Actes et Paroles, Volume 2 - 07

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humaine est auguste, l'intelligence humaine est sainte, la vie humaine
est sacree, l'ame humaine est divine. Pendez maintenant!
Prenez garde. L'avenir approche. Vous croyez vivant ce qui est mort
et vous croyez mort ce qui est vivant. La vieille societe est debout,
mais morte, vous dis-je. Vous vous etes trompes. Vous avez mis la main
dans les tenebres sur le spectre et vous en avez fait votre fiancee.
Vous tournez le dos a la vie; elle va tout a l'heure se lever derriere
vous. Quand nous prononcons ces mots, progres, revolution, liberte,
humanite, vous souriez, hommes malheureux, et vous nous montrez la
nuit ou nous sommes et ou vous etes. Vraiment, savez-vous ce que c'est
que cette nuit? Apprenez-le, avant peu les idees en sortiront enormes
et rayonnantes. La democratie, c'etait hier la France; ce sera demain
l'Europe. L'eclipse actuelle masque le mysterieux agrandissement de
l'astre.
Je suis, monsieur, votre serviteur,
VICTOR HUGO.
Marine-Terrace, 11 fevrier 1854.


III
CINQUIEME ANNIVERSAIRE DU 24 FEVRIER 1848
24 fevrier 1854.

Citoyens,
Une date, c'est une idee qui se fait chiffre; c'est une victoire qui
se condense et se resume dans un nombre lumineux, et qui flamboie a
jamais dans la memoire des hommes.
Vous venez de celebrer le 24 Fevrier 1848; vous avez glorifie la date
passee; permettez-moi de me tourner vers la date future.
Permettez-moi de me tourner vers cette journee, soeur encore ignoree
du 24 Fevrier, qui donnera son nom a la prochaine revolution, et qui
s'identifiera avec elle.
Permettez-moi d'envoyer a la date future toutes les aspirations de mon
ame.
Qu'elle ait autant de grandeur que la date passee, et qu'elle ait plus
de bonheur!
Que les hommes pour qui elle resplendira soient fermes et purs, qu'ils
soient bons et grands, qu'ils soient justes, utiles et victorieux, et
qu'ils aient une autre recompense que l'exil!
Que leur sort soit meilleur que le notre!
Citoyens! que la date future soit la date definitive!
Que la date future continue l'oeuvre de la date passee, mais qu'elle
l'acheve!
Que, comme le 24 Fevrier, elle soit radieuse et fraternelle; mais
qu'elle soit hardie et qu'elle aille au but! qu'elle regarde l'Europe
de la facon dont Danton la regardait!
Que, comme Fevrier, elle abolisse la monarchie en France, mais qu'elle
l'abolisse aussi sur le continent! qu'elle ne trompe pas l'esperance!
que partout elle substitue le droit humain au droit divin! qu'elle
crie aux nationalites: debout! Debout, Italie! debout, Pologne!
debout, Hongrie! debout, Allemagne, debout, peuples, pour la liberte!
Qu'elle embouche le clairon du reveil! qu'elle annonce le lever du
jour! que, dans cette halte nocturne ou gisent les nations engourdies
par je ne sais quel lugubre sommeil, elle sonne la diane des peuples!
Ah! l'instant s'avance! je vous l'ai deja dit et j'y insiste,
citoyens! des que les chocs decisifs auront lieu, des que la France
abordera directement la Russie et l'Autriche et les saisira corps a
corps, quand la grande guerre commencera, citoyens! vous verrez la
revolution luire. C'est a la revolution qu'il est reserve de frapper
les rois du continent. L'empire est le fourreau, la republique est
l'epee.
Donc, acclamons la date future! acclamons la revolution prochaine!
souhaitons la bienvenue a cet ami mysterieux qui s'appelle demain!
Que la date future soit splendide! que la prochaine revolution soit
invincible! qu'elle fonde les Etats-Unis d'Europe!
Que, comme Fevrier, elle ouvre a deux battants l'avenir, mais qu'elle
ferme a jamais l'abominable porte du passe! que de toutes les chaines
des peuples elle forge a cette porte, un verrou! et que ce verrou soit
enorme comme a ete la tyrannie!
Que, comme Fevrier, elle releve et place sur l'autelle sublime trepied
Liberte-Egalite-Fraternite, mais que sur ce trepied elle allume, de
facon a en eclairer toute la terre, la grande flamme Humanite!
