Actes et Paroles, Volume 3 - 09

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probablement remplis de pierres. La pluie de pierres sur la facade de
la maison ne discontinuait plus, et la fenetre en etait criblee. Nul
moyen de rester dans la chambre. Des coups violents retentissaient
contre la porte. Il est probable qu'un essai fut tente pour arracher
la grille de fer du soupirail qui est au-dessus de la porte. Un pave
lance contre cette grille ne reussit qu'a briser la vitre.
"Les deux petits enfants, ages l'un de deux ans et demi, l'autre de
vingt mois, venaient de s'eveiller et poussaient des cris. Les deux
autres servantes de la maison s'etaient levees et l'on songea au moyen
de fuir. Cela etait impossible. La maison de M. Victor Hugo n'a qu'une
issue, la porte sur la place. Mme Charles Hugo monta, au peril de sa
vie, sur le chassis de la serre du jardin, et, tandis que les vitres
se cassaient sous ses pieds, parvint, en s'accrochant au mur, a
proximite d'une fenetre de la maison voisine. Elle cria au secours et
les trois femmes epouvantees crierent avec elle: Au secours! au feu!
M. Victor Hugo gardait le silence. Les enfants pleuraient. La petite
fille Jeanne est malade. L'assaut frenetique continuait. Aucune
fenetre ne s'ouvrit, personne dans la place n'entendit ou ne parut
entendre ces cris de femmes desesperees. Cela s'est explique plus tard
par l'epouvante qui, a ce qu'il parait, etait generale. Tout a coup
on entendit le cri: _Enfoncons la porte!_ et, chose qui parut en ce
moment singuliere, le silence se fit:
"M. Victor Hugo pensa de nouveau que tout etait fini, engagea M'me
Charles Hugo a se calmer, et pendant que deux des servantes se
mettaient en priere, il prit sa petite-fille malade dans ses bras.
Et comme dix minutes de silence environ s'etaient ecoulees, il crut
pouvoir rentrer dans sa chambre. En ce moment-la un caillou aigu et
tranchant, lance avec force, s'abattit dans la chambre, et passa pres
de la tete de l'enfant. L'assaut recommencait pour la troisieme fois.
Le troisieme effort fut le plus forcene de tous. Un essai d'escalade
parvint presque a reussir. Des mains s'efforcerent d'arracher les
volets du salon au rez-de-chaussee. Ces volets revetus de fer a
l'exterieur, et barres de fer a l'interieur, resisterent. Les traces
de cette escalade sont visibles sur la muraille et ont ete constatees
par la police. Les cris: _A la potence! A la lanterne Victor Hugo!_
etaient pousses avec plus de rage que jamais. Un moment, en voyant la
porte battue et les volets escalades, le vieillard qui etait dans la
maison avec quatre femmes et deux petits enfants et sans armes, put
croire que le danger, si la maison etait forcee, pourrait s'etendre
jusqu'a eux. Cependant la porte avait resiste, les volets restaient
inebranlables, on n'avait pas d'echelles, et le jour parut. Le jour
sauva cette maison. La bande comprit sans doute que des actes de ce
genre sont essentiellement nocturnes, et, devant la clarte qui allait
se faire, elle s'en alla. Il etait deux heures un quart du matin.
L'assaut, commence a minuit et demi, interrompu par deux intervalles
d'environ dix minutes chacun, avait dure pres de deux heures.
"Le jour vint et la bande ne revint pas.
"Deux ouvriers,--disons deux braves ouvriers, car eux seuls ont
secouru cette maison,--qui passaient sur la place, et se rendaient a
leur ouvrage vers deux heures et demie, au petit jour, furent appeles
par une fenetre du second etage de la maison attaquee et allerent
chercher la police. Ils revinrent a trois heures un quart avec un
inspecteur de police qui constata les faits.
"L'absence de tout secours fut expliquee par ce hasard que la ronde
de police specialement chargee de la place des Barricades aurait ete
cette nuit-la occupee a une arrestation importante. Le garde de ville
emporta un fragment de vitre et une pierre, et s'en alla faire
son rapport a ses chefs. Le commissaire de police de la quatrieme
division, M. Cremers, est venu dans la matinee, et l'enquete parait
avoir ete commencee.
"Cependant, je dois dire qu'aujourd'hui 30 mai, le procureur du roi
n'a pas encore paru place des Barricades.
