Actes et Paroles, Volume 2 - 17
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_Continue ce que tu as commence_.
Je continue, et, puisque Candie expirante le veut, je reprends la
parole.
Cette lettre est signee: _Zimbrakakis_.
Zimbrakakis est le heros de cette insurrection candiote dont Zirisdani
est le traitre.
A de certaines heures vaillantes, les peuples s'incarnent dans des
soldats, qui sont en meme temps des esprits; tel fut Washington, tel
fut Botzaris, tel est Garibaldi.
Comme John Brown s'est leve pour les noirs, comme Garibaldi s'est leve
pour l'Italie, Zimbrakakis se leve pour la Crete.
S'il va jusqu'au bout, et il ira, soit qu'il succombe comme John
Brown, soit qu'il triomphe comme Garibaldi, Zimbrakakis sera grand.
Veut-on savoir ou en est la Crete? Voici des faits.
L'insurrection n'est pas morte. On lui a repris la plaine, mais elle a
garde la montagne.
Elle vit, elle appelle, elle crie au secours.
Pourquoi la Crete s'est-elle revoltee? Parce que Dieu l'avait faite le
plus beau pays du monde, et les turcs le plus miserable; parce qu'elle
a des produits et pas de commerce, des villes et pas de chemins, des
villages et pas de sentiers, des ports et pas de cales, des rivieres
et pas de ponts, des enfants et pas d'ecoles, des droits et pas de
lois, le soleil et pas de lumiere. Les turcs y font la nuit.
Elle s'est revoltee parce que la Crete est Grece et non Turquie, parce
que l'etranger est insupportable, parce que l'oppresseur, s'il est de
la race de l'opprime, est odieux, et, s'il n'en est pas, horrible;
parce qu'un maitre baragouinant la barbarie dans le pays d'Etearque et
de Minos est impossible; parce que tu te revolterais, France!
La Crete s'est revoltee et elle a bien fait.
Qu'a produit cette revolte? je vais le dire. Jusqu'au 3 janvier,
quatre batailles, dont trois victoires. Apo corona, Vaffe, Castel
Selino, et un desastre illustre, Arcadion! l'ile coupee en deux
par l'insurrection, moitie aux turcs, moitie aux grecs; une ligne
d'operations allant par Sciffo et Rocoli, de Kissamos a Lassiti et
meme a Girapetra. Il y a six semaines, les turcs refoules n'avaient
plus que quelques points du littoral, et le versant occidental des
monts Psiloriti ou est Ambelirsa. En cette minute, le doigt leve de
l'Europe eut sauve Candie. Mais l'Europe n'avait pas le temps. Il y
avait une noce en cet instant-la, et l'Europe regardait le bal.
On connait ce mot, Arcadion, on connait peu le fait. En voici les
details precis et presque ignores. Dans Arcadion, monastere du
mont Ida, fonde par Heraclius, seize mille turcs attaquent cent
quatrevingt-dix-sept hommes, et trois cent quarante-trois femmes, plus
les enfants. Les turcs ont vingt-six canons et deux obusiers, les
grecs ont deux cent quarante fusils. La bataille dure deux jours
et deux nuits; le couvent est troue de douze cents boulets; un mur
s'ecroule, les turcs entrent, les grecs continuent le combat, cent
cinquante fusils sont hors de service, on lutte encore six heures dans
les cellules et dans les escaliers, et il y a deux mille cadavres dans
la cour. Enfin la derniere resistance est forcee; le fourmillement
des turcs vainqueurs emplit le couvent. Il ne reste plus qu'une salle
barricadee ou est la soute aux poudres, et dans cette salle, pres
d'un autel, au centre d'un groupe d'enfants et de meres, un homme de
quatrevingts ans, un pretre, l'igoumene Gabriel, en priere. Dehors on
tue les peres et les maris; mais ne pas etre tues, ce sera la misere
de ces femmes et de ces enfants, promis a deux harems. La porte,
battue de coups de hache, va ceder et tomber. Le vieillard prend sur
l'autel un cierge, regarde ces enfants et ces femmes, penche le cierge
sur la poudre et les sauve. Une intervention terrible, l'explosion,
secourt les vaincus, l'agonie se fait triomphe, et ce couvent
heroique, qui a combattu comme une forteresse, meurt comme un volcan.
Psara n'est pas plus epique, Missolonghi n'est pas plus sublime.
Tels sont les faits. Qu'est-ce que font les gouvernements dits
civilises? Qu'est-ce qu'ils attendent? Ils chuchotent: Patience, nous
negocions.
Vous negociez! Pendant ce temps-la on arrache les oliviers et les
chataigniers, on demolit les moulins a huile, on incendie les
villages, on brule les recoltes, on envoie des populations entieres
mourir de faim et de froid dans la montagne, on decapite les maris,
on pend les vieillards, et un soldat turc, qui voit un petit enfant
gisant a terre, lui enfonce dans les narines une chandelle allumee
pour s'assurer s'il est mort. C'est ainsi que cinq blesses ont ete, a
Arcadion, reveilles pour etre egorges.
Patience! dites-vous. Pendant ce temps-la les turcs entrent au village
Mournies, ou il ne reste que des femmes et des enfants, et, quand ils
en sortent, on ne voit plus qu'un monceau de ruines croulant sur un
monceau de cadavres, grands et petits.
Et l'opinion publique? que fait-elle? que dit-elle? Rien. Elle est
tournee d'un autre cote. Que voulez-vous? Ces catastrophes ont un
malheur; elles ne sont pas a la mode.
Helas!
La politique patiente des gouvernements se resume en deux resultats:
deni de justice a la Grece, deni de pitie a l'humanite.
Rois, un mot sauverait ce peuple. Un mot de l'Europe est vite dit.
Dites-le. A quoi etes-vous bons, si ce n'est a cela?
Non. On se tait, et l'on veut que tout se taise. Defense de parler
de la Crete. Tel est l'expedient. Six ou sept grandes puissances
conspirent contre un petit peuple. Quelle est cette conspiration? La
plus lache de toutes. La conspiration du silence.
Mais le tonnerre n'en est pas.
Le tonnerre vient de la-haut, et, en langue politique, le tonnerre
s'appelle revolution.
VICTOR HUGO.
II
LES FENIANS
Apres la Crete, l'Irlande se tourne vers l'habitant de Guernesey. Les
femmes des Fenians condamnes lui ecrivent. De la une lettre de Victor
Hugo a l'Angleterre.
A L'ANGLETERRE
L'angoisse est a Dublin. Les condamnations se succedent, les graces
annoncees ne viennent pas. Une lettre que nous avons sous les yeux
dit:--"... La potence va se dresser; le general Burke d'abord;
viendront ensuite le capitaine Mac Afferty, le capitaine Mac Clure,
puis trois autres, Kelly, Joice et Cullinane ... Il n'y a pas une
minute a perdre ... Des femmes, des jeunes filles vous supplient ...
Notre lettre vous arrivera-t-elle a temps? ... " Nous lisons cela,
et nous n'y croyons pas. On nous dit: L'echafaud est pret. Nous
repondons: Cela n'est pas possible. Calcraft n'a rien a voir a la
politique. C'est deja trop qu'il existe a cote. Non, l'echafaud
politique n'est pas possible en Angleterre. Ce n'est pas pour imiter
les gibets de la Hongrie que l'Angleterre a acclame Kossuth; ce n'est
pas pour recommencer les potences de la Sicile que l'Angleterre a
glorifie Garibaldi. Que signifieraient les hourras de Londres et
de Southampton? Supprimez alors tous vos comites polonais, grecs,
italiens. Soyez l'Espagne.
