Actes et Paroles, Volume 3 - 06

Total number of words is 4398
Total number of unique words is 1311
39.4 of words are in the 2000 most common words
51.8 of words are in the 5000 most common words
58.1 of words are in the 8000 most common words
Each bar represents the percentage of words per 1000 most common words.
Que desormais, et jusqu'a des jours meilleurs, il y ait sur la carte
de France un vide, c'est la la violence que nous fait le traite. Mais
pourquoi un vide dans cette Assemblee?
Le traite exige-t-il que les representants alsaciens et lorrains
disparaissent de l'Assemblee francaise?
Non.
Pourquoi donc aller plus loin que le traite? Pourquoi faire ce qu'il
n'impose pas? Pourquoi lui donner ce qu'il ne demande pas?
Que la Prusse prenne les territoires. Que la France garde les
representants.
Que leur presence dans l'Assemblee nationale de France soit la
protestation vivante et permanente de la justice contre l'iniquite, du
malheur contre la force, du droit vrai de la patrie contre le droit
faux de la victoire.
Que les alsaciens et les lorrains, elus par leurs departements,
restent dans l'Assemblee francaise et qu'ils y personnifient, non le
passe, mais l'avenir.
Le mandat est un depot. C'est au mandant lui-meme que le mandataire
est tenu de rapporter son mandat. Aujourd'hui, dans la situation
faite a l'Alsace et a la Lorraine, le mandant est prisonnier, mais le
mandataire est libre. Le devoir du mandataire est de garder a la fois
sa liberte et son mandat.
Et cela jusqu'au jour ou, ayant coopere avec nous a l'oeuvre
liberatrice, il pourra rendre a ceux qui l'ont elu le mandat qu'il
leur doit et la patrie que nous leur devons.
Les representants alsaciens et lorrains des departements cedes sont
aujourd'hui dans une exception qu'il importe de signaler. Tous les
representants du reste de la France peuvent etre reelus ou remplaces;
eux seuls ne le peuvent pas. Leurs electeurs sont frappes d'interdit.
En ce moment, et sans que le traite puisse l'empecher, l'Alsace et la
Lorraine sont representees dans l'Assemblee nationale de France. Il
depend de l'Assemblee nationale de continuer cette representation.
Cette continuation du mandat, nous devons la declarer. Elle est de
droit. Elle est de devoir.
Il ne faut pas que les sieges de la representation alsacienne et
lorraine, actuellement occupes, soient vides et restent vides par
notre volonte. Pour toutes les populations de France, le droit d'etre
representees est un droit absolu; pour la Lorraine et pour l'Alsace
c'est un droit sacre.
Puisque la Lorraine et l'Alsace ne peuvent desormais nommer d'autres
representants, ceux-ci doivent etre maintenus. Ils doivent etre
maintenus indefiniment, dans les assemblees nationales qui se
succederont, jusqu'au jour, prochain nous l'esperons, ou la France
reprendra possession de la Lorraine et de l'Alsace, et ou cette moitie
de notre coeur nous sera rendue.
En resume,
Si nous souffrons que nos honorables collegues alsaciens et lorrains
se retirent, nous aggravons le traite.
La France va dans la concession plus loin que la Prusse dans
l'extorsion. Nous offrons ce qu'on n'exige pas. Il importe que dans
l'execution forcee du traite rien de notre part ne ressemble a un
consentement. Subir sans consentir est la dignite du vaincu.
Par tous ces motifs, sans prejuger les resolutions ulterieures que
pourra leur commander leur conscience,
Croyant necessaire de reserver les questions qui viennent d'etre
indiquees,
Les representants soussignes invitent leurs collegues de l'Alsace et
de la Lorraine a reprendre et a garder leurs sieges dans l'Assemblee.


IV
LA QUESTION DE PARIS

Par le traite vote, l'Assemblee avait dispose de la France; il
s'agissait maintenant de savoir ce qu'elle allait faire de Paris. La
droite ne voulait plus de Paris; il lui fallait autre chose. Elle
cherchait une capitale; les uns proposaient Bourges, les autres
Fontainebleau, les autres Versailles. Le 6 mars, l'Assemblee discuta
la question dans ses bureaux. Rentrerait-elle ou ne rentrerait-elle
pas dans Paris?
