Actes et Paroles, Volume 3 - 08

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Le moment choisi est epouvantable.
Mais ce moment a-t-il ete choisi?
Choisi par qui?
Qui a fait le 18 mars?
Examinons.
Est-ce la Commune?
Non. Elle n'existait pas.
Est-ce le comite central?
Non. Il a saisi l'occasion, il ne l'a pas creee.
Qui donc a fait le 18 mars?
C'est l'Assemblee; ou pour mieux dire la majorite.
Circonstance attenuante: elle ne l'a pas fait expres.
La majorite et son gouvernement voulaient simplement enlever les
canons de Montmartre. Petit motif pour un si grand risque.
Soit. Enlever les canons de Montmartre.
C'etait l'idee; comment s'y est-on pris?
Adroitement.
Montmartre dort. On envoie la nuit des soldats saisir les canons. Les
canons pris, on s'apercoit qu'il faut les emmener. Pour cela il faut
des chevaux. Combien? Mille. Mille chevaux! ou les trouver? On n'a pas
songe a cela. Que faire? On les envoie chercher, le temps passe, le
jour vient, Montmartre se reveille; le peuple accourt et veut ses
canons; il commencait a n'y plus songer, mais puisqu'on les lui prend
il les reclame; les soldats cedent, les canons sont repris, une
insurrection eclate, une revolution commence.
Qui a fait cela?
Le gouvernement, sans le vouloir et sans le savoir.
Cet innocent est bien coupable.
Si l'Assemblee eut laisse Montmartre tranquille, Montmartre n'eut pas
souleve Paris. Il n'y aurait pas eu de 18 mars.
Ajoutons ceci: les generaux Clement Thomas et Lecomte vivraient.
J'enonce les faits simplement, avec la froideur historique.
Quant a la Commune, comme elle contient un principe, elle se fut
produite plus tard, a son heure, les prussiens partis. Au lieu de mal
venir, elle fut bien venue.
Au lieu d'etre une catastrophe, elle eut ete un bienfait.
Dans tout ceci a qui la faute? au gouvernement de la majorite.
Etre le coupable, cela devrait rendre indulgent.
Eh bien, non.
Si l'Assemblee de Bordeaux eut ecoute ceux qui lui conseillaient de
rentrer a Paris, et notamment la haute et integre eloquence de Louis
Blanc, rien de ce que nous voyons ne serait arrive, il n'y eut pas eu
de 18 mars.
Du reste, je ne veux pas aggraver le tort de la majorite royaliste.
On pourrait presque dire: c'est sa faute, et ce n'est pas sa faute.
Qu'est-ce que la situation actuelle? un effrayant malentendu.
Il est presque impossible de s'entendre.
Cette impossibilite, qui n'est, selon moi, qu'une difficulte, vient de
ceci:
La guerre, en murant Paris, a isole la France. La France, sans Paris,
n'est plus la France. De la l'Assemblee, de la aussi la Commune. Deux
fantomes. La Commune n'est pas plus Paris que l'Assemblee n'est la
France. Toutes deux, sans que ce soit leur faute, sont sorties d'un
fait violent, et c'est ce fait violent qu'elles representent. J'y
insiste, l'Assemblee a ete nommee par la France separee de Paris, la
Commune a ete nommee par Paris separe de la France. Deux elections
viciees dans leur origine. Pour que la France fasse une bonne
election, il faut qu'elle consulte Paris; et pour que Paris s'incarne
vraiment dans ses elus, il faut que ceux qui representent Paris
representent aussi la France. Or evidemment l'assemblee actuelle ne
represente pas Paris qu'elle fuit, non parce qu'elle le hait, mais,
ce qui est plus triste, parce qu'elle l'ignore. Ignorer Paris, c'est
curieux, n'est-ce pas? Eh bien, nous autres, nous ignorons bien le
soleil. Nous savons seulement qu'il a des taches. C'est tout ce que
l'Assemblee sait de Paris. Je reprends. L'Assemblee ne reflete point
Paris, et de son cote la Commune, presque toute composee d'inconnus,
ne reflete pas la France. C'est cette penetration d'une representation
par l'autre qui rendrait la conciliation possible; il faudrait dans
les deux groupes, assemblee et commune, la meme ame, France, et le
meme coeur, Paris. Cela manque. De la le refus de s'entendre.