"L'enquete, outre les faits que nous venons de raconter, aura a
eclaircir l'incident mysterieux d'une poutre portee par deux hommes en
blouse, a destination inconnue, et saisie rue Pacheco par deux agents
de police, au moment meme ou le troisieme assaut avait lieu et ou le
cri: _Enfoncons la porte!_ se faisait entendre devant la maison de
M. Victor Hugo; des deux porteurs de la poutre, l'un avait reussi a
s'echapper; l'autre, arrete, a ete delivre violemment et arrache des
mains des agents par sept ou huit hommes apostes au coin d'une rue
voisine de la place des Barricades. Cette poutre a ete deposee, le
dimanche 28 mai, au commissariat de police, 4 deg. section, rue des
Comediens, 44.
"Tels sont les faits.
"Je m'abstiens de toute reflexion. Les lecteurs jugeront.
"Je pense que la libre presse de Belgique s'empressera de publier
cette lettre.
"Recevez, monsieur, l'assurance de mes sentiments distingues.
"FRANCOIS-VICTOR HUGO.
Bruxelles, 30 mai 1871."

Sec.3
En presence de ce fait, qui constitue un crime qualifie, attaque a
main armee la nuit d'une maison habitee, que fit le gouvernement
belge? Il prit la resolution suivante: (N deg. 110,555.)
LEOPOLD II, roi des belges,
A tous presents et a venir, salut.
Vu les lois du 7 juillet 1835 et du 30 mai 1868,
De l'avis du conseil des ministres,
Et sur la proposition de notre ministre de la justice,
Avons arrete et arretons:
ARTICLE UNIQUE.
Il est enjoint au sieur Victor Hugo, homme de lettres, age de
soixante-neuf ans, ne a Besancon, residant a Bruxelles,
De quitter immediatement le royaume, avec defense d'y rentrer a
l'avenir, sous les peines comminees par l'article 6 de la loi du 7
juillet 1865 prerappelee.
Notre ministre de la justice est charge de l'execution du present
arrete.
Donne a Bruxelles, le 30 mai 1871.
_Signe:_ LEOPOLD.
Par le roi:
_Le ministre de la justice,
Signe:_ PROSPER CORNESSE.
Pour expedition conforme:
_Le secretaire general,
Signe:_ FITZEYS.

Sec.4
SENAT BELGE
SEANCE DU 31 MAI
On lit dans l'_Independance belge_ du 31 mai:
Au debut de la seance, M. le ministre des affaires etrangeres,
repondant a une interpellation de M. le marquis de Rodes, a fait
connaitre a l'assemblee que le gouvernement avait resolu d'appliquer a
Victor Hugo la fameuse loi de 1835.
La lettre qui nous a ete adressee par l'illustre poete, les scenes que
cette lettre a provoquees, telles sont les causes qui ont determine la
conduite du gouvernement.
Cette lettre est consideree par M. le marquis de Rodes comme un defi,
et presque comme un outrage a la morale publique, par M. le prince de
Ligne comme une bravade, par M. le ministre des affaires etrangeres
comme une provocation au mepris des lois.
La tranquillite publique est menacee par la presence de Victor Hugo
sur le territoire belge! Le gouvernement l'a d'abord engage a quitter
le pays. Victor Hugo s'y etant refuse, un arrete d'expulsion a ete
redige. Cet arret sera execute.
Nous deplorons profondement la resolution que vient de prendre le
ministere.
L'hospitalite accordee a Victor Hugo faisait honneur au pays qui la
donnait, autant qu'au poete qui la recevait. Il nous est impossible
d'admettre que, pour avoir exprime une opinion contraire a la notre,
contraire a celle du gouvernement et de la population, Victor Hugo ait
abuse de cette hospitalite, et, meme la loi de 1835 etant donnee, nous
ne pouvons approuver l'usage qu'en fait le ministere.
Voila ce que nous avons a dire au gouvernement. Quant a M. le comte de
Ribaucourt qui approuve, lui, les mesures prises contre "l'individu
dont il s'agit", nous ne lui dirons rien.

Sec.5
CHAMBRE DES REPRESENTANTS DE BELGIQUE
SEANCE DU 31 MAI
INTERPELLATION
M. DEFUISSEAUX.--J'ai demande la parole pour protester avec energie
contre l'arrete d'expulsion notifie a Victor Hugo.