M. Victor Hugo faisait partie du onzieme bureau. Voici ses paroles,
telles qu'elles ont ete reproduites par les journaux:
Nous sommes plusieurs ici qui avons ete enfermes dans Paris et qui
avons assiste a toutes les phases de ce siege, le plus extraordinaire
qu'il y ait dans l'histoire. Ce peuple a ete admirable. Je l'ai dit
deja et je le dirai encore. Chaque jour la souffrance augmentait et
l'heroisme croissait. Rien de plus emouvant que cette transformation;
la ville de luxe etait devenue ville de misere; la ville de mollesse
etait devenue ville de combat; la ville de joie etait devenue ville de
terreur et de sepulcre. La nuit, les rues etaient toutes noires, pas
un delit. Moi qui parle, toutes les nuits, je traversais, seul, et
presque d'un bout a l'autre, Paris tenebreux et desert; il y avait la
bien des souffrants et bien des affames, tout manquait, le feu et le
pain; eh bien, la securite etait absolue. Paris avait la bravoure au
dehors et la vertu au dedans. Deux millions d'hommes donnaient ce
memorable exemple. C'etait l'inattendu dans la grandeur. Ceux qui
l'ont vu ne l'oublieront pas. Les femmes etaient aussi intrepides
devant la famine que les hommes devant la bataille. Jamais plus
superbe combat n'a ete livre de toutes parts a toutes les calamites a
la fois. Oui, l'on souffrait, mais savez-vous comment? on souffrait
avec joie, parce qu'on se disait: Nous souffrons pour la patrie.
Et puis, on se disait: Apres la guerre finie, apres les prussiens
partis, ou chasses,--je prefere chasses,--on se disait: comme ce
sera beau la recompense! Et l'on s'attendait a ce spectacle sublime,
l'immense embrassement de Paris et de la France.
On s'attendait a quelque chose comme ceci: la mere se jetant eperdue
dans les bras de sa fille! la grande nation remerciant la grande cite!
On se disait: Nous sommes isoles de la France; la Prusse a eleve une
muraille entre la France et nous; mais la Prusse s'en ira, et la
muraille tombera.
Eh bien! non, messieurs. Paris debloque reste isole. La Prusse n'y est
plus, et la muraille y est encore.
Entre Paris et la France il y avait un obstacle, la Prusse; maintenant
il y en a un autre, l'Assemblee.
Reflechissez, messieurs.
Paris esperait votre reconnaissance, et il obtient votre suspicion!
Mais qu'est-ce donc qu'il vous a fait?
Ce qu'il vous a fait, je vais vous le dire:
Dans la defaillance universelle, il a leve la tete; quand il a vu que
la France n'avait plus de soldats, Paris s'est transfigure en armee;
il a espere, quand tout desesperait; apres Phalsbourg tombee, apres
Toul tombee, apres Strasbourg tombee, apres Metz tombee, Paris est
reste debout. Un million de vandales ne l'a pas etonne. Paris s'est
devoue pour tous; il a ete la ville superbe du sacrifice. Voila ce
qu'il vous a fait. Il a plus que sauve la vie a la France, il lui a
sauve l'honneur.
Et vous vous defiez de Paris! et vous mettez Paris en suspicion!
Vous mettez en suspicion le courage, l'abnegation, le patriotisme, la
magnifique initiative de la resistance dans le desespoir, l'intrepide
volonte d'arracher a l'ennemi la France, toute la France! Vous vous
defiez de cette cite qui a fait la philosophie universelle, qui
envahit le monde a votre profit par son rayonnement et qui vous le
conquiert par ses orateurs, par ses ecrivains, par ses penseurs; de
cette cite qui a donne l'exemple de toutes les audaces et aussi de
toutes les sagesses; de ce Paris qui fera l'univers a son image, et
d'ou est sorti l'exemplaire nouveau de la civilisation! Vous avez peur
de Paris, de Paris qui est la fraternite, la liberte, l'autorite, la
puissance, la vie! Vous mettez en suspicion le progres! Vous mettez en
surveillance la lumiere!
Ah! songez-y!
Cette ville vous tend les bras; vous lui dites: Ferme tes portes.
Cette ville vient a vous, vous reculez devant elle. Elle vous offre
son hospitalite majestueuse ou vous pouvez mettre toute la France a
l'abri, son hospitalite, gage de concorde et de paix publique, et vous
hesitez, et vous refusez, et vous avez peur du port comme d'un piege!
Oui, je le dis, pour vous, pour nous tous, Paris, c'est le port.
Messieurs, voulez-vous etre sages, soyez confiants. Voulez-vous etre
des hommes politiques, soyez des hommes fraternels.
Rentrez dans Paris, et rentrez-y immediatement. Paris vous en saura
gre et s'apaisera. Et quand Paris s'apaise, tout s'apaise.
Votre absence de Paris inquietera tous les interets et sera pour le
pays une cause de fievre lente.
Vous avez cinq milliards a payer; pour cela il vous faut le credit;
pour le credit, il vous faut la tranquillite, il vous faut Paris. Il
vous faut Paris rendu a la France, et la France rendue a Paris.
C'est-a-dire l'assemblee nationale siegeant dans la ville nationale.