C'est le phenomene qu'offre la Chine, d'un cote les tartares, de
l'autre les chinois.
Et cependant la Commune incarne un principe, la vie municipale, et
l'Assemblee en incarne un autre, la vie nationale. Seulement, dans
l'Assemblee comme dans la Commune, on peut s'appuyer sur le principe,
non sur les hommes. La est le malheur. Les choix ont ete funestes. Les
hommes perdent le principe. Raison des deux cotes et tort des deux
cotes. Pas de situation plus inextricable.
Cette situation cree la frenesie.
Les journaux belges annoncent que le _Rappel_ va etre supprime par
la Commune. C'est probable. Dans tous les cas n'ayez pas peur que la
suppression vous manque. Si vous n'etes pas supprimes par la Commune,
vous serez supprimes par l'Assemblee. Le propre de la raison c'est
d'encourir la proscription des extremes.
Du reste, vous et moi, quel que soit le devoir, nous le ferons.
Cette certitude nous satisfait. La conscience ressemble a la mer. Si
violente que soit la tempete de la surface, le fond est tranquille.
Nous ferons le devoir, aussi bien contre la Commune que contre
l'Assemblee; aussi bien pour l'Assemblee que pour la Commune.
Peu importe nous; ce qui importe, c'est le peuple. Les uns
l'exploitent, les autres le trahissent. Et sur toute la situation il y
a on ne sait quel nuage; en haut stupidite, en bas stupeur.
Depuis le 18 mars, Paris est mene par des inconnus, ce qui n'est pas
bon, mais par des ignorants, ce qui est pire. A part quelques chefs,
qui suivent plutot qu'ils ne guident, la Commune, c'est l'ignorance.
Je n'en veux pas d'autre preuve que les motifs donnes pour la
destruction de la Colonne; ces motifs, ce sont les souvenirs que la
Colonne rappelle. S'il faut detruire un monument a cause des souvenirs
qu'il rappelle, jetons bas le Parthenon qui rappelle la superstition
paienne, jetons bas l'Alhambra qui rappelle la superstition
mahometante, jetons bas le Colisee qui rappelle ces fetes atroces
ou les betes mangeaient les hommes, jetons bas les Pyramides qui
rappellent et eternisent d'affreux rois, les Pharaons, dont elles sont
les tombeaux; jetons bas tous les temples a commencer parle Rhamseion,
toutes les mosquees a commencer par Sainte-Sophie, toutes les
cathedrales a commencer par Notre-Dame. En un mot, detruisons tout;
car jusqu'a ce jour tous les monuments ont ete faits par la royaute
et sous la royaute, et le peuple n'a pas encore commence les siens.
Detruire tout, est-ce la ce qu'on veut? Evidemment non. On fait donc
ce qu'on ne veut pas faire. Faire le mal en le voulant faire, c'est la
sceleratesse; faire le mal sans le vouloir faire, c'est l'ignorance.
La Commune a la meme excuse que l'Assemblee, l'ignorance.
L'ignorance, c'est la grande plaie publique. C'est l'explication de
tout le contre-sens actuel.
De l'ignorance nait l'inconscience. Mais quel danger!
Dans la nuit on peut aller a des precipices, et dans l'ignorance on
peut aller a des crimes.
Tel acte commence par etre imbecile et finit par etre feroce.
Tenez, en voici un qui s'ebauche, il est monstrueux; c'est le decret
des otages.
Tous les jours, indignes comme moi, vous denoncez a la conscience du
peuple ce decret hideux, infame point de depart des catastrophes. Ce
decret ricochera contre la republique. J'ai le frisson quand je songe
a tout ce qui peut en sortir. La Commune, dans laquelle il y a, quoi
qu'on en dise, des coeurs droits et honnetes, a subi ce decret plutot
qu'elle ne l'a vote. C'est l'oeuvre de quatre ou cinq despotes, mais
c'est abominable. Emprisonner des innocents et les rendre responsables
des crimes d'autrui, c'est faire du brigandage un moyen de
gouvernement. C'est de la politique de caverne. Quel deuil et
quel opprobre s'il arrivait, dans quelque moment supreme, que les
miserables qui ont rendu ce decret trouvassent des bandits pour
l'executer! Quel contre-coup cela aurait! Vous verriez les
represailles! Je ne veux rien predire, mais je me figure la terreur
blanche repliquant a la terreur rouge.