Avant d'entrer dans cette Chambre, j'etais adversaire de la loi sur
l'expulsion des etrangers; depuis lors, mes principes n'ont pas varie
et je m'etais fait l'illusion de croire, en voyant, pendant des mois
entiers, les bonapartistes conspirer impunement contre le gouvernement
regulier de la France, que cette loi etait virtuellement abolie.
Il n'en etait rien. Nous vous voyons tolerer, a quelques mois
de distance, les menees bonapartistes; offrir, sous pretexte
d'hospitalite, les honneurs d'un train special a l'homme du 2 decembre
.... _(Interruption a droite.)_ Je dirai, si vous voulez, l'homme de
Sedan, et saisir avec empressement l'occasion de chasser du territoire
belge l'illustre auteur des _Chatiments._
Victor Hugo, frappe dans ses affections, decu dans ses aspirations
politiques, est venu, au milieu des derniers membres de sa famille,
demander l'hospitalite a notre pays.
Ce n'etait pas seulement le grand poete si longtemps exile qui vous
demandait asile, c'etait un homme auquel son age, son genie et ses
malheurs attiraient toutes les sympathies, c'etait surtout l'homme qui
venait d'etre nomme membre de l'Assemblee nationale francaise par deux
cent mille suffrages, c'est-a-dire par un nombre d'electeurs double de
celui qui a nomme cette chambre tout entiere. _(Interruption.)_
Mais ni ce titre de representant qu'il est de la dignite de tous les
parlements de faire respecter, ni son age, ni ses infortunes, ni son
genie, rien n'a pu vous arreter.
Je demanderai a M. le ministre si un gouvernement etranger a sollicite
cette proscription?
Si oui, il est de son devoir de nous le dire.
Si non, il doit nous exposer les sentiments auxquels il a obei, sous
peine de se voir soupconner d'avoir, par l'expulsion du grand poete,
donne par avance des gages aux idees catholiques et reactionnaires qui
menacent de gouverner la France. _(Interruption.)_ En attendant vos
explications, j'ai le droit de le supposer.
Oseriez-vous nous dire serieusement, monsieur le ministre, que la
presence de Victor Hugo troublait la tranquillite de Bruxelles? Mais
par qui a-t-elle ete momentanement troublee, sinon par quelques
malfaiteurs qui, oublieux de toute generosite et de toute convenance,
se sont faits les insulteurs de notre hote? _(Interruption.)_
Je ne veux pas vous faire l'injure de croire que vous vous etes
laisse impressionner par cette miserable manifestation, qu'on semble
approuver en haut lieu, mais dont l'opinion publique demande la severe
repression.
Hier, je ne sais quel senateur a pretendu que la lettre de Victor Hugo
est une insulte a la Belgique et une desobeissance aux lois.
_Voix a droite:_ Il a insulte le pays!
M. DEFUISSEAUX.--Je ne repondrai pas a ce reproche. Trop souvent
Victor Hugo a rendu hommage a la Belgique et dans ses discours et dans
ses ecrits, et jusque dans la lettre meme que vous incriminez.
Il nous suppose une generosite qui va jusqu'a l'abnegation. Voila
l'insulte.
Mais cette lettre serait-elle une desobeissance aux lois?
Il faut, en realite, ou ne l'avoir pas lue ou ne la point comprendre
pour soutenir cette interpretation.
Il vous a dit qu'il soutiendrait jusqu'au dernier moment et par sa
presence et par sa parole celui qui serait son hote: "Une faiblesse
protegeant l'autre."
Qu'au premier abord on puisse se tromper sur la portee de cette
lettre, qu'un illettre y voie une attaque a nos lois, je le comprends;
mais qu'un ministere, parmi lequel nous avons l'honneur de compter
un academicien, ne comprenne pas l'image et le style du grand poete,
c'est ce que je ne puis admettre.
Est-ce un crime? Qui oserait le dire?
Vous avez donc commis une grande faute en proscrivant Victor Hugo.
Il vous disait: "Je ne me crois pas etranger en Belgique." Je suis
heureux de lui dire de cette tribune qu'il ne s'est pas trompe et
qu'il n'est etranger que pour les hommes du gouvernement.
A mon tour, s'il me demandait asile, je serais heureux et fier de le
lui offrir.