Qu'elle en eblouisse les penseurs, qu'elle en aveugle les despotes!
Que, comme Fevrier, elle renverse l'echafaud politique releve par le
Bonaparte de decembre, mais qu'elle renverse aussi l'echafaud social!
Ne l'oublions pas citoyens, c'est sur la tete du proletaire que
l'echafaud social suspend son couperet. Pas de pain dans la famille,
pas de lumiere dans le cerveau; de la la faute, de la la chute, de la
le crime.
Un soir, a la nuit tombante, je me suis approche d'une guillotine qui
venait de travailler dans la place de Greve. Deux poteaux soutenaient
le couperet encore fumant. J'ai demande au premier poteau: Comment
t'appelles-tu? il m'a repondu: Misere. J'ai demande au deuxieme
poteau: Comment t'appelles-tu? Il m'a repondu: Ignorance.
Que la revolution prochaine, que la date future, arrache ces poteaux
et brise cet echafaud!
Que, comme Fevrier, elle confirme le droit de l'homme, mais qu'elle
proclame le droit de la femme et qu'elle decrete le droit de l'enfant;
c'est-a-dire l'egalite pour l'une et l'education pour l'autre!
Que, comme Fevrier, elle repudie la confiscation et les violences,
qu'elle ne depouille personne; mais qu'elle dote tout le monde!
qu'elle ne soit pas faite contre les riches, mais qu'elle soit faite
pour les pauvres! Oui! que, par une immense reforme economique, par le
droit du travail mieux compris, par de larges institutions d'escompte
et de credit, par le chomage rendu impossible, par l'abolition des
douanes et des frontieres, par la circulation decuplee, par la
suppression des armees permanentes, qui coutent a l'Europe quatre
milliards par an, sans compter ce que coutent les guerres, par la
complete mise en valeur du sol, par un meilleur balancement de la
production et de la consommation, ces deux battements de l'artere
sociale, par l'echange, source jaillissante de vie, par la revolution
monetaire, levier qui peut soulever toutes les indigences, enfin,
par une gigantesque creation de richesses toutes nouvelles que des
a present la science entrevoit et affirme, elle fasse du bien-etre
materiel, intellectuel et moral la dotation universelle!
Qu'elle broie, ecrase, efface, aneantisse, toutes les vieilles
institutions deshonorees, c'est la sa mission politique; mais qu'elle
fasse marcher de front sa mission sociale et qu'elle donne du pain aux
travailleurs! Qu'elle preserve les jeunes ames de l'enseignement,--je
me trompe,--de l'empoisonnement jesuitique et clerical, mais qu'elle
etablisse et constitue sur une base colossale l'instruction gratuite
et obligatoire! Savez-vous, citoyens, ce qu'il faut a la civilisation,
pour qu'elle devienne l'harmonie? Des ateliers, et des ateliers!
des ecoles, et des ecoles! L'atelier et l'ecole, c'est le double
laboratoire d'ou sort la double vie, la vie du corps et la vie de
l'intelligence. Qu'il n'y ait plus de bouches affamees! qu'il n'y
ait plus de cerveaux tenebreux! Que ces deux locutions, honteuses,
usuelles, presque proverbiales, que nous avons tous prononcees plus
d'une fois dans notre vie:--_cet homme n'a pas de quoi manger;--cet
homme ne sait pas lire_;--que ces deux locutions, qui sont comme les
deux lueurs de la vieille misere eternelle, disparaissent du langage
humain!
Qu'enfin, comme le 24 Fevrier, la grande date future, la revolution
prochaine, fasse dans tous les sens des pas en avant, mais qu'elle ne
fasse point un pas en arriere! qu'elle ne se croise pas les bras avant
d'avoir fini! que son dernier mot soit: suffrage universel, bien-etre
universel, paix universelle, lumiere universelle!
Quand on nous demande: qu'entendez-vous par Republique Universelle?
nous entendons cela. Qui en veut? (_Cri unanime_:--Tout le monde!)