L'interet public est ici etroitement d'accord avec le devoir public.
Si le sejour de l'Assemblee en province, qui n'est qu'un accident,
devenait un systeme, c'est-a-dire la negation du droit supreme de
Paris, je le declare, je ne siegerais point hors de Paris. Mais ma
resolution particuliere n'est qu'un detail sans importance. Je ferais
ce que je crois etre mon devoir. Cela me regarde et je n'y insiste
pas.
Vous, c'est autre chose. Votre resolution est grave. Pesez-la.
On vous dit:--N'entrez pas dans Paris; les prussiens sont
la.--Qu'importe les prussiens! moi je les dedaigne. Avant peu, ils
subiront la domination de ce Paris qu'ils menacent de leurs canons et
qui les eclaire de ses idees.
La seule vue de Paris est une propagande. Desormais le sejour des
prussiens en France est dangereux surtout pour le roi de Prusse.
Messieurs, en rentrant dans Paris, vous faites de la politique, et de
la bonne politique.
Vous etes un produit momentane. Paris est une formation seculaire.
Croyez-moi, ajoutez Paris a l'Assemblee, appuyez votre faiblesse sur
cette force, asseyez votre fragilite sur cette solidite.
Tout un cote de cette assemblee, cote fort par le nombre et faible
autrement, a la pretention de discuter Paris, d'examiner ce que la
France doit faire de Paris, en un mot de mettre Paris aux voix. Cela
est etrange.
Est-ce qu'on met Paris en question?
Paris s'impose.
Une verite qui peut etre contestee en France, a ce qu'il parait, mais
qui ne l'est pas dans le reste du monde, c'est la suprematie de Paris.
Par son initiative, par son cosmopolitisme, par son impartialite, par
sa bonne volonte, par ses arts, par sa litterature, par sa langue, par
son industrie, par son esprit d'invention, par son instinct de justice
et de liberte, par sa lutte de tous les temps, par son heroisme d'hier
et de toujours, par ses revolutions, Paris est l'eblouissant et
mysterieux moteur du progres universel.
Niez cela, vous rencontrez le sourire du genre humain. Le monde n'est
peut-etre pas francais, mais a coup sur il est parisien.
Nous, consentir a discuter Paris? Non. Il est pueril de l'attaquer, il
serait pueril de le defendre.
Messieurs, n'attentons pas a Paris.
N'allons pas plus loin que la Prusse.
Les prussiens ont demembre la France, ne la decapitons pas.
Et puis, songez-y.
Hors Paris il peut y avoir une Assemblee provinciale; il n'y a
d'Assemblee nationale qu'a Paris.
Pour les legislateurs souverains qui ont le devoir de completer la
Revolution francaise, etre hors de Paris, c'est etre hors de France.
(_Interruption._)
On m'interrompt. Alors j'insiste.
Isoler Paris, refaire apres l'ennemi le blocus de Paris, tenir Paris a
l'ecart, succeder dans Versailles, vous assemblee republicaine, au roi
de France, et, vous assemblee francaise, au roi de Prusse, creer a
cote de Paris on ne sait quelle fausse capitale politique, croyez-vous
en avoir le droit? Est-ce comme representants de la France que vous
feriez cela? Entendons-nous. Qui est-ce qui represente la France?
c'est ce qui contient le plus de lumiere. Au-dessus de vous, au-dessus
de moi, au-dessus de nous tous, qui avons un mandat aujourd'hui et
qui n'en aurons pas demain, la France a un immense representant, un
representant de sa grandeur, de sa puissance, de sa volonte, de son
histoire, de son avenir, un representant permanent, un mandataire
irrevocable; et ce representant est un heros, et ce mandataire est
un geant; et savez-vous son nom? Il s'appelle Paris. Et c'est vous,
representants ephemeres, qui voudriez destituer ce representant
eternel!
Ne faites pas ce reve et ne faites pas cette faute.
* * * * *
Apres ces paroles, le onzieme bureau, ayant a choisir entre M. Victor
Hugo et M. Lucien Brun un commissaire, a choisi M. Lucien Brun.


V
DEMISSION DE VICTOR HUGO

Le 8 mars, au moment ou le representant Victor Hugo se preparait a
prendre la parole pour defendre Paris contre la droite, survint un
incident inattendu. Un rapport fut fait a l'Assemblee sur l'election
d'Alger. Le general Garibaldi avait ete nomme representant d'Alger par
10,600 voix. Le candidat qui avait apres lui le plus de voix n'avait
eu que 4,973 suffrages. On proposa l'annulation de l'election de
Garibaldi. Victor Hugo intervint.
