Actes et Paroles, Volume 2 - 18

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Nous venons de saluer des applaudissements les plus enthousiastes la
reapparition au theatre de votre _Hernani_.
Le nouveau triomphe du plus grand poete francais a ete une joie
immense pour toute la jeune poesie; la soiree du Vingt Juin fera
epoque dans notre existence.
Il y avait cependant une tristesse dans cette fete. Votre absence
etait penible a vos compagnons de gloire de 1830, qui ne pouvaient
presser la main du maitre et de l'ami; mais elle etait plus
douloureuse encore pour les jeunes, a qui il n'avait jamais ete donne
de toucher cette main qui a ecrit la _Legende des siecles_.
Ils tiennent du moins, cher et illustre maitre, a vous envoyer
l'hommage de leur respectueux attachement et de leur admiration sans
bornes.
SULLY PRUDHOMME, ARMAND SILVESTRE, FRANCOIS COPPEE, GEORGES
LAFENESTRE, LEON VALADE, LEON DIERX, JEAN AICARD, PAUL VERLAINE,
ALBERT MEHAT, ANDRE THEURIET, ARMAND RENAUD, LOUIS-XAVIER DE RICARD,
H. CAZALIS, ERNEST D'HERVILLY.

Victor Hugo repondit:
Bruxelles, 22 juillet 1867.
Chers poetes,
La revolution litteraire de 1830, corollaire et consequence de la
revolution de 1789, est un fait propre a notre siecle. Je suis
l'humble soldat de ce progres. Je combats pour la revolution sous
toutes ses formes, sous la forme litteraire comme sous la forme
sociale. J'ai la liberte pour principe, le progres pour loi, l'ideal
pour type.
Je ne suis rien, mais la revolution est tout. La poesie du
dix-neuvieme siecle est fondee. 1830 avait raison, et 1867 le
demontre. Vos jeunes renommees sont des preuves a l'appui.
Notre epoque a une logique profonde, inapercue des esprits
superficiels, et contre laquelle nulle reaction n'est possible. Le
grand art fait partie de ce grand siecle. Il en est l'ame.
Grace a vous, jeunes et beaux talents, nobles esprits, la lumiere se
fera de plus en plus. Nous, les vieux, nous avons eu le combat; vous,
les jeunes, vous aurez le triomphe.
L'esprit du dix-neuvieme siecle combine la recherche democratique du
Vrai avec la loi eternelle du Beau. L'irresistible courant de notre
epoque dirige tout vers ce but souverain, la Liberte dans les
intelligences, l'Ideal dans l'art. En laissant de cote tout ce qui
m'est personnel, des aujourd'hui, on peut l'affirmer et on vient de le
voir, l'alliance est faite entre tous les ecrivains, entre tous les
talents, entre toutes les consciences, pour realiser ce resultat
magnifique. La genereuse jeunesse, dont vous etes, veut, avec un
imposant enthousiasme, la revolution tout entiere, dans la poesie
comme dans l'etat. La litterature doit etre a la fois democratique et
ideale; democratique pour la civilisation, ideale pour l'ame.
Le Drame, c'est le Peuple. La Poesie, c'est l'Homme. La est la
tendance de 1830, continuee par vous, comprise par toute la grande
critique de nos jours. Aucun effort reactionnaire, j'y insiste, ne
saurait prevaloir contre ces evidences. La haute critique est d'accord
avec la haute poesie.
Dans la mesure du peu que je suis, je remercie et je felicite cette
critique superieure qui parle avec tant d'autorite dans la presse
politique et dans la presse litteraire, qui a un sens si profond de la
philosophie de l'art, et qui acclame unanimement 1830 comme 1789.
Recevez aussi, vous, mes jeunes confreres, mon remerciment.
A ce point de la vie ou je suis arrive, on voit de pres la fin,
c'est-a-dire l'infini. Quand elle est si proche, la sortie de la terre
ne laisse guere place dans notre esprit qu'aux preoccupations severes.
Pourtant, avant ce melancolique depart dont je fais les preparatifs,
dans ma solitude, il m'est precieux de recevoir votre lettre
eloquente, qui me fait rever une rentree parmi vous et m'en donne
l'illusion, douce ressemblance du couchant avec l'aurore. Vous me
souhaitez la bienvenue, a moi qui m'appretais au grand adieu.
Merci. Je suis l'absent du devoir, et ma resolution est inebranlable,
mais mon coeur est avec vous.
Je suis fier de voir mon nom entoure des votres. Vos noms sont une
couronne d'etoiles.
VICTOR HUGO.