Non, l'Angleterre, en 1867, n'executera pas l'Irlande. Cette Elisabeth
ne decapitera pas cette Marie Stuart.
Le dix-neuvieme siecle existe.
Pendre Burke! Impossible. Allez-vous copier Tallaferro tuant John
Brown, Chacon tuant Lopez, Geffrard tuant le jeune Delorme, Ferdinand
tuant Pisacane?
Quoi! apres la revolution anglaise! quoi! apres la revolution
francaise! quoi! dans la grande et lumineuse epoque ou nous sommes! il
n'a donc ete rien dit, rien pense, rien proclame, rien fait, depuis
quarante ans!
Quoi! nous presents, qui sommes plus que des spectateurs, qui sommes
des temoins, il se passerait de telles choses! Quoi! les vieilles
penalites sauvages sont encore la! Quoi! a cette heure, il se prononce
de ces sentences: "Un tel, tel jour, vous serez traine sur la claie
au lieu de votre supplice, puis votre corps sera coupe en quatre
quartiers, lesquels seront laisses a la disposition de sa majeste qui
en ordonnera selon son bon plaisir!" Quoi! un matin de mai ou de juin,
aujourd'hui, demain, un homme, parce qu'il a une foi politique ou
nationale, parce qu'il a lutte pour cette foi, parce qu'il a ete
vaincu, sera lie de cordes, masque du bonnet noir, et pendu et
etrangle jusqu'a ce que mort s'ensuive! Non! vous n'etes pas
l'Angleterre pour cela.
Vous avez actuellement sur la France cet avantage d'etre une nation
libre. La France, aussi grande que l'Angleterre, n'est pas maitresse
d'elle-meme, et c'est la un sombre amoindrissement. Vous en tirez
vanite. Soit. Mais prenez garde. On peut en un jour reculer d'un
siecle. Retrograder jusqu'au gibet politique! vous, l'Angleterre!
Alors, dressez une statue a Jeffryes.
Pendant ce temps-la, nous dresserons une statue a Voltaire.
Y pensez-vous? Quoi! vous avez Sheridan et Fox qui ont fonde
l'eloquence parlementaire, vous avez Howard qui a aere la prison et
attendri la penalite, vous avez Wilberforce qui a aboli l'esclavage,
vous avez Rowland Hill qui a vivifie la circulation postale, vous
avez Cobden qui a cree le libre echange, vous avez donne au
monde l'impulsion colonisatrice, vous avez fait le premier cable
transatlantique, vous etes en pleine possession de la virilite
politique, vous pratiquez magnifiquement sous toutes les formes le
grand droit civique, vous avez la liberte de la presse, la liberte de
la tribune, la liberte de la conscience, la liberte de l'association,
la liberte de l'industrie, la liberte domiciliaire, la liberte
individuelle, vous allez par la reforme arriver au suffrage universel,
vous etes le pays du vote, du poll, du meeting, vous etes le puissant
peuple de l'_habeas corpus_. Eh bien! a toute cette splendeur ajoutez
ceci, Burke pendu, et, precisement parce que vous etes le plus grand
des peuples libres, vous devenez le plus petit!
On ne sait point le ravage que fait une goutte de honte dans la
gloire. De premier, vous tomberiez dernier! Quelle est cette ambition
en sens inverse? Quelle est cette soif de dechoir? Devant ces gibets
dignes de la demence de George III, le continent ne reconnaitrait plus
l'auguste Grande-Bretagne du progres. Les nations detourneraient leur
face. Un affreux contre-sens de civilisation aurait ete commis, et par
qui? par l'Angleterre! Surprise lugubre. Stupeur indignee. Quoi de
plus hideux qu'un soleil d'ou, tout a coup, il sortirait de la nuit!
Non, non, non! je le repete, vous n'etes pas l'Angleterre pour cela.
Vous etes l'Angleterre pour montrer aux nations le progres, le
travail, l'initiative, la verite, le droit, la raison, la justice, la
majeste de la liberte! Vous etes l'Angleterre pour donner le spectacle
de la vie et non l'exemple de la mort.
L'Europe vous rappelle au devoir.
Prendre a cette heure la parole pour ces condamnes, c'est venir au
secours de l'Irlande; c'est aussi venir au secours de l'Angleterre.
L'une est en danger du cote de son droit, l'autre du cote de sa
gloire.
Les gibets ne seront point dresses.
Burke, M'Clure, M'Afferty, Kelly, Joice, Cullinane, ne mourront point.
Epouses et filles qui avez ecrit a un proscrit, il est inutile de vous
couper des robes noires. Regardez avec confiance vos enfants
dormir dans leurs berceaux. C'est une femme en deuil qui gouverne
l'Angleterre. Une mere ne fera pas des orphelins, une veuve ne fera
pas des veuves.
VICTOR HUGO.
Hauteville-House, 28 mai 1867.
Cette parole fut entendue. Les Fenians ne furent pas executes.
III
L'EMPEREUR MAXIMILIEN
AU PRESIDENT DE LA REPUBLIQUE MEXICAINE
Juarez, vous avez egale John Brown.
L'Amerique actuelle a deux heros, John Brown et vous. John Brown, par
qui est mort l'esclavage; vous, par qui a vecu la liberte.
Le Mexique s'est sauve par un principe et par un homme. Le principe,
c'est la republique; l'homme, c'est vous.
C'est, du reste, le sort de tous les attentats monarchiques d'aboutir
a l'avortement. Toute usurpation commence par Puebla et finit par
Queretaro.
L'Europe, en 1863, s'est ruee sur l'Amerique. Deux monarchies ont
attaque votre democratie; l'une avec un prince, l'autre avec une
armee; l'armee apportant le prince. Alors le monde a vu ce spectacle:
d'un cote, une armee, la plus aguerrie des armees de l'Europe, ayant
pour point d'appui une flotte aussi puissante sur mer qu'elle sur
terre, ayant pour ravitaillement toutes les finances de la France,
recrutee sans cesse, bien commandee, victorieuse en Afrique, en
Crimee, en Italie, en Chine, vaillamment fanatique de son drapeau,
possedant a profusion chevaux, artillerie, provisions, munitions
formidables. De l'autre cote, Juarez.
D'un cote, deux empires; de l'autre, un homme. Un homme avec une
poignee d'autres. Un homme chasse de ville en ville, de bourgade en
bourgade, de foret en foret, vise par l'infame fusillade des conseils
de guerre, traque, errant, refoule aux cavernes comme une bete fauve,
accule au desert, mis a prix. Pour generaux quelques desesperes,
pour soldats quelques deguenilles. Pas d'argent, pas de pain, pas de
poudre, pas de canons. Les buissons pour citadelles. Ici l'usurpation
appelee legitimite, la le droit appele bandit. L'usurpation, casque
en tete et le glaive imperial a la main, saluee des eveques, poussant
devant elle et trainant derriere elle toutes les legions de la force.
Le droit, seul et nu. Vous, le droit, vous avez accepte le combat.
La bataille d'Un contre Tous a dure cinq ans. Manquant d'hommes, vous
avez pris pour projectiles les choses. Le climat, terrible, vous a
secouru; vous avez eu pour auxiliaire votre soleil. Vous avez eu pour
defenseurs les lacs infranchissables, les torrents pleins de caimans,
les marais pleins de fievres, les vegetations morbides, le vomito
prieto des terres chaudes, les solitudes de sel, les vastes sables
sans eau et sans herbe ou les chevaux meurent de soif et de faim, le
grand plateau severe d'Anahuac qui se garde par sa nudite comme la
Castille, les plaines a gouffres, toujours emues du tremblement des
volcans, depuis le Colima jusqu'au Nevado de Toluca; vous avez appele
a votre aide vos barrieres naturelles, l'aprete des Cordilleres, les
hautes digues basaltiques, les colossales roches de porphyre. Vous
avez fait la guerre des geants en combattant a coups de montagnes.
