Acté - 13

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qui, malgré le temps affreux qu'il faisait, venaient joyeusement à Rome.
Ils étaient parés de leurs habits de fête et avaient sur la tête des
bonnets d'affranchis, pour indiquer que de ce jour le peuple était
libre. L'homme voilé voulut quitter le pavé et prendre à travers terre;
son compagnon saisit son cheval par la bride, et le força de continuer
sa route. Lorsqu'ils arrivèrent près des paysans, un d'eux leva son
bâton pour leur faire signe d'arrêter; les cavaliers obéirent.
--Vous venez de Rome? dit le paysan.
--Oui, répondit le compagnon de l'homme voilé.
--Que disait-on d'Oenobarbus?
L'homme voilé tressaillit.
--Qu'il s'était sauvé, répondit un des cavaliers.
--Et de quel côté?
--Du côté de Naples: il a été vu, dit-on, sur la voie Appienne.
--Merci, dirent les paysans; et ils continuèrent leur route vers Rome,
en criant: «Vive Galba! et mort à Néron!»
Ces cris en éveillèrent d'autres dans la plaine, et, des deux côtés du
camp, les voix des prétoriens se firent entendre, chargeant César
d'affreuses imprécations.
La petite cavalcade continua son chemin; un quart de lieue plus loin
elle rencontra une troupe de soldats.
--Qui êtes-vous? dit un des hastati, en barrant le chemin avec sa lance.
--Des partisans de Galba, qui cherchent Néron, répondit un des
cavaliers.
--Alors, meilleure chance que nous, dit le décurion, car nous l'avons
manqué.
--Comment cela?
--Oui, l'on nous avait dit qu'il devait passer sur cette route, et,
voyant un homme qui courait au galop, nous avons cru que c'était lui.
--Et?...dit d'une voix tremblante l'homme voilé.
--Et nous l'avons tué, répondit le décurion; ce n'est qu'en regardant le
cadavre que nous nous sommes aperçus que nous nous étions trompés. Soyez
plus heureux que nous, et que Jupiter vous protège!
L'homme voilé voulut de nouveau remettre son cheval au galop, mais ses
compagnons l'arrêtèrent. Il continua donc de suivre la route; mais au
bout de cinq cents pas à peu près son cheval butta contre un cadavre, et
fit un écart si violent que le voile qui lui couvrait le visage
s'écarta. En ce moment passait un soldat prétorien qui revenait en
congé.
--Salut, César! dit le soldat. Il avait reconnu Néron à la lueur d'un
éclair.
En effet, c'était Néron lui-même, qui venait de se heurter au cadavre de
celui qu'on avait pris pour lui; Néron, pour qui à cette heure tout
était un motif d'épouvante, jusqu'à cette marque de respect que lui
donnait un vétéran; Néron, qui, tombé du faite de la puissance, par un
de ces retours de fortune inouïs dont l'histoire de cette époque offre
plusieurs exemples, se voyait à son tour fugitif et proscrit, fuyant la
mort qu'il n'avait le courage ni de se donner, ni de recevoir.
Jetons maintenant les yeux en arrière, et voyons par quelle suite
d'événements le maître du monde avait été réduit à cette extrémité.
En même temps que l'empereur entrait au cirque, où il était salué par
les cris de Vive Néron l'Olympique! vive Néron Hercule! vive Néron
Apollon! vive Auguste, vainqueur de tous ses rivaux! gloire à cette voix
divine! heureux ceux à qui il a été donné d'entendre ses accents
célestes! un courrier venant des Gaules franchissait au galop de son
cheval ruisselant de sueur la porte Flaminienne, traversait le
Champ-de-Mars, passait sous l'arc de Claude, longeait le Capitole,
entrait au cirque, et remettait à la garde qui veillait à la loge de
l'empereur les lettres qu'il apportait de si loin et en si grande hâte.
Ce sont ces lettres qui, comme nous l'avons dit, avaient forcé César de
quitter le cirque; et, en effet, elles étaient d'une importance qui
expliquait la disparition subite de César.
Elles annonçaient la révolte des Gaules.