VIII
MENTANA
A GARIBALDI

I
Ces jeunes gens, ces fils de Brutus, de Camille,
De Thraseas, combien etaient-ils? quatre mille.
Combien sont morts? six cents. Six cents! comptez, voyez.
Une dispersion de membres foudroyes,
Des bras rompus, des yeux troues et noirs, des ventres
Ou fouillent en hurlant les loups sortis des antres,
De la chair mitraillee au milieu des buissons,
C'est la tout ce qui reste, apres les trahisons,
Apres le piege, apres les guets-apens infames,
Helas, de ces grands coeurs et de ces grandes ames!
Voyez. On les a tous fauches d'un coup de faulx.
Leur crime? ils voulaient Rome et ses arcs triomphaux;
Ils defendaient l'honneur et le droit, ces chimeres.
Venez, reconnaissez vos enfants, venez, meres!
Car, pour qui l'allaita, l'homme est toujours l'enfant.
Tenez; ce front hagard, qu'une balle ouvre et fend,
C'est l'humble tete blonde ou jadis, pauvre femme,
Tu voyais rayonner l'aurore et poindre l'ame;
Ces levres, dont l'ecume a souille le gazon,
O nourrice, apres toi begayaient ta chanson;
Cette main froide, aupres de ces paupieres closes,
Fit jaillir ton lait sous ses petits doigts roses;
Voici le premier-ne, voici le dernier-ne.
O d'esperance eteinte amas infortune!
Pleurs profonds! ils vivaient; ils reclamaient leur Tibre;
Etre jeune n'est pas complet sans etre libre;
Ils voulaient voir leur aigle immense s'envoler;
Ils voulaient affranchir, reparer, consoler;
Chacun portait en soi, pieuse idolatrie,
Le total des affronts soufferts par la patrie,
Ils savaient tout compter, tout, hors les ennemis.
Helas! vous voila donc pour jamais endormis!
Les heures de lumiere et d'amour sont passees,
Vous n'effeuillerez plus avec vos fiancees
L'humble etoile des pres qui rayonne et fleurit....
Que de sang sur ce pretre, o pale Jesus-Christ!
Pontife elu que l'ange a touche de sa palme,
A qui Dieu commanda de tenir, doux et calme,
Son evangile ouvert sur le monde orphelin,
O frere universel a la robe de lin,
A demi dans la chaire, a demi dans la tombe,
Serviteur de l'agneau, gardien de la colombe,
Qui des cieux dans ta main portes le lys tremblant,
Homme pres de ta fin, car ton front est tout blanc
Et le vent du sepulcre en tes cheveux se joue,
Vicaire de celui qui tendait l'autre joue,
A cette heure, o semeur des pardons infinis,
Ce qui plait a ton coeur et ce que tu benis
Sur notre sombre terre ou l'ame humaine lutte,
C'est un fusil tuant douze hommes par minute!
Jules deux reparait sous sa mitre de fer.
La papaute feroce avoue enfin l'enfer.
Certes, l'outil du meurtre a bien rempli sa tache;
Ces rois! leur foudre est traitre et leur tonnerre est lache.
Avoir ete trop grands, francais, c'est importun.
Jadis un contre dix, aujourd'hui dix contre un.
France, on te deshonore, on te traine, on te lie,
Et l'on te force a mettre au bagne l'Italie.
Voila ce qu'on te fait, colosse en proie aux nains!
Un ruisseau fumant coule au flanc des Apennins.