Et un jour, apres ces cinq annees de fumee, de poussiere et
d'aveuglement, la nuee s'est dissipee, et l'on a vu les deux empires
a terre, plus de monarchie, plus d'armee, rien que l'enormite de
l'usurpation en ruine, et sur cet ecroulement un homme debout, Juarez,
et, a cote de cet homme, la liberte.
Vous avez fait cela, Juarez, et c'est grand. Ce qui vous reste a faire
est plus grand encore.
Ecoutez, citoyen president de la republique mexicaine.
Vous venez de terrasser les monarchies sous la democratie. Vous leur
en avez montre la puissance; maintenant montrez-leur-en la beaute.
Apres le coup de foudre, montrez l'aurore. Au cesarisme qui massacre,
montrez la republique qui laisse vivre. Aux monarchies qui usurpent et
exterminent, montrez le peuple qui regne et se modere. Aux barbares
montrez la civilisation. Aux despotes montrez les principes.
Donnez aux rois, devant le peuple, l'humiliation de l'eblouissement.
Achevez-les par la pitie.
C'est surtout par la protection de notre ennemi que les principes
s'affirment. La grandeur des principes, c'est d'ignorer. Les hommes
n'ont pas de noms devant les principes; les hommes sont l'Homme. Les
principes ne connaissent qu'eux-memes. Dans leur stupidite auguste,
ils ne savent que ceci: _la vie humaine est inviolable_.
O venerable impartialite de la verite! le droit sans discernement,
occupe seulement d'etre le droit, que c'est beau!
C'est devant ceux qui auraient legalement merite la mort qu'il importe
d'abjurer cette voie de fait. Le plus beau renversement de l'echafaud
se fait devant le coupable.
Que le violateur des principes soit sauvegarde par un principe. Qu'il
ait ce bonheur, et cette honte! Que le persecuteur du droit soit
abrite par le droit. En le depouillant de sa fausse inviolabilite,
l'inviolabilite royale, vous mettez a nu la vraie, l'inviolabilite
humaine. Qu'il soit stupefait de voir que le cote par lequel il est
sacre, c'est le cote par lequel il n'est pas empereur. Que ce prince,
qui ne se savait pas homme, apprenne qu'il y a en lui une misere, le
prince, et une majeste, l'homme.
Jamais plus magnifique occasion ne s'est offerte. Osera-t-on frapper
Berezowski en presence de Maximilien sain et sauf? L'un a voulu tuer
un roi, l'autre a voulu tuer une nation.
Juarez, faites faire a la civilisation ce pas immense. Juarez,
abolissez sur toute la terre la peine de mort.
Que le monde voie cette chose prodigieuse: la republique tient en
son pouvoir son assassin, un empereur; au moment de l'ecraser, elle
s'apercoit que c'est un homme, elle le lache et lui dit: Tu es du
peuple comme les autres. Va!
Ce sera la, Juarez, votre deuxieme victoire. La premiere, vaincre
l'usurpation, est superbe; la seconde, epargner l'usurpateur, sera
sublime.
Oui, a ces rois dont les prisons regorgent, dont les echafauds sont
rouilles de meurtres, a ces rois des gibets, des exils, des presides
et des Siberies, a ceux-ci qui ont la Pologne, a ceux-ci qui ont
l'Irlande, a ceux-ci qui ont la Havane, a ceux-ci qui ont la Crete, a
ces princes obeis par les juges, a ces juges obeis par les bourreaux,
a ces bourreaux obeis par la mort, a ces empereurs qui font si
aisement couper une tete d'homme, montrez comment on epargne une tete
d'empereur!
Au-dessus de tous les codes monarchiques d'ou tombent des gouttes de
sang, ouvrez la loi de lumiere, et, au milieu de la plus sainte page
du livre supreme, qu'on voie le doigt de la Republique pose sur cet
ordre de Dieu: _Tu ne tueras point_.
Ces quatre mots contiennent le devoir.
Le devoir, vous le ferez.
L'usurpateur sera sauve, et le liberateur n'a pu l'etre, helas! Il y
a huit ans, le 2 decembre 1859, j'ai pris la parole au nom de la
democratie, et j'ai demande aux Etats-Unis la vie de John Brown. Je
ne l'ai pas obtenue. Aujourd'hui je demande au Mexique la vie de
Maximilien. L'obtiendrai-je?
Oui. Et peut-etre a cette heure est-ce deja fait.
Maximilien devra la vie a Juarez.
Et le chatiment? dira-t-on.
Le chatiment, le voila.
Maximilien vivra "par la grace de la Republique".
VICTOR HUGO.
Hauteville-House, 20 juin 1867.
Cette lettre fut ecrite et envoyee le 20 juin 1867. En ce moment-la
meme, et pour ainsi dire a l'heure ou Victor Hugo ecrivait, avait
lieu a Paris la premiere representation de la reprise d'_Hernani_.
La lettre a Juarez fut publiee le 21 par les journaux anglais et les
journaux belges. En meme temps une depeche telegraphique expediee
de Londres par l'ambassade d'Autriche et par ordre special du vieil
empereur Ferdinand II annoncait a Juarez que Victor Hugo demandait la
grace de Maximilien. Cette depeche arriva trop tard. Maximilien venait
d'etre execute. La republique mexicaine perdit la une grande occasion
de gloire.
IV
VOLTAIRE
En 1867, le _Siecle_ ouvrit une souscription populaire pour elever
une statue a Voltaire. Victor Hugo envoya la liste de souscription
du groupe des proscrits de Guernesey. Il ecrivit au redacteur du
_Siecle_:
Souscrire pour la statue de Voltaire est un devoir public.
Voltaire est precurseur.
Porte-flambeau du dix-huitieme siecle, il precede et annonce la
revolution francaise. Il est l'etoile de ce grand matin.
Les pretres ont raison de l'appeler Lucifer.
VICTOR HUGO.
V
JOHN BROWN
"Les gerants d'un journal de Paris, _la Cooperation_, organiserent,
il y a quelques mois, une souscription limitee a un penny, afin de
presenter une medaille a la veuve d'Abraham Lincoln. Ayant accompli
cet objet, ils ont ouvert une souscription semblable afin de presenter
un testimonial pareil a la veuve de John Brown; ils viennent
d'adresser la lettre suivante a M. Victor Hugo:
(_Courrier de l'Europe_.)
Paris, le 30 juin 1867.
"Monsieur,
"Nous ouvrons une souscription a dix centimes pour offrir une medaille
a la veuve de John Brown.
"Votre nom doit figurer en tete de nos listes.
"Nous vous inscrivons d'office le premier.
"Salutations fraternelles et respectueuses,
"PAUL BLANC,
"L'un des gerants de la _Cooperation_."
"M. Victor Hugo a envoye la reponse suivante:
Monsieur,
Je vous remercie.
Mon nom appartient a quiconque veut s'en servir pour le progres et
pour la verite.
Une medaille a Lincoln appelle une medaille a John Brown. Acquittons
cette dette, en attendant que l'Amerique acquitte la sienne.
L'Amerique doit a John Brown une statue aussi haute que la statue de
Washington. Washington a fonde la republique, John Brown a promulgue
la liberte.
Je vous serre la main.
