Actes et Paroles, Volume 3 - 15

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la servant, parce que, suivant une belle remarque de Victor Hugo,
traduire un poete etranger, c'est accroitre la poesie nationale. Et
quel poete que celui que Francois-Victor Hugo entreprit de faire
connaitre a la France!
Pour y reussir pleinement, il fallait pouvoir transporter dans notre
langue, sans offenser la pruderie de notre gout, tout ce que le
style de Shakespeare a de hardi dans sa vigueur, d'etrange dans sa
sublimite; il fallait pouvoir decouvrir et devoiler les procedes de ce
merveilleux esprit, montrer l'etonnante originalite de ses imitations,
indiquer les sources ou il puisa tant de choses devenues si
completement siennes; etudier, comparer, juger ses nombreux
commentateurs; en un mot, il fallait pouvoir prendre la mesure de
ce genie universel. Eh bien, c'est cet effrayant labeur que
Francois-Victor Hugo, que le fils de notre Shakespeare a nous ...
(_applaudissements_) aborda et sut terminer a un age ou la plupart des
hommes, dans sa situation, ne s'occupent que de leurs plaisirs.
Les trente-six introductions aux trente-six drames de Shakespeare
suffiraient pour lui donner une place parmi les hommes litteraires les
plus distingues de notre temps.
Elles disent assez, a part meme le merite de sa traduction, la
meilleure qui existe, quelle perte le monde des lettres et le monde de
la science ont faite en le perdant.
Et la republique! Elle a aussi le droit de porter son deuil. Car ce
fut au signal donne par elle qu'il accourut avec son pere et son
frere,--d'autant plus impatients de venir s'enfermer dans la capitale,
qu'il y avait la, en ce moment, d'affreuses privations a subir et
le peril a braver. On sait avec quelle fermete ils traverserent les
horreurs d'un siege qui sera l'eternelle gloire de ce grand peuple de
Paris.
Mais d'autres epreuves les attendaient. Bientot, l'auteur de l'_Annee
terrible_ eut a pleurer la mort d'un de ses fils et a trembler pour la
vie de l'autre. Pendant seize mois, Francois-Victor Hugo a ete torture
par la maladie qui nous l'enleve. Entoure par l'affection paternelle
de soins assidus, dispute a la mort chaque jour, a chaque heure, par
un ange de devouement, la veuve de son frere, son energie secondait si
bien leurs efforts, qu'il aurait ete sauve s'il avait pu l'etre.
Sa tranquillite etait si constante, sa serenite avait quelque chose de
si indomptable, que, malgre l'empreinte de la mort, depuis longtemps
marquee sur son visage, nous nous prenions quelquefois a esperer....
Esperait-il lui-meme, lorsqu'il nous parlait de l'avenir, et qu'il
s'efforcait de sourire? Ou bien voulait-il, par une inspiration digne
de son ame, nous donner des illusions qu'il n'avait pas, et tromper
nos inquietudes? Ce qui est certain, c'est que, pendant toute une
annee, il a, selon le mot de Montaigne, "vecu de la mort", jusqu'au
moment ou, toujours calme, il s'est endormi pour la derniere fois,
laissant apres lui ce qui ne meurt pas, le souvenir et l'exemple du
devoir accompli.
Quant au vieillard illustre que tant de malheurs accablent, il lui
reste, pour l'aider a porter jusqu'a la fin le poids des jours, la
conviction qu'il a si bien formulee dans ces beaux vers:
C'est un prolongement sublime que la tombe.
On y monte, etonne d'avoir cru qu'on y tombe.
Dans la derniere lettre que j'ai recue de lui, qui fut la derniere
ecrite par lui, Barbes me disait: "Je vais mourir, et toi tu vas avoir
de moins un ami sur la terre. Je voudrais que le systeme de Reynaud
fut vrai, pour qu'il nous fut donne de nous revoir ailleurs."