Ce que represente la Commune est immense; elle pourrait faire de
grandes choses, elle n'en fait que de petites. Et des choses petites
qui sont des choses odieuses, c'est lamentable.
Entendons-nous. Je suis un homme de revolution. J'etais meme cet
homme-la sans le savoir, des mon adolescence, du temps ou, subissant
a la fois mon education qui me retenait dans le passe et mon instinct
qui me poussait vers l'avenir, j'etais royaliste en politique et
revolutionnaire en litterature; j'accepte donc les grandes necessites;
a une seule condition, c'est qu'elles soient la confirmation des
principes, et non leur ebranlement.
Toute ma pensee oscille entre ces deux poles: Civilisation,
Revolution. Quand la liberte est en peril, je dis: Civilisation, mais
revolution; quand c'est l'ordre qui est en danger, je dis: Revolution,
mais civilisation.
Ce qu'on appelle l'exageration est parfois utile, et peut meme, a de
certains moments, sembler necessaire. Quelquefois pour faire marcher
un cote arriere de l'idee, il faut pousser un peu trop en avant
l'autre cote. On force la vapeur; mais il y a possibilite d'explosion,
et chance de dechirure pour la chaudiere et de deraillement pour la
locomotive. Un homme d'etat est un mecanicien. La bonne conduite de
tous les perils vers un grand but, la science du succes selon
les principes a travers le risque et malgre l'obstacle, c'est la
politique.
Mais, dans les actes de la Commune, ce n'est pas a l'exageration des
principes qu'on a affaire, c'est a leur negation.
Quelquefois meme a leur derision.
De la, la resistance de toutes les grandes consciences.
Non, la ville de la science ne peut pas etre menee par l'ignorance;
non, la ville de l'humanite ne peut pas etre gouvernee par le talion;
non, la ville de la clarte ne peut pas etre conduite par la cecite;
non, Paris, qui vit d'evidence, ne peut pas vivre de confusion; non,
non, non!
La Commune est une bonne chose mal faite.
Toutes les fautes commises se resument en deux malheurs: mauvais choix
du moment, mauvais choix des hommes.
Ne retombons jamais dans ces demences. Se figure-t-on Paris disant de
ceux qui le gouvernent: _Je ne les connais pas!_ Ne compliquons pas
une nuit par l'autre; au probleme qui est dans les faits, n'ajoutons
pas une enigme dans les hommes. Quoi! ce n'est pas assez d'avoir
affaire a l'inconnu; il faut aussi avoir affaire aux inconnus!
L'enormite de l'un est redoutable; la petitesse des autres est plus
redoutable encore.
En face du geant il faudrait le titan; on prend le myrmidon!
L'obscure question sociale se dresse et grandit sur l'horizon avec des
epaississements croissant d'heure en heure. Toutes nos lumieres ne
seraient pas de trop devant ces tenebres.
Je jette ces lignes rapidement. Je tache de rester dans le vrai
historique.
Je conclus par ou j'ai commence. Finissons-en.
Dans la mesure du possible, concilions les idees et reconcilions les
hommes.
Des deux cotes on devrait sentir le besoin de s'entendre, c'est-a-dire
de s'absoudre.
L'Angleterre admet des privileges, la France n'admet que des droits;
la est essentiellement la difference entre la monarchie et la
republique. C'est pourquoi, en regard des privileges de la cite de
Londres, nous ne reclamons que le droit de Paris. En vertu de ce
droit, Paris veut, peut et doit offrir a la France, a l'Europe, au
monde, le patron communal, la cite exemple.
Paris est la ferme-modele du progres.
