A l'ombre des jeunes filles en fleurs — Deuxième partie - 14

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ou interrompu la conversation. Il m'avait évidemment vu, sans le
laisser paraître, et je m'aperçus alors que ses yeux qui n'étaient
jamais fixés sur l'interlocuteur, se promenaient perpétuellement dans
toutes les directions, comme ceux de certains animaux effrayés, ou
ceux de ces marchands en plein air qui, tandis qu'ils débitent leur
boniment et exhibent leur marchandise illicite, scrutent, sans
pourtant tourner la tête, les différents points de l'horizon par où
pourrait venir la police. Cependant j'étais un peu étonné de voir que
Mme de Villeparisis heureuse de nous voir venir, ne semblait pas s'y
être attendue, je le fus plus encore d'entendre M. de Charlus dire à
ma grand'mère: «Ah! c'est une très bonne idée que vous avez eue de
venir, c'est charmant, n'est-ce pas, ma tante?» Sans doute avait-il
remarqué la surprise de celle-ci à notre entrée et pensait-il en homme
habitué à donner le ton, le «la», qu'il lui suffisait pour changer
cette surprise en joie d'indiquer qu'il en éprouvait lui-même, que
c'était bien le sentiment que notre venue devait exciter. En quoi il
calculait bien, car Mme de Villeparisis qui comptait fort son neveu et
savait combien il était difficile de lui plaire, parut soudain avoir
trouvé à ma grand'mère de nouvelles qualités et ne cessa de lui faire
fête. Mais je ne pouvais comprendre que M. de Charlus eût oublié en
quelques heures l'invitation si brève, mais en apparence si
intentionnelle, si préméditée qu'il m'avait adressée le matin même et
qu'il appelât «bonne idée» de ma grand'mère, une idée qui était toute
de lui. Avec un scrupule de précision que je gardai jusqu'à l'âge où
je compris que ce n'est pas en la lui demandant qu'on apprend la
vérité sur l'intention qu'un homme a eue et que le risque d'un
malentendu qui passera probablement inaperçu est moindre que celui
d'une naïve insistance: «Mais, monsieur, lui dis-je, vous vous
rappelez bien, n'est-ce pas, que c'est vous qui m'avez demandé que
nous vinssions ce soir?» Aucun son, aucun mouvement ne trahirent que
M. de Charlus eût entendu ma question. Ce que voyant je la répétai
comme les diplomates ou ces jeunes gens brouillés qui mettent une
bonne volonté inlassable et vaine à obtenir des éclaircissements que
l'adversaire est décidé à ne pas donner. M. de Charlus ne me répondit
pas davantage. Il me sembla voir flotter sur ses lèvres le sourire de
ceux qui de très haut jugent les caractères et les éducations.
Puisqu'il refusait toute explication, j'essayai de m'en donner une, et
je n'arrivai qu'à hésiter entre plusieurs dont aucune ne pouvait être
la bonne. Peut-être ne se rappelait-il pas ou peut-être c'était moi
qui avais mal compris ce qu'il m'avait dit le matin... Plus
probablement par orgueil ne voulait-il pas paraître avoir cherché à
attirer des gens qu'il dédaignait, et préférait-il rejeter sur eux
l'initiative de leur venue. Mais alors, s'il nous dédaignait, pourquoi
avait-il tenu à ce que nous vinssions ou plutôt à ce que ma grand'mère
vînt, car de nous deux ce fut à elle seule qu'il adressa la parole
pendant cette soirée et pas une seule fois à moi. Causant avec la plus
grande animation avec elle ainsi qu'avec Mme de Villeparisis, caché en
quelque sorte derrière elles, comme il eût été au fond d'une loge, il
se contentait seulement, détournant par moments le regard
investigateur de ses yeux pénétrants, de l'attacher sur ma figure,
avec le même sérieux, le même air de préoccupation, que si elle eût
été un manuscrit difficile à déchiffrer.