II
O sinistre vieillard, te voila responsable
Du vautour deterrant un crane dans le sable,
Et du croassement lugubre des corbeaux!
Emplissez desormais ses visions, tombeaux,
Paysages hideux ou rodent les belettes,
Silhouettes d'oiseaux perches sur des squelettes!
S'il dort, apparais-lui, champ de bataille noir!
Les canons sont tout chauds; ils ont fait leur devoir,
La mitraille invoquee a tenu sa promesse;
C'est fait. Les morts sont morts. Maintenant dis la messe.
Prends dans tes doigts l'hostie en t'essuyant un peu,
Car il ne faudrait pas mettre du sang a Dieu!
Du reste tout est bien. La France n'est pas fiere;
Le roi de Prusse a ri; le denier de Saint-Pierre
Prospere, et l'irlandais donne son dernier sou;
Le peuple cede et met en terre le genou;
De peur qu'on ne le fauche, il plie, etant de l'herbe;
On reprend Frosinone et l'on rentre a Viterbe;
Le czar a commande son service divin;
Partout ou quelque mort blemit dans un ravin,
Le rat joyeux le ronge en tremblant qu'il ne bouge;
Ici la terre est noire; ici la plaine est rouge;
Garibaldi n'est plus qu'un vain nom immortel,
Comme Leonidas, comme Guillaume Tell;
Le pape, a la Sixtine, au Gesu, chez les Carmes,
Met tous ses diamants; tendre, il repand des larmes
De joie; il est tres doux; il parle du succes
De ses armes, du sang verse, des bons francais,
Des quantites de plomb que la bombarde jette,
Modestement, les yeux baisses, comme un poete
Se fait un peu prier pour reciter ses vers.
De convois de blesses les chemins sont couverts.
Partout rit la victoire.
Utilite des traitres.
Dans les perles, la soie et l'or, parmi tes reitres
Qu'hier, du doigt, aux champs de meurtre tu guidais,
Pape, assis sur ton trone et siegeant sous ton dais,
Coiffe de ta tiare aux trois couronnes, pretre,
Tu verras quelque jour au Vatican peut-etre
Entrer un homme triste et de haillons vetu,
Un pauvre, un inconnu. Tu lui diras:--Qu'es-tu,
Passant? que me veux-tu? sors-tu de quelque geole?
Pourquoi voit-on ces brins de laine a ton epaule?
--Une brebis etait tout a l'heure dessus,
Repondra-t-il. Je viens de loin. Je suis Jesus.

III
Une chaine au heros! une corde a l'apotre!
John Brown, Garibalbi, passez l'un apres l'autre.
Quel est ce prisonnier? c'est le liberateur.
Sur la terre, en tous lieux, du pole a l'equateur,
L'iniquite prevaut, regne, triomphe, et mene
De force aux lachetes la conscience humaine.
O prodiges de honte! etranges impudeurs!
On accepte un soufflet par des ambassadeurs.
On jette aux fers celui qui nous a fait l'aumone.
--Tu sais, je t'ai blame de lui donner-ce trone!
On etait gentilhomme, on devient alguazil.
Debiteur d'un royaume, on paie avec l'exil.
Pourquoi pas? on est vil. C'est qu'on en recoit l'ordre.
Rampons. Lecher le maitre est plus sur que le mordre.
D'ailleurs tout est logique. Ou sont les contre-sens?
La gloire a le cachot, mais le crime a l'encens;
De quoi vous plaignez-vous? L'infame etant l'auguste,
Le vrai doit etre faux, et la balance est juste.
On dit au soldat: frappe! il doit frapper. La mort
Est la servante sombre aux ordres du plus fort.
Et puis, l'aigle peut bien venir en aide au cygne!
Mitrailler est le dogme et croire est la consigne.
Qu'est pour nous le soldat? du fer sur un valet.
Le pape veut avoir son Sadowa; qu'il l'ait.
Quoi donc! en viendra-t-on dans le siecle ou nous sommes
A mettre en question le vieux droit qu'ont les hommes
D'obeir a leur prince et de s'entre-tuer?
Au pretendu progres pourquoi s'evertuer
Quand l'humble populace est surtout coutumiere?
La masse a plus de calme ayant moins de lumiere.
Tous les grands interets des peuples, l'echafaud,
La guerre, le budget, l'ignorance qu'il faut,
Courent moins de dangers, et sont en equilibre
Sur l'homme garrotte mieux que sur l'homme libre.
L'homme libre se meut et cause un tremblement.
Un Garibaldi peut tout rompre a tout moment;
Il entraine apres lui la foule, qui deserte
Et passe a l'Ideal. C'est grave. On comprend, certe,
Que la societe, sur qui veillent les cours,
Doit trembler et fremir et crier au secours,
Tant qu'un heros n'est pas mis hors d'etat de nuire.
Le phare, aux yeux de l'ombre, est coupable de luire.