SEANCE DU 8 MARS 1871
M. VICTOR HUGO.--Je demande la parole.
M. LE PRESIDENT.--M. Victor Hugo a la parole. (_Mouvements divers._)
M. VICTOR HUGO.--Je ne dirai qu'un mot.
La France vient de traverser une epreuve terrible, d'ou elle est
sortie sanglante et vaincue. On peut etre vaincu et rester grand;
la France le prouve. La France accablee, en presence des nations, a
rencontre la lachete de l'Europe. (_Mouvement._)
De toutes les puissances europeennes, aucune ne s'est levee pour
defendre cette France qui, tant de fois, avait pris en main la cause
de l'Europe... (_Bravo! a gauche_), pas un roi, pas un etat, personne!
un seul homme excepte.... (_Sourires ironiques a droite.--Tres bien! a
gauche._)
Ah! les puissances, comme on dit, n'intervenaient pas; eh bien, un
homme est intervenu, et cet homme est une puissance. (_Exclamations
sur plusieurs bancs a droite._)
Cet homme, messieurs, qu'avait-il? son epee. M. LE VICOMTE DE
LORGERIL.--Et Bordone! (_On rit._)
M. VICTOR HUGO.--Son epee, et cette epee avait deja delivre un peuple
... (_exclamations_) et cette epee pouvait en sauver un autre.
(_Nouvelles exclamations._)
Il l'a pense; il est venu, il a combattu.
_A droite._--Non! non!
M. LE VICOMTE DE LORGERIL.--Ce sont des reclames qui ont ete faites;
il n'a pas combattu.
M. VICTOR HUGO.--Les interruptions ne m'empecheront pas d'achever ma
pensee.
Il a combattu.... (_Nouvelles interruptions._)
_Voix nombreuses a droite._--Non! non!
_A gauche._--Si! si!
M. LE VICOMTE DE LORGERIL.--Il a fait semblant!
_Un membre a droite._--Il n'a pas vaincu en tout cas!
M. VICTOR HUGO.--Je ne veux blesser personne dans cette assemblee,
mais je dirai qu'il est le seul des generaux qui ont lutte pour la
France, le seul qui n'ait pas ete vaincu. (_Bruyantes reclamations a
droite.--Applaudissements a gauche._)
_Plusieurs membres a droite._--A l'ordre! a l'ordre!
M. DE JOUVENCEL.--Je prie M. le president d'inviter l'orateur a
retirer une parole qui est antifrancaise.
M. LE VICOMTE DE LORGERIL.--C'est un comparse de melodrame. (_Vives
reclamations a gauche._) Il n'a pas ete vaincu parce qu'il ne s'est
pas battu.
M. LE PRESIDENT.--Monsieur de Lorgeril, veuillez garder le silence;
vous aurez la parole ensuite. Mais respectez la liberte de l'orateur.
(_Tres bien!_)
M. LE GENERAL DUCROT.--Je demande la parole. (_Mouvement._)
M. LE PRESIDENT.--General, vous aurez la parole apres M. Victor Hugo.
(_Plusieurs membres se levent et interpellent vivement M. Victor
Hugo._)
M. LE PRESIDENT _aux interrupteurs_. La parole est a M. Victor Hugo
seul.
M. RICHIER.--Un francais ne peut pas entendre des paroles semblables a
celles qui viennent d'etre prononcees. (_Agitation generale._)
M. LE VICOMTE DE LORGERIL.--L'Assemblee refuse la parole a M.
Victor Hugo, parce qu'il ne parle pas francais. (_Oh! oh!--Rumeurs
confuses._)
M. LE PRESIDENT.--Vous n'avez pas la parole, monsieur de Lorgeril....
Vous l'aurez a votre tour.
M. LE VICOMTE DE LORGERIL.--J'ai voulu dire que l'Assemblee ne veut
pas ecouter parce qu'elle n'entend pas ce francais-la. (_Bruit._)
_Un membre._--C'est une insulte au pays!
M. LE GENERAL DUCROT.--J'insiste pour demander la parole.
M. LE PRESIDENT.--Vous aurez la parole si M. Victor Hugo y consent.
M. VICTOR HUGO.--Je demande a finir.
_Plusieurs membres a M. Victor Hugo._--Expliquez-vous! (_Assez!
assez!_)
M. LE PRESIDENT.--Vous demandez a M. Victor Hugo de s'expliquer; il va
le faire. Veuillez l'ecouter et garder le silence.... (_Non! non!--A
l'ordre!_)
M. LE GENERAL DUCROT.--On ne peut pas rester la-dessus.
M. VICTOR HUGO.--Vous y resterez pourtant, general.
M. LE PRESIDENT.--Vous aurez la parole apres l'orateur.
M. LE GENERAL DUCROT.--Je proteste contre des paroles qui sont un
outrage.... (_A la tribune! a la tribune!_)
M. VICTOR HUGO.--Il est impossible.... (_Les cris: A l'ordre!
continuent._)
_Un membre._--Retirez vos paroles. On ne vous les pardonne pas.