En terminant, je rends hommage a la presse entiere qui a energiquement
blame l'acte du gouvernement.
_Voix a droite_: Pas tout entiere.
M. DEFUISSEAUX.--Je parle bien entendu de la presse liberale et non de
la presse catholique.
Je dis qu'elle a fait acte de generosite et de courage, le pays doit
s'en feliciter; par elle, les liberaux sauront resister a la reaction
et au despotisme qui menacent la France et, quel que soit le sort de
nos malheureux voisins, conserver et developper nos institutions et
nos libertes.
Je propose, en consequence, l'ordre du jour suivant:
"La Chambre, regrettant la mesure rigoureuse dont Victor Hugo a ete
l'objet, passe a l'ordre du jour."
M. CORNESSE, ministre de la justice.--L'honorable preopinant nous a
reproche d'avoir tolere des menees bonapartistes. Je proteste contre
cette accusation. Nous avons accorde aux victimes du regime imperial
l'hospitalite large et genereuse que la Belgique n'a refusee a aucune
des victimes des revolutions qui ont si tristement marque dans ces
dernieres annees l'histoire d'un pays voisin.
J'ai ete etonne d'entendre M. Defuisseaux, qui critique l'acte que le
gouvernement a pose ces jours derniers, blamer la generosite dont le
gouvernement a use a l'egard des emigres du 4 septembre.
M. DEFUISSEAUX.--Je n'ai rien dit de semblable. J'ai dit que cette
generosite m'avait fait esperer que la loi de 1835 etait abrogee de
fait.
M. CORNESSE, ministre de la justice.--Je laisse de cote cette
question. Je m'en tiens au fait qui a motive l'interpellation. Non, ce
ne sont pas des hommes politiques, ces pillards, ces assassins, ces
incendiaires dont les crimes epouvantent l'Europe. Je ne parle pas
seulement des instruments, des auteurs materiels de ces forfaits.
Il est de plus grands coupables, ce sont ceux qui encouragent,
qui tolerent, qui ordonnent ces faits; ce sont ces malfaiteurs
intellectuels qui propagent dans les esprits des theories funestes et
excitent a la lutte entre le capital et le travail. Voila les grands,
les seuls coupables. Ces theories malsaines ont heurte le sentiment
public dans toute la Belgique.
La lettre de M. Victor Hugo contenait de violentes attaques contre
un gouvernement etranger avec lequel nous entretenons les meilleures
relations. Ce gouvernement etait accuse de tous les crimes. Nous
n'avons pas recu de sollicitations. Nous avons des devoirs a remplir.
Notre initiative n'a pas besoin d'etre provoquee.
M. Victor Hugo allait plus loin. La lettre contenait un defi au
gouvernement, aux Chambres, a la souverainete nationale de la
Belgique. M. Hugo, etranger sur notre sol, se posait fierement en face
du gouvernement et de la representation nationale, et leur disait:
"Vous pretendez que vous ferez telle chose. Eh bien, vous ne le ferez
pas. Je vous en defie. Moi, Victor Hugo, j'y ferai obstacle. Vous avez
la loi pour vous. J'ai le droit pour moi. _Pro jure contra legem._
C'est ma maxime!"
N'est-il pas vrai qu'en prenant cette attitude, M. Victor Hugo, qui
est un exile volontaire, abusait de l'hospitalite?
Oui, M. Victor Hugo est une grande illustration litteraire; c'est
peut-etre le plus grand poete du dix-neuvieme siecle. Mais plus on est
eleve, plus la providence vous a accorde de grandes facultes, plus
vous devez donner l'exemple du respect des convenances, des lois,
de l'autorite d'un pays qui n'a jamais marchande la protection aux
etrangers.
Oui, la Belgique est une terre hospitaliere, mais il faut que les
etrangers qu'elle accueille sachent respecter les devoirs qui leur
incombent vis-a-vis d'elle et de son gouvernement.
Le gouvernement, fort de son droit, soucieux de sa dignite, ayant la
conscience de sa responsabilite devant le pays et devant l'Europe, ne
pouvait pas tolerer de tels ecarts. Vous l'auriez accuse de faiblesse
et peut-etre de lachete s'il avait subi un tel outrage.