Nous revoir ailleurs! De l'espoir que ces mots expriment venait la
foi de Barbes dans la permanence de l'etre, dans la continuite de son
developpement progressif. Il n'admettait pas l'idee des separations
absolues, definitives. Victor Hugo ne l'admet pas, lui non plus, cette
idee redoutable. Il croit a Dieu eternel, il croit a l'ame immortelle.
C'est la ce qui le rendra capable, tout meurtri qu'il est, de vivre
pour son autre famille, celle a qui appartient la vie des grands
hommes, l'humanite. (_Applaudissements prolonges._)
Apres ce discours, d'une eloquence si forte et si emue, et qui a
profondement touche toute cette grande foule, Victor Hugo a embrasse
Louis Blanc; puis ses amis l'ont enleve de la fosse. Alors c'a ete a
qui se precipiterait vers lui et lui prendrait la main. Amis connus
ou inconnus, hommes, femmes, tous se pressaient sur son passage; on
voyait la quel coeur est celui de ce peuple de Paris, si reconnaissant
a ceux qui l'aiment; les femmes pleuraient; et tout a coup le
sentiment de tous a eclate dans l'explosion de ce cri prolonge et
repete: Vive Victor Hugo! Vive la republique!
Victor Hugo a pu enfin monter en voiture, avec Louis Blanc. Mais
pendant longtemps encore la voiture n'a pu aller qu'au pas, a cause de
la foule, et les mains continuaient a se tendre par la portiere. Louis
Blanc avait sa part de ces touchantes manifestations.
Et, en revenant, nous nous redisions la strophe des _Feuilles
d'automne_:
Seigneur! preservez-moi, preservez ceux que j'aime,
Mes parents, mes amis, et mes ennemis meme
Dans le mal triomphants,
De jamais voir, Seigneur, l'ete sans fleurs vermeilles,
La cage sans oiseaux, la ruche sans abeilles,
La maison sans enfants!
Dieu n'a pas exauce le poete. Les oiseaux sont envoles, la maison est
vide. Mais Louis Blanc a raison, il reste au malheureux pere encore
une famille. Il l'a vue aujourd'hui, elle l'a accompagne et soutenu,
elle a pleure avec lui. Et, s'il n'y a pas de consolations a de telles
douleurs, c'est un adoucissement pourtant que de sentir autour de soi
tant de respect affectueux et cette admiration universelle.
Malgre l'enormite de la foule, il n'y a pas eu le moindre desordre, ni
le moindre accident. Cette manifestation imposante s'est faite avec
une gravite et une tranquillite profondes.
Il est impossible d'enumerer tous les noms connus des ecrivains, des
hommes politiques, des artistes qui se pressaient dans la foule.
Les anciens collegues de Victor Hugo a l'Assemblee nationale etaient
venus en grand nombre. Citons parmi eux MM. Louis Blanc, Gambetta,
Cremieux, Emmanuel Arago, Jules Simon, Victor Schoelcher, Peyrat,
Edmond Adam, Eugene Pelletan, Lepere, Laurent Pichat, Henri de
Lacretelle, Noel Parfait, Alfred Naquet, Tirard, Henri Martin,
Georges Perin, Jules Ferry, Germain Casse, Henri Brisson, Arnaud (de
l'Ariege), Millaud, Martin-Bernard, Ordinaire, Melvil-Bloncourt,
Eugene Farcy, Bamberger, Charles Rolland, Escarguel, Caduc, Daumas,
Jules Barni, Lefevre, Corbon, Simiot, Greppo, Lafon de Fongaufier,
etc., etc.