Supposons un temps normal; pas de majorite legislative royaliste
en presence d'un peuple souverain republicain, pas de complication
financiere, pas d'ennemi sur notre territoire, pas de plaie, pas de
Prusse; la Commune fait la loi parisienne qui sert d'eclaireur et de
precurseur a la loi francaise faite par l'Assemblee. Paris, je l'ai
dit deja plus d'une fois, a un role europeen a remplir. Paris est un
propulseur. Paris est l'initiateur universel. Il marche et prouve le
mouvement. Sans sortir de son droit, qui est identique a son devoir,
il peut, dans son enceinte, abolir la peine de mort, proclamer le
droit de la femme et le droit de l'enfant, appeler la femme au vote,
decreter l'instruction gratuite et obligatoire, doter l'enseignement
laique, supprimer les proces de presse, pratiquer la liberte absolue
de publicite, d'affichage et de colportage, d'association et de
meeting, se refuser a la juridiction de la magistrature imperiale,
installer la magistrature elective, prendre le tribunal de commerce et
l'institution des prud'hommes comme experience faite devant servir
de base a la reforme judiciaire, etendre le jury aux causes civiles,
mettre en location les eglises, n'adopter, ne salarier et ne
persecuter aucun culte, proclamer la liberte des banques, proclamer le
droit au travail, lui donner pour organisme l'atelier communal et le
magasin communal, relies l'un a l'autre par la monnaie fiduciaire a
rente, supprimer l'octroi, constituer l'impot unique qui est l'impot
sur le revenu; en un mot abolir l'ignorance, abolir la misere, et, en
fondant la cite, creer le citoyen.
Mais, dira-t-on, ce sera mettre un etat dans l'etat. Non, ce sera
mettre un pilote dans le navire.
Figurons-nous Paris, ce Paris-la, en travail. Quel fonctionnement
supreme! quelle majeste dans l'innovation! Les reformes viennent
l'une apres l'autre. Paris est l'immense essayeur. L'univers civilise
attentif regarde, observe, profite. La France voit le progres se
construire lentement de toutes pieces sous ses yeux; et, chaque fois
que Paris fait un pas heureux, elle suit; et ce que suit la France est
suivi par l'Europe. L'experience politique, a mesure qu'elle avance,
cree la science politique. Rien n'est plus laisse au hasard. Plus de
commotions a craindre, plus de tatonnements, plus de reculs, plus de
reactions; ni coups de trahison du pouvoir, ni coups de colere du
peuple. Ce que Paris dit est dit pour le monde; ce que Paris fait est
fait pour le monde. Aucune autre ville, aucun autre groupe d'hommes,
n'a ce privilege. L'_income-tax_ reussit en Angleterre; que Paris
l'adopte, la preuve sera faite. La liberte des banques, qui implique
le droit de papier-monnaie, est en plein exercice dans les iles de
la Manche; que Paris le pratique, le progres sera admis. Paris en
mouvement, c'est la vie universelle en activite. Plus de force
stagnante ou perdue. La roue motrice travaille, l'engrenage obeit,
la vaste machine humaine marche desormais pacifiquement, sans temps
d'arret, sans secousse, sans soubresaut, sans fracture. La revolution
francaise est finie, l'evolution europeenne commence.
Nous avons perdu nos frontieres; la guerre, certes, nous les rendra,
mais la paix nous les rendrait mieux encore. J'entends la paix
ainsi comprise, ainsi pratiquee, ainsi employee. Cette paix-la nous
donnerait plus que la France redevenue France; elle nous donnerait la
France devenue Europe. Par l'evolution europeenne, dont Paris est
le moteur, nous tournons la situation, et l'Allemagne se reveille
brusquement prise et brusquement delivree par les Etats-Unis d'Europe.
Que penser de nos gouvernants? avoir ce prodigieux outil de
civilisation et de suprematie, Paris, et ne pas s'en servir!
N'importe, ce qui est dans Paris en sortira. Tot ou tard, Paris
Commune s'imposera. Et l'on sera stupefait de voir ce mot Commune se
transfigurer, et de redoutable devenir pacifique. La Commune sera une
oeuvre sure et calme. Le procede civilisateur definitif que je viens
d'indiquer tout a l'heure sommairement n'admet ni effraction ni
escalade. La civilisation comme la nature n'a que deux moyens,
infiltration et rayonnement. L'un fait la seve, l'autre fait le jour;
par l'un on croit, par l'autre on voit; et les hommes comme les choses
n'ont que ces deux besoins, la croissance et la lumiere.
Vaillants et chers amis, je vous serre la main.
Un dernier mot. Quelles que soient les affaires qui me retiennent a
Bruxelles, il va sans dire que si vous jugiez, pour quoi que ce
soit, ma presence utile a Paris, vous n'avez qu'a faire un signe,
j'accourrais.
V. H.


V
L'INCIDENT BELGE
LA PROTESTATION.--L'ATTAQUE NOCTURNE. L'EXPULSION.

Sec.1
Les evenements se precipitaient.
