Actes et Paroles, Volume 3 - 03

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d'assaut, parqui? par une invasion sauvage? cela ne se peut. Cela ne
sera pas. Jamais, jamais, jamais!
Citoyens, Paris triomphera, parce qu'il represente l'idee humaine et
parce qu'il represente l'instinct populaire.
L'instinct du peuple est toujours d'accord avec l'ideal de la
civilisation.
Paris triomphera, mais a une condition: c'est que vous, moi, nous tous
qui sommes ici, nous ne serons qu'une seule ame; c'est que nous ne
serons qu'un seul soldat et un seul citoyen, un seul citoyen pour
aimer Paris, un seul soldat pour le defendre.
A cette condition, d'une part la republique une, d'autre part le
peuple unanime, Paris triomphera.
Quant a moi, je vous remercie de vos acclamations mais je les rapporte
toutes a cette grande angoisse qui remue toutes les entrailles, la
patrie en danger.
Je ne vous demande qu'une chose, l'union!
Par l'union, vous vaincrez.
Etouffez toutes les haines, eloignez tous les ressentiments, soyez
unis, vous serez invincibles.
Serrons-nous tous autour de la republique en face de l'invasion, et
soyons freres. Nous vaincrons.
C'est par la fraternite qu'on sauve la liberte.
Reconduit par le peuple jusqu'a l'avenue Frochot qu'il allait habiter,
chez son ami M. Paul Meurice, et rencontrant partout la foule sur son
passage, M. Victor Hugo, en arrivant rue de Laval, remercia encore une
fois le peuple de Paris et dit:
"Vous me payez en une heure dix-neuf ans d'exil."


II
AUX ALLEMANDS

Cependant, l'armee allemande avancait et menacait. Il semblait qu'il
fut temps encore d'elever la voix entre les deux nations. M. Victor
Hugo publia, en francais et en allemand, l'appel que voici:
Allemands, celui qui vous parle est un ami.
II y a trois ans, a l'epoque de l'Exposition de 1867, du fond de
l'exil, je vous souhaitais la bienvenue dans votre ville.
Quelle ville?
Paris.
Car Paris ne nous appartient pas a nous seuls. Paris est a vous
autant qu'a nous. Berlin, Vienne; Dresde, Munich, Stuttgart, sont vos
capitales; Paris est votre centre. C'est a Paris que l'on sent vivre
l'Europe. Paris est la ville des villes. Paris est la ville des
hommes. Il y a eu Athenes, il y a eu Rome, et il y a Paris.
Paris n'est autre chose qu'une immense hospitalite. Aujourd'hui vous y
revenez. Comment?
En freres, comme il y a trois ans?
Non, en ennemis.
Pourquoi?
Quel est ce malentendu sinistre?
Deux nations ont fait l'Europe. Ces deux nations sont la France et
l'Allemagne. L'Allemagne est pour l'occident ce que l'Inde est pour
l'orient, une sorte de grande aieule. Nous la venerons. Mais que se
passe-t-il donc? et qu'est-ce que cela veut dire? Aujourd'hui, cette
Europe, que l'Allemagne a construite par son expansion et la France
par son rayonnement, l'Allemagne veut la defaire.
Est-ce possible?
L'Allemagne deferait l'Europe en mutilant la France.
L'Allemagne deferait l'Europe en detruisant Paris.
Reflechissez.
Pourquoi cette invasion? Pourquoi cet effort sauvage contre un peuple
frere?
Qu'est-ce que nous vous avons fait?
Cette guerre, est-ce qu'elle vient de nous? c'est l'empire qui l'a
voulue, c'est l'empire qui l'a faite. Il est mort. C'est bien.
Nous n'avons rien de commun avec ce cadavre.
Il est le passe, nous sommes l'avenir.
Il est la haine, nous sommes la sympathie.
Il est la trahison, nous sommes la loyaute.