(_Un autre membre a droite se leve et adresse a l'orateur des
interpellations qui se perdent dans le bruit._)
M. LE PRESIDENT.--Veuillez vous asseoir!
_Le meme membre._--A l'ordre! Rappelez l'orateur a l'ordre!
M. LE PRESIDENT.--Je vous rappellerai vous-meme a l'ordre, si vous
continuez a le troubler. (_Tres bien! tres bien!_) Je rappellerai a
l'ordre ceux qui empecheront le president d'exercer sa fonction. Je
suis le juge du rappel a l'ordre.
_Sur plusieurs bancs a droite._--Nous le demandons, le rappel a
l'ordre!
M. LE PRESIDENT.--Il ne suffit pas que vous le demandiez. (_Tres
bien!--Interpellations diverses et confuses._)
M. DE CHABAUD-LATOUR.--Paris n'a pas ete vaincu, il a ete affame.
(_C'est vrai! c'est vrai!--Assentiment general._)
M. LE PRESIDENT.--Je donne la parole a M. Victor Hugo pour
s'expliquer, et ceux qui l'interrompront seront rappeles a l'ordre.
(_Tres bien!_)
M. VICTOR HUGO.--Je vais vous satisfaire, messieurs, et aller plus
loin que vous. (_Profond silence._)
Il y a trois semaines, vous avez refuse d'entendre Garibaldi....
_Un membre._--Il avait donne sa demission!
M. VICTOR HUGO.--Aujourd'hui vous refusez de m'entendre. Cela
me suffit. Je donne ma demission. (_Longues rumeurs.--Non!
non!--Applaudissements a gauche._)
_Un membre._--L'Assemblee n'accepte pas votre demission!
M. VICTOR HUGO.--Je l'ai donnee et je la maintiens.
(_L'honorable membre qui se trouve, en descendant de la tribune, au
pied du bureau stenographique situe a l'entree du couloir de gauche,
saisit la plume de l'un des stenographes de l'Assemblee et ecrit,
debout, sur le rebord exterieur du bureau, sa lettre de demission au
president._)
M. LE GENERAL DUCROT.--Messieurs, avant de juger le general Garibaldi,
je demande qu'une enquete serieuse soit faite sur les faits qui ont
amene le desastre de l'armee de l'est. (_Tres bien! tres bien!_)
Quand cette enquete sera faite, nous vous produirons des telegrammes
emanant de M. Gambetta, et prouvant qu'il reprochait au general
Garibaldi son inaction dans un moment ou cette inaction amenait le
desastre que vous connaissez. On pourra examiner alors si le general
Garibaldi est venu payer une dette de reconnaissance a la France,
ou s'il n'est pas venu, plutot, defendre sa republique universelle.
(_Applaudissements prolonges sur un grand nombre de bancs._)
M. LOCKROY.--Je demande la parole.
M. LE PRESIDENT.--M. Victor Hugo est-il present?
_Voix diverses._--Oui!--Non! il est parti!
M. LE PRESIDENT.--Avant de donner lecture a l'Assemblee de la lettre
que vient de me remettre M. Victor Hugo, je voulais le prier de se
recueillir et de se demander a lui-meme s'il y persiste.
M. VICTOR HUGO, _au pied de la tribune_.--J'y persiste.
M. LE PRESIDENT.--Voici la lettre de M. Victor Hugo; mais M. Victor
Hugo.... (_Rumeurs diverses._)
M. VICTOR HUGO.--J'y persiste. Je le declare, je ne paraitrai plus
dans cette enceinte.
M. LE PRESIDENT.--Mais M. Victor Hugo ayant ecrit cette lettre dans
la vivacite de l'emotion que ce debat a soulevee, j'ai du en quelque
sorte l'inviter a se recueillir lui-meme, et je crois avoir exprime
l'impression de l'Assemblee. (_Oui! oui! Tres bien!_)
M. VICTOR HUGO.--Monsieur le president, je vous remercie; mais je
declare que je refuse de rester plus longtemps dans cette Assemblee.
(_Non! non!_)
_De toutes parts./i>--A demain! a demain!
M. VICTOR HUGO.--Non! non! j'y persiste. Je ne rentrerai pas dans
cette Assemblee!
(_M. Victor Hugo sort de la salle._)
M. LE PRESIDENT.--Si l'Assemblee veut me le permettre, je ne lui
donnerai connaissance de cette lettre que dans la seance de demain.
(_Oui! oui!--Assentiment general._)
Cet incident est termine, et je regrette que les elections de
l'Algerie y aient donne lieu....
_Un membre a gauche._--C'est la violence de la droite qui y a donne
lieu.