Il y a des époques dans l'histoire du monde où l'on voit un empire qui
semblait endormi d'un sommeil de mort, tressaillir tout à coup comme si,
pour la première fois, le génie de la liberté descendait du ciel pour
illuminer ses songes; alors, quelle que soit son étendue, la commotion
électrique qui l'a fait frissonner s'étend du nord au midi, de l'orient
à l'occident, et court à des distances inouïes réveiller des peuples qui
n'ont aucune communication entre eux, mais qui, tous arrivés au même
degré de servitude, éprouvent le même besoin d'affranchissement: alors,
comme si quelque éclair leur avait porté le mot d'ordre de la tempête,
on entend les mêmes cris venir de vingt points opposés; tous demandant
la même chose dans des langues différentes, c'est-à-dire que ce qui est
ne soit plus. L'avenir sera-t-il meilleur que le présent? Nul ne le
sait, et peu importe, mais le présent est si lourd, qu'il faut d'abord
s'en débarrasser, puis l'on transigera avec l'avenir.
L'empire romain, jusqu'à ses limites les plus reculées, en était arrivé
à cette période. Dans la Germanie inférieure, Fonteïus Capiton; dans les
Gaules, Vindex; en Espagne, Galba; en Lusitanie, Othon; en Afrique,
Claudius Macer, et en Syrie, Vespasien, formaient avec leurs légions un
demi-cercle menaçant, qui n'attendait qu'un signe pour se resserrer sur
la capitale. Seul, Virginius, dans la Germanie supérieure, était décidé,
quelque chose qui arrivât, à rester fidèle, non pas à Néron, mais à la
patrie: il ne fallait donc qu'une étincelle pour allumer un incendie. Ce
fut Julius Vindex qui la fit jaillir.
Ce préteur, originaire d'Aquitaine, issu de race royale, homme de coeur
et de tête, comprit que l'heure où la famille des Césars devait
s'éteindre était arrivée. Sans ambition pour lui-même, il jette les yeux
autour de lui, afin de trouver l'homme élu d'avance par la sympathie
générale. À sa droite, et de l'autre côté des Pyrénées, était Sulpicius
Galba, que ses victoires en Afrique et en Germanie avaient fait à la
fois puissant sur le peuple et sur l'armée. Sulpicius Galba haïssait
l'empereur, dont la crainte l'avait arraché de sa villa de Fondi pour
l'envoyer en Espagne comme exilé plutôt que comme préteur. Sulpicius
Galba était désigné d'avance et depuis longtemps par les traditions
populaires et par les oracles divins comme devant porter la couronne.
C'était l'homme qui convenait en tout point pour mettre à la tête d'une
révolte. Vindex lui envoya secrètement des lettres qui contenaient tout
le plan de l'entreprise, qui lui promettaient, à défaut du concours des
légions, l'appui de cent mille Gaulois, et qui le suppliaient, s'il ne
voulait pas concourir à la chute de Néron, de ne point se refuser du
moins à la dignité suprême qu'il n'avait point cherchée, mais qui venait
s'offrir à lui.
Quant à Galba, son caractère ombrageux et irrésolu ne se démentit point
en cette circonstance: il reçut les lettres, les brûla pour en détruire
jusqu'à la moindre trace, mais les conserva toutes entières dans sa
mémoire.
Vindex sentit que Galba voulait être poussé, il n'avait pas accepté
l'alliance, mais il n'avait pas trahi celui qui la lui offrait: le
silence était un consentement.
Le moment était favorable: deux fois par an les Gaulois se réunissaient
en assemblée générale, la séance se tenait à Clermont, Vindex entra dans
la chambre des délibérations.
Au milieu de la civilisation, du luxe et de la corruption romaine,
Vindex était resté le Gaulois des anciens jours; il joignait à la
résolution froide et arrêtée des gens du Nord, la parole hardie et
colorée des hommes du Midi.
--Vous délibérez sur les affaires de la Gaule, dit-il, vous cherchez
autour de vous la cause de nos maux: la cause est à Rome, le coupable,
c'est Oenobarbus; c'est lui qui les uns après les autres a anéanti tous
nos droits, qui a réduit nos plus riches provinces à la misère, qui a
vêtu nos plus nobles maisons de deuil; et le voilà maintenant, parce
qu'il est le dernier de sa race, parce que seul resté de la famille des
Césars, il ne craint ni rival ni vengeurs, le voilà qui lâche la bride à
ses fureurs comme il le fait à ses coursiers, et qu'il se laisse
emporter à ses passions, écrasant la tête de Rome et les membres des
provinces sous les roues de son char. Je l'ai vu, continua-t-il, oui, je
l'ai vu moi-même, cet athlète et ce chanteur impérial et couronné, ivre
à la fois et indigne de la gloire d'un gladiateur et d'un histrion.