Et maintenant, amis, cette date que j'appelle, cette date qui, reunie
au grand 24 Fevrier 1848 et a l'immense 22 septembre 1792, sera comme
le triangle de feu de la revolution, cette troisieme date, cette date
supreme, quand viendra-t-elle? quelle annee, quel mois, quel jour
illustrera-t-elle? de quels chiffres se composera-t-elle dans la serie
tenebreuse des nombres? sont-ils loin ou pres de nous, ces chiffres
encore obscurs et destines a une si prodigieuse lumiere? Citoyens,
deja, des a present, a l'heure ou je parle, ils sont ecrits sur une
page du livre de l'avenir, mais cette page-la, le doigt de Dieu ne
l'a pas encore tournee. Nous ne savons rien, nous meditons, nous
attendons; tout ce que nous pouvons dire et repeter, c'est qu'il
nous semble que la date liberatrice approche. On ne distingue pas le
chiffre, mais on voit le rayonnement.
Proscrits! levons nos fronts pour que ce rayonnement les eclaire!
Levons nos fronts, pour que, si les peuples demandent:--Qu'est-ce
donc qui blanchit de la sorte le haut du visage de ces hommes?--on
puisse repondre:--C'est la clarte de la revolution qui vient!
Levons nos fronts, proscrits, et, comme nous l'avons fait si souvent
dans notre confiance religieuse, saluons l'avenir!
L'avenir a plusieurs noms.
Pour les faibles, il se nomme l'impossible; pour les timides, il se
nomme l'inconnu; pour les penseurs et pour les vaillants, il se nomme
l'ideal.
L'impossible!
L'inconnu!
Quoi! plus de misere pour l'homme, plus de prostitution pour la femme,
plus d'ignorance pour l'enfant, ce serait l'impossible!
Quoi! les Etats-Unis d'Europe, libres et maitres chacun chez eux, mus
et relies par une assemblee centrale, et communiant a travers les mers
avec les Etats-Unis d'Amerique, ce serait l'inconnu!
Quoi! ce qu'a voulu Jesus-Christ, c'est l'impossible!
Quoi! ce qu'a fait Washington, c'est l'inconnu!
Mais on nous dit:--Et la transition! et les douleurs de l'enfantement!
et la tempete du passage du vieux monde au monde nouveau! un continent
qui se transforme! l'avatar d'un continent! Vous figurez-vous cette
chose redoutable? la resistance desesperee des trones, la colere des
castes, la furie des armees, le roi defendant sa liste civile, le
pretre defendant sa prebende, le juge defendant sa paie, l'usurier
defendant son bordereau, l'exploiteur defendant son privilege, quelles
ligues! quelles luttes! quels ouragans! quelles batailles! quels
obstacles! Preparez vos yeux a repandre des larmes; preparez vos
veines a verser du sang! arretez-vous! reculez! ...--Silence aux
faibles et aux timides! l'impossible, cette barre de fer rouge, nous y
mordrons; l'inconnu, ces tenebres, nous nous y plongerons; et nous te
conquerrons, ideal!
Vive la revolution future!


IV
APPEL AUX CONCITOYENS
14 juin 1854.

Il devient urgent d'elever la voix et d'avertir les coeurs fideles et
genereux. Que ceux qui sont dans le pays se souviennent de ceux qui
sont hors du pays. Nous, les combattants de la proscription, nous
sommes entoures de detresses heroiques et inouies. Le paysan souffre
loin de son champ, l'ouvrier souffre loin de son atelier; pas de
travail, pas de vetements, pas de souliers, pas de pain; et au milieu
de tout cela des femmes et des enfants; voila ou en sont une foule
de proscrits. Nos compagnons ne se plaignent pas, mais nous nous
plaignons pour eux. Les despotes, M. Bonaparte en tete, ont fait ce
qu'il faut, la calomnie, la police et l'intimidation aidant, pour
empecher les secours d'arriver a ces inebranlables confesseurs de la
democratie et de la liberte. En les affamant, on espere les dompter.
Reve. Ils tomberont a leur poste.
En attendant, le temps se passe, les situations s'aggravent, et ce
qui n'etait que de la misere devient de l'agonie. Le denument, la
nostalgie et la faim deciment l'exil. Plusieurs sont morts deja. Les
autres doivent-ils mourir?
Concitoyens de la republique universelle, secourir l'homme qui
souffre, c'est le devoir; secourir l'homme qui souffre pour
l'humanite, c'est plus que le devoir.
Vous tous qui etes restes dans vos patries et qui avez du moins ces
deux choses qui font vivre, le pain et l'air natal, tournez vos yeux
vers cette famille de l'exil qui lutte pour tous et qui ebauche dans
les douleurs et dans l'epreuve la grande famille des peuples.