* * * * *
SEANCE DU 9 MARS
M. LE PRESIDENT.--Messieurs, je regrette profondement que notre
illustre collegue, M. Victor Hugo, n'ait pas cru pouvoir se rendre aux
instances d'un grand nombre de nos collegues, et, je crois pouvoir le
dire, au sentiment general de l'Assemblee. (_Oui! oui!--Tres bien!_)
Il persiste dans la demission qu'il m'a remise hier au soir, et
dont il ne me reste, a mon grand regret, qu'a donner connaissance a
l'Assemblee:
La voici:
"Il y a trois semaines, l'Assemblee a refuse d'entendre Garibaldi;
aujourd'hui elle refuse de m'entendre. Cela me suffit.
"Je donne ma demission.
"VICTOR HUGO."
8 mars 1871.
La demission sera transmise a M. le ministre de l'interieur.
M. LOUIS BLANC.--Je demande la parole.
M. LE PRESIDENT.--M. Louis Blanc a la parole.
M. LOUIS BLANC.--Messieurs, je n'ai qu'un mot a dire.
A ceux d'entre nous qui sont plus particulierement en communion de
sentiments et d'idees avec Victor Hugo, il est commande de dire bien
haut de quelle douleur leur ame a ete saisie....
_Voix a gauche_.--Oui! oui! c'est vrai!
M. LOUIS BLANC.--En voyant le grand citoyen, l'homme de genie dont
la France est fiere, reduit a donner sa demission de membre d'une
Assemblee francaise....
_Voix a droite_.--C'est qu'il l'a bien voulu.
M. LE DUC DE MARMIER.--C'est par sa volonte!
M. LOUIS BLANC.--C'est un malheur ajoute a tant d'autres malheurs ...
(_mouvements divers_) que cette voix puissante ait ete etouffee....
(_Reclamations sur un grand nombre de bancs._)
M. DE TILLANCOURT.--La voix de M. Victor Hugo a constamment ete
etouffee!
_Plusieurs membres_.--C'est vrai! c'est vrai!
M. LOUIS BLANC.--Au moment ou elle proclamait la reconnaissance de la
patrie pour d'eminents services.
Je me borne a ces quelques paroles. Elles expriment des sentiments
qui, j'en suis sur, seront partages par tous ceux qui cherissent et
reverent le genie combattant pour la liberte. (_Vive approbation sur
plusieurs bancs a gauche._)
M. SCHOELCHER.--Louis Blanc, vous avez dignement exprime nos
sentiments a tous.
_A gauche_.--Oui! oui!--Tres bien!
* * * * *
Caprera, 11 avril 1870.
"Mon cher Victor Hugo,
"J'aurais du plus tot vous donner un signe de gratitude pour l'honneur
immense dont vous m'avez decore a l'Assemblee de Bordeaux.
"Sans manifestation ecrite, nos ames se sont cependant bien
entendues, la votre par le bienfait, et la mienne par l'amitie et la
reconnaissance que je vous consacre depuis longtemps.
"Le brevet que vous m'avez signe a Bordeaux suffit a toute une
existence devouee a la cause sainte de l'humanite, dont vous etes le
premier apotre.
"Je suis pour la vie,
"Votre devoue,
"GARIBALDI."


VI
MORT DE CHARLES HUGO

Ce qui suit est extrait du _Rappel_ du mercredi 15 mars:
"Une affreuse nouvelle nous arrive de Bordeaux: notre collaborateur,
notre compagnon, notre ami Charles Hugo, y est mort lundi soir.
"Lundi matin, il avait dejeune gaiment avec son pere et Louis Blanc.
Le soir, Victor Hugo donnait un diner d'adieu a quelques amis, au
restaurant Lanta. A huit heures, Charles Hugo prend un fiacre pour
s'y faire conduire, avec ordre de descendre d'abord a un cafe qu'il
indique. Il etait seul dans la voiture. Arrive au cafe, le cocher
ouvre la portiere et trouve Charles Hugo mort.
"Il avait eu une congestion foudroyante suivie d'hemorrhagie.
"On a rapporte ce pauvre cadavre a son pere, qui l'a couvert de
baisers et de larmes.
"Charles Hugo etait souffrant depuis quelques semaines. Il nous
ecrivait, le samedi 11, samedi dernier:
"Je vous envoie peu d'articles, mais ne m'accusez pas. Un excellent
medecin que j'ai trouve ici m'a condamne au repos. J'ai, parait-il, un
"emphyseme pulmonaire!" avec un petit point hypertrophie au coeur.
Le medecin attribue cette maladie a mon sejour a Paris pendant le
siege....
"Je vais mieux pourtant. Mais il faut que je me repose encore. J'irai
passer une semaine a Arcachon. Je pense pouvoir retourner ensuite a
Paris et reprendre mon travail...."