La piece _Pas de Represailles_, publiee a propos des violences de
la Commune, avait ete reproduite, on l'a vu, par presque tous les
journaux, y compris quelques journaux de Versailles; elle avait ete
traduite en anglais, en italien, en espagnol, en portugais (pas en
allemand). La presse reactionnaire, voyant la un blame des actes de la
Commune, avait applaudi particulierement a ces vers:
Quoi! bannir celui-ci! jeter l'autre aux bastilles!
Jamais! Quoi! declarer que les prisons, les grilles.
Les barreaux, les geoliers; et l'exil tenebreux,
Ayant ete mauvais pour nous, sont bons pour eux!
Non, je n'oterai, moi, la patrie a personne.
Un reste d'ouragan dans mes cheveux frissonne;
On comprendra qu'ancien banni, je ne veux pas
Faire en dehors du juste et de l'honnete un pas;
J'ai paye de vingt ans d'exil ce droit austere
D'opposer aux fureurs un refus solitaire
Et de fermer mon ame aux aveugles courroux;
Si je vois les cachots-sinistres, les verrous,
Les chaines menacer mon ennemi, je l'aime,
Et je donne un asile a mon proscripteur meme;
Ce qui fait qu'il est bon d'avoir ete proscrit.
Je sauverais Judas si j'etais Jesus-Christ.
Celui qui avait ecrit cette declaration n'attendait qu'une occasion de
la mettre en pratique. Elle ne tarda pas a se presenter.
Le 25 mai 1871, interpelle dans la Chambre des representants de
Belgique au sujet de la defaite de la Commune et des evenements de
Paris, M. d'Anethan, ministre des affaires etrangeres, fait, au nom du
gouvernement belge, la declaration qu'on va lire:
M. D'ANETHAN.--Je puis donner a la Chambre l'assurance que le
gouvernement saura remplir son devoir avec la plus grande fermete et
avec la plus grande vigilance; il usera des pouvoirs dont il est arme
pour empecher l'invasion sur le sol de la Belgique de ces gens qui
meritent a peine le nom d'hommes et qui devraient etre mis au ban
de toutes les nations civilisees. _(Vive approbation sur tous les
bancs.)_
Ce ne sont pas des refugies politiques; nous ne devons pas les
considerer comme tels.
_Des voix:_ Non! non! M. D'ANETHAN.--Ce sont des hommes que le crime
a souilles et que le chatiment doit atteindre. _(Nouvelles marques
d'approbation.)_
Le 27 mai parait la lettre suivante:
A M. LE REDACTEUR DE L'_Independance belge._
Bruxelles, 20 mai 1871.
Monsieur,
Je proteste contre la declaration du gouvernement belge relative aux
vaincus de Paris. Quoi qu'on dise et quoi qu'on fasse, ces vaincus
sont des hommes politiques.
Je n'etais pas avec eux.
J'accepte le principe de la Commune, je n'accepte pas les hommes.
J'ai proteste contre leurs actes, loi des otages, represailles,
arrestations arbitraires, violation des libertes, suppression des
journaux, spoliations, confiscations, demolitions, destruction de la
Colonne, attaques au droit, attaques au peuple.
Leurs violences m'ont indigne comme m'indigneraient aujourd'hui les
violences du parti contraire.
La destruction de la Colonne est un acte de lese-nation. La
destruction du Louvre eut ete un crime de lese-civilisation.
Mais des actes sauvages, etant inconscients, ne sont point des actes
scelerats. La demence est une maladie et non un forfait. L'ignorance
n'est pas le crime des ignorants.
La Colonne detruite a ete pour la France une heure triste; le Louvre
detruit eut ete pour tous les peuples un deuil eternel.
Mais la Colonne sera relevee, et le Louvre est sauve.
Aujourd'hui Paris est repris. L'Assemblee a vaincu la Commune: Qui
a fait le 18 mars? De l'Assemblee ou de la Commune, laquelle est la
vraie coupable? L'histoire le dira.
L'incendie de Paris est un fait monstrueux, mais n'y a-t-il pas deux
incendiaires? Attendons pour juger.
Je n'ai jamais compris Billioray, et Rigault m'a etonne jusqu'a
l'indignation; mais fusiller Billioray est un crime, mais fusiller
Rigault est un crime.