Que chacun donne ce qu'il pourra. Nous appelons nos freres au secours
de nos freres.


V
SUR LA TOMBE DE FELIX BONY
21 septembre 1854.

Citoyens,
Encore un condamne a mort par l'exil qui vient de subir sa peine!
Encore un qui meurt tout jeune, comme Helin, comme Bousquet, comme
Louise Julien, comme Gaffney, comme Izdebski, comme Cauvet! Felix
Bony, qui est dans cette biere, avait vingt-neuf ans.
Et, chose poignante! les enfants tombent aussi! Avant d'arriver a
cette sepulture, tout a l'heure, nous nous sommes arretes devant une
autre fosse, fraichement ouverte comme celle-ci, ou nous avons depose
le fils de notre compagnon d'exil Eugene Beauvais, pauvre enfant mort
des douleurs de sa mere, et mort, helas! presque avant d'avoir vecu!
Ainsi, dans la douloureuse etape que nous faisons, le jeune homme et
l'enfant roulent pele-mele sous nos pieds dans l'ombre.
Felix Bony avait ete soldat; il avait subi cette monstrueuse loi du
sang qu'on appelle conscription et qui arrache l'homme a la charrue,
pour le donner au glaive.
Il avait ete ouvrier; et, chomage, maladie, travail au rabais,
exploitation, marchandage, parasitisme, misere, il avait traverse les
sept cercles de l'enfer du proletaire. Comme vous le voyez, cet homme,
si jeune encore, avait ete eprouve de tous les cotes, et l'infortune
l'avait trouve solide.
Depuis le 2 decembre, il etait proscrit.
Pourquoi? pour quel crime?
Son crime, c'etait le mien a moi qui vous parle, c'etait le votre
a vous qui m'ecoutez. Il etait republicain dans une republique; il
croyait que celui qui a prete un serment doit le tenir, que, parce
qu'on est ou qu'on se croit prince, on n'est pas dispense d'etre
honnete homme, que les soldats doivent obeir aux constitutions,
que les magistrats doivent respecter les lois; il avait ces idees
etranges, et il s'est leve pour les soutenir; il a pris les armes,
comme nous l'avons tous fait, pour defendre les lois; il a fait de sa
poitrine le bouclier de la constitution; il a accompli son devoir, en
un mot. C'est pour cela qu'il a ete frappe; c'est pour cela qu'il a
ete banni; c'est pour cela qu'il a ete "condamne", comme parlent
les juges infames qui rendent la justice au nom de l'accuse Louis
Bonaparte.
Il est mort; mort de nostalgie comme les autres qui l'ont precede
ici; mort d'epuisement, mort loin de sa ville natale, mort loin de
sa vieille mere, mort loin de son petit enfant. Il a agonise, car
l'agonie commence avec l'exil, il a agonise trois ans; il n'a pas
flechi une heure. Vous l'avez tous connu, vous vous en souvenez! Ah!
c'etait un vaillant et ferme coeur!
Qu'il repose dans cette paix severe! et qu'il trouve du moins dans le
sepulcre la realisation sereine de ce qui fut son ideal pendant la
vie. La mort, c'est la grande fraternite.
O proscrits, puisque c'est vrai que cet ami est mort, et que voila
encore un des notres qui s'evanouit dans le cercueil, faisons l'appel
dans nos rangs; serrons-nous devant la mort comme les soldats devant
la mitraille; c'est le moment de pleurer et c'est le moment de
sourire; c'est ici la paque supreme. Retrempons notre conscience
republicaine, retrempons notre foi en Dieu et au progres dans ces
tenebres ou nous descendrons tous peut-etre l'un apres l'autre avant
d'avoir revu la chere terre de la patrie; asseyons-nous, cote a cote
avec nos morts, a cette sainte cene de l'honneur, du devouement et du
sacrifice; faisons la communion de la tombe.
Donc l'air de la proscription tue. On meurt ici, on meurt souvent, on
meurt sans cesse. Le proscrit lutte, resiste, tient tete, s'assied au
bord de la mer et regarde du cote de la France, et meurt. Les autres
apres lui continuent le combat; seulement la breche de l'exil commence
a s'encombrer de cadavres.