J'ajoute qu'apres la lettre de M. Victor Hugo la tranquillite a ete
troublee. Vous avez lu dans l'_Independance_, ecrit de la main meme
du fils de M. Hugo, le recit des scenes qui se sont passees devant la
maison du poete. Je blame ces manifestations. Elles font l'objet d'une
instruction judiciaire. Lorsque les coupables seront decouverts, la
justice se prononcera. Une enquete est ordonnee. Des recherches sont
faites pour arriver a ce resultat. Mais ces manifestations troublaient
profondement la tranquillite publique.
Des demarches pour engager M. Victor Hugo a se retirer volontairement
sont restees infructueuses. Le gouvernement a fait signifier un arrete
d'expulsion. Cet arrete sera execute. Le gouvernement croit avoir
rempli un devoir.
Il y avait en jeu une question de securite publique, de dignite
nationale, de dignite gouvernementale. Le gouvernement a eu recours a
la mesure extreme de l'expulsion. Il soumet avec confiance cet acte
au jugement de tous, et il ne doute pas que l'immense majorite de la
Chambre et du pays ne lui soit acquise. _(Marques d'approbation.)_
M. DEMEUR.--L'opinion qui a ete developpee et approuvee ici et au
senat, cette doctrine, qui est une erreur, consiste a dire que la
legislation donne au gouvernement le droit de livrer tous les vaincus
de Paris. C'est cette doctrine que reprouve la lettre de M. Victor
Hugo. D'apres lui, les vaincus sont des hommes politiques. Toute sa
lettre est la. L'insurrection de Paris est un crime, qui ne souffre
pas de circonstances attenuantes; mais j'ajoute: c'est un crime
politique. Et si vous aviez a le poursuivre vous le qualifieriez
ainsi. Je laisse de cote les crimes et delits de droit commun qui en
sont resultes. Je parle du fait dominant. Il est prevu par la loi
penale. La guerre civile est un crime politique. Nous avons eu dans
notre pays des tentatives de crimes de ce genre.
Est-ce que nous n'avons pas chez nous des criminels politiques qui ont
ete condamnes a mort, des hommes qui ont conspire contre la surete
de l'etat, qui ont commis des attentats contre la chose publique?
Pourquoi se recrier? C'est de l'histoire.
Or, peut-on livrer un homme qui n'a commis aucun crime de droit
commun, mais qui a commis ce crime politique d'adherer a un
gouvernement qui n'etait pas le gouvernement legal? Personne n'osera
le soutenir. Ce serait dire le contraire de ce qui a toujours a ete
dit. Je ne veux pas attenuer le crime. Je cherche sa qualification,
afin de trouver la regle de conduite qui doit nous guider en matiere
d'extradition.
Des hommes se sont rendus coupables d'incendie, de pillage, de
meurtre. Voila des crimes de droit commun. Pouvez-vous, devez-vous
livrer ces hommes? Je crois qu'il y a ici a distinguer. De deux choses
l'une: ou bien ces faits sont connexes au crime politique principal,
ou bien, ils en sont independants. S'ils sont connexes, notre
legislation defend d'en livrer les auteurs.
M. VAN OVERLOOP.--Et les assassins des generaux Lecomte et Clement
Thomas?
M. JOTTRAND.--Ils ne se sont pas mis a 50,000 pour assassiner ces
generaux!
M. DEMEUR.--Ces principes ont deja ete etablis a l'occasion de faits
que vous ne reprouvez pas moins que ceux de Paris. Il s'agissait d'un
attentat commis contre un souverain etranger et des personnes de sa
suite. Les freres Jacquin avaient commis des faits connexes a cet
attentat. Leur extradition n'a pu etre accordee. Il a fallu modifier
la loi; mais la loi qu'on a faite confirme ma these. En effet, la loi
de 1856 n'autorise l'extradition, en cas de faits connexes a un crime
politique, que lorsque ce crime aura ete commis ou tente contre un
souverain etranger.
M. D'ANETHAN, ministre des affaires etrangeres.--Nous n'avons pas a
discuter la loi de 1835. J'examine seulement la question de savoir si
le gouvernement a bien fait d'appliquer la loi.
La loi dit que le gouvernement peut expulser tout individu qui, par sa
conduite, a compromis la tranquillite publique.
Eh bien, M. Hugo a-t-il compromis la tranquillite du pays par cette
lettre qui contenait un defi insolent? Les faits repondent a cette
question.