Pourquoi donc le décorer des titres de César, de prince et d'Auguste, de
ces titres qu'avaient mérité le divin Auguste par ses vertus, le divin
Tibère par son génie, le divin Claude par ses bienfaits; lui, cet infâme
Oenobarbus, c'est Oedipe, c'est Oreste qu'il faut rappeler, puisqu'il se
fait gloire de porter les noms d'inceste et de parricide. Jadis nos
ancêtres, guidés par le seul besoin du changement et par l'appât du
gain, ont emporté Rome d'assaut.
Cette fois c'est un motif plus noble et plus digne qui nous guidera sur
la trace de nos ancêtres; cette fois, dans le plateau de la balance, au
lieu de l'épée de notre vieux Brenn, nous jetterons la liberté du monde,
et cette fois ce ne sera pas le malheur, mais la félicité que nous
apporterons aux vaincus.
Vindex était brave, on savait que les paroles qui sortaient de sa bouche
n'étaient point de vaines paroles. Aussi, de grands cris, de vifs
applaudissements et de bruyantes acclamations accueillirent-ils son
discours; chaque chef de Gaulois tira son épée, jura sur elle d'être de
retour dans un mois, avec une suite proportionnée à sa fortune et à son
rang, et se retira dans sa ville. Cette fois le masque était arraché du
visage, et le fourreau jeté loin de l'épée. Vindex écrivit une seconde
fois à Galba.
Dès son arrivée en Espagne, Galba s'était fait une étude de la
popularité. Jamais il ne s'était prêté aux violences des procurateurs,
et, ne pouvant empêcher leurs exactions, il plaignait tout haut leurs
victimes. Jamais il ne disait de mal de Néron, mais il laissait
librement circuler des vers satyriques et des épigrammes outrageantes
contre l'empereur. Tout ce qui l'entourait avait deviné ses projets,
mais jamais il ne les avait confiés à personne. Le jour où il reçut le
message de Vindex, il donna un grand dîner à ses amis, et le soir, après
leur avoir annoncé la révolte des Gaules, il leur communiqua la dépêche,
sans l'accompagner d'aucun commentaire, les laissant libres par son
silence d'approuver ou de désapprouver l'offre qui lui était faite. Ses
amis restaient muets et irrésolus de cette lecture; mais l'un d'eux,
nommé T. Venius, plus déterminé que les autres, se tourna de son côté,
et, le regardant en face:
--Galba, lui dit-il, pourquoi délibérer pour chercher si nous serons
fidèles à Néron, c'est déjà lui être infidèles; il faut ou accepter
l'amitié de Vindex, comme si Néron était déjà notre ennemi, ou l'accuser
sur-le-champ, ou lui faire la guerre, et pourquoi? Parce qu'il veut que
les Romains vous aient pour empereur plutôt que Néron pour tyran.
--Nous nous rassemblerons si vous le voulez bien, répondit Galba, comme
s'il n'avait point entendu la question, le cinq du mois prochain, à
Carthage-la-Neuve, afin de donner la liberté à quelques esclaves.
Les amis de Galba acceptèrent le rendez-vous, et à tout hasard ils
répandirent le bruit que cette convocation avait pour but de décider des
destins de l'empire.
Au jour dit, tout ce que l'Espagne comptait d'illustre en étrangers et
en indigènes était rassemblé au rendez-vous: chacun y venait dans un
même but, animé d'un même désir, poursuivant une même vengeance. Galba
monta sur son tribunal, et aussitôt, d'un élan unanime, toutes les voix
le proclamèrent empereur.


Chapitre XVII

Voilà ce que contenaient les lettres que Néron avait reçues, et telles
étaient les nouvelles qu'il avait apprises; en même temps on lui dit que
des proclamations de Vindex ont été distribuées, et que quelques-unes
déjà sont parvenues à Rome; bientôt une de ces proclamations tombe entre
ses mains. Les titres d'incestueux, de parricide et de tyran, lui
étaient prodigués, et cependant ce n'est point tout cela qui l'irrite et
le blesse, il y est appelé Oenobarbus et traité de mauvais chanteur: ce
sont des outrages dont il faut que le sénat le venge, et il écrit au
sénat. Pour repousser le reproche d'inhabileté dans son art, venger le
nom de ses aïeux, il fait promettre un million de sesterces à celui qui
tuera Vindex, et retombe dans son insouciance et dans son apathie.