"Victor Hugo devait l'accompagner a Arcachon. Charles se faisait une
joie de rester la quelques jours en famille avec son pere, sa jeune
femme et ses deux petits enfants; le depart etait fixe au lendemain
matin.... Et le voila mort! Le voila mort, ce vaillant et genereux
Charles, si fort et si doux, d'un si haut esprit, d'un si puissant
talent!
"Et Victor Hugo, apres ces dix-neuf ans d'exil et de lutte suivis de
ces six mois de guerre et de siege, ne sera rentre en France que pour
ensevelir son fils a cote de sa fille, et pour meler a son deuil
patriotique son deuil paternel."
* * * * *
ENTERREMENT DE CHARLES HUGO
(18 mars.)
"Une foule considerable et profondement emue se pressait hier a la
gare d'Orleans, ou, comme tous les journaux l'avaient annonce, le
cercueil du collaborateur, de l'ami, que nous pleurons etait attendu
vers midi.
"A l'heure dite, on a vu paraitre le corbillard, derriere lequel
marchaient, le visage en larmes, Victor Hugo et son dernier fils,
Francois-Victor, puis MM. Paul Meurice, Auguste Vacquerie, Paul
Foucher et quelques amis intimes.
"Ceux qui etaient venus temoigner leur sympathie attristee au grand
poete si durement frappe et au vaillant journaliste parti si jeune se
sont joints a ce douloureux cortege, et le corbillard s'est dirige
vers le cimetiere du Pere-Lachaise.
"Il va sans dire qu'il n'a passe par aucune eglise.
"D'instant en instant, le cortege grossissait. "Place de la Bastille,
il y a eu une chose touchante. Trois gardes nationaux, reconnaissant
Victor Hugo, se sont mis aussitot aux cotes du corbillard et l'ont
escorte, fusil sous le bras. D'autres gardes nationaux ont suivi leur
exemple, puis d'autres, et bientot ils ont ete plus d'une centaine, et
ils ont forme une haie d'honneur qui a accompagne jusqu'au cimetiere
notre cher et regrette camarade.
"Un moment apres, un poste de gardes nationaux, tres nombreux a cause
des evenements de la journee, apprenant qui l'on enterrait, a pris les
fusils, s'est mis en rang et a presente les armes; les clairons ont
sonne, les tambours ont battu aux champs, et le drapeau a salue.
"C'a ete la meme chose sur tout le parcours. Rien n'etait touchant
comme de voir, sur le canal, dans les rues et le long du boulevard,
tous les postes accourir, et, spontanement, sans mot d'ordre, rendre
hommage a quelqu'un qui n'etait ni le chef du pouvoir executif ni le
president de l'Assemblee et qui n'avait qu'une autorite morale. Cet
hommage etait aussi intelligent que cordial; quelques cris de _Vive
la Republique! et de _Vive Victor Hugo! echappes involontairement,
You have read 1 text from French literature.
Next - Actes et Paroles, Volume 3 - 07
  • Parts
  • Actes et Paroles, Volume 3 - 01
    Total number of words is 4517
    Total number of unique words is 1546
    38.2 of words are in the 2000 most common words
    52.6 of words are in the 5000 most common words
    58.8 of words are in the 8000 most common words
    Each bar represents the percentage of words per 1000 most common words.
  • Actes et Paroles, Volume 3 - 02
    Total number of words is 4552
    Total number of unique words is 1567
    35.9 of words are in the 2000 most common words
    47.1 of words are in the 5000 most common words
    53.3 of words are in the 8000 most common words
    Each bar represents the percentage of words per 1000 most common words.
  • Actes et Paroles, Volume 3 - 03
    Total number of words is 4470
    Total number of unique words is 1523
    36.1 of words are in the 2000 most common words
    48.6 of words are in the 5000 most common words
    55.8 of words are in the 8000 most common words
    Each bar represents the percentage of words per 1000 most common words.
  • Actes et Paroles, Volume 3 - 04
    Total number of words is 4014
    Total number of unique words is 1307
    39.1 of words are in the 2000 most common words
    49.9 of words are in the 5000 most common words
    56.9 of words are in the 8000 most common words
    Each bar represents the percentage of words per 1000 most common words.
  • Actes et Paroles, Volume 3 - 05
    Total number of words is 4432
    Total number of unique words is 1357
    36.6 of words are in the 2000 most common words
    49.3 of words are in the 5000 most common words
    55.7 of words are in the 8000 most common words
    Each bar represents the percentage of words per 1000 most common words.
  • Actes et Paroles, Volume 3 - 06
    Total number of words is 4398
    Total number of unique words is 1311
    39.4 of words are in the 2000 most common words
    51.8 of words are in the 5000 most common words
    58.1 of words are in the 8000 most common words
    Each bar represents the percentage of words per 1000 most common words.