Nommons ensuite, au hasard, MM. Alexandre Dumas fils, Gustave
Flaubert, Felicien David, Charles Blanc, Louis Ulbach, Monselet,
Theodore de Banville; Leon Valade, Philippe Burty, Nefftzer, docteur
See, Emile Perrin, Ritt, Larochelle, Duquesnel, Aime Millet, Edouard
Manet, Bracquemond, Jacquemart, Andre Gill, Carjat, Nadar, Henri Roger
de Beauvoir, les freres Lionnet, Delaunay, Dumaine, Taillade, Pierre
Berton, Andre Lefevre, Mario Proth, E. Tarbe, Frederic Thomas, docteur
Mandl, Ernest Hamel, Pierre Veron, Edouard Plouvier, Alfred Quidant,
Pradilla Para, consul de Colombie, Etienne Arago, Lecanu, Mario
Uchard, Hippolyte Lucas, Amedee Pommier, Mme Blanchecotte, Kaempfen,
Lechevalier, Hetzel, Michel Levy freres, Emile de la Bedolliere,
Robert Mitchell, Catalan, professeur a l'universite de Liege, E.
Deschanel, Jules Claretie, Eugene Manuel, duc de Bellune, Edouard
Laferriere, Paul Arene, docteur Faivre, Leon Dierx, Catulle Mendes,
Emile Daclin, Victor Cochinat, Mayrargue, Louis Leroy, Maurice Bixio,
Adolphe Michel, Michaelis, Antonin Proust, Louis Asseline, A. de la
Fizeliere, Maracineano de Bucharest, Louis Lacombe, Armand Lapointe,
Denis de la Garde, Louis Ratisbonne, Leon Cladel, Tony Revillon,
Charles Chassin, Emmanuel Gonzales, Louis Koch, Agricol Perdiguier,
Andre Roussel, Ferdinand Dugue, Schiller, P. Deloir, Dommartin,
Habeneck, Ginesta, Lepelletier, Rollinat, Richard Lesclide, Coedes,
Busnach, Edg. Hement, Yves Guyot, Valbregue, Elzear Bornier, Pothay,
Barbieux, Montrosier, Lacroix, Adrien Huart, George Richard, Rey (de
l'Odeon), Balitout, Allain-Targe, Spuller, Nadaud, Ollive, Perrinelle,
conseiller general de la Seine, J.-A. Lafont, Gabriel Guillemot, etc.,
etc.
Le _Rappel_ etait la tout entier: MM. Auguste Vacquerie, Paul Meurice,
Edouard Lockroy, Frederic Morin, Gaulier, Camille Pelletan, C.
Quentin, Victor Meunier, Ernest Lefevre; Ernest Blum, d'Hervilly,
Emile Blemont, L. Constant, Barberet, Lemay, Luthereau, Feron,
Pelleport, Destrem, Am. Blondeau, etc., les compositeurs et imprimeurs
du _Rappel_.
(Le _Rappel_ du 30 decembre 1873.)


XVIII
LE CENTENAIRE DE PETRARQUE

Victor Hugo, a l'occasion des fetes du centenaire de Petrarque, a recu
l'invitation suivante:
Avignon, 14 juillet 1874.
Cher et grand citoyen,
Le 18 juillet, Avignon officiel va donner de grandes fetes en
l'honneur de Petrarque, a l'occasion du cinquieme centenaire de sa
mort.
Plusieurs villes et plusieurs societes savantes de l'Italie se font
representer a ces fetes par des delegues. M. Nigra sera parmi nous.
Or, dans notre ville, le conseil municipal elu a ete remplace par une
commission municipale triee, selon l'usage, par un des plus celebres
prefets de l'ordre moral. C'est ce monde-la qui va recevoir les
patriotes que l'Italie nous envoie.
Il importe donc, selon nous, qu'une main glorieuse et veritablement
fraternelle puisse, au nom des republicains de France, serrer la
main que vont nous tendre les enfants d'une nation a laquelle nous
voudrions temoigner de sinceres sentiments de sympathie.
Nous serions fiers qu'Avignon put parler par la voix de notre plus
grand poete aux concitoyens du poete et du patriote Petrarque.
L'Italie, alors, entendrait un langage veritablement francais, et
l'echange des sentiments qui doivent unir les deux grandes nations
serait dignement exprime.