Pendant ce temps la révolte faisait des progrès en Espagne et dans les
Gaules; Galba s'était créé une garde de l'ordre équestre, et avait
établi une espèce de sénat. Quant à Vindex, à celui qui lui avait appris
que sa tête était à prix, il avait répondu qu'il la laisserait prendre à
celui qui lui apporterait celle de Néron.
Mais parmi tous ces généraux, tous ces préfets, tous ces préteurs,
dévots à la nouvelle fortune, un seul était resté fidèle, non par amour
de Néron, mais parce que, voyant dans Vindex un étranger, et que,
connaissant Galba pour un esprit faible et irrésolu, il craignit que
Rome, si malheureuse qu'elle fût, n'eût encore à souffrir du changement:
il marcha donc vers les Gaules avec ses légions, pour sauver à l'empire
la honte d'obéir à un de ses anciens vainqueurs.
Les chefs Gaulois avaient tenu leurs serments, commandant aux trois
peuples les plus illustres et les plus puissants de la Gaule, les
Séquanais, les Eduens et les Arverniens, ils s'étaient réunis autour de
Vindex: à leur tour les Viennois étaient venus les rejoindre, mais
ceux-là n'étaient pas unis comme les autres par l'amour de la patrie, ou
le désir de leur liberté: ils venaient par haine des Lyonnais, qui
étaient restés fidèles à Néron. Virginius, de son côté, avait autour de
lui les légions de Germanie, les auxiliaires belges et la cavalerie
batave; les deux armées s'avancèrent au devant l'une de l'autre. Et ce
dernier étant arrivé devant Besançon, qui tenait pour Galba, en forma le
siège; mais à peine les dispositions obsidionales étaient-elles prises,
qu'une autre armée apparut à l'horizon: c'était celle de Vindex.
Les Gaulois continuèrent de s'avancer vers les Romains qui les
attendaient, et, se trouvant bientôt à trois portées de trait de
ceux-ci, ils s'arrêtèrent pour faire leurs dispositions de bataille;
mais en ce moment un héraut sortit des rangs de Vindex, et marcha vers
Virginius: un quart-d'heure après, la garde des deux chefs s'avança
entre les deux armées, une tente fut dressée: chacun se rangea du côté
de son parti, Vindex et Virginius entrèrent dans cette tente.
Nul n'assista à cette entrevue, cependant l'avis des historiens est que
Vindex ayant développé sa politique à son ennemi, et lui ayant donné la
preuve qu'il agissait, non pas pour lui, mais pour Galba, Virginius, qui
vit dans cette révolution le bonheur de la patrie, se réunit à celui
qu'il était venu combattre: les deux chefs allaient donc se séparer,
mais pour se réunir bientôt et marcher de concert contre Rome, lorsque
de grands cris se firent entendre à l'aile droite de l'armée. Une
centurie étant sortie de Besançon pour communiquer avec les Gaulois, et
ces derniers ayant fait un mouvement pour la joindre, les soldats de
Virginius se crurent attaqués, et n'écoutant qu'un premier mouvement,
marchèrent eux-mêmes au devant d'eux: c'était là la cause des cris que
les deux chefs avaient entendus; ils se précipitèrent chacun de son
côté, suppliant leurs soldats de s'arrêter: mais leurs prières furent
couvertes par les clameurs que poussaient les Gaulois, en appuyant leurs
boucliers à leurs lèvres; leurs signes furent pris pour des gestes
d'encouragement: un de ces vertiges étranges qui prennent parfois une
armée, comme un homme, s'était emparé de toute cette multitude: et alors
on vit un spectacle atroce, les soldats sans ordre de chef, sans place
de bataille, poussés par un instinct de mort, soutenus par cette vieille
haine des vaincus contre les vainqueurs, et des peuples conquérants
contre les peuples conquis, se ruèrent l'un sur l'autre, se prirent
corps à corps, comme des lions et des tigres dans un cirque. En deux
heures de ce combat, les Gaulois avaient perdu vingt mille hommes, et
les légions germaines et bataves seize mille: c'était le temps physique
qu'il avait fallu pour tuer. Enfin les Gaulois reculèrent; mais la nuit
étant venue, les deux armées restèrent en présence: cependant cette
première défaite avait abattu le courage des rebelles; ils profitèrent
de la nuit pour se retirer: sur l'emplacement où les légions germaines
croyaient les retrouver le lendemain matin, il ne restait plus qu'une
tente, et sous cette tente le corps de Vindex, qui, désespéré que le
hasard eût fait perdre à la liberté de si hautes espérances, s'était
jeté sur son épée, qu'il croyait inutile, et s'était traversé le coeur.