Mais j'ai un detail a ajouter a la declaration que j'ai faite au
senat. M. Victor Hugo ayant ete appele devant l'administrateur de la
surete publique, ce fonctionnaire lui dit:--Vous devez reconnaitre que
vous vous etes mepris sur le sentiment public.--J'ai contre moi
la bourgeoisie, mais j'ai pour moi les ouvriers, et j'ai recu une
deputation d'ouvriers qui a promis de me defendre." [Note: M. Victor
Hugo n'a pas dit cela.] _(Exclamations sur quelques bancs.)_
Dans ces circonstances, il eut ete indigne du gouvernement de ne
pas sevir. _(Tres bien!)_ Il importe que l'on connaisse bien les
intentions du gouvernement. Ses intentions, les voici: nous ne
recevrons chez nous aucun des hommes ayant appartenu a la Commune,
[Note: La protestation de Victor Hugo a produit ce resultat, qu'apres
cette declaration formelle et solennelle du ministre, le gouvernement
belge, baissant la tete et se dementant, n'a pas ose interdire
l'entree en Belgique a un membre de la Commune, Tridon, qui est mort
depuis a Bruxelles.] et nous appliquerons la loi d'extradition a
tous les hommes qui se sont rendus coupables de vol, d'assassinat ou
d'incendie. (_Marques d'approbation a droite._)
M. COUVREUR.--Messieurs, moi aussi, je me leve, en cette circonstance,
sous l'empire d'une profonde tristesse.
Il ne saurait en etre autrement au spectacle de ce debordement
d'horreurs qui font reculer la civilisation de dix-huit siecles et
dont les consequences menacent de ne pas s'arreter a nos frontieres.
Oui, je le dis avec l'unanimite de cette Chambre, les hommes de la
Commune de Paris qui ont voulu, par la force et l'intimidation,
etablir la domination du proletariat sur Paris, et par Paris sur la
France, ces hommes sont de grands coupables.
Oui, il y avait parmi eux, a cote de fanatiques et d'esprits egares,
de veritables scelerats.
Oui, les hommes qui, de propos delibere, ont mis le feu aux monuments
et aux maisons de Paris sont des incendiaires, et ceux qui ont
fusille des otages arbitrairement arretes et juges sont d'abominables
assassins.
Mais si je porte ce jugement sur les vaincus, que dois-je dire des
vainqueurs qui, apres la victoire, en dehors des excitations de
la lutte, fusillent sommairement, sans examen, sans jugement, par
escouades de 50, de 100 individus, je ne dis pas seulement des
insurges de tout age, de tout sexe, pris les armes a la main, mais le
premier venu, qu'une circonstance quelconque, un regard suspect, une
fausse demarche, une denonciation calomnieuse.... (_interruption_),
oui, des delations et des vengeances! designent a la fureur des
soldats? (_Interruption._)
M. JOTTRAND.--Brigands contre brigands!
_Des voix a droite._--A l'ordre!
M. LE PRESIDENT.--Les paroles qui viennent d'etre prononcees ne sont
pas parvenues jusqu'au bureau....
M. COUVREUR.--J'ai dit....
M. LE PRESIDENT.--Je ne parle pas de vos paroles, monsieur Couvreur.
M. JOTTRAND.--Je demande la parole.
M. COUVREUR.--Ces faits sont denonces par la presse qui peut et qui
ose parler, par les journaux anglais.
Lisez ces journaux. Leurs revelations font fremir. Le _Times_ le dit
avec raison: "Paris est un enfer habite par des demons. Les faits, les
details abondent. A les lire, on se demande si le peuple francais est
pris d'un acces de demence feroce ou s'il est deja atteint dans toutes
ses classes de cette pourriture du bas-empire qui annonce la decadence
des grandes nations."
Cela est deja fort affligeant, mais ce qui le serait bien davantage,
c'est que ces haines, ces rages feroces, ces passions surexcitees
pussent reagir jusque chez nous. Que la France soit affolee de
reaction, que les partis monarchiques sement, pour l'avenir, de
nouveaux germes de guerre civile, deplorons-le, mais n'imitons pas;
nous qui ne sommes pas directement interesses dans la lutte, gardons
au moins l'impartialite de l'histoire. Restons maitres de nous-memes
et de notre sang-froid, ne substituons pas l'arbitraire, le bon
plaisir, la passion a la justice et aux lois.