VICTOR HUGO.
Hauteville-House, 3 juillet 1867.
VI
LA PEINE DE MORT
ABOLIE EN PORTUGAL
"On sait que le jeune roi dom Luiz de Portugal, avant de quitter son
pays pour aller visiter l'Exposition universelle, a eu l'honneur de
signer une loi votee par les deux chambres du parlement, qui abolit la
peine de mort.
"Cet evenement considerable dans l'histoire de la civilisation a donne
lieu, entre un noble portugais et Victor Hugo, a la correspondance
qu'on va lire."
(_Courrier de l'Europe_, 10 aout 1867.)
A M. VICTOR HUGO
Lisbonne, le 27 juin 1867.
On vient de remporter un grand triomphe! Encore mieux; la civilisation
a fait un pas de geant, le progres s'est acquis un solide fondement de
plus! La lumiere a rayonne plus vive. Et les tenebres ont recule.
L'humanite compte une victoire immense. Les nations rendront
successivement hommage a la verite; et les peuples apprendront a bien
connaitre leurs vrais amis, les vrais amis de l'humanite.
Maitre! votre voix qui se fait toujours entendre lorsqu'il faut
defendre un grand principe, mettre en lumiere une grande idee, exalter
les plus nobles actions; votre voix qui ne se fatigue jamais de
plaider la cause de l'opprime contre l'oppresseur, du faible contre le
fort; votre voix, qu'on ecoute avec respect de l'orient a l'occident,
et dont l'echo parvient jusqu'aux endroits les plus recules de
l'univers; votre voix qui, tant de fois, se detacha forte, vigoureuse,
terrible, comme celle d'un prophete geant de l'humanite, est arrivee
jusqu'ici, a ete comprise ici, a parle aux coeurs, a ete traduite en
un grand fait ici ... dans ce recoin, quoique beni, presque invisible
dans l'Europe, microscopique dans le monde; dans cette terre de
l'extreme occident, si celebre jadis, qui sut inscrire des pages
brillantes et ineffacables dans l'histoire des nations, qui a ouvert
les ports de l'Inde au commerce du monde, qui a devoile des contrees
inconnues, dont les hauts faits sont aujourd'hui presque oublies et
comme effaces par les modernes conquetes de la civilisation, dans
cette petite contree enfin qu'on appelle le Portugal!
Pourquoi les petits et les humbles ne se leveraient-ils pas, quand
le dix-neuvieme siecle est deja si pres de son terme, pour crier aux
grands et aux puissants: L'humanite est gemissante, regenerons-la;
l'humanite se remue, calmons-la; l'humanite va tomber dans l'abime,
sauvons-la?
Pourquoi les petits ne pourraient-ils pas montrer aux grands le chemin
de la perfection? Pourquoi ne pourraient-ils, seulement parce qu'ils
sont petits, apprendre aux puissants le chemin du devoir?
Le Portugal est une contree petite, sans doute; mais l'arbre de la
liberte s'y est deja vigoureusement epanoui; le Portugal est une
contree petite, sans doute, mais on n'y rencontre plus un seul
esclave; le Portugal est une contree petite, c'est vrai; mais, c'est
vous qui l'avez dit, c'est une grande nation.
Maitre! on vient de remporter un grand triomphe, je vous l'annonce.
Les deux chambres du parlement ont vote dernierement l'abolition de la
peine de mort.
Cette abolition, qui depuis plusieurs annees existait de fait, est
aujourd'hui de droit. C'est deja une loi. Et c'est une grande loi dans
une nation petite. Noble exemple! Sainte lecon!
Recevez l'embrassement respectueux de votre devoue ami et tres humble
disciple,
PEDRO DE BRITO ARANHA.
A M. PEDRO DE BRITO ARANHA
Hauteville-House, 15 juillet.
Votre noble lettre me fait battre le coeur.
Je savais la grande nouvelle; il m'est doux d'en recevoir par vous
l'echo sympathique.
Non, il n'y a pas de petits peuples.
Il y a de petits hommes, helas!
Et quelquefois ce sont ceux qui menent les grands peuples.
Les peuples qui ont des despotes ressemblent a des lions qui auraient
des muselieres.
J'aime et je glorifie votre beau et cher Portugal. Il est libre, donc
il est grand.
Le Portugal vient d'abolir la peine de mort.
Accomplir ce progres, c'est faire le grand pas de la civilisation.
Des aujourd'hui le Portugal est a la tete de l'Europe.
Vous n'avez pas cesse d'etre, vous portugais, des navigateurs
intrepides. Vous allez en avant, autrefois dans l'ocean, aujourd'hui
dans la verite. Proclamer des principes, c'est plus beau encore que de
decouvrir des mondes.
Je crie: Gloire au Portugal, et a vous: Bonheur!
Je presse votre cordiale main.
V.H.
VII
_HERNANI_
Les exils se composent de details de tous genres qu'il faut noter,
quelle que soit la petitesse du prescripteur. L'histoire se complete
par ces curiosites-la. Ainsi M. Louis Bonaparte ne proscrivit pas
seulement Victor Hugo, il proscrivit encore _Hernani_; il proscrivit
tous les drames de l'ecrivain banni. Exiler un homme ne suffit pas,
il faut exiler sa pensee. On voudrait exiler jusqu'a son souvenir.
En 1853, le portrait de Victor Hugo fut une chose seditieuse; il fut
interdit a MM. Pelvey et Marescq de le publier en tete d'une edition
nouvelle qu'ils mettaient en vente.
Les puerilites finissent par s'user; l'opinion s'impatiente et
reclame. En 1867, a l'occasion de l'Exposition universelle, M.
Bonaparte permit _Hernani_.
On verra un peu plus loin que ce ne fut pas pour longtemps.
Depuis la deuxieme interdiction, _Hernani_ n'a pas reparu au
Theatre-Francais.
Du reste, disons-le en passant, aujourd'hui encore, en 1875, beaucoup
de choses faites par l'empire semblent avoir force de loi sous la
republique. La republique que nous avons vit de l'etat de siege et
s'accommode de la censure, et un peu d'empire melee a la liberte ne
lui deplait pas. Les drames de Victor Hugo continuent d'etre a peu
pres interdits; nous disons a peu pres, car ce qui etait patent sous
l'empire est latent sous la republique. C'est la franchise de moins,
voila tout. Les theatres officiels semblent avoir, a l'egard de Victor
Hugo, une consigne qu'ils executent silencieusement. Quelquefois
cependant le naturel militaire eclate, et la censure a la bonhomie
soldatesque de s'avouer. Le censeur sabreur renonce aux petites
decences betes du sbire civil, et se montre. Ainsi M. le general
Ladmirault ne s'est pas cache pour interdire, au nom de l'etat
de siege, _le Roi s'amuse_. Il ne s'est meme pas donne la peine
d'expliquer en quoi Triboulet mettait Marie Alacoque en danger. Cela
lui a paru evident, et cela lui a suffi; cela doit nous suffire aussi.
On se souvient qu'il y a deux ans un autre fonctionnaire, sous-prefet
celui-la, a fait effacer _le Revenant_ de l'affiche d'un theatre de
province, en declarant que, pour dire sur un theatre quoi que ce soit
qui fut de Victor Hugo, il fallait une permission speciale du ministre
de l'interieur, _renouvelable tous les soirs_.
Revenons a 1867.
La reprise de _Hernani_, faite en 1867, eut lieu le 20 juin, au moment
meme ou Victor Hugo intercedait pour Maximilien.