C'est dans ces circonstances, c'est dans cette pensee, et pour donner,
nous, a ces fetes officielles leur veritable portee, qu'un groupe
considerable d'amis,--qui representent toute la democratie
avignonnaise et la jeunesse republicaine du pays,--m'ont charge de
vous adresser la presente lettre, pour vous inviter a venir passer au
milieu de nous les journees des 18, 19 et 20 juillet. La vraie fete
aura lieu si vous daignez accepter cette invitation, et votre visite
aurait, pour tout le midi de la France, une grande, une feconde
signification.
Permettez-nous d'esperer que notre invitation sera par vous acceptee,
et de nous en rejouir d'avance; et veuillez, cher et grand citoyen,
recevoir, au nom de mes amis ainsi qu'en mon nom personnel,
l'expression de notre respectueuse et profonde admiration.
SAINT-MARTIN,
Conseiller general de Vaucluse, ex-redacteur en chef de la _Democratie
du Midi_.
* * * * *
Victor Hugo a repondu:
Paris, 18 juillet 1874.
Mon honorable concitoyen,
La noble et glorieuse invitation que vous voulez bien me transmettre
me touche profondement. J'ai le chagrin de ne pouvoir m'y rendre,
etant en ce moment retenu pres de mon petit-fils, convalescent d'une
grave maladie.
Je suis heureux du souvenir que veut bien me garder cette vaillante
democratie du midi, qui est comme l'avant-garde de la democratie
universelle, et a laquelle le monde pense toutes les fois qu'il entend
la _Marseillaise_.
La _Marseillaise_, c'est la voix du midi; c'est aussi la voix de
l'avenir.
Je regrette d'etre absent du milieu de vous. J'eusse ete fier de
souhaiter, en votre nom a tous, la bienvenue a ces freres, a ces
genereux italiens, qui viennent feter Petrarque dans le pays de
Voltaire. Mais de loin j'assisterai, emu, a vos solennites. Elles
fixeront l'attention du monde civilise. Petrarque, qui a ete l'aureole
d'un siecle tenebreux, ne perd rien de sa clarte dans ce plein midi du
progres qu'on nomme le dix-neuvieme siecle.
Je felicite Avignon. Avignon, pendant ces trois jours memorables, va
donner un illustre spectacle. On pourrait dire que Rome et Paris vont
s'y rencontrer; Rome qui a sacre Petrarque, Paris qui a jete bas la
Bastille; Rome qui couronne les poetes, Paris qui detrone les rois;
Rome qui glorifie la pensee humaine, Paris qui la delivre.
Cette accolade des deux cites meres est superbe. C'est l'embrassement
de deux idees. Rien de plus pathetique et de plus rassurant. Rome et
Paris fraternisant dans la sainte communion democratique, c'est beau.
Vos acclamations donneront a cette rencontre toute sa signification.
Avignon, ville pontificale et ville populaire, est un trait d'union
entre les deux capitales du passe et de l'avenir.
Nous nous sentons tous bien representes par vous, hommes de Vaucluse,
dans cette fete, nationale pour deux nations. Vous etes dignes de
faire a l'Italie la salutation de la France.
Ainsi s'ebauche la majestueuse Republique federale du continent. Ces
magnifiques melanges de peuples commencent les Etats-Unis d'Europe.
Petrarque est une lumiere dans son temps, et c'est une belle chose
qu'une lumiere qui vient de l'amour. Il aima une femme et il charma le
monde. Petrarque est une sorte de Platon de la poesie; il a ce qu'on
pourrait appeler la subtilite du coeur, et en meme temps la profondeur
de l'esprit; cet amant est un penseur, ce poete est un philosophe.
Petrarque en somme est une ame eclatante.