Tout est bien. Et ceci (_montrant la fosse_) rachete cela (_l'orateur
etend le bras du cote de la France_). Pendant que tant d'hommes qui
auraient la force s'ils voulaient acceptent la servitude, et, le bat
sur le cou, subissent le triomphe du guet-apens, lache triomphe et
lache soumission, pendant que les foules s'en vont dans la honte, les
proscrits s'en vont dans la tombe.--Tout est bien.
O mes amis, quelle profonde douleur!
Ah! que du moins, en attendant le jour ou ils se leveront, en
attendant le jour ou ils auront pudeur, en attendant le jour ou ils
auront horreur, les peuples maintenant a terre, les uns garrottes, les
autres abrutis, ce qui est pire, les autres prosternes, ce qui est
pire encore, regardent passer, le front haut dans les tenebres, et
s'enfoncer en silence dans le desert de l'exil cette fiere colonne de
proscrits qui marche vers l'avenir, ayant en tete des cercueils!
L'avenir. Ce mot m'est venu. Savez-vous pourquoi? C'est qu'il sort
naturellement de la pensee dans le lieu mysterieux ou nous sommes;
c'est que c'est un bon endroit pour regarder l'avenir que le bord des
fosses. De cette hauteur on voit loin dans la profondeur divine et
loin dans l'horizon humain. Aujourd'hui que la Liberte, la Verite et
la Justice ont les mains liees derriere le dos et sont battues de
verges et sont fouettees en place publique, la Liberte par les
soldats, la Verite par les pretres, la Justice par les juges;
aujourd'hui que l'Idee venue de Dieu est suppliciee, Dieu est sur
l'horizon humain, Dieu est sur la place publique ou on le fouette, et
l'on peut dire, oui, l'on peut dire qu'il souffre et qu'il saigne avec
nous. On a donc le droit de sonder la plaie humaine dans ce lieu des
choses eternelles. D'ailleurs on n'importune pas la tombe, et surtout
la tombe des martyrs, en parlant d'esperance. Eh bien! je vous le
dis, et c'est surtout du haut de ce talus funebre qu'on le voit
distinctement, esperez! Il y a partout des lueurs dans la nuit, lueur
en Espagne, lueur en Italie, en Orient clarte; incendie, disent les
myopes de la politique, et moi je dis, aurore!
Cette clarte de l'orient, si faible encore, c'est la l'inconnu, c'est
la le mystere. Proscrits, ne la quittez pas des yeux un seul instant.
C'est la que va se lever l'avenir.
Laissez-moi, avec la gravite qui sied en presence de l'auditeur
funebre qui est la (_l'orateur montre le cercueil_), laissez-moi vous
parler des evenements qui s'accomplissent et des evenements qui se
preparent, librement, a coeur ouvert, comme il convient a ceux
qui sont surs de l'avenir, etant surs du droit. On nous dit
quelquefois:--Prenez garde. Vos paroles sont trop hardies. Vous
manquez de prudence.--Est-ce qu'il est question de prudence
aujourd'hui? il est question de courage. Aux heures de lutte a corps
perdu, gloire a ceux qui ont des paroles sans precautions et des
sabres sans fourreau!
D'ailleurs les rois sont entraines. Soyez tranquilles.
Il y a deux faits dans la situation presente; une alliance et une
guerre.
Que nous veulent ces deux faits?
L'alliance? J'en conviens, nous regardons pour l'instant sans
enthousiasme cette apparente intimite entre Fontenoy et Waterloo d'ou
il semble qu'il soit sorti une espece d'Anglo-France; nous laissons,
temoins froids et muets de ce spectacle, le choeur banal qui suit tous
les corteges et qui se groupe a la porte de tous les succes, chanter,
des deux cotes de la Manche, en se renvoyant les strophes de Paris
a Londres, cette alliance admirable grace a laquelle se promenent
aujourd'hui au soleil le chasseur de Vincennes bras dessus bras
dessous avec le rifle-guard, le marin francais bras dessus bras
dessous avec le marin anglais, la capote bleue bras dessus bras
dessous avec l'habit rouge, et sans doute aussi, dans le sepulcre,
Napoleon bras dessus bras dessous avec Hudson Lowe.