Les jeunes poetes contemporains dont on va lire les noms adresserent a
Victor Hugo la lettre que voici:
Cher et illustre maitre,
Je continue, et, puisque Candie expirante le veut, je reprends la
parole.
Cette lettre est signee: _Zimbrakakis_.
Zimbrakakis est le heros de cette insurrection candiote dont Zirisdani
est le traitre.
A de certaines heures vaillantes, les peuples s'incarnent dans des
soldats, qui sont en meme temps des esprits; tel fut Washington, tel
fut Botzaris, tel est Garibaldi.
Comme John Brown s'est leve pour les noirs, comme Garibaldi s'est leve
pour l'Italie, Zimbrakakis se leve pour la Crete.
S'il va jusqu'au bout, et il ira, soit qu'il succombe comme John
Brown, soit qu'il triomphe comme Garibaldi, Zimbrakakis sera grand.
Veut-on savoir ou en est la Crete? Voici des faits.
L'insurrection n'est pas morte. On lui a repris la plaine, mais elle a
garde la montagne.
Elle vit, elle appelle, elle crie au secours.
Pourquoi la Crete s'est-elle revoltee? Parce que Dieu l'avait faite le
plus beau pays du monde, et les turcs le plus miserable; parce qu'elle
a des produits et pas de commerce, des villes et pas de chemins, des
villages et pas de sentiers, des ports et pas de cales, des rivieres
et pas de ponts, des enfants et pas d'ecoles, des droits et pas de
lois, le soleil et pas de lumiere. Les turcs y font la nuit.
Elle s'est revoltee parce que la Crete est Grece et non Turquie, parce
que l'etranger est insupportable, parce que l'oppresseur, s'il est de
la race de l'opprime, est odieux, et, s'il n'en est pas, horrible;
parce qu'un maitre baragouinant la barbarie dans le pays d'Etearque et
de Minos est impossible; parce que tu te revolterais, France!
La Crete s'est revoltee et elle a bien fait.
Qu'a produit cette revolte? je vais le dire. Jusqu'au 3 janvier,
quatre batailles, dont trois victoires. Apo corona, Vaffe, Castel
Selino, et un desastre illustre, Arcadion! l'ile coupee en deux
par l'insurrection, moitie aux turcs, moitie aux grecs; une ligne
d'operations allant par Sciffo et Rocoli, de Kissamos a Lassiti et
meme a Girapetra. Il y a six semaines, les turcs refoules n'avaient
plus que quelques points du littoral, et le versant occidental des
monts Psiloriti ou est Ambelirsa. En cette minute, le doigt leve de
l'Europe eut sauve Candie. Mais l'Europe n'avait pas le temps. Il y
avait une noce en cet instant-la, et l'Europe regardait le bal.
On connait ce mot, Arcadion, on connait peu le fait. En voici les
details precis et presque ignores. Dans Arcadion, monastere du
mont Ida, fonde par Heraclius, seize mille turcs attaquent cent
quatrevingt-dix-sept hommes, et trois cent quarante-trois femmes, plus
les enfants. Les turcs ont vingt-six canons et deux obusiers, les
grecs ont deux cent quarante fusils. La bataille dure deux jours
et deux nuits; le couvent est troue de douze cents boulets; un mur
s'ecroule, les turcs entrent, les grecs continuent le combat, cent
cinquante fusils sont hors de service, on lutte encore six heures dans
les cellules et dans les escaliers, et il y a deux mille cadavres dans
la cour. Enfin la derniere resistance est forcee; le fourmillement
des turcs vainqueurs emplit le couvent. Il ne reste plus qu'une salle
barricadee ou est la soute aux poudres, et dans cette salle, pres
d'un autel, au centre d'un groupe d'enfants et de meres, un homme de
quatrevingts ans, un pretre, l'igoumene Gabriel, en priere. Dehors on
tue les peres et les maris; mais ne pas etre tues, ce sera la misere
de ces femmes et de ces enfants, promis a deux harems. La porte,
battue de coups de hache, va ceder et tomber. Le vieillard prend sur
l'autel un cierge, regarde ces enfants et ces femmes, penche le cierge
sur la poudre et les sauve. Une intervention terrible, l'explosion,
secourt les vaincus, l'agonie se fait triomphe, et ce couvent
heroique, qui a combattu comme une forteresse, meurt comme un volcan.
Psara n'est pas plus epique, Missolonghi n'est pas plus sublime.
Tels sont les faits. Qu'est-ce que font les gouvernements dits
civilises? Qu'est-ce qu'ils attendent? Ils chuchotent: Patience, nous
negocions.
Vous negociez! Pendant ce temps-la on arrache les oliviers et les
chataigniers, on demolit les moulins a huile, on incendie les
villages, on brule les recoltes, on envoie des populations entieres
mourir de faim et de froid dans la montagne, on decapite les maris,
on pend les vieillards, et un soldat turc, qui voit un petit enfant
gisant a terre, lui enfonce dans les narines une chandelle allumee
pour s'assurer s'il est mort. C'est ainsi que cinq blesses ont ete, a
Arcadion, reveilles pour etre egorges.
Patience! dites-vous. Pendant ce temps-la les turcs entrent au village
Mournies, ou il ne reste que des femmes et des enfants, et, quand ils
en sortent, on ne voit plus qu'un monceau de ruines croulant sur un
monceau de cadavres, grands et petits.
Et l'opinion publique? que fait-elle? que dit-elle? Rien. Elle est
tournee d'un autre cote. Que voulez-vous? Ces catastrophes ont un
malheur; elles ne sont pas a la mode.
Helas!
La politique patiente des gouvernements se resume en deux resultats:
deni de justice a la Grece, deni de pitie a l'humanite.
Rois, un mot sauverait ce peuple. Un mot de l'Europe est vite dit.
Dites-le. A quoi etes-vous bons, si ce n'est a cela?
Non. On se tait, et l'on veut que tout se taise. Defense de parler
de la Crete. Tel est l'expedient. Six ou sept grandes puissances
conspirent contre un petit peuple. Quelle est cette conspiration? La
plus lache de toutes. La conspiration du silence.
Mais le tonnerre n'en est pas.
Le tonnerre vient de la-haut, et, en langue politique, le tonnerre
s'appelle revolution.
VICTOR HUGO.
II
LES FENIANS
Apres la Crete, l'Irlande se tourne vers l'habitant de Guernesey. Les
femmes des Fenians condamnes lui ecrivent. De la une lettre de Victor
Hugo a l'Angleterre.
A L'ANGLETERRE
L'angoisse est a Dublin. Les condamnations se succedent, les graces
annoncees ne viennent pas. Une lettre que nous avons sous les yeux
dit:--"... La potence va se dresser; le general Burke d'abord;
viendront ensuite le capitaine Mac Afferty, le capitaine Mac Clure,
puis trois autres, Kelly, Joice et Cullinane ... Il n'y a pas une
minute a perdre ... Des femmes, des jeunes filles vous supplient ...
Notre lettre vous arrivera-t-elle a temps? ... " Nous lisons cela,
et nous n'y croyons pas. On nous dit: L'echafaud est pret. Nous
repondons: Cela n'est pas possible. Calcraft n'a rien a voir a la
politique. C'est deja trop qu'il existe a cote. Non, l'echafaud
politique n'est pas possible en Angleterre. Ce n'est pas pour imiter
les gibets de la Hongrie que l'Angleterre a acclame Kossuth; ce n'est
pas pour recommencer les potences de la Sicile que l'Angleterre a
glorifie Garibaldi. Que signifieraient les hourras de Londres et
de Southampton? Supprimez alors tous vos comites polonais, grecs,
italiens. Soyez l'Espagne.