Petrarque est un des rares exemples du poete heureux. Il fut compris
de son vivant, privilege que n'eurent ni Homere, ni Eschyle, ni
Shakespeare. Il n'a ete ni calomnie, ni hue, ni lapide. Petrarque a
eu sur cette terre toutes les splendeurs, le respect des papes,
l'enthousiasme des peuples, les pluies de fleurs sur son passage dans
les rues, le laurier d'or au front comme un empereur, le Capitole
comme un dieu. Disons virilement la verite, le malheur lui manque. Je
prefere a cette robe de pourpre le baton d'Alighieri errant. Il manque
a Petrarque cet on ne sait quoi de tragique qui ajoute a la grandeur
des poetes une cime noire, et qui a toujours marque le plus haut
sommet du genie. Il lui manque l'insulte, le deuil, l'affront, la
persecution. Dans la gloire Petrarque est depasse par Dante, et le
triomphe par l'exil.


XIX
LA QUESTION DE LA PAIX REMPLACEE PAR LA QUESTION DE LA GUERRE

A MM. LES MEMBRES DU CONGRES DE LA PAIX A GENEVE.
Paris, 4 septembre 1874.
Chers concitoyens de la republique d'Europe,
Vous avez bien voulu desirer ma presence a votre congres de Geneve.
C'est un regret pour moi de ne pouvoir me rendre a votre invitation
qui m'honore. S'il m'etait donne de prononcer a cette heure quelques
paroles parmi vous, j'ajouterais, et, je le pense, sans protestation
de votre part, au sujet de cette grande question de la paix
universelle, de nouvelles reserves a celles que j'indiquais, il y a
cinq ans, au congres de Lausanne. Aujourd'hui, ce qui alors etait
le mal est devenu le pire; une aggravation redoutable a eu lieu; le
probleme de la paix se complique d'une immense enigme de guerre.
Le _quidquid delirant reges_ a produit son effet.
Ajournement de toutes les fraternites; ou il y avait l'esperance, il
y a la menace; on a devant soi une serie de catastrophes qui
s'engendrent les unes des autres et qu'il est impossible de ne pas
epuiser; il faudra aller jusqu'au bout de la chaine.
Cette chaine, deux hommes l'ont forgee, Louis Bonaparte et Guillaume,
pseudonymes tous les deux, car derriere Guillaume il y a Bismarck
et derriere Louis Bonaparte il y a Machiavel. La logique des faits
violents ne se dement jamais, le despotisme s'est transforme,
c'est-a-dire renouvele, et s'est deplace, c'est-a-dire fortifie;
l'empire militaire a abouti a l'empire gothique, et de France a passe
en Allemagne. C'est la qu'est aujourd'hui l'obstacle. Tout ce qui a
ete fait doit etre defait. Necessite funeste. Il y a entre l'avenir et
nous une interposition fatale. On ne peut plus entrevoir la paix qu'a
travers un choc et au dela d'un inexorable combat. La paix, helas,
c'est toujours l'avenir, mais ce n'est plus le present. Toute la
situation actuelle est une sombre et sourde haine.
Haine du soufflet recu.
Qui a ete soufflete? Le monde entier. La France frappee a la face,
c'est la rougeur au front de tous les peuples. C'est l'affront fait a
la mere. De la la haine.
Haine de vaincus a vainqueurs, vieille haine eternelle; haine de
peuples a rois, car les rois sont des vainqueurs dont les vaincus sont
les peuples; haine reciproque, et sans autre issue qu'un duel.
Duel entre deux nations? Non. La France et l'Allemagne sont soeurs;
mais duel entre deux principes, la republique et l'empire.
La question est posee: d'un cote la monarchie germanique, de l'autre,
les Etats-Unis d'Europe; la rencontre des deux principes est
inevitable; et des a present on distingue dans le profond avenir les
deux fronts de bataille, d'un cote tous les royaumes, de l'autre
toutes les patries.
Ce duel terrible, puisse-t-il etre longtemps retarde! Puisse une autre
solution se faire jour! Si la grande bataille se livre, ce qu'il y
aura des deux cotes, helas, ce sera des hommes. Conflit lamentable!