Il est Capoue et Gomorrhe, nous sommes la France.
Nous sommes la Republique francaise; nous avons pour devise: _Liberte,
Egalite, Fraternite_; nous ecrivons sur notre drapeau: _Etats-Unis
d'Europe_. Nous sommes le meme peuple que vous. Nous avons eu
Vercingetorix comme vous avez eu Arminius. Le meme rayon fraternel,
trait d'union sublime, traverse le coeur allemand et l'ame francaise.
Cela est si vrai que nous vous disons ceci:
Si par malheur votre erreur fatale vous poussait aux supremes
violences, si vous veniez nous attaquer dans cette ville auguste
confiee en quelque sorte par l'Europe a la France, si vous donniez
l'assaut a Paris, nous nous defendrons jusqu'a la derniere extremite,
nous lutterons de toutes nos forces contre vous; mais, nous vous
le declarons, nous continuerons d'etre vos freres; et vos blesses,
savez-vous ou nous les mettrons? dans le palais de la nation. Nous
assignons d'avance pour hopital aux blesses prussiens les Tuileries.
La sera l'ambulance de vos braves soldats prisonniers. C'est la que
nos femmes iront les soigner et les secourir. Vos blesses seront nos
hotes, nous les traiterons royalement, et Paris les recevra dans son
Louvre.
C'est avec cette fraternite dans le coeur que nous accepterons votre
guerre.
Mais cette guerre, allemands, quel sens a-t-elle? Elle est finie,
puisque l'empire est fini. Vous avez tue votre ennemi qui etait le
notre. Que voulez-vous de plus?
Vous venez prendre Paris de force! Mais nous vous l'avons toujours
offert avec amour. Ne faites pas fermer les portes par un peuple qui
de tout temps vous a tendu les bras. N'ayez pas d'illusions sur Paris.
Paris vous aime, mais Paris vous combattra. Paris vous combattra avec
toute la majeste formidable de sa gloire et de son deuil. Paris,
menace de ce viol brutal, peut devenir effrayant.
Jules Favre vous l'a dit eloquemment, et tous nous vous le repetons,
attendez-vous a une resistanceindignee.
Vous prendrez la forteresse, vous trouverez l'enceinte; vous prendrez
l'enceinte, vous trouverez la barricade; vous prendrez la barricade,
et peut-etre alors, qui sait ce que peut conseiller le patriotisme
en detresse? vous trouverez l'egout mine faisant sauter des rues
entieres. Vous aurez a accepter celte condamnation terrible; prendre
Paris pierre par pierre, y egorger l'Europe sur place, tuer la France
en detail, dans chaque rue, dans chaque maison; et cette grande
lumiere, il faudra l'eteindre ame par ame. Arretez-vous.
Allemands, Paris est redoutable. Soyez pensifs devant Paris. Toutes
les transformations lui sont possibles. Ses mollesses vous donnent la
mesure de ses energies; on semblait dormir, on se reveille; on tire
l'idee du fourreau comme l'epee, et cette ville qui etait hier Sybaris
peut etre demain Saragosse.
Est-ce que nous disons ceci pour vous intimider? Non, certes! On ne
vous intimide pas, allemands. Vous avez eu Galgacus contre Rome et
Koerner contre Napoleon. Nous sommes le peuple de la _Marseillaise_,
mais vous etes le peuple des _Sonnets cuirasses_ et du _Cri de
l'Epee_. Vous etes cette nation de penseurs qui devient au besoin une
legion de heros. Vos soldats sont dignes des notres; les notres sont
la bravoure impassible, les votres sont la tranquillite intrepide.
Ecoutez pourtant.
Vous avez des generaux ruses et habiles, nous avions des chefs
ineptes; vous avez fait la guerre adroite plutot que la guerre
eclatante; vos generaux ont prefere l'utile au grand, c'etait leur
droit; vous nous avez pris par surprise; vous etes venus dix contre
un; nos soldats se sont laisse stoiquement massacrer par vous qui
aviez mis savamment toutes les chances de votre cote; de sorte
que, jusqu'a ce jour, dans cette effroyable guerre, la Prusse a la
victoire, mais la France a la gloire.