Non, l'Angleterre, en 1867, n'executera pas l'Irlande. Cette Elisabeth
ne decapitera pas cette Marie Stuart.
Le dix-neuvieme siecle existe.
Pendre Burke! Impossible. Allez-vous copier Tallaferro tuant John
Brown, Chacon tuant Lopez, Geffrard tuant le jeune Delorme, Ferdinand
tuant Pisacane?
Quoi! apres la revolution anglaise! quoi! apres la revolution
francaise! quoi! dans la grande et lumineuse epoque ou nous sommes! il
n'a donc ete rien dit, rien pense, rien proclame, rien fait, depuis
quarante ans!
Quoi! nous presents, qui sommes plus que des spectateurs, qui sommes
des temoins, il se passerait de telles choses! Quoi! les vieilles
penalites sauvages sont encore la! Quoi! a cette heure, il se prononce
de ces sentences: "Un tel, tel jour, vous serez traine sur la claie
au lieu de votre supplice, puis votre corps sera coupe en quatre
quartiers, lesquels seront laisses a la disposition de sa majeste qui
en ordonnera selon son bon plaisir!" Quoi! un matin de mai ou de juin,
aujourd'hui, demain, un homme, parce qu'il a une foi politique ou
nationale, parce qu'il a lutte pour cette foi, parce qu'il a ete
vaincu, sera lie de cordes, masque du bonnet noir, et pendu et
etrangle jusqu'a ce que mort s'ensuive! Non! vous n'etes pas
l'Angleterre pour cela.
Vous avez actuellement sur la France cet avantage d'etre une nation
libre. La France, aussi grande que l'Angleterre, n'est pas maitresse
d'elle-meme, et c'est la un sombre amoindrissement. Vous en tirez
vanite. Soit. Mais prenez garde. On peut en un jour reculer d'un
siecle. Retrograder jusqu'au gibet politique! vous, l'Angleterre!
Alors, dressez une statue a Jeffryes.
Pendant ce temps-la, nous dresserons une statue a Voltaire.
Y pensez-vous? Quoi! vous avez Sheridan et Fox qui ont fonde
l'eloquence parlementaire, vous avez Howard qui a aere la prison et
attendri la penalite, vous avez Wilberforce qui a aboli l'esclavage,
vous avez Rowland Hill qui a vivifie la circulation postale, vous
avez Cobden qui a cree le libre echange, vous avez donne au
monde l'impulsion colonisatrice, vous avez fait le premier cable
transatlantique, vous etes en pleine possession de la virilite
politique, vous pratiquez magnifiquement sous toutes les formes le
grand droit civique, vous avez la liberte de la presse, la liberte de
la tribune, la liberte de la conscience, la liberte de l'association,
la liberte de l'industrie, la liberte domiciliaire, la liberte
individuelle, vous allez par la reforme arriver au suffrage universel,
vous etes le pays du vote, du poll, du meeting, vous etes le puissant
peuple de l'_habeas corpus_. Eh bien! a toute cette splendeur ajoutez
ceci, Burke pendu, et, precisement parce que vous etes le plus grand
des peuples libres, vous devenez le plus petit!
On ne sait point le ravage que fait une goutte de honte dans la
gloire. De premier, vous tomberiez dernier! Quelle est cette ambition
en sens inverse? Quelle est cette soif de dechoir? Devant ces gibets
dignes de la demence de George III, le continent ne reconnaitrait plus
l'auguste Grande-Bretagne du progres. Les nations detourneraient leur
face. Un affreux contre-sens de civilisation aurait ete commis, et par
qui? par l'Angleterre! Surprise lugubre. Stupeur indignee. Quoi de
plus hideux qu'un soleil d'ou, tout a coup, il sortirait de la nuit!
Non, non, non! je le repete, vous n'etes pas l'Angleterre pour cela.
Vous etes l'Angleterre pour montrer aux nations le progres, le
travail, l'initiative, la verite, le droit, la raison, la justice, la
majeste de la liberte! Vous etes l'Angleterre pour donner le spectacle
de la vie et non l'exemple de la mort.
L'Europe vous rappelle au devoir.
Prendre a cette heure la parole pour ces condamnes, c'est venir au
secours de l'Irlande; c'est aussi venir au secours de l'Angleterre.
L'une est en danger du cote de son droit, l'autre du cote de sa
gloire.
Les gibets ne seront point dresses.
Burke, M'Clure, M'Afferty, Kelly, Joice, Cullinane, ne mourront point.
Epouses et filles qui avez ecrit a un proscrit, il est inutile de vous
couper des robes noires. Regardez avec confiance vos enfants
dormir dans leurs berceaux. C'est une femme en deuil qui gouverne
l'Angleterre. Une mere ne fera pas des orphelins, une veuve ne fera
pas des veuves.
VICTOR HUGO.
Hauteville-House, 28 mai 1867.
Cette parole fut entendue. Les Fenians ne furent pas executes.
III
L'EMPEREUR MAXIMILIEN
AU PRESIDENT DE LA REPUBLIQUE MEXICAINE
Juarez, vous avez egale John Brown.
L'Amerique actuelle a deux heros, John Brown et vous. John Brown, par
qui est mort l'esclavage; vous, par qui a vecu la liberte.
Le Mexique s'est sauve par un principe et par un homme. Le principe,
c'est la republique; l'homme, c'est vous.
C'est, du reste, le sort de tous les attentats monarchiques d'aboutir
a l'avortement. Toute usurpation commence par Puebla et finit par
Queretaro.
L'Europe, en 1863, s'est ruee sur l'Amerique. Deux monarchies ont
attaque votre democratie; l'une avec un prince, l'autre avec une
armee; l'armee apportant le prince. Alors le monde a vu ce spectacle:
d'un cote, une armee, la plus aguerrie des armees de l'Europe, ayant
pour point d'appui une flotte aussi puissante sur mer qu'elle sur
terre, ayant pour ravitaillement toutes les finances de la France,
recrutee sans cesse, bien commandee, victorieuse en Afrique, en
Crimee, en Italie, en Chine, vaillamment fanatique de son drapeau,
possedant a profusion chevaux, artillerie, provisions, munitions
formidables. De l'autre cote, Juarez.
D'un cote, deux empires; de l'autre, un homme. Un homme avec une
poignee d'autres. Un homme chasse de ville en ville, de bourgade en
bourgade, de foret en foret, vise par l'infame fusillade des conseils
de guerre, traque, errant, refoule aux cavernes comme une bete fauve,
accule au desert, mis a prix. Pour generaux quelques desesperes,
pour soldats quelques deguenilles. Pas d'argent, pas de pain, pas de
poudre, pas de canons. Les buissons pour citadelles. Ici l'usurpation
appelee legitimite, la le droit appele bandit. L'usurpation, casque
en tete et le glaive imperial a la main, saluee des eveques, poussant
devant elle et trainant derriere elle toutes les legions de la force.
Le droit, seul et nu. Vous, le droit, vous avez accepte le combat.
La bataille d'Un contre Tous a dure cinq ans. Manquant d'hommes, vous
avez pris pour projectiles les choses. Le climat, terrible, vous a
secouru; vous avez eu pour auxiliaire votre soleil. Vous avez eu pour
defenseurs les lacs infranchissables, les torrents pleins de caimans,
les marais pleins de fievres, les vegetations morbides, le vomito
prieto des terres chaudes, les solitudes de sel, les vastes sables
sans eau et sans herbe ou les chevaux meurent de soif et de faim, le
grand plateau severe d'Anahuac qui se garde par sa nudite comme la
Castille, les plaines a gouffres, toujours emues du tremblement des
volcans, depuis le Colima jusqu'au Nevado de Toluca; vous avez appele
a votre aide vos barrieres naturelles, l'aprete des Cordilleres, les
hautes digues basaltiques, les colossales roches de porphyre. Vous
avez fait la guerre des geants en combattant a coups de montagnes.