Les premiers qui entrèrent sous sa tente frappèrent le cadavre, et
dirent qu'ils l'avaient tué; mais au moment de la distribution de la
récompense que Virginius leur avait accordée pour cette action, l'un
d'eux ayant eu à se plaindre du partage dénonça tout, et l'on sut la
vérité.
Vers le même temps, des événements non moins favorables à l'empereur se
passaient en Espagne; un des escadrons qui s'étaient révoltés, se
repentant d'avoir rompu le serment de fidélité, avait voulu abandonner
la cause de Galba, et n'était qu'à grand-peine rentré sous ses ordres,
de sorte que celui-ci, le jour même où Vindex s'était tué, avait manqué
d'être assassiné dans une rue étroite, en se rendant au bain, par des
esclaves que lui avait autrefois donnés un affranchi de Néron. Il était
donc encore tout ému du double danger lorsqu'il apprit la défaite des
Gaulois et la mort de Vindex: alors il crut tout perdu, et, au lieu de
s'en remettre à la fortune audacieuse, il écouta les conseils de son
caractère timide, et se retira à Clunie, ville fortifiée dont il
s'occupa aussitôt d'augmenter encore la défense: mais presque aussitôt
des présages auxquels il n'y avait point à se tromper vinrent rendre à
Galba le courage perdu. Au premier coup de pioche qu'il donna pour
tracer une nouvelle ligne autour de la ville, un soldat trouva un anneau
d'un travail antique et précieux, dont la pierre représentait une
victoire et un trophée. Ce premier retour du destin lui donna un sommeil
plus calme qu'il ne l'espérait, et pendant ce sommeil, il vit en songe
une petite statue de la Fortune, haute d'une coudée, et à laquelle il
rendait un culte particulier dans sa villa de Fondi, lui ayant voué un
sacrifice par mois et une veille annuelle. Elle sembla ouvrir sa porte,
et lui dit que, fatiguée d'attendre au seuil, elle suivrait enfin un
autre, s'il ne se pressait de la recevoir. Puis, comme il se leva
ébranlé par ces deux augures, on lui annonça qu'un vaisseau chargé
d'armes, sans passagers, matelots ni pilotes, venait d'aborder à
Dertosa, ville située sur l'Èbre, dès lors il considéra sa cause comme
juste et gagnée, car il était visible qu'elle plaisait aux dieux.
Quant à Néron, il avait d'abord regardé ces nouvelles comme de peu
d'importance, et s'en était même réjoui, car il voyait sous le prétexte
du droit de guerre un moyen de lever un nouvel impôt: il s'était donc
contenté comme nous l'avons dit d'envoyer au sénat les proclamations de
Vindex, en demandant justice de l'homme qui le traitait de mauvais
joueur de cythare. Puis il avait pour le soir convoqué chez lui les
principaux citoyens. Ceux-ci s'étaient empressés de s'y rendre, pensant
que cette réunion avait pour but de tenir conseil; mais Néron se
contenta de leur montrer un à un, et en discourant sur l'emploi et le
mérite de chaque pièce, des instruments de musique hydraulique d'une
nouvelle espèce, et tout ce qu'il dit de la révolte gauloise fut qu'il
ferait porter tous ces instruments au théâtre, si Vindex ne l'en
empêchait.