Quelle extremite pour le genre humain! La France ne peut attaquer un
peuple sans etre fratricide; un peuple ne peut attaquer la France sans
etre parricide. Inexprimable serrement de coeur!
Nous, preparateurs des faits futurs, nous eussions desire une autre
issue; mais les evenements ne nous ecoutent pas; ils vont au meme but
que nous, mais par d'autres moyens. Ou nous emploierions la paix,
ils emploient la guerre. Pour des motifs inconnus, ils preferent les
solutions de haute lutte. Ce que nous ferions a l'amiable, ils le font
par effraction. La providence a de ces brusqueries.
Mais il est impossible que le philosophe n'en soit pas profondement
attriste.
Ce qu'il constate douloureusement, ce qu'il ne peut nier, c'est
l'enchainement des faits, c'est leur necessite, c'est leur fatalite.
II y a une algebre dans les desastres.
Ces faits, je les resume en quelques mots.
La France a ete diminuee. A cette heure, elle a une double plaie,
plaie au territoire, plaie a l'honneur. Elle ne peut en rester la. On
ne garde pas Sedan. On ne se rendort pas la-dessus.
Pas plus qu'on ne se rendort sur l'arrachement de Metz et de
Strasbourg.
La guerre de 1870 a debute par un guet-apens et s'est terminee par une
voie de fait. Ceux qui ont fait le coup n'ont pas vu le contre-coup.
Ce sont la des fautes d'hommes d'etat. On se perd par l'eblouissement
de sa victoire. Qui voit trop la force est aveugle au droit. Or la
France a droit a l'Alsace et a la Lorraine. Pourquoi? parce que
l'Alsace et la Lorraine ont droit a la France. Parce que les peuples
ont droit a la lumiere et non a la nuit. Tout verse en ce moment du
cote de l'Allemagne. Grave desordre. Cette rupture d'equilibre doit
cesser. Tous les peuples le sentent et s'en inquietent. De la un
malaise universel. Comme je l'ai dit a Bordeaux, a partir du traite de
Paris, l'insomnie du monde a commence.
Le monde ne peut accepter la diminution de la France. La solidarite
des peuples, qui eut fait la paix, fera la guerre. La France est une
sorte de propriete humaine. Elle appartient a tous, comme autrefois
Rome, comme autrefois Athenes. On ne saurait trop insister sur ces
realites. Voyez comme la solidarite eclate. Le jour ou la France a du
payer cinq milliards, le monde lui en a offert quarante-cinq. Ce fait
est plus qu'un fait de credit, c'est un fait de civilisation. Apres
les cinq milliards payes, Berlin n'est pas plus riche et Paris n'est
pas plus pauvre. Pourquoi? Parce que Paris est necessaire et que
Berlin ne l'est pas. Celui-la seul est riche qui est utile.
En ecrivant ceci, je ne me sens pas francais, je me sens homme.
Voyons sans illusion comme sans colere la situation telle qu'elle est.
On a dit: _Delenda Carthago_; il faut dire: _Servanda Gallia._
Quand une plaie est faite a la France, c'est la civilisation qui
saigne. La France diminuee, c'est la lumiere amoindrie. Un crime
contre la France a ete commis; les rois ont fait subir a la France
toute la quantite de meurtre possible contre un peuple. Cette mauvaise
action des rois, il faut que les rois l'expient, et c'est de la que
sortira la guerre; et il faut que les peuples la reparent, et c'est de
la que sortira la fraternite. La reparation, ce sera la federation.
Le denoument, le voici: Etats-Unis d'Europe. La fin sera au peuple,
c'est-a-dire a la Liberte, et a Dieu, c'est-a-dire a la Paix.
Esperons.
Chers concitoyens de la patrie universelle, recevez mon salut cordial.
VICTOR HUGO.