Ceux de la Commune, Johannard et ses soldats qui font fusiller un
enfant de quinze ans sont des criminels; ceux de l'Assemblee, qui font
fusiller Jules Valles, Bosquet, Parisel, Amouroux, Lefrancais, Brunet
et Dombrowski, sont des criminels.
Ne faisons pas verser l'indignation d'un seul cote. Ici le crime est
aussi bien dans les agents de l'Assemblee que dans ceux de la Commune,
et le crime est evident.
Premierement, pour tous les hommes civilises, la peine de mort est
abominable; deuxiemement, l'execution sans jugement est infame. L'une
n'est plus dans le droit, l'autre n'y a jamais ete.
Jugez d'abord, puis condamnez, puis executez. Je pourrai blamer, mais
je ne fletrirai pas. Vous etes dans la loi.
Si vous tuez sans jugement, vous assassinez.
Je reviens au gouvernement belge.
Il a tort de refuser l'asile.
La loi lui permet ce refus, le droit le lui defend.
Moi qui vous ecris ces lignes, j'ai une maxime: _Pro jure contra
legem._
L'asile est un vieux droit. C'est le droit sacre des malheureux.
Au moyen age, l'eglise accordait l'asile meme aux parricides.
Quant a moi, je declare ceci:
Cet asile, que le gouvernement belge refuse aux vaincus, je l'offre.
Ou? en Belgique.
Je fais a la Belgique cet honneur.
J'offre l'asile a Bruxelles.
J'offre l'asile place des Barricades, n deg. 4.
Qu'un vaincu de Paris, qu'un homme de la reunion dite Commune, que
Paris a fort peu elue et que, pour ma part, je n'ai jamais approuvee,
qu'un de ces hommes, fut-il mon ennemi personnel, surtout s'il est mon
ennemi personnel, frappe a ma porte, j'ouvre. Il est dans ma maison;
il est inviolable.
Est-ce que, par hasard, je serais un etranger en Belgique? je ne le
crois pas. Je me sens le frere de tous les hommes et l'hote de tous
les peuples.
Dans tous les cas, un fugitif de la Commune chez moi, ce sera un
vaincu chez un proscrit; le vaincu d'aujourd'hui chez le proscrit
d'hier.
Je n'hesite pas a le dire, deux choses venerables.
Une faiblesse protegeant l'autre.
Si un homme est hors la loi, qu'il entre dans ma maison. Je defie qui
que ce soit de l'en arracher.
Je parle ici des hommes politiques.
Si l'on vient chez moi prendre un fugitif de la Commune, on me
prendra. Si on le livre, je le suivrai. Je partagerai sa sellette. Et,
pour la defense du droit, on verra, a cote de l'homme de la Commune,
qui est le vaincu de l'Assemblee de Versailles, l'homme de la
Republique, qui a ete le proscrit de Bonaparte.
Je ferai mon devoir. Avant tout les principes.
Un mot encore.
Ce qu'on peut affirmer, c'est que l'Angleterre ne livrera pas les
refugies de la Commune.
Pourquoi mettre la Belgique au-dessous de l'Angleterre?
La gloire de la Belgique c'est d'etre un asile. Ne lui otons pas cette
gloire.
En defendant la France, je defends la Belgique.
Le gouvernement belge sera contre moi, mais le peuple belge sera avec
moi.
Dans tous les cas, j'aurai ma conscience.
Recevez, monsieur, l'assurance de mes sentiments distingues.
VICTOR HUGO.

Sec.2
A la suite de cette lettre, s'est produit un fait nocturne dont voici
les details, que l'_Independance belge_ a publies et que la presse a
reproduits:
"Monsieur le Redacteur,
"Il a ete publie plusieurs recits inexacts des faits qui se sont
passes place des Barricades, n deg. 4, dans la nuit du 27 au 28 mai.
"Je crois necessaire de preciser ces faits dans leur realite absolue.
"Dans cette nuit de samedi a dimanche, M. Victor Hugo, apres avoir
travaille et ecrit, venait de se coucher. La chambre qu'il occupe est
situee au premier etage et sur le devant de la maison. Elle n'a qu'une
seule fenetre, qui donne sur la place. M. Victor Hugo, s'eveillant et
travaillant de bonne heure, a pour habitude de ne point baisser les
persiennes de la fenetre.
"Il etait minuit un quart, il venait de souffler sa bougie et il
allait s'endormir. Tout a coup un coup de sonnette se fait entendre.