  • Actes et Paroles, Volume 3 - 07
    Total number of words is 4423
    Total number of unique words is 1571
    36.4 of words are in the 2000 most common words
    49.3 of words are in the 5000 most common words
    55.5 of words are in the 8000 most common words
    Each bar represents the percentage of words per 1000 most common words.
  • Actes et Paroles, Volume 3 - 08
    Total number of words is 4496
    Total number of unique words is 1469
    37.7 of words are in the 2000 most common words
    50.8 of words are in the 5000 most common words
    57.3 of words are in the 8000 most common words
    Each bar represents the percentage of words per 1000 most common words.
  • Actes et Paroles, Volume 3 - 09
    Total number of words is 4479
    Total number of unique words is 1458
    37.8 of words are in the 2000 most common words
    49.5 of words are in the 5000 most common words
    55.6 of words are in the 8000 most common words
    Each bar represents the percentage of words per 1000 most common words.
  • Actes et Paroles, Volume 3 - 10
    Total number of words is 4498
    Total number of unique words is 1461
    39.4 of words are in the 2000 most common words
    52.8 of words are in the 5000 most common words
    59.3 of words are in the 8000 most common words
    Each bar represents the percentage of words per 1000 most common words.
  • Actes et Paroles, Volume 3 - 11
    Total number of words is 4501
    Total number of unique words is 1566
    34.5 of words are in the 2000 most common words
    47.0 of words are in the 5000 most common words
    54.3 of words are in the 8000 most common words
    Each bar represents the percentage of words per 1000 most common words.
  • Actes et Paroles, Volume 3 - 12
    Total number of words is 4423
    Total number of unique words is 1550
    35.7 of words are in the 2000 most common words
    48.4 of words are in the 5000 most common words
    54.1 of words are in the 8000 most common words
    Each bar represents the percentage of words per 1000 most common words.
  • Actes et Paroles, Volume 3 - 13
    Total number of words is 4331
    Total number of unique words is 1471
    33.9 of words are in the 2000 most common words
    45.5 of words are in the 5000 most common words
    52.7 of words are in the 8000 most common words
    Each bar represents the percentage of words per 1000 most common words.
  • Actes et Paroles, Volume 3 - 14
    Total number of words is 4430
    Total number of unique words is 1646
    38.0 of words are in the 2000 most common words
    50.8 of words are in the 5000 most common words
    57.2 of words are in the 8000 most common words
    Each bar represents the percentage of words per 1000 most common words.
  • Actes et Paroles, Volume 3 - 15
    Total number of words is 4517
    Total number of unique words is 1623
    35.2 of words are in the 2000 most common words
    47.3 of words are in the 5000 most common words
    53.9 of words are in the 8000 most common words
    Each bar represents the percentage of words per 1000 most common words.
  • Actes et Paroles, Volume 3 - 16
    Total number of words is 4538
    Total number of unique words is 1428
    37.4 of words are in the 2000 most common words
    48.4 of words are in the 5000 most common words
    54.9 of words are in the 8000 most common words
    Each bar represents the percentage of words per 1000 most common words.
  • Actes et Paroles, Volume 3 - 17
    Total number of words is 4539
    Total number of unique words is 1503
    37.4 of words are in the 2000 most common words
    49.8 of words are in the 5000 most common words
    56.3 of words are in the 8000 most common words
    Each bar represents the percentage of words per 1000 most common words.
  • Actes et Paroles, Volume 3 - 18
    Total number of words is 4547
    Total number of unique words is 1483
    36.8 of words are in the 2000 most common words
    48.5 of words are in the 5000 most common words
    56.5 of words are in the 8000 most common words
    Each bar represents the percentage of words per 1000 most common words.
  • Actes et Paroles, Volume 3 - 19
    Total number of words is 4279
    Total number of unique words is 1398
    38.3 of words are in the 2000 most common words
    50.1 of words are in the 5000 most common words
    55.7 of words are in the 8000 most common words
    Each bar represents the percentage of words per 1000 most common words.
  • Actes et Paroles, Volume 3 - 20
    Total number of words is 4279
    Total number of unique words is 1509
    35.1 of words are in the 2000 most common words
    49.1 of words are in the 5000 most common words
    55.5 of words are in the 8000 most common words
    Each bar represents the percentage of words per 1000 most common words.
  • Actes et Paroles, Volume 3 - 21
    Total number of words is 331
    Total number of unique words is 174
    29.8 of words are in the 2000 most common words
    45.1 of words are in the 5000 most common words
    52.3 of words are in the 8000 most common words
    Each bar represents the percentage of words per 1000 most common words.