IV
Votre Garibaldi n'a pas trouve le joint.
Ca, le but de tout homme ici-bas n'est-il point
De tacher d'etre dupe aussi peu que possible?
Jouir est bon. La vie est un tir a la cible.
Le scrupule en haillons grelotte; je le plains.
Rien n'a plus de vertu que les coffres-forts pleins.
Il est de l'interet de tous qu'on ait des princes
Qui fassent refluer leur or dans les provinces;
C'est pour cela qu'un roi doit etre riche; avoir
Une liste civile enorme est son devoir;
Le pape, qu'on voudrait confiner dans les astres,
Est un roi comme un autre. Il a besoin de piastres,
Que diable! L'opulence est le droit du saint lieu;
Il faut dorer le pape afin de prouver Dieu;
N'avoir pas une pierre ou reposer sa tete
Est bon pour Jesus-Christ. La loque est deshonnete.
Voyons la question par le cote moral;
Le but du colonel est d'etre general,
Le but du marechal est d'etre connetable!
Avant tout, mon paiement. Mettons cartes sur table.
Un renegat a tort tant qu'il n'est pas muchir;
Alors il a raison. S'arrondir, s'enrichir,
Tout est la. Regardez, nous prenons les Hanovres.
Et quant a ces bandits qui veulent rester pauvres,
Ils sont les ennemis publics. Sus! hors la loi!
Ils donnent le mauvais exemple. Coffrez-moi
Ce gueux, qui, dictateur, n'a rien mis dans sa poche.
On se heurte au battant lorsqu'on touche a la cloche,
Et lorsqu'on touche au pretre on se heurte au soudard.
Morbleu, la papaute n'est pas un objet d'art!
Par le sabre en Espagne, en Prusse par la schlague,
Par la censure en France, on modere, on elague
L'exces de reverie et de tendance au droit.
Le peuple est pour le prince un soulier fort etroit;
L'elargir en l'usant aux marches militaires
Est utile. Un pontife en ses sermons austeres,
Sait rattacher au ciel nos lois, qu'on nomme abus,
Et le knout en latin s'appelle Syllabus.
L'ordre est tout. Le fusil Chassepot est suave.
Le progres est beni; dans quoi? dans le zouave!
Les boulets sont benis dans leurs coups; le chacal
Est beni dans sa faim, s'il est pontifical.
Nous trouvons excellent, quant a nous, que le pape
Rie au nez de ce siecle inepte, ecrase, frappe;
Et, du moment qu'on veut lui prendre son argent,
Se fasse carrement recruteur et sergent,
Pousse a la guerre, et crie: a mort quiconque est libre!
Qu'il recommande au prone un obus de calibre,
Qu'il dise en achevant sa priere: egorgez!
Envoie aux combattants force fourgons charges,
De la poudre, du fer, du plomb, et ravitaille
L'extermination sur les champs de bataille!

V
Qu'il aille donc! qu'il aille, emportant son mandat,
Ce chevalier errant des peuples, ce soldat.
Ce paladin, ce preux de l'ideal! qu'il parte.
Nous, les proscrits d'Athene, a ce proscrit de Sparte,
Ouvrons nos seuils; qu'il soit notre hote maintenant;
Qu'en notre maison sombre il entre rayonnant.
Oui, viens, chacun de nous, frere a l'ame meurtrie,
Veut avec son exil te faire une patrie!
Viens, assieds-toi chez ceux qui n'ont plus de foyer.
Viens, toi qu'on a pu vaincre et qu'on n'a pu ployer!
Nous chercherons quel est le nom de l'esperance;
Nous dirons: Italie! et tu repondras: France!
Et nous regarderons, car le soir fait rever,
En attendant les droits, les astres se lever.
L'amour du genre humain se double d'une haine
Egale au poids du joug, au froid noir de la chaine,
Aux mensonges du pretre, aux cruautes du roi.
Nous sommes rugissants et terribles. Pourquoi?
Parce que nous aimons. Toutes ces humbles tetes,
Nous voulons les voir croitre et nous sommes des betes
Dans l'antre, et nous avons les peuples pour petits.
Jetes au meme ecueil, mais non pas engloutis,
Frere, nous nous dirons tous les deux notre histoire;
Tu me raconteras Palerme et ta victoire,
Je te dirai Paris, sa chute et nos sanglots,
Et nous lirons ensemble Homere au bord des flots.
Puis tu continueras ta marche apre et hardie.
Et, la-bas, la lueur deviendra l'incendie.