A present, songez-y, vous croyez avoir un dernier coup a faire, vous
ruer sur Paris, profiter de ce que notre admirable armee, trompee et
trahie, est a cette heure presque tout entiere etendue morte sur le
champ de bataille, pour vous jeter, vous sept cent mille soldats, avec
toutes vos machines de guerre, vos mitrailleuses, vos canons d'acier,
vos boulets Krupp, vos fusils Dreyse, vos innombrables cavaleries, vos
artilleries epouvantables, sur trois cent mille citoyens debout sur
leur rempart, sur des peres defendant leur foyer, sur une cite pleine
de familles fremissantes, ou il y a des femmes, des soeurs, des
meres, et ou, a cette heure, moi qui vous parle, j'ai mes deux
petits-enfants, dont un a la mamelle. C'est sur cette ville innocente
de cette guerre, sur cette cite qui ne vous a rien fait que vous
donner sa clarte, c'est sur Paris isole, superbe et desespere, que
vous vous precipiteriez, vous, immense flot de tuerie et de bataille!
ce serait la votre role, hommes vaillants, grands soldats, illustre
armee de la noble Allemagne! Oh! reflechissez!
Le dix-neuvieme siecle verrait cet affreux prodige, une nation, de
policee devenue sauvage, abolissant la ville des nations; l'Allemagne
eteignant Paris; la Germanie levant la hache sur la Gaule! Vous,
les descendants des chevaliers teutoniques, vous feriez la guerre
deloyale, vous extermineriez le groupe d'hommes et d'idees dont
le monde a besoin, vous aneantiriez la cite organique, vous
recommenceriez Attila et Alaric, vous renouvelleriez, apres Omar,
l'incendie de la bibliotheque humaine, vous raseriez l'Hotel de Ville
comme les huns ont rase le Capitole, vous bombarderiez Notre-Dame
comme les turcs ont bombarde le parthenon; vous donneriez au monde ce
spectacle, les allemands redevenus les vandales, et vous seriez la
barbarie decapitant la civilisation!
Non, non, non!
Savez-vous ce que serait pour vous cette victoire? ce serait le
deshonneur.
Ah! certes, personne ne peut songer a vous effrayer, allemands,
magnanime armee, courageux peuple! mais on peut vous renseigner. Ce
n'est pas, a coup sur, l'opprobre que vous cherchez; eh bien, c'est
l'opprobreque vous trouveriez; et moi, europeen, c'est-a-dire ami de
Paris, moi parisien, c'est-a-dire ami des peuples, je vous avertis du
peril ou vous etes, mes freres d'Allemagne, parce que je vous admire
et je vous honore, et parce que je sais bien que, si quelque chose
peut vous faire reculer, ce n'est pas la peur, c'est la honte.
Ah! nobles soldats, quel retour dans vos foyers! Vous seriez des
vainqueurs la tete basse; et qu'est-ce que vos femmes vous diraient?
La mort de Paris, quel deuil!
L'assassinat de Paris, quel crime!
Le monde aurait le deuil, vous auriez le crime.
N'acceptez pas cette responsabilite formidable. Arretez-vous.