Sans doute s'il n'avait pas eu ces yeux, le visage de M. de Charlus
était semblable à celui de beaucoup de beaux hommes. Et quand
Saint-Loup en me parlant d'autres Guermantes me dit plus tard: «Dame,
ils n'ont pas cet air de race, de grand seigneur jusqu'au bout des
ongles, qu'a mon oncle Palamède», en confirmant que l'air de race et
la distinction aristocratiques n'étaient rien de mystérieux et de
nouveau, mais qui consistaient en des éléments que j'avais reconnus
sans difficulté et sans éprouver d'impression particulière, je devais
sentir se dissiper une de mes illusions. Mais ce visage, auquel une
légère couche de poudre donnait un peu l'aspect d'un visage de
théâtre, M. de Charlus avait beau en fermer hermétiquement
l'expression, les yeux étaient comme une lézarde, comme une meurtrière
que seule il n'avait pu boucher et par laquelle, selon le point où on
était placé par rapport à lui, on se sentait brusquement croisé du
reflet de quelque engin intérieur qui semblait n'avoir rien de
rassurant, même pour celui qui, sans en être absolument maître, le
porterait en soi, à l'état d'équilibre instable et toujours sur le
point d'éclater; et l'expression circonspecte et incessamment inquiète
de ces yeux, avec toute la fatigue qui, autour d'eux, jusqu'à un cerne
descendu très bas, en résultait pour le visage, si bien composé et
arrangé qu'il fût, faisait penser à quelque incognito, à quelque
déguisement d'un homme puissant en danger, ou seulement d'un individu
dangereux, mais tragique. J'aurais voulu deviner quel était ce secret
que ne portaient pas en eux les autres hommes et qui m'avait déjà
rendu si énigmatique le regard de M. de Charlus quand je l'avais vu le
matin près du casino. Mais avec ce que je savais maintenant de sa
parenté, je ne pouvais plus croire ni que ce fût celui d'un voleur,
ni, d'après ce que j'entendais de sa conversation, que ce fût celui
d'un fou. S'il était si froid avec moi, alors qu'il était tellement
aimable avec ma grand'mère, cela ne tenait peut-être pas à une
antipathie personnelle, car d'une manière générale, autant il était
bienveillant pour les femmes, des défauts de qui il parlait sans se
départir, habituellement, d'une grande indulgence, autant il avait à
l'égard des hommes, et particulièrement des jeunes gens, une haine
d'une violence qui rappelait celle de certains misogynes pour les
femmes. De deux ou trois «gigolos» qui étaient de la famille ou de
l'intimité de Saint-Loup et dont celui-ci cita par hasard le nom, M.
de Charlus dit avec une expression presque féroce qui tranchait sur sa
froideur habituelle: «Ce sont de petites canailles.» Je compris que ce
qu'il reprochait surtout aux jeunes gens d'aujourd'hui, c'était d'être
trop efféminés. «Ce sont de vraies femmes», disait-il avec mépris.
Mais quelle vie n'eût pas semblé efféminée auprès de celle qu'il
voulait que menât un homme et qu'il ne trouvait jamais assez énergique
et virile? (lui-même dans ses voyages à pied, après des heures de
course, se jetait brûlant dans des rivières glacées.) Il n'admettait
même pas qu'un homme portât une seule bague. Mais ce parti pris de
virilité ne l'empêchait pas d'avoir des qualités de sensibilité des
plus fines. A Mme de Villeparisis qui le priait de décrire pour ma
grand'mère un château où avait séjourné Mme de Sévigné, ajoutant
qu'elle voyait un peu de littérature dans ce désespoir d'être séparée
de cette ennuyeuse Mme de Grignan:
--Rien au contraire, répondit-il, ne me semble plus vrai. C'était du
reste une époque où ces sentiments-là étaient bien compris. L'habitant
du Monomopata de Lafontaine, courant chez son ami qui lui est apparu
un peu triste pendant son sommeil, le pigeon trouvant que le plus
grand des maux est l'absence de l'autre pigeon, vous semblent
peut-être, ma tante, aussi exagérés que Mme de Sévigné ne pouvant pas
attendre le moment où elle sera seule avec sa fille. C'est si beau ce
qu'elle dit quand elle la quitte: «Cette séparation me fait une douleur
à l'âme que je sens comme un mal du corps. Dans l'absence on est
libéral des heures. On avance dans un temps auquel on aspire.»
Ma grand'mère était ravie d'entendre parler de ces Lettres, exactement de
la façon qu'elle eût fait. Elle s'étonnait qu'un homme pût les
comprendre si bien. Elle trouvait à M. de Charlus des délicatesses,
une sensibilité féminines. Nous nous dîmes plus tard quand nous fûmes
seuls et parlâmes tous les deux de lui qu'il avait dû subir
l'influence profonde d'une femme, sa mère, ou plus tard sa fille s'il
avait des enfants. Moi je pensai: «Une maîtresse» en me reportant à
l'influence que celle de Saint-Loup me semblait avoir eue sur lui et
qui me permettait de me rendre compte à quel point les femmes avec
lesquelles ils vivent affinent les hommes.
--Une fois près de sa fille elle n'avait probablement rien à lui dire,
répondit Mme de Villeparisis.
--Certainement si; fût-ce de ce qu'elle appelait «choses si légères
qu'il n'y a que vous et moi qui les remarquions». Et en tous cas, elle
était près d'elle. Et La Bruyère nous dit que c'est tout: «Être près
des gens qu'on aime, leur parler, ne leur parler point, tout est
égal.» Il a raison; c'est le seul bonheur, ajouta M. de Charlus d'une
voix mélancolique; et ce bonheur-là, hélas, la vie est si mal arrangée
qu'on le goûte bien rarement; Mme de Sévigné a été en somme moins à
plaindre que d'autres. Elle a passé une grande partie de sa vie auprès
de ce qu'elle aimait.