XX
OBSEQUES DE MADAME PAUL MEURICE

On lit dans le _Rappel_ du 16 novembre 1874:
"Une foule considerable a conduit, hier, Mme Paul Meurice, a sa
derniere demeure. Derriere le char funebre marchaient, d'abord celui
qui reste seul, et a sa droite Victor Hugo, puis des deputes, des
journalistes, des litterateurs, des artistes, en trop grand nombre
pour que nous puissions les nommer, puis des milliers d'amis inconnus,
car on aura beau faire, on n'empechera jamais ce genereux peuple de
Paris d'aimer ceux qui l'aiment, et de le leur temoigner.
"On est alle directement de la maison mortuaire au Pere-Lachaise.
"Quand le corps a ete descendu dans le caveau, Victor Hugo a prononce
les paroles suivantes:
La femme a laquelle nous venons faire la salutation supreme a honore
son sexe; elle a ete vaillante et douce; elle a eu toutes les graces
pour aimer, elle a eu toutes les forces pour souffrir. Elle laisse
derriere elle le compagnon de sa vie, Paul Meurice, un esprit lumineux
et fier, un des plus nobles hommes de notre temps. Inclinons-nous
devant cette tombe venerable.
J'ai ete temoin de leur mariage. Ainsi s'en vont les jours. Je les ai
vus tous les deux, jeunes, elle si belle, lui si rayonnant, associer,
devant la loi humaine et devant la loi divine, leur avenir, et se
donner la main dans l'esperance et dans l'aurore. J'ai vu cette
entree de deux ames dans l'amour qui est la vraie entree dans la vie.
Aujourd'hui, est-ce la sortie que nous voyons? Non. Car le coeur qui
reste continue d'aimer et l'ame qui s'envole continue de vivre. La
mort est une autre entree. Non dans plus d'amour, car l'amour des
ici-bas est complet, mais dans plus de lumiere.
Depuis cette heure radieuse du commencement jusqu'a l'heure severe ou
nous sommes, ces deux belles ames se sont appuyees l'une sur l'autre.
La vie, quelle qu'elle soit, est bonne, traversee ainsi. Elle, cette
admirable femme, peintre, musicienne, artiste, avait recu tous les
dons et etait faite pour tous les orgueils, mais elle etait surtout
fiere du reflet de sa renommee a lui; elle prenait sa part de ses
succes; elle se sentait felicitee par les applaudissements qui le
saluaient; elle assistait souriante a ces splendides fetes du
theatre ou le nom de Meurice eclatait parmi les acclamations et les
enthousiasmes; elle avait le doux orgueil de voir eclore pour l'avenir
et triompher devant la foule cette serie d'oeuvres exquises et fortes
qui auront dans la litterature de notre siecle une place de gloire et
de lumiere. Puis sont venus les temps d'epreuve; elle les a accueillis
stoiquement. De nos jours, l'ecrivain doit etre au besoin un
combattant; malheur au talent a travers lequel on ne voit pas une
conscience! Une poesie doit etre une vertu. Paul Meurice est une de
ces ames transparentes au fond desquelles on voit le devoir. Paul
Meurice veut la liberte, le progres, la verite et la justice; et il
en subit les consequences. C'est pourquoi, un jour, il est alle en
prison. Sa femme a compris cette nouvelle gloire, et, a partir de
ce jour, elle qui jusque-la n'avait encore ete que bonne, elle est
devenue grande.
Aussi plus tard, quand les desastres sont arrives, quand l'epreuve a
pris les proportions d'une calamite publique, a-t-elle ete prete a
toutes les abnegations et a tous les devouements.
L'histoire de ce siecle a des jours inoubliables. Par moments, dans
l'humanite, une certaine sublimite de la femme apparait; aux heures ou
l'histoire devient terrible, on dirait que l'ame de la femme saisit
l'occasion et veut donner l'exemple a l'ame de l'homme. L'antiquite a
eu la femme romaine; l'age moderne aura la femme francaise. Le siege
de Paris nous a montre tout ce que peut etre la femme: dignite,
fermete, acceptation des privations et des miseres, gaite dans les
angoisses. Le fond de l'ame de la femme francaise, c'est un melange
heroique de famille et de patrie.