VI
Ah! race italienne, il etait ton appui!
Ah! vous auriez eu Rome, o peuples, grace a lui,
Grace au bras du guerrier, grace au coeur du prophete.
D'abord il l'eut donnee, ensuite il l'eut refaite.
Oui, calme, ayant en lui de la grandeur assez
Pour s'ajouter sans trouble aux heros trepasses,
Il eut reforge Rome; il eut mele l'exemple
Du vieux sepulcre avec l'exemple du vieux temple;
Il eut mele Turin, Pise, Albe, Velletri,
Le Capitole avec le Vesuve, et petri
L'ame de Juvenal avec l'ame de Dante;
Il eut trempe d'airain la fibre independante;
Il vous eut des titans montre les fiers chemins.
Pleurez, italiens! il vous eut faits romains.

VII
Le crime est consomme. Qui l'a commis? Ce pape?
Non. Ce roi? non. Le glaive a leur bras faible echappe.
Qui donc est le coupable alors? Lui. L'homme obscur;
Celui qui s'embusqua derriere notre mur;
Le fils du Sinon grec et du Judas biblique;
Celui qui, souriant, guetta la republique,
Son serment sur le front, son poignard a la main.
Il est parmi vous, rois, o groupe a peine humain,
Un homme que l'eclair de temps en temps regarde.
Ce condamne, qui triple autour de lui sa garde,
Perd sa peine. Son tour approche. Quand? Bientot.
C'est pourquoi l'on entend un grondement la-haut.
L'ombre est sur vos palais, o rois. La nuit l'apporte.
Tel que l'executeur frappant a votre porte,
Le tonnerre demande a parler a quelqu'un.
Et cependant l'odeur des morts, affreux parfum
Qui se mele a l'encens des Tedeums superbes,
Monte du fond des bois, du fond des pres pleins d'herbes,
Des steppes, des marais, des vallons, en tous lieux!
Au fatal boulevard de Paris oublieux,
Au Mexique, en Pologne, en Crete ou la nuit tombe,
En Italie, on sent un miasme de tombe,
Comme si, sur ce globe et sous le firmament,
Etant dans sa saison d'epanouissement,
Vaste mancenillier de la terre en demence,
Le carnage vermeil ouvrait sa fleur immense.
Partout des egorges! des massacres partout!
Le cadavre est a terre et l'idee est debout.
Ils gisent etendus dans les plaines farouches,
L'appel aux armes flotte au-dessus de leurs bouches.
On les dirait semes. Ils le sont. Le sillon
Se nomme liberte. La mort est l'aquilon,
Et les morts glorieux sont la graine sublime
Qu'elle disperse au loin sur l'avenir, abime.
Germez, heros! et vous, cadavres, pourrissez.
Fais ton oeuvre, o mystere! epars, nus, herisses,
Beants, montrant au ciel leurs bras coupes qui pendent,
Tous ces extermines immobiles attendent.
Et tandis que les rois, joyeux et desastreux,
Font une fete auguste et triomphale entre eux,
Tandis que leur olympe abonde, au fond des nues,
En fanfare, en festins, en joie, en gorges nues,
Rit, chante, et, sur nos fronts, montre aux hommes contents
Une fraternite de czars et de sultans,
De son cote, la-bas, au desert, sous la bise,
Dans l'ombre avec la mort le vautour fraternise;
Les betes du sepulcre ont leur vil rendez-vous;
Le freux, la louche orfraie, et le pygargue roux,
L'apre autour, les milans, feroces hirondelles,
Volent droit aux charniers, et tous a tire-d'ailes.
Se hatent vers les morts, et ces rauques oiseaux
S'abattent, l'un mordant la chair, l'autre les os,
Et, criant, s'appelant, le feu sous les paupieres,
Viennent boire le sang qui coule entre les pierres.