--Tu oublies que ce n'était pas de l'amour, c'était de sa fille qu'il
s'agissait.
--Mais l'important dans la vie n'est pas ce qu'on aime, reprit-il
d'un ton compétent, péremptoire et presque tranchant, c'est d'aimer.
Ce que ressentait Mme de Sévigné pour sa fille peut prétendre beaucoup
plus justement ressembler à la passion que Racine a dépeinte dans
_Andromaque_ ou dans _Phèdre_, que les banales relations que le jeune
Sévigné avait avec ses maîtresses. De même l'amour de tel mystique
pour son Dieu. Les démarcations trop étroites que nous traçons autour
de l'amour viennent seulement de notre grande ignorance de la vie.
--Tu aimes beaucoup _Andromaque_ et _Phèdre_?» demanda Saint-Loup
à son oncle, sur un ton légèrement dédaigneux.
--Il y a plus de vérité dans
une tragédie de Racine que dans tous les drames de Monsieur Victor
Hugo, répondit M. de Charlus.
--C'est tout de même effrayant le monde,
me dit Saint-Loup à l'oreille. Préférer Racine à Victor Hugo c'est quand
même quelque chose d'énorme! Il était sincèrement attristé des
paroles de son oncle, mais le plaisir de dire «quand même» et surtout
«énorme» le consolait.
Dans ces réflexions sur la tristesse qu'il y a à vivre loin de ce
qu'on aime (qui devaient amener ma grand'mère à me dire que le neveu
de Mme de Villeparisis comprenait autrement bien certaines oeuvres que
sa tante, et surtout avait quelque chose qui le mettait bien au-dessus
de la plupart des gens du club), M. de Charlus ne laissait pas
seulement paraître une finesse de sentiment que montrent en effet
rarement les hommes; sa voix elle-même, pareille à certaines voix de
contralto en qui on n'a pas assez cultivé le médium et dont le chant
semble le duo alterné d'un jeune homme et d'une femme, se posait au
moment où il exprimait ces pensées si délicates, sur des notes hautes,
prenait une douceur imprévue et semblait contenir des chœurs de
fiancées, de sœurs, qui répandaient leur tendresse. Mais la nichée de
jeunes filles que M. de Charlus, avec son horreur de tout
efféminement, aurait été si navré, d'avoir l'air d'abriter ainsi dans
sa voix, ne s'y bornait pas à l'interprétation, à la modulation, des
morceaux de sentiment. Souvent, tandis que causait M. de Charlus, on
entendait leur rire aigu et frais de pensionnaires ou de coquettes
ajuster leur prochain avec des malices de bonnes langues et de fines
mouches.
Il racontait qu'une demeure qui avait appartenu à sa famille, où
Marie-Antoinette avait couché, dont le parc était de Lenôtre,
appartenait maintenant aux riches financiers Israël, qui l'avaient
achetée. «Israël, du moins c'est le nom que portent ces gens, qui me
semble un terme générique, ethnique, plutôt qu'un nom propre. On ne
sait pas peut-être que ce genre de personnes ne portent pas de noms et
sont seulement désignées par la collectivité à laquelle elles
appartiennent. Cela ne fait rien! Avoir été la demeure des Guermantes
et appartenir aux Israël!!! s'écria-t-il. Cela fait penser à cette
chambre du château de Blois où le gardien qui le faisait visiter me
dit: «C'est ici que Marie Stuart faisait sa prière; et c'est là
maintenant où ce que je mets mes balais.» Naturellement je ne veux
rien savoir de cette demeure qui s'est déshonorée, pas plus que de ma
cousine Clara de Chimay qui a quitté son mari. Mais je conserve la
photographie de la première encore intacte, comme celle de la
princesse quand ses grands yeux n'avaient de regards que pour mon
cousin. La photographie acquiert un peu de la dignité qui lui manque
quand elle cesse d'être une reproduction du réel et nous montre des
choses qui n'existent plus. Je pourrai vous en donner une, puisque ce
genre d'architecture vous intéresse», dit-il à ma grand'mère. A ce
moment apercevant que le mouchoir brodé qu'il avait dans sa poche
laissait dépasser des liserés de couleur, il le rentra vivement avec
la mine effarouchée d'une femme pudibonde mais point innocente
dissimulant des appâts que, par un excès de scrupule, elle juge
indécents. «Imaginez-vous, reprit-il, que ces gens ont commencé par
détruire le parc de Lenôtre, ce qui est aussi coupable que de lacérer
un tableau de Poussin. Pour cela, ces Israël devraient être en prison.
Il est vrai, ajouta-t-il en souriant après un moment de silence, qu'il
y a sans doute tant d'autres choses pour lesquelles ils devraient y
être! En tous cas vous vous imaginez l'effet que produit devant ces
architectures un jardin anglais.
--Mais la maison est du même style que le Petit Trianon, dit Mme de