Le lendemain, de nouvelles lettres étant arrivées, qui annonçaient que
le nombre des Gaulois révoltés s'élevait à cent mille, Néron pensa qu'il
fallait enfin faire quelques préparatifs de guerre. Alors il les
commanda étranges et insensés. Il fit amener des voitures au théâtre et
au palais, les fit charger d'instruments de musique au lieu
d'instruments de guerre, cita les tribus urbaines pour recevoir les
serments militaires; mais, voyant qu'aucun de ceux en état de porter les
armes ne répondait, il exigea des maîtres un certain nombre d'esclaves,
et alla lui-même dans les maisons choisir les plus forts et les plus
robustes, prenant jusqu'aux économes et aux secrétaires: enfin il
rassembla quatre cents courtisanes, auxquelles il fit couper les
cheveux; il les arma de la hache et du bouclier des amazones, et les
destina à remplacer près de lui la garde césarienne. Puis, sortant de la
salle à manger, après son dîner, appuyé sur les épaules de Sporus et de
Phaon, il dit à ceux qui attendaient pour le voir, et qui paraissaient
inquiets, qu'ils se rassurassent, attendu que dès qu'il aurait touché le
sol de la province, et se serait montré sans armes aux yeux des Gaulois,
il n'aurait besoin que de verser quelques larmes, qu'aussitôt les
séditieux se repentiraient, et que dès le lendemain on le verrait joyeux
parmi les joyeux entonner une hymne de victoire, qu'il allait composer
sur le champ.
Quelques jours après, un nouveau courrier arriva des Gaules: celui-ci au
moins apportait des nouvelles favorables: c'était la rencontre des
légions romaines et des Gaulois, la défaite des rebelles et la mort de
Vindex. Néron jeta de grands cris de joie, courant comme un fou dans les
appartements et dans les jardins de la maison dorée, ordonnant des fêtes
et des réjouissances, annonçant qu'il chanterait le soir au théâtre, et
faisant inviter les principaux de la ville à un grand souper pour le
lendemain.
Effectivement, le soir Néron se rendit au Gymnase, mais une étrange
fermentation régnait dans Rome: en passant levant l'une de ses statues,
il vit qu'on l'avait couverte l'un sac. Or, c'était dans un sac que l'on
enfermait les parricides, puis on les jetait dans le Tibre avec un
singe, un chat et une vipère. Un peu plus loin une colonne portait ces
mots écrits sur sa base: Néron a tant chanté, qu'il a réveillé les coqs.
Un riche patricien propriétaire qui se trouvait sur la route de
l'empereur, se disputait ou feignait de se disputer si haut avec ses
esclaves, que Néron s'informa de ce qui se passait; on vint alors lui
dire que les esclaves de cet homme méritant une correction, il réclamait
un Vindex.
Le spectacle commença par une atellane où jouait l'acteur Eatus; le rôle
dont il était chargé commençait par ces mots: Salut à mon père, salut à
ma mère. Au moment de les prononcer, il se tourna vers Néron, et imita,
en disant salut à mon père, l'action de boire, et en disant salut à ma
mère, l'action de nager. Cette sortie fut accueillie par d'unanimes
applaudissements, car chacun y avait reconnu une allusion à la mort de
Claude et à celle d'Agrippine; quant à Néron, il se mit à rire et
applaudit comme les autres, soit qu'il fût insensible à toute espèce de
honte, soit de crainte que la vue de sa colère n'excitât davantage la
raillerie, ou n'indisposât le public contre lui-même.
Lorsque son tour fut arrivé, il quitta sa loge et entra sur le théâtre;
pendant le temps qu'il s'habillait pour paraître, une étrange nouvelle
se répandit dans la salle et circula parmi les spectateurs. Les lauriers
de Livie étaient séchés, et toutes les poules étaient mortes. Voici
comment ces lauriers avaient été plantés et comment les poules étaient
devenues sacrées:
Dans le temps où Livie Drusille, qui par son mariage avec Octave reçut
le nom d'Augusta, était promise à César, un jour qu'elle était assise
dans sa villa de Veies, un aigle du haut des airs laissa tomber sur ses
genoux une poule blanche, qui non seulement était sans blessure, mais ne
paraissait même pas effrayée. Livie, étonnée, regardait et caressait
l'oiseau, lorsqu'elle s'aperçut que la poule tenait au bec une branche
de laurier. Alors elle consulta les aruspices, qui ordonnèrent de
planter le laurier pour en obtenir des rejetons, et de nourrir la poule
pour en avoir de la race. Livie obéit. Une maison de plaisance des
Césars, située sur la voie Flaminia, près du Tibre, à neuf milles de
Rome, fut choisie pour cette expérience, qui réussit au-delà de tout
espoir. Il naquit une si grande quantité de poussins, que la terre prit
le nom d'ad Gallinas, et il poussa de si nombreux rejetons que le
laurier fut bientôt le centre d'une forêt. Or, la forêt était desséchée
jusqu'à ses racines, et tous les poussins étaient morts jusqu'au
dernier.