VIII
O peuple, noir dormeur, quand t'eveilleras-tu?
Rester couche sied mal a qui fut abattu.
Tu dors, avec ton sang sur les mains, et, stigmate
Que t'a laisse l'abjecte et dure casemate,
La marque d'une corde autour de tes poignets.
Qu'as-tu fait de ton ame, o toi qui t'indignais?
L'empire est une cave, et toutes les especes
De nuit te tiennent pris sous leurs brumes epaisses.
Tu dors, oubliant tout, ta grandeur, son complot,
La liberte, le droit, ces lumieres d'en haut;
Tu fermes les yeux, lourd, gisant sous d'affreux voiles,
Sans souci de l'affront que tu fais aux etoiles!
Allons, remue. Allons, mets-toi sur ton seant.
Qu'on voie enfin bouger le torse du geant.
La longueur du sommeil devient ignominie.
Es-tu las? es-tu sourd? es-tu mort? Je le nie.
N'as-tu pas conscience en ton accablement
Que l'opprobre s'accroit de moment en moment?
N'entends-tu pas qu'on marche au-dessus de ta tete?
Ce sont les rois. Ils font le mal. Ils sont en fete.
Tu dors sur ce fumier! Toi qui fus citoyen,
Te voila devenu bete de somme. Eh bien,
L'ane se leve, et brait; le boeuf se dresse, et beugle.
Cherche donc dans ta nuit puisqu'on t'a fait aveugle!
O toi qui fus si grand, debout! car il est tard.
Dans cette obscurite l'on peut mettre au hasard
La main sur de la honte ou bien sur de la gloire;
Etends le bras le long de la muraille noire;
L'inattendu dans l'ombre ici peut se cacher;
Tu parviendras peut-etre a trouver, a toucher,
A saisir une epee entre tes poings funebres,
Dans le tatonnement farouche des tenebres!

Hauteville-House, novembre 1867.
Un mois ne s'etait pas ecoule depuis la publication de ce poeme, que
dix-sept traductions en avaient deja paru, dont quelques-unes en vers.
Le dechainement de la presse clericale augmenta le retentissement.
Garibaldi repondit a Victor Hugo par un poeme en vers francais, noble
remerciement d'une grande ame.
La publication du poeme de Victor Hugo donna lieu a un incident. En ce
moment-la (novembre 1867), on jouait _Hernani_ au Theatre-Francais,
et l'on allait jouer _Ruy Blas_ a l'Odeon. Les representations
d'_Hernani_ furent arretees, et Victor Hugo recut a Guernesey la
lettre suivante:
"Le directeur du Theatre imperial de l'Odeon a l'honneur d'informer M.
Victor Hugo que la reprise de _Ruy Blas_ est interdite.
"CHILLY."

Victor Hugo repondit:
"_A M. Louis Bonaparte, aux Tuileries_.
"Monsieur, je vous accuse reception de la lettre signee CHILLY.
"VICTOR HUGO."