Lorsque, il y a quelques jours, l'honorable M. Dumortier, interpellant
le gouvernement sur ses intentions, disait que les crimes commis
jusqu'a ce moment a Paris par les gens de la Commune devaient etre
consideres comme des crimes de droit commun, pas une voix n'a
proteste. Mais un point n'avait pas ete suffisamment mis en lumiere.
J'ai ete heureux d'avoir entendu tantot les explications de
l'honorable ministre des affaires etrangeres, qui a precise dans quel
sens l'application des lois se ferait; j'ai ete heureux d'apprendre
que la Belgique, dans cette circonstance, reglerait sa conduite sur
celle de l'Angleterre, de l'Espagne et de la Suisse, c'est-a-dire que
l'on examinera chaque cas individuellement....
M. D'ANETHAN, ministre des affaires etrangeres.--Certainement.
M. COUVREUR.... que l'on jugera les faits; que l'on ne rejettera pas
dans la fournaise des passions surexcitees de Versailles ceux qui
viennent nous demander un asile, non parce qu'ils sont coupables, mais
parce qu'ils sont injustement soupconnes, qu'ils peuvent croire leur
vie et leur liberte en peril.
L'expulsion de M. Victor Hugo s'ecarte de cette politique calme,
humaine, tolerante. Voila pourquoi elle me blesse.
J'y vois une tendance opposee a celle qui s'est manifestee dans la
seance de ce jour. C'est un acte de colere, bien plus que de justice
et de stricte necessite.
La mesure prise peut-elle se justifier dans les circonstances
speciales ou elle s'est produite? Je reponds non sans hesiter.
Je dis plus. J'aime a croire qu'en arretant ses dernieres resolutions,
le gouvernement ignorait encore les details des faits qui se sont
passes sur la place des Barricades, dans la nuit de samedi a dimanche.
Quels sont ces faits, messieurs?
Les premieres versions les ont presentes comme une explosion anodine,
naturelle, legitime du sentiment public: tapage nocturne, charivari,
sifflets, quelques carreaux casses.
Depuis, le fils de M. Victor Hugo a publie, sur ces evenements, une
autre version. Il resulte de son recit que la scene nocturne a dure
pres de deux heures.
M. ANSPACH.--C'est un roman.
M. COUVREUR.--C'est ce que la justice aura a demontrer. Mais ce qui
n'est pas un roman, c'est la frayeur que des femmes et de jeunes
enfants ont eprouvee. (_Interruption._)
J'en appelle a tous les peres. Si, pendant la nuit, provoques ou non,
des forcenes venaient pousser devant votre porte, messieurs, des cris
de mort, briser des vitres, assaillir la demeure qui abrite le berceau
de vos petits-enfants, diriez-vous aussi: _C'est du roman?_ Ecoutez
donc le temoignage de M. Francois Hugo, racontant les angoisses de sa
famille.
M. ANSPACH.--Nous avons le temoignage de M. Victor Hugo lui-meme;
[Note: C'est faux. Publiez-le signe de M. Victor Hugo, on vous en
defie.] il prouve qu'on a embelli ce recit.
M. COUVREUR.--C'est a l'enquete judiciaire de le prouver. Je dis donc
que, d'apres ce recit, la maison de M. Victor Hugo a ete, pendant
cette nuit du samedi au dimanche, l'objet de trois attaques
successives _(interruption)_, qu'un vieillard sans armes, des femmes
en pleurs, des enfants sans defense ont pu croire leur vie menacee; je
dis qu'une mere, une jeune veuve a essaye en vain de se faire entendre
des voisins; que des tentatives d'effraction et d'escalade ont eu
lieu; enfin que, par une circonstance bien malheureuse pour les
auteurs de ces scandales, a l'heure meme ou ils se commettaient, des
hommes portant une poutre etaient arretes dans le voisinage de la
place des Barricades et arraches aux mains de la police par des
complices accourus a leur secours.
N'est-ce pas la une attaque nocturne bien caracterisee? Le
surlendemain, la justice n'etait pas encore intervenue, le procureur
du roi ou ses agents ne s'etaient pas encore transportes a la maison
de M. Hugo. _(Interruption.)_ Et sauf l'enquete ouverte par le
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