Et puis, un dernier mot. Paris pousse a bout, Paris soutenu par toute
la France soulevee, peut vaincre et vaincrait; et vous auriez tente en
pure perte cette voie de fait qui deja indigne le monde. Dans tous
les cas, effacez de ces lignes ecrites en hate les mots _destruction,
abolition, mort_. Non, on ne detruit pas Paris. Parvinton, ce qui est
malaise, a le demolir materiellement, on le grandirait moralement. En
ruinant Paris, vous le sanctifieriez. La dispersion des pierres
ferait la dispersion des idees. Jetez Paris aux quatre vents, vous
n'arriverez qu'a faire de chaque grain de cette cendre la semence de
l'avenir. Ce sepulcre criera Liberte, Egalite, Fraternite! Paris est
ville, mais Paris est ame. Brulez nos edifices, ce ne sont que nos
ossements; leur fumee prendra forme, deviendra enorme et vivante,
et montera jusqu'au ciel, et l'on verra a jamais, sur l'horizon des
peuples, au-dessus de nous, au-dessus de vous, au-dessus de tout et de
tous, attestant notre gloire, attestant votre honte, ce grand spectre
fait d'ombre et de lumiere, Paris.
Maintenant, j'ai dit. Allemands, si vous persistez, soit, vous etes
avertis. Faites, allez, attaquez la muraille de Paris. Sous vos bombes
et vos mitrailles, elle se defendra. Quant a moi, vieillard, j'y
serai, sans armes. Il me convient d'etre avec les peuples qui meurent,
je vous plains d'etre avec les rois qui tuent.
Paris, 9 septembre 1870.


III
AUX FRANCAIS

Aux paroles de M. Victor Hugo la presse feodale allemande avait
repondu par des cris de colere. [Note: "Pendez le poete au haut du
mat.--_Haengt den Dichter an den Mast auf_."] L'armee allemande
continuait sa marche. Il ne restait plus d'espoir que dans la levee en
masse. Crier aux armes etait le devoir de tout citoyen. Apres l'appel
de paix, l'appel de guerre.
Nous avons fraternellement averti l'Allemagne.
L'Allemagne a continue sa marche sur Paris.
Elle est aux portes.
L'empire a attaque l'Allemagne comme il avait attaque la republique, a
l'improviste, en traitre; et aujourd'hui l'Allemagne, de cette guerre
que l'empire lui a faite, se venge sur la republique.
Soit. L'histoire jugera.
Ce que l'Allemagne fera maintenant la regarde; mais nous France,
nous avons des devoirs envers les nations et envers le genre humain.
Remplissons-les.
Le premier des devoirs est l'exemple.
Le moment ou nous sommes est une grande heure pour les peuples.
Chacun va donner sa mesure.
La France a ce privilege, qu'a eu jadis Rome, qu'a eu jadis la Grece,
que son peril va marquer l'etiage de la civilisation.
Ou en est le monde? Nous allons le voir.
S'il arrivait, ce qui est impossible, que la France succombat, la
quantite de submersion qu'elle subirait indiquerait la baisse de
niveau du genre humain.
Mais la France ne succombera pas.
Par une raison bien simple, et nous venons de le dire. C'est qu'elle
fera son devoir.
La France doit a tous les peuples et a tous les hommes de sauver
Paris, non pour Paris, mais pour le monde.
Ce devoir, la France l'accomplira.
Que toutes les communes se levent! que toutes les campagnes prennent
feu! que toutes les forets s'emplissent de voix tonnantes! Tocsin!
tocsin! Que de chaque maison il sorte un soldat; que le faubourg
devienne regiment; que la ville se fasse armee. Les prussiens sont
huit cent mille, vous etes quarante millions d'hommes. Dressez-vous,
et soufflez sur eux! Lille, Nantes, Tours, Bourges, Orleans, Dijon,
Toulouse, Bayonne, ceignez vos reins. En marche! Lyon, prends ton
fusil, Bordeaux, prends ta carabine, Rouen, tire ton epee, et toi
Marseille, chante ta chanson et viens terrible. Cites, cites, cites,
faites des forets de piques, epaississez vos bayonnettes, attelez vos
canons, et toi village, prends ta fourche. On n'a pas de poudre,
on n'a pas de munitions, on n'a pas d'artillerie? Erreur! on en a.