IX
LES ENFANTS PAUVRES

Noel. Decembre 1867.
J'eprouve toujours un certain embarras a voir tant de personnes
reunies autour d'une chose si simple et si petite. Moi, solitaire, une
fois par an j'ouvre ma maison. Pourquoi? Pour montrer a qui veut la
voir une humble fete, une heure de joie donnee, non par moi, mais par
Dieu, a quarante enfants pauvres. Toute l'annee la misere, un jour la
joie. Est-ce trop!
Mesdames, c'est a vous que je m'adresse, car a qui offrir la joie des
enfants, si ce n'est au coeur des femmes?--Pensez toutes a vos enfants
en voyant ceux-ci, et, dans la mesure de vos forces, et pour commencer
des l'enfance la fraternite des hommes, faites, vous qui etes des
meres heureuses et favorisees, faites que les petits riches ne soient
pas envies par les petits pauvres! Semons l'amour. C'est ainsi que
nous apaiserons l'avenir.
Comme je le disais l'an dernier, a pareille occasion, faire du bien
a quarante enfants est un fait insignifiant; mais si ce nombre de
quarante enfants pouvait, par le concours de tous les bons coeurs,
s'accroitre indefiniment, alors il y aurait un exemple utile. Et c'est
dans ce but de propagande que j'ai consenti a laisser se repandre
un peu de publicite sur le Diner des enfants pauvres institue a
Hauteville-House.
Cette petite fondation a donc deux buts principaux, un but d'hygiene
et un but de propagande.
Au point de vue de l'hygiene, reussit-elle? Oui. La preuve la
voici: depuis six ans que ce Diner des enfants pauvres est fonde a
Hauteville-House, sur quarante enfants qui y prennent part, deux
seulement sont morts. Deux en six ans! Je livre ce fait aux reflexions
des hygienistes et des medecins.
Au point de vue de la propagande, reussit-elle? Oui. Des Diners
hebdomadaires pour l'enfance pauvre, fondes sur le modele de celui-ci,
commencent a s'etablir un peu partout; en Suisse, en Angleterre,
surtout en Amerique. J'ai recu hier un journal anglais, le _Leith
Pilot_, qui en recommande vivement l'etablissement.
L'an dernier je vous lisais une lettre, inseree dans le _Times_,
annoncant a Londres la fondation d'un diner de 320 enfants.
Aujourd'hui voici une lettre que m'ecrit lady Thompson, tresoriere
d'un Diner d'enfants pauvres dans la paroisse de Marylebone, ou
sont admis 6,000 enfants. De 300 a 6,000, c'est la une progression
magnifique, d'une annee a l'autre. Je felicite et je remercie ma noble
correspondante, lady Thompson. Grace a elle et a ses honorables amis,
l'idee du solitaire a fructifie. Le petit ruisseau de Guernesey est
devenu a Londres un grand fleuve.
Un dernier mot.
Tous, tant que nous sommes, nous avons ici-bas des devoirs de diverses
sortes. Dieu nous impose d'abord les devoirs severes. Nous devons,
dans l'interet de tous les hommes, lutter; nous devons combattre les
forts et les puissants, les forts quand ils abusent de la force, les
puissants quand ils emploient au mal la puissance; nous devons prendre
au collet le despote, quel qu'il soit, depuis le charretier qui
maltraite un cheval jusqu'au roi qui opprime un peuple. Resister et
lutter, ce sont de rudes necessites. La vie serait dure si elle ne se
composait que de cela.
Quelquefois, a bout de forces, on demande, en quelque sorte, grace au
devoir. On se tourne vers la conscience: Que veux-tu que j'y fasse?
repond la conscience; le devoir est de continuer. Pourtant on
interrompt un moment la lutte, on se met a contempler les enfants, les
pauvres petits, les frais visages que fait lumineux et roses l'aube
auguste de la vie, on se sent emu, on passe de l'indignation a
l'attendrissement, et alors on comprend la vie entiere, et l'on
remercie Dieu, qui, s'il nous donne les puissants et les mechants a
combattre, nous donne aussi les innocents et les faibles a soulager,
et qui, a cote des devoirs severes, a place les devoirs charmants. Les
derniers consolent des premiers.


1868

_Manin au tombeau.--Flourens en prison. La liberte, comprimee en
Crete, reparait en Espagne. Apres le devoir envers les hommes, le
devoir envers les enfants_.


I
MANIN

Victor Hugo, invite par les patriotes venitiens a venir assister a la
ceremonie de la translation des cendres de Manin a Venise, repondit
par la lettre suivante:
Hauteville-House, 16 mars 1868.
On m'ecrit de Venise, et l'on me demande si j'ai une parole a dire
dans cette illustre journee du 22 mars.
Oui. Et cette parole, la voici:
Venise a ete arrachee a Manin comme Rome a Garibaldi.
Manin mort reprend possession de Venise. Garibaldi vivant rentrera a
Rome.
La France n'a pas plus le droit de peser sur Rome que l'Autriche n'a
eu le droit de peser sur Venise.
Meme usurpation, qui aura le meme denoument.
Ce denoument, qui accroitra l'Italie, grandira la France.
Car toutes les choses justes que fait un peuple sont des choses
grandes.
La France libre tendra la main a l'Italie complete.
Et les deux nations s'aimeront. Je dis ceci avec une joie profonde,
moi qui suis fils de la France et petit-fils de l'Italie.
Le triomphe de Manin aujourd'hui predit le triomphe de Garibaldi
demain.
Ce jour du 22 mars est un jour precurseur.
De tels sepulcres sont pleins de promesses. Manin fut un combattant et
un proscrit du droit; il a lutte pour les principes; il a tenu haut
l'epee de lumiere. Il a eu, comme Garibaldi, la douceur heroique. La
liberte de l'Italie, visible, quoique voilee, est debout derriere son
cercueil. Elle otera son voile.
Et alors elle deviendra la paix tout en restant la liberte.
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