Nous sommes calmes devant cela. Mais qu'on ne se meprenne pas
sur notre pensee. Nous, hommes de France, nous aimons les hommes
d'Angleterre; les lignes jaunes ou vertes dont on barbouille
les mappe-mondes n'existent pas pour nous; nous republicains-
democrates-socialistes, nous repudions en meme temps que
les clotures de caste a caste ces prejuges de peuple a peuple sortis
des plus miserables tenebres du vieil aveuglement humain; nous
honorons en particulier cette noble et libre nation anglaise qui fait
dans le labeur commun de la civilisation un si magnifique travail;
nous savons ce que vaut ce grand peuple qui a eu Shakespeare, Cromwell
et Newton; nous sommes cordialement assis a son foyer, sans lui rien
devoir, car c'est notre presence qui fait son honneur; entait de
concorde, puisque c'est la la question, nous allons bien au dela de
tout ce que revent les diplomaties, nous ne voulons pas seulement
l'alliance de la France avec l'Angleterre; nous voulons l'alliance de
l'Europe avec elle-meme, et de l'Europe avec l'Amerique, et du monde
avec le monde! nous sommes les ennemis de la guerre; nous sommes les
souffre-douleurs de la fraternite; nous sommes les agitateurs de la
lumiere et de la vie; nous combattons la mort qui batit les echafauds
et la nuit qui trace les frontieres; pour nous il n'y a des a present
qu'un peuple comme il n'y aura dans l'avenir qu'un homme; nous voulons
l'harmonie universelle dans le rayonnement universel; et nous tous
qui sommes ici, tous! nous donnerions notre sang avec joie pour
avancer d'une heure le jour ou sera donne le sublime baiser de paix
des nations!
Donc que les amis de l'alliance anglo-francaise ne prennent pas le
change sur mes paroles. Plus que qui que ce soit, j'y insiste, nous
republicains, nous voulons ces alliances; car, je le repete, l'union
parmi les peuples, et, plus encore, l'unite dans l'humanite, c'est
la notre symbole. Mais ces unions, nous les voulons pures, intimes,
profondes, fecondes; morales pour qu'elles soient reelles, honnetes
pour qu'elles soient durables; nous les voulons fondees sur les
interets sans nul doute, mais fondees plus encore sur toutes les
fraternites du progres et de la liberte; nous voulons qu'elles soient
en quelque sorte la resultante d'une majestueuse marche amicale
dans la lumiere; nous les voulons sans humiliation d'un cote, sans
abdication de l'autre, sans arriere-pensees pour l'avenir, sans
spectres dans le passe; nous trouvons que le mepris entre les
gouvernements, meme dissimule, est un mauvais ingredient pour cimenter
l'estime entre les nations; en un mot, nous voulons sur les frontons
radieux de ces alliances de peuple a peuple des statues de marbre et
non des hommes de fange.
Nous voulons des federations signees Washington et non des platrages
signes Bonaparte.
Les alliances comme celles que nous voyons en ce moment, nous les
croyons mauvaises pour les deux parties, pour les deux peuples que
nous admirons et que nous aimons, pour les deux gouvernements dont
nous prenons moins de souci. Sait-on bien ce qu'on veut ici, et
sait-on bien ce qu'on fera la? Nous disons qu'au fond, des deux cotes,
on se defie quelque peu, et qu'on n'a pas tort; nous disons a ceux-ci
qu'il y a toujours du cote d'un marchand l'affaire commerciale, et
nous disons a ceux-la qu'il y a toujours du cote d'un traitre la
trahison.
Comprend-on maintenant?
Autant l'alliance baclee nous laisse froids, autant la guerre pendante
nous emeut. Oui, nous considerons avec un inexprimable melange
d'esperance et d'angoisse cette derniere aventure des monarchies, ce
coup de tete pour une clef qui a deja coute des millions d'or et des
milliers d'hommes. Guerre d'intrigues plus encore que de melees, ou
les turcs sont de plus en plus heroiques, ou le Deux-Decembre est de
plus en plus lache, ou l'Autriche est de plus en plus russe; guerre
meurtriere sans coups de canon, ou nos vaillants soldats, fils de
l'atelier et de la chaumiere, meurent miserablement, helas! sans
meme qu'il sorte de leurs pauvres cadavres la funebre aureole des
batailles; guerre ou il n'y a pas encore eu d'autre vainqueur que la
peste, ou le typhus seul a pu publier des bulletins, et ou il n'y a
eu jusqu'ici d'Austerlitz que pour le cholera; guerre tenebreuse,
obscure, inquiete, reculante, fatale; guerre mysterieuse que ceux-la
memes qui la font ne comprennent pas, tant elle est pleine de la
providence; redoutable enigme aveuglement posee par les rois, et dont
la Revolution seule sait le mot!