La genereuse femme qui est dans cette tombe a eu toutes ces
grandeurs-la. J'ai ete son hote dans ces jours tragiques; je l'ai
vue. Pendant que son vaillant mari faisait sa double et rude tache
d'ecrivain et de soldat, elle aussi se levait avant l'aube. Elle
allait dans la nuit, sous la pluie, sous le givre, les pieds dans la
neige, attendre pendant de longues heures, comme les autres nobles
femmes du peuple, a la porte des bouchers et des boulangers, et elle
nous rapportait du pain et de la joie. Car la plus vraie de toutes
les joies, c'est le devoir accompli. Il y a un ideal de la femme
dans Isaie, il y en a un autre dans Juvenal, les femmes de Paris ont
realise ces deux ideals. Elles ont eu le courage qui est plus que la
bravoure, et la patience qui est plus que le courage. Elles ont eu
devant le peril de l'intrepidite et de la douceur. Elles donnaient aux
combattants desesperes l'encouragement du sourire. Rien n'a pu les
vaincre. Comme leurs maris, comme leurs enfants, elles ont voulu
lutter jusqu'a la derniere heure, et, en face d'un ennemi sauvage,
sous l'obus et sous la mitraille, sous la bise acharnee d'un hiver de
cinq mois, elles ont refuse, meme a la Seine charriant des glacons,
meme a la faim, meme a la mort, la reddition de leur ville. Ah!
venerons ce Paris qui a produit de telles femmes et de tels hommes.
Soyons a genoux devant la cite sacree. Paris, par sa prodigieuse
resistance, a sauve la France que le deshonneur de Paris eut tuee, et
l'Europe que la mort de la France eut deshonoree.
Quoique l'ennemi ait pu faire, il y a peut-etre un mysterieux
retablissement d'equilibre dans ce fait: la France moindre, mais Paris
plus grand.
Que la belle ame, envolee, mais presente, qui m'ecoute en ce moment,
soit fiere; toutes les venerations entourent son cercueil. Du haut de
la serenite inconnue, elle peut voir autour d'elle tous ces coeurs
pleins d'elle, ces amis respectueux qui la glorifient, cet admirable
mari qui la pleure. Son souvenir, a la fois douloureux et charmant,
ne s'effacera pas. Il eclairera notre crepuscule. Une memoire est un
rayonnement.
Que l'ame eternelle accueille dans la haute demeure cette ame
immortelle! La vie, c'est le probleme, la mort c'est la solution.
Je le repete, et c'est par la que je veux terminer cet adieu plein
d'esperance, le tombeau n'est ni tenebreux, ni vide. C'est la qu'est
la grande lueur. Qu'il soit permis a l'homme qui parle en ce moment de
se tourner vers cette clarte. Celui qui n'existe plus pour ainsi dire
ici-bas, celui dont toutes les ambitions sont dans la mort, a le
droit de saluer au fond de l'infini, dans le sinistre et sublime
eblouissement du sepulcre, l'astre immense, Dieu.


XXI
AUX DEMOCRATES ITALIENS

Les journaux ont publie le telegramme adresse a Victor Hugo par les
democrates italiens. Victor Hugo leur a repondu:
Je remercie mes freres les democrates d'Italie.
Esperons tous la grande delivrance. L'Italie et la France ont la meme
ame, l'ame romaine, la republique. La republique, qui est le passe
de l'Italie, est l'avenir de la France et de l'Europe. Vouloir la
republique d'Europe, c'est vouloir la federation des peuples; et la
federation des peuples, c'est la plus haute realisation de l'ordre
dans la liberte, c'est la paix.
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