M. Victor Hugo, reveille a demi, ecoute, croit a une erreur d'un
passant et se recouche. Nouveau coup de sonnette, plus fort que le
premier. M. Victor Hugo se leve, passe une robe de chambre, va a la
fenetre, l'ouvre et demande: Qui est la? Une voix repond: Dombrowski.
M. Victor Hugo, encore presque endormi, et ne distinguant rien dans
les tenebres, songe a l'asile offert par lui le matin meme aux
fugitifs, pense qu'il est possible que Dombrowski n'ait pas ete
fusille et vienne en effet lui demander un asile, et se retourne pour
descendre et ouvrir sa porte. En ce moment, une grosse pierre, assez
mal dirigee, vient frapper la muraille a cote de la fenetre. M. Victor
Hugo comprend alors, se penche a la fenetre ouverte, et apercoit une
foule d'hommes, une cinquantaine au moins, ranges devant sa maison et
adosses a la grille du square. Il eleve la voix et dit a cette foule:
_Vous etes des miserables!_ Puis il referme la fenetre. Au moment ou
il la refermait, un fragment de pave, qui est encore aujourd'hui dans
sa chambre, creve la vitre a un pouce au-dessus de sa tete, y fait un
large trou et roule a ses pieds en le couvrant d'eclats de verre, qui,
par un hasard etrange, ne l'ont pas blesse. En meme temps, dans la
bande groupee au-dessous de la fenetre, ces cris eclatent: _A mort
Victor Hugo! A bas Victor Hugo! A bas Jean Valjean! A bas lord
Clancharlie! A bas le brigand!_
"Cette explosion violente avait reveille la maison. Deux femmes
sorties precipitamment de leurs lits, l'une, la maitresse de la
maison, M'me veuve Charles Hugo, l'autre la bonne des deux petits
enfants, Mariette Leclanche, entrent dans la chambre.-- Pere, qu'y
a-t-il? demande M'me Charles Hugo. Qu'est-ce que cela? M. Victor Hugo
repond: Ce n'est rien; cela me fait l'effet d'etre des assassins.
Puis il ajoute: Soyez tranquilles, rentrez dans vos chambres, il est
impossible que d'ici a quelques instants une ronde de police ne
passe pas, et cette bande prendra la fuite. Et il rentre lui-meme,
accompagne de M'me Charles Hugo, et suivi de Mariette, dans la
nursery, chambre d'enfants contigue a la sienne, mais situee sur
l'arriere de la maison, et ayant vue sur le jardin.
"Mariette, cependant, venait de rentrer dans la chambre de son maitre,
afin de voir ce qui se passait. Elle s'approcha de la fenetre, fut
apercue, et immediatement une troisieme pierre, dirigee sur cette
femme, creva la vitre et arracha les rideaux.
"A partir de ce moment, une grele de projectiles tomba furieusement
sur la fenetre et sur la facade de la maison. On entendait
distinctement les cris: _A mort Victor Hugo! A la potence! A la
lanterne le brigand!_ D'autres cris moins intelligibles se faisaient
entendre: _A Cayenne! A Mazas!_ Toutes ces clameurs etaient dominees
par celle-ci: _Enfoncons la porte!_ M. Victor Hugo, en rentrant chez
lui, avait simplement repousse la porte qui n'etait fermee qu'au
loquet. On entendait distinctement des efforts pour crocheter ce
loquet. Mariette descendit et ferma la porte au verrou.
"Ceci avait dure environ vingt-cinq minutes. Tout a coup le silence se
fit, les pierres cesserent de pleuvoir et les clameurs se turent. On
se hasarda a regarder dans la place; on n'y vit plus personne. M.
Victor Hugo dit alors a M'me Charles Hugo: C'est fini; ils auront
vu quelque patrouille arriver, et les voila partis. Couchez-vous
tranquillement.
"Il alla se recoucher lui-meme, quand la vitre brisee eclata de
nouveau et vint tomber jusque sur son lit, avec une grosse pierre
que l'agent de police venu plus tard y a vue. L'assaut venait de
recommencer. Les cris: _A mort!_ etaient plus furieux que jamais. De
l'etage superieur on regarda dans la place, et l'on vit une quinzaine
d'hommes, vingt tout au plus, dont quelques-uns portaient des seaux
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