Et un jour, apres ces cinq annees de fumee, de poussiere et
d'aveuglement, la nuee s'est dissipee, et l'on a vu les deux empires
a terre, plus de monarchie, plus d'armee, rien que l'enormite de
l'usurpation en ruine, et sur cet ecroulement un homme debout, Juarez,
et, a cote de cet homme, la liberte.
Vous avez fait cela, Juarez, et c'est grand. Ce qui vous reste a faire
est plus grand encore.
Ecoutez, citoyen president de la republique mexicaine.
Vous venez de terrasser les monarchies sous la democratie. Vous leur
en avez montre la puissance; maintenant montrez-leur-en la beaute.
Apres le coup de foudre, montrez l'aurore. Au cesarisme qui massacre,
montrez la republique qui laisse vivre. Aux monarchies qui usurpent et
exterminent, montrez le peuple qui regne et se modere. Aux barbares
montrez la civilisation. Aux despotes montrez les principes.
Donnez aux rois, devant le peuple, l'humiliation de l'eblouissement.
Achevez-les par la pitie.
C'est surtout par la protection de notre ennemi que les principes
s'affirment. La grandeur des principes, c'est d'ignorer. Les hommes
n'ont pas de noms devant les principes; les hommes sont l'Homme. Les
principes ne connaissent qu'eux-memes. Dans leur stupidite auguste,
ils ne savent que ceci: _la vie humaine est inviolable_.
O venerable impartialite de la verite! le droit sans discernement,
occupe seulement d'etre le droit, que c'est beau!
C'est devant ceux qui auraient legalement merite la mort qu'il importe
d'abjurer cette voie de fait. Le plus beau renversement de l'echafaud
se fait devant le coupable.
Que le violateur des principes soit sauvegarde par un principe. Qu'il
ait ce bonheur, et cette honte! Que le persecuteur du droit soit
abrite par le droit. En le depouillant de sa fausse inviolabilite,
l'inviolabilite royale, vous mettez a nu la vraie, l'inviolabilite
humaine. Qu'il soit stupefait de voir que le cote par lequel il est
sacre, c'est le cote par lequel il n'est pas empereur. Que ce prince,
qui ne se savait pas homme, apprenne qu'il y a en lui une misere, le
prince, et une majeste, l'homme.
Jamais plus magnifique occasion ne s'est offerte. Osera-t-on frapper
Berezowski en presence de Maximilien sain et sauf? L'un a voulu tuer
un roi, l'autre a voulu tuer une nation.
Juarez, faites faire a la civilisation ce pas immense. Juarez,
abolissez sur toute la terre la peine de mort.
Que le monde voie cette chose prodigieuse: la republique tient en
son pouvoir son assassin, un empereur; au moment de l'ecraser, elle
s'apercoit que c'est un homme, elle le lache et lui dit: Tu es du
peuple comme les autres. Va!
Ce sera la, Juarez, votre deuxieme victoire. La premiere, vaincre
l'usurpation, est superbe; la seconde, epargner l'usurpateur, sera
sublime.
Oui, a ces rois dont les prisons regorgent, dont les echafauds sont
rouilles de meurtres, a ces rois des gibets, des exils, des presides
et des Siberies, a ceux-ci qui ont la Pologne, a ceux-ci qui ont
l'Irlande, a ceux-ci qui ont la Havane, a ceux-ci qui ont la Crete, a
ces princes obeis par les juges, a ces juges obeis par les bourreaux,
a ces bourreaux obeis par la mort, a ces empereurs qui font si
aisement couper une tete d'homme, montrez comment on epargne une tete
d'empereur!
Au-dessus de tous les codes monarchiques d'ou tombent des gouttes de
sang, ouvrez la loi de lumiere, et, au milieu de la plus sainte page
du livre supreme, qu'on voie le doigt de la Republique pose sur cet
ordre de Dieu: _Tu ne tueras point_.
Ces quatre mots contiennent le devoir.
Le devoir, vous le ferez.
L'usurpateur sera sauve, et le liberateur n'a pu l'etre, helas! Il y
a huit ans, le 2 decembre 1859, j'ai pris la parole au nom de la
democratie, et j'ai demande aux Etats-Unis la vie de John Brown. Je
ne l'ai pas obtenue. Aujourd'hui je demande au Mexique la vie de
Maximilien. L'obtiendrai-je?
Oui. Et peut-etre a cette heure est-ce deja fait.
Maximilien devra la vie a Juarez.
Et le chatiment? dira-t-on.
Le chatiment, le voila.
Maximilien vivra "par la grace de la Republique".
VICTOR HUGO.
Hauteville-House, 20 juin 1867.
Cette lettre fut ecrite et envoyee le 20 juin 1867. En ce moment-la
meme, et pour ainsi dire a l'heure ou Victor Hugo ecrivait, avait
lieu a Paris la premiere representation de la reprise d'_Hernani_.
La lettre a Juarez fut publiee le 21 par les journaux anglais et les
journaux belges. En meme temps une depeche telegraphique expediee
de Londres par l'ambassade d'Autriche et par ordre special du vieil
empereur Ferdinand II annoncait a Juarez que Victor Hugo demandait la
grace de Maximilien. Cette depeche arriva trop tard. Maximilien venait
d'etre execute. La republique mexicaine perdit la une grande occasion
de gloire.
IV
VOLTAIRE
En 1867, le _Siecle_ ouvrit une souscription populaire pour elever
une statue a Voltaire. Victor Hugo envoya la liste de souscription
du groupe des proscrits de Guernesey. Il ecrivit au redacteur du
_Siecle_:
Souscrire pour la statue de Voltaire est un devoir public.
Voltaire est precurseur.
Porte-flambeau du dix-huitieme siecle, il precede et annonce la
revolution francaise. Il est l'etoile de ce grand matin.
Les pretres ont raison de l'appeler Lucifer.
VICTOR HUGO.
V
JOHN BROWN
"Les gerants d'un journal de Paris, _la Cooperation_, organiserent,
il y a quelques mois, une souscription limitee a un penny, afin de
presenter une medaille a la veuve d'Abraham Lincoln. Ayant accompli
cet objet, ils ont ouvert une souscription semblable afin de presenter
un testimonial pareil a la veuve de John Brown; ils viennent
d'adresser la lettre suivante a M. Victor Hugo:
(_Courrier de l'Europe_.)
Paris, le 30 juin 1867.
"Monsieur,
"Nous ouvrons une souscription a dix centimes pour offrir une medaille
a la veuve de John Brown.
"Votre nom doit figurer en tete de nos listes.
"Nous vous inscrivons d'office le premier.
"Salutations fraternelles et respectueuses,
"PAUL BLANC,
"L'un des gerants de la _Cooperation_."
"M. Victor Hugo a envoye la reponse suivante:
Monsieur,
Je vous remercie.
Mon nom appartient a quiconque veut s'en servir pour le progres et
pour la verite.
Une medaille a Lincoln appelle une medaille a John Brown. Acquittons
cette dette, en attendant que l'Amerique acquitte la sienne.
L'Amerique doit a John Brown une statue aussi haute que la statue de
Washington. Washington a fonde la republique, John Brown a promulgue
la liberte.
Je vous serre la main.
VICTOR HUGO.