D'ailleurs les paysans suisses n'avaient que des cognees, les paysans
polonais n'avaient que des faulx, les paysans bretons n'avaient que
des batons. Et tout s'evanouissait devant eux! Tout est secourable a
qui fait bien. Nous sommes chez nous. La saison sera pour nous, la
bise sera pour nous, la pluie sera pour nous. Guerre ou Honte! Qui
veut peut. Un mauvais fusil est excellent quand le coeur est bon; un
vieux troncon de sabre est invincible quand le bras est vaillant.
C'est aux paysans d'Espagne que s'est brise Napoleon. Tout de suite,
en hate, sans perdre un jour, sans perdre une heure, que chacun,
riche, pauvre, ouvrier, bourgeois, laboureur, prenne chez lui ou
ramasse a terre tout ce qui ressemble a une arme ou a un projectile.
Roulez des rochers, entassez des paves, changez les socs en haches,
changez les sillons en fosses, combattez avec tout ce qui vous tombe
sous la main, prenez les pierres de notre terre sacree, lapidez les
envahisseurs avec les ossements de notre mere la France. O citoyens,
dans les cailloux du chemin, ce que vous leur jetez a la face, c'est
la patrie.
Que tout homme soit Camille Desmoulins, que toute femme soit
Theroigne, que tout adolescent soit Barra! Faites comme Bonbonnel, le
chasseur de pantheres, qui, avec quinze hommes, a tue vingt prussiens
et fait trente prisonniers. Que les rues des villes devorent l'ennemi,
que la fenetre s'ouvre furieuse, que le logis jette ses meubles, que
le toit jette ses tuiles, que les vieilles meres indignees attestent
leurs cheveux blancs. Que les tombeaux crient, que derriere toute
muraille on sente le peuple et Dieu, qu'une flamme sorte partout de
terre, que toute broussaille soit le buisson ardent! Harcelez ici,
foudroyez la, interceptez les convois, coupez les prolonges, brisez
les ponts, rompez les routes, effondrez le sol, et que la France sous
la Prusse devienne abime.
Ah! peuple! te voila accule dans l'antre. Deploie ta stature
inattendue. Montre au monde le formidable prodige de ton reveil. Que
le lion de 92 se dresse et se herisse, et qu'on voie l'immense volee
noire des vautours a deux tetes s'enfuir a la secousse de cette
criniere!
Faisons la guerre de jour et de nuit, la guerre des montagnes, la
guerre des plaines, la guerre des bois. Levez-vous! levez-vous! Pas de
treve, pas de repos, pas de sommeil. Le despotisme attaque la liberte,
l'Allemagne attente a la France. Qu'a la sombre chaleur de notre
sol cette colossale armee fonde comme la neige. Que pas un point du
territoire ne se derobe au devoir. Organisons l'effrayante bataille de
la patrie. O francs-tireurs, allez, traversez les halliers, passez les
torrents, profitez de l'ombre et du crepuscule, serpentez dans les
ravins, glissez-vous, rampez, ajustez, tirez, exterminez l'invasion.
Defendez la France avec heroisme, avec desespoir, avec tendresse.
Soyez terribles, o patriotes! Arretez-vous seulement, quand vous
passerez devant une chaumiere, pour baiser au front un petit enfant
endormi.
Car l'enfant c'est l'avenir. Car l'avenir c'est la republique.
Faisons cela, francais.
Quant a l'Europe, que nous importe l'Europe! Qu'elle regarde, si
elle a des yeux. On vient a nous si l'on veut. Nous ne quetons pas
d'auxiliaires. Si l'Europe a peur, qu'elle ait peur. Nous rendons
service a l'Europe, voila tout. Qu'elle reste chez elle, si bon
lui semble. Pour le redoutable denoument que la France accepte si
l'Allemagne l'y contraint, la France suffit a la France, et Paris
suffit a Paris. Paris a toujours donne plus qu'il n'a recu. S'il
engage les nations a l'aider, c'est dans leur interet plus encore que
dans le sien. Qu'elles fassent comme elles voudront, Paris ne prie
personne. Un si grand suppliant, que lui etonnerait l'histoire. Sois
grande ou sois petite, Europe, c'est ton affaire. Incendiez Paris,
allemands, comme vous avez incendie Strasbourg. Vous allumerez les
coleres plus encore que les maisons.
