples; elle la fonde pacifiquement, par l'exemple;
l'oeuvre est plus que nationale, elle est continentale; l'Europe libre
sera l'Europe immense; elle n'aura plus d'autre travail que sa propre
prosperite; et, par la paix que la fraternite donne, elle atteindra la
plus haute stature que puisse avoir la civilisation humaine.
On nous accuse de mediter une revanche; on a raison; nous meditons une
revanche en effet, une revanche profonde. Il y a cinq ans, l'Europe
semblait n'avoir qu'une pensee, amoindrir la France; la France
aujourd'hui lui replique, et elle aussi n'a qu'une pensee, grandir
l'Europe.
La republique n'est autre chose qu'un grand desarmement; a ce
desarmement, il n'est mis qu'une condition, le respect reciproque
du droit. Ce que la France veut, un mot suffit a l'exprimer, un mot
sublime, la paix. De la paix sortira l'arbitrage, et de l'arbitrage
sortiront les restitutions necessaires et legitimes. Nous n'en doutons
pas. La France veut la paix dans les consciences, la paix dans les
interets, la paix dans les nations; la paix dans les consciences par
la justice, la paix dans les interets par le progres, la paix dans les
nations par la fraternite.
Cette volonte de la France est la votre, electeurs des communes.
Achevez la fondation de la republique. Faites pour le senat de la
France de tels choix qu'il en sorte la paix du monde. Vaincre
est quelque chose, pacifier est tout. Faites, en presence de la
civilisation qui vous regarde, une republique desirable, une
republique sans etat de siege, sans baillon, sans exils, sans bagnes
politiques, sans joug militaire, sans joug clerical, une republique
de verite et de liberte. Tournez-vous vers les hommes eclaires.
Envoyez-les au senat, ils savent ce qu'il faut a la France. C'est de
lumiere que l'ordre est fait. La paix est une clarte. L'heure des
violences est passee. Les penseurs sont plus utiles que les soldats;
par l'epee on discipline, mais par l'idee on civilise. Quelqu'un est
plus grand que Themistocle, c'est Socrate; quelqu'un est plus grand
que Cesar, c'est Virgile; quelqu'un est plus grand que Napoleon, c'est
Voltaire.


XXVI
OBSEQUES DE FREDERICK-LEMAITRE
20 JANVIER 1876.

Extrait du _Rappel_:
"Le grand peuple de Paris a fait au grand artiste qu'il vient de
perdre des funerailles dignes de tous deux. Paris sait honorer ses
morts comme il convient. A l'acteur sans maitre comme sans rival, qui
faisait courir tout Paris quand il interpretait si superbement les
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