Alors l'empereur parut sur le théâtre, mais il eut beau s'avancer
humblement vers l'orchestre selon son habitude, et adresser une
respectueuse allocution aux spectateurs, en leur disant qu'il ferait
tout ce qu'il pourrait faire, mais que l'événement dépendait de la
fortune, pas un applaudissement ne se fit entendre pour le soutenir. Il
n'en commença pas moins, mais intimidé et tremblant. Tout son rôle fut
écouté au milieu du silence et sans un seul encouragement; puis, arrivé
à ce vers:
--Ma femme, ma mère et mon père demandent ma mort!
Pour la première fois les applaudissements et les cris éclatèrent; mais
cette fois il n'y avait pas à se tromper à leur expression. Néron en
comprit le vrai sens, et quitta rapidement le théâtre; mais en
descendant l'escalier ses pieds s'embarrassèrent dans sa robe trop
longue, de sorte qu'il tomba et se blessa au visage: on le ramassa
évanoui.
Rentré au palatin et revenu à lui, il s'enferma dans son cabinet, plein
de terreur et de colère. Alors il tira ses tablettes, et y traça des
projets étranges qui n'avaient besoin que d'une signature pour devenir
des ordres mortels. Ces projets étaient d'abandonner les Gaules au
pillage des armées, d'empoisonner tout le sénat en l'invitant à un
festin, de brûler la ville, et de lâcher en même temps toutes les bêtes
féroces, afin que ce peuple ingrat qui ne l'avait applaudi que pour lui
présager sa mort ne pût pas se défendre des ravages du feu; puis,
rassuré sur sa puissance par la conviction du mal qu'il pouvait faire
encore, il se jeta sur son lit, et comme les dieux voulaient lui envoyer
de nouveaux présages, ils permirent qu'il s'endormît.
Alors, lui qui ne rêvait jamais rêva qu'il était perdu pendant une
tempête sur une mer furieuse, et qu'on lui arrachait des mains le
gouvernail du navire qu'il dirigeait; puis, par une de ce ces
transitions incohérentes, il se trouva tout à coup près du théâtre de
Pompée, et les quatorze statues exécutées par Coponius et représentant
les nations descendirent de leurs bases, et, tandis que celle qui se
trouvait devant lui barrait le passage, les autres formaient un cercle
et se rapprochaient graduellement jusqu'à ce qu'il se trouvât enfermé
entre leurs bras de marbre. À grand peine il avait échappé à ces
fantômes de pierre, et courait, pâle, haletant et sans voix, dans le
Champ-de-Mars, lorsqu'en passant devant le mausolée d'Auguste, les
portes du tombeau s'ouvrirent d'elles-mêmes, et une voix en sortit qui
l'appela trois fois. Ce dernier songe brisa son sommeil, et il se
réveilla tremblant, les cheveux hérissés et le front ruisselant de
sueur. Alors il appela, donna l'ordre qu'on lui amenât Sporus, et le
jeune homme demeura dans sa chambre le reste de la nuit.
Avec le jour l'excès des terreurs nocturnes s'évanouit; mais il lui
resta une crainte vague qui le faisait tressaillir à chaque instant.
Alors il fit conduire devant lui le courrier qui avait apporté la
dépêche qui annonçait la mort de Vindex. C'était un cavalier batave qui
était venu de la Germanie avec Virginius, et avait assisté à la
bataille. Néron lui fit répéter plusieurs fois tous les détails du
combat, et surtout ceux de la mort de Vindex; enfin il ne fut tranquille
que lorsque le soldat lui jura par Jupiter qu'il avait vu de ses yeux le
cadavre percé de coups, et prêt pour la tombe. Alors il lui fit compter
une somme de cent mille sesterces, et lui fit don de son propre anneau
d'or.
L'heure du dîner arriva: les convives impériaux se rassemblèrent au
Palatin; avant le repas, Néron, comme d'habitude, les fit passer dans la
salle de bain, et en sortant du bain des esclaves leur offrirent des
toges blanches et des couronnes de fleurs. Néron les attendait dans le
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