Paris a des forteresses, des remparts, des fosses, des canons, des
casemates, des barricades, des egouts qui sont des sapes; il a de la
poudre, du petrole et de la nitro-glycerine; il a trois cent mille
citoyens armes; l'honneur, la justice, le droit, la civilisation
indignee, fermentent en lui; la fournaise vermeille de la republique
s'enfle dans son cratere; deja sur ses pentes se repandent et
s'allongent des coulees de lave, et il est plein, ce puissant Paris,
de toutes les explosions de l'ame humaine. Tranquille et formidable,
il attend l'invasion, et il sent monter son bouillonnement. Un volcan
n'a pas besoin d'etre secouru.
Francais, vous combattrez. Vous vous devouerez a la cause universelle,
parce qu'il faut que la France soit grande afin que la terre soit
affranchie; parce qu'il ne faut pas que tant de sang ait coule et que
tant d'ossements aient blanchi sans qu'il en sorte la liberte; parce
que toutes les ombres illustres, Leonidas, Brutus, Arminius, Dante,
Rienzi, Washington, Danton, Riego, Manin, sont la souriantes et fleres
autour de vous; parce qu'il est temps de montrer a l'univers que la
vertu existe, que le devoir existe et que la patrie existe; et vous ne
faiblirez pas, et vous irez jusqu'au bout, et le monde saura par vous
que, si la diplomatie est lache, le citoyen est brave; que, s'il y a
des rois, il y a aussi des peuples; que, si le continent monarchique
s'eclipse, la republique rayonne, et que, si, pour l'instant, il n'y a
plus d'Europe, il y a toujours une France.
Paris, 17 septembre 1870.


IV
AUX PARISIENS

On demanda a M. Victor Hugo d'aller par toute la France jeter lui-meme
et reproduire sous toutes les formes de la parole ce cri de guerre. Il
avait promis de partager le sort de Paris, il resta a Paris. Bientot
Paris fut bloque et enferme; la Prusse l'investit et l'assiegea. Le
peuple etait heroique. On etait en octobre. Quelques symptomes de
division eclaterent. M. Victor Hugo, apres avoir parle aux allemands
pour la paix, puis aux francais pour la guerre, s'adressa aux
parisiens pour l'union.
Il parait que les prussiens ont decrete que la France serait Allemagne
et que l'Allemagne serait Prusse; que moi qui parle, ne lorrain, je
suis allemand; qu'il faisait nuit en plein midi; que l'Eurotas, le
Nil, le Tibre et la Seine etaient des affluents de la Spree; que la
ville qui depuis quatre siecles eclaire le globe n'avait plus de
raison d'etre; que Berlin suffisait; que Montaigne, Rabelais,
d'Aubigne, Pascal, Corneille, Moliere, Montesquieu, Diderot,
Jean-Jacques, Mirabeau, Danton et la Revolution francaise n'ont jamais
existe; qu'on n'avait plus besoin de Voltaire puisqu'on avait M. de
Bismarck; que l'univers appartient aux vaincus de Napoleon le Grand
et aux vainqueurs de Napoleon le Petit; que dorenavant la pensee,
la conscience, la poesie, l'art, le progres, l'intelligence,
commenceraient a Potsdam et finiraient a Spandau; qu'il n'y aurait
plus de civilisation, qu'il n'y aurait plus d'Europe, qu'il n'y
aurait plus de Paris; qu'il n'etait pas demontre que le soleil fut
necessaire; que d'ailleurs nous donnions le mauvais exemple; que nous
sommes Gomorrhe et qu'ils sont, eux, prussiens, le feu du ciel; qu'il
est temps d'en finir, et que desormais le genre humain ne sera plus
qu'une puissance de second ordre.