A l'heure ou nous sommes, a l'instant precis ou je parle, en ce moment
meme, citoyens, la peripetie de cette sombre lutte s'accomplit;
l'avortement de la Baltique semble avoir eu son contre-coup de honte
dans la mer Noire, et comme, apres tout, de tels peuples que la
France et l'Angleterre ne peuvent pas etre indefiniment et impunement
humilies dans leurs armees, le denoument se risque, la tentative se
fait. Citoyens, cette guerre, qui a garde son secret devant Cronstadt,
se demasquera-t-elle devant Sebastopol? a qui sera la chute? a qui
sera le _Te Deum_? personne ne le sait encore. Mais quoi qu'il
arrive, proscrits, quel que soit l'evenement, c'est le despotisme qui
s'ecroule, soit sur Nicolas, soit sur Bonaparte. C'est, je repete mes
paroles d'il y a un an, c'est le supplice de l'Europe qui finit. Le
coup qui se frappe dans cette minute meme jettera bas necessairement
dans un temps donne ou l'empereur de la Siberie, ou l'empereur de
Cayenne; c'est-a-dire tous les deux; car l'un de ces deux poteaux de
l'echafaud des peuples ne peut pas tomber sans entrainer l'autre.
Cependant que font les deux despotes? Ils sourient dans le calme
imbecile de la miserable omnipotence humaine; ils sourient a l'avenir
terrible! ils s'endorment dans la plenitude difforme et hideuse de
leur absolutisme satisfait; ils n'ont meme pas la fantaisie des
tristes gloires personnelles de la guerre, si faciles aux princes; ils
n'ont pas meme souci des souffrances de ces douloureuses multitudes
qu'ils appellent leurs armees. Pendant que, pour eux et par eux, des
milliers d'hommes agonisent dans les ambulances sur les grabats du
cholera, pendant que Varna est en flammes, pendant qu'Odessa fume sous
le canon, pendant que Kola brule au nord et Sulina au midi, pendant
qu'on ecrase de boulets et de bombes Silistrie, pendant que les
sauvageries de Bomarsund repliquent aux ferocites de Sinope, tandis
que les tours sautent, tandis que les vaisseaux flamboient et
s'abiment, tandis que les "magasins de cadavres" des hopitaux russes
regorgent, pendant les marches forcees de la Dobrudscha, pendant les
desastres de Kustendji, pendant que des regiments entiers fondent et
s'evanouissent dans le lugubre bivouac de Karvalik, que font les deux
czars? L'un prend le frais a son palais d'ete; l'autre prend les bains
de mer a Biarritz.
Troublons ces joies.
O peuples, au-dessus des combinaisons, des intrigues et des ententes,
au-dessus des diplomaties, au-dessus des guerres, au-dessus de toutes
les questions, question turque, question grecque, question russe,
au-dessus de tout ce que les monarchies font ou revent, planent les
crimes.
Ne laissons pas prescrire la protestation vengeresse; ne nous laissons
pas distraire du but formidable. C'est toujours l'heure de dire: Neron
est la! On pretend que les generations oublient. Eh bien! pour la
saintete meme du droit, pour l'honneur meme de la conscience humaine,
les victimes nous le demandent, les martyrs nous le crient du fond
de leurs tombeaux, ravivons les souvenirs, et faisons de toutes les
memoires des ulceres.
O peuples, le lugubre et menacant acte d'accusation, non! ne nous
lassons jamais de le redire! En ce moment les autocrates et les tyrans
du continent triomphent; ils ont mitraille a Palerme, mitraille a
Brescia, mitraille a Berlin, mitraille a Vienne, mitraille a Paris;
ils ont fusille a Ancone, fusille a Bologne, fusille a Rome, fusille a
Arad, fusille a Vincennes, fusille au Champ de Mars; ils ont dresse
le gibet a Pesth, le garrot a Milan, la guillotine a Belley; ils ont
expedie les pontons, encombre les cachots, peuple les casemates,
ouvert les oubliettes; ils ont donne au desert la fonction de bagne;
ils ont appele a leur aide Tobolsk et ses neiges, Lambessa et ses
fievres, l'ilot de la Mere et son typhus; ils ont confisque, ruine,
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