Hauteville-House, 3 juillet 1867.
VI
LA PEINE DE MORT
ABOLIE EN PORTUGAL
"On sait que le jeune roi dom Luiz de Portugal, avant de quitter son
pays pour aller visiter l'Exposition universelle, a eu l'honneur de
signer une loi votee par les deux chambres du parlement, qui abolit la
peine de mort.
"Cet evenement considerable dans l'histoire de la civilisation a donne
lieu, entre un noble portugais et Victor Hugo, a la correspondance
qu'on va lire."
(_Courrier de l'Europe_, 10 aout 1867.)
A M. VICTOR HUGO
Lisbonne, le 27 juin 1867.
On vient de remporter un grand triomphe! Encore mieux; la civilisation
a fait un pas de geant, le progres s'est acquis un solide fondement de
plus! La lumiere a rayonne plus vive. Et les tenebres ont recule.
L'humanite compte une victoire immense. Les nations rendront
successivement hommage a la verite; et les peuples apprendront a bien
connaitre leurs vrais amis, les vrais amis de l'humanite.
Maitre! votre voix qui se fait toujours entendre lorsqu'il faut
defendre un grand principe, mettre en lumiere une grande idee, exalter
les plus nobles actions; votre voix qui ne se fatigue jamais de
plaider la cause de l'opprime contre l'oppresseur, du faible contre le
fort; votre voix, qu'on ecoute avec respect de l'orient a l'occident,
et dont l'echo parvient jusqu'aux endroits les plus recules de
l'univers; votre voix qui, tant de fois, se detacha forte, vigoureuse,
terrible, comme celle d'un prophete geant de l'humanite, est arrivee
jusqu'ici, a ete comprise ici, a parle aux coeurs, a ete traduite en
un grand fait ici ... dans ce recoin, quoique beni, presque invisible
dans l'Europe, microscopique dans le monde; dans cette terre de
l'extreme occident, si celebre jadis, qui sut inscrire des pages
brillantes et ineffacables dans l'histoire des nations, qui a ouvert
les ports de l'Inde au commerce du monde, qui a devoile des contrees
inconnues, dont les hauts faits sont aujourd'hui presque oublies et
comme effaces par les modernes conquetes de la civilisation, dans
cette petite contree enfin qu'on appelle le Portugal!
Pourquoi les petits et les humbles ne se leveraient-ils pas, quand
le dix-neuvieme siecle est deja si pres de son terme, pour crier aux
grands et aux puissants: L'humanite est gemissante, regenerons-la;
l'humanite se remue, calmons-la; l'humanite va tomber dans l'abime,
sauvons-la?
Pourquoi les petits ne pourraient-ils pas montrer aux grands le chemin
de la perfection? Pourquoi ne pourraient-ils, seulement parce qu'ils
sont petits, apprendre aux puissants le chemin du devoir?
Le Portugal est une contree petite, sans doute; mais l'arbre de la
liberte s'y est deja vigoureusement epanoui; le Portugal est une
contree petite, sans doute, mais on n'y rencontre plus un seul
esclave; le Portugal est une contree petite, c'est vrai; mais, c'est
vous qui l'avez dit, c'est une grande nation.
Maitre! on vient de remporter un grand triomphe, je vous l'annonce.
Les deux chambres du parlement ont vote dernierement l'abolition de la
peine de mort.
Cette abolition, qui depuis plusieurs annees existait de fait, est
aujourd'hui de droit. C'est deja une loi. Et c'est une grande loi dans
une nation petite. Noble exemple! Sainte lecon!
Recevez l'embrassement respectueux de votre devoue ami et tres humble
disciple,
PEDRO DE BRITO ARANHA.
A M. PEDRO DE BRITO ARANHA
Hauteville-House, 15 juillet.
Votre noble lettre me fait battre le coeur.
Je savais la grande nouvelle; il m'est doux d'en recevoir par vous
l'echo sympathique.
Non, il n'y a pas de petits peuples.
Il y a de petits hommes, helas!
Et quelquefois ce sont ceux qui menent les grands peuples.
Les peuples qui ont des despotes ressemblent a des lions qui auraient
des muselieres.
J'aime et je glorifie votre beau et cher Portugal. Il est libre, donc
il est grand.
Le Portugal vient d'abolir la peine de mort.
Accomplir ce progres, c'est faire le grand pas de la civilisation.
Des aujourd'hui le Portugal est a la tete de l'Europe.
Vous n'avez pas cesse d'etre, vous portugais, des navigateurs
intrepides. Vous allez en avant, autrefois dans l'ocean, aujourd'hui
dans la verite. Proclamer des principes, c'est plus beau encore que de
decouvrir des mondes.
Je crie: Gloire au Portugal, et a vous: Bonheur!
Je presse votre cordiale main.
V.H.
VII
_HERNANI_
Les exils se composent de details de tous genres qu'il faut noter,
quelle que soit la petitesse du prescripteur. L'histoire se complete
par ces curiosites-la. Ainsi M. Louis Bonaparte ne proscrivit pas
seulement Victor Hugo, il proscrivit encore _Hernani_; il proscrivit
tous les drames de l'ecrivain banni. Exiler un homme ne suffit pas,
il faut exiler sa pensee. On voudrait exiler jusqu'a son souvenir.
En 1853, le portrait de Victor Hugo fut une chose seditieuse; il fut
interdit a MM. Pelvey et Marescq de le publier en tete d'une edition
nouvelle qu'ils mettaient en vente.
Les puerilites finissent par s'user; l'opinion s'impatiente et
reclame. En 1867, a l'occasion de l'Exposition universelle, M.
Bonaparte permit _Hernani_.
On verra un peu plus loin que ce ne fut pas pour longtemps.
Depuis la deuxieme interdiction, _Hernani_ n'a pas reparu au
Theatre-Francais.
Du reste, disons-le en passant, aujourd'hui encore, en 1875, beaucoup
de choses faites par l'empire semblent avoir force de loi sous la
republique. La republique que nous avons vit de l'etat de siege et
s'accommode de la censure, et un peu d'empire melee a la liberte ne
lui deplait pas. Les drames de Victor Hugo continuent d'etre a peu
pres interdits; nous disons a peu pres, car ce qui etait patent sous
l'empire est latent sous la republique. C'est la franchise de moins,
voila tout. Les theatres officiels semblent avoir, a l'egard de Victor
Hugo, une consigne qu'ils executent silencieusement. Quelquefois
cependant le naturel militaire eclate, et la censure a la bonhomie
soldatesque de s'avouer. Le censeur sabreur renonce aux petites
decences betes du sbire civil, et se montre. Ainsi M. le general
Ladmirault ne s'est pas cache pour interdire, au nom de l'etat
de siege, _le Roi s'amuse_. Il ne s'est meme pas donne la peine
d'expliquer en quoi Triboulet mettait Marie Alacoque en danger. Cela
lui a paru evident, et cela lui a suffi; cela doit nous suffire aussi.
On se souvient qu'il y a deux ans un autre fonctionnaire, sous-prefet
celui-la, a fait effacer _le Revenant_ de l'affiche d'un theatre de
province, en declarant que, pour dire sur un theatre quoi que ce soit
qui fut de Victor Hugo, il fallait une permission speciale du ministre
de l'interieur, _renouvelable tous les soirs_.
Revenons a 1867.
La reprise de _Hernani_, faite en 1867, eut lieu le 20 juin, au moment
meme ou Victor Hugo intercedait pour Maximilien.
Les jeunes poetes contemporains dont on va lire les noms adresserent a
Victor Hugo la lettre que voici:
Cher et illustre maitre,
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