Ce decret, parisiens, on l'execute sur vous. En supprimant Paris, on
mutile le monde. L'attaque s'adresse _urbi et orbi_. Paris eteint, et
la Prusse ayant seule la fonction de briller, l'Europe sera dans les
tenebres.
Cet avenir est-il possible?
Ne nous donnons pas la peine de dire non.
Repondons simplement par un sourire. Deux adversaires sont en presence
en ce moment. D'un cote la Prusse, toute la Prusse, avec neuf cent
mille soldats; de l'autre Paris avec quatre cent mille citoyens. D'un
cote la force, de l'autre la volonte. D'un cote une armee, de l'autre
un peuple. D'un cote la nuit, de l'autre la lumiere.
C'est le vieux combat de l'archange et du dragon qui recommence.
Il aura aujourd'hui la fin qu'il a eue autrefois.
La Prusse sera precipitee.
Cette guerre, si epouvantable qu'elle soit, n'a encore ete que petite.
Elle va devenir grande.
J'en suis fache pour vous, prussiens, mais il va falloir changer votre
facon de faire. Cela va etre moins commode. Vous serez toujours deux
ou trois contre un, je le sais; mais il faut aborder Paris de front.
Plus de forets, plus de broussailles, plus de ravins, plus de tactique
tortueuse, plus de glissement dans l'obscurite. La strategie des chats
ne sert pas a grand'chose devant le lion. Plus de surprises. On va
vous entendre venir. Vous aurez beau marcher doucement, la mort
ecoute. Elle a l'oreille fine, cette guetteuse terrible. Vous
espionnez, mais nous epions. Paris, le tonnerre en main et le doigt
sur la detente, veille et regarde l'horizon. Allons, attaquez. Sortez
de l'ombre. Montrez vous. C'en est fini des succes faciles. Le corps a
corps commence. On va se colleter. Prenez-en votre parti. La victoire
maintenant exigera un peu d'imprudence. Il faut renoncer a cette
guerre d'invisibles, a cette guerre a distance, a cette guerre a
cache-cache, ou vous nous tuez sans que nous ayons l'honneur de vous
connaitre.
Nous allons voir enfin la vraie bataille. Les massacres tombant sur un
seul cote sont finis. L'imbecillite ne nous commande plus. Vous allez
avoir affaire au grand soldat qui s'appelait la Gaule du temps que
vous etiez les borusses, et qui s'appelle la France aujourd'hui que
vous etes les vandales; la France: _miles magnus_, disait Cesar;
_soldat de Dieu_, disait Shakespeare.
Donc, guerre, et guerre franche, guerre loyale, guerre farouche. Nous
vous la demandons et nous vous la promettons. Nous allons juger vos
generaux. La glorieuse France grandit volontiers ses ennemis. Mais il
se pourrait bien apres tout que ce que nous avons appele l'habilete de
Moltke ne fut autre chose que l'ineptie de Leboeuf. Nous allons voir.
Vous hesitez, cela se comprend. Sauter a la gorge de Paris est
difficile. Notre collier est garni de pointes.
Vous avez deux ressources qui ne feront pas precisement l'admiration
de l'Europe:
Affamer Paris.
Bombarder Paris.
Faites. Nous attendons vos projectiles. Et tenez, si une de vos
bombes, roi de Prusse, tombe sur ma maison, cela prouvera une chose,
c'est que je ne suis pas Pindare, mais que vous n'etes pas Alexandre.
On vous prete, prussiens, un autre projet. Ce serait de cerner Paris
sans l'attaquer, et de reserver toute votre bravoure contre nos
villes sans defense, contre nos bourgades, contre nos hameaux.
Vous enfonceriez heroiquement ces portes ouvertes, et vous vous
installeriez la, ranconnant vos captifs, l'arquebuse au poing. Cela
s'est vu au moyen age. Cela se voit encore dans les cavernes. La
civilisation stupefaite assisterait a un banditisme gigantesque. On
verrait cette chose: un peuple detroussant un autre peuple. Nous
n'aurions plus affaire a Arminius, mais a Jean l'Ecorcheur. Non! nous
ne croyons pas cela. La Prusse attaquera Paris, mais l'Allemagne ne
pillera pas les villages. Le meurtre, soit. Le vol, non. Nous croyons
a l'honneur des peuples.
Attaquez Paris, prussiens. Bloquez, cernez, bombardez.
Essayez.
Pendant ce temps-la l'hiver viendra.
Et la France.
L'hiver, c'est-a-dire la neige, la pluie, la gelee, le verglas, le
givre, la glace. La France, c'est-a-dire la flamme.
Paris se defendra, soyez tranquilles.
Paris se defendra victorieusement.
Tous au feu, citoyens! Il n'y a plus desormais que la France ici et
la Prusse la. Rien n'existe que cette urgence. Quelle est la question
d'aujourd'hui? combattre. Quelle est la question de demain? vaincre.
Quelle est la question de tous les jours? mourir. Ne vous tournez pas
d'un autre cote. Le souvenir que tu dois au devoir se compose de ton
propre oubli. Union et unite. Les griefs, les ressentiments, les
rancunes, les haines, jetons ca au vent. Que ces tenebres s'en aillent
dans la fumee des canons. Aimons-nous pour lutter ensemble. Nous avons
tous les memes merites. Est-ce qu'il y a eu des proscrits? je n'en
sais rien. Quelqu'un a-t-il ete en exil? je l'ignore. Il n'y a plus de
personnalites, il n'y a plus d'ambitions, il n'y a plus rien dans les
memoires que ce mot, salut public. Nous ne sommes qu'un seul francais,
qu'un seul parisien, qu'un seul coeur; il n'y a plus qu'un seul
citoyen qui est vous, qui est moi, qui est nous tous. Ou sera la
breche seront nos poitrines. Resistance aujourd'hui, delivrance
demain; tout est la. Nous ne sommes plus de chair, mais de pierre. Je
ne sais plus mon nom, je m'appelle Patrie. Face a l'ennemi! Nous nous
appelons tous France, Paris, muraille!
Comme elle va etre belle, notre cite! Que l'Europe s'attende a un
spectacle impossible, qu'elle s'attende a voir grandir Paris; qu'elle
s'attende a voir flamboyer la ville extraordinaire. Paris va terrifier
le monde. Dans ce charmeur il y a un heros. Cette ville d'esprit a du
genie. Quand elle tourne le dos a Tabarin, elle est digne d'Homere. On
va voir comment Paris sait mourir. Sous le soleil couchant, Notre-Dame
a l'agonie est d'une gaite superbe. Le Pantheon se demande comment il
fera pour recevoir sous sa voute tout ce peuple qui va avoir droit
a son dome. La garde sedentaire est vaillante; la garde mobile est
intrepide; jeunes hommes par le visage, vieux soldats par l'allure.
Les enfants chantent meles aux bataillons. Et des a present, chaque
fois que la Prusse attaque, pendant le rugissement de la mitraille,
que voit-on dans les rues? les femmes sourire. O Paris, tu as couronne
de fleurs la statue de Strasbourg; l'histoire te couronnera d'etoiles!
Paris, 2 octobre 1870.


V
_LES CHATIMENTS_

L'edition parisienne des _Chatiments_ parut le 20 octobre. Paris etait
bloque depuis plus d'un mois. Le livre fut donc, a cette epoque,
enferme dans Paris comme le peuple meme. Les _Chatiments_ furent
meles a ce siege memorable, et firent leur devoir dans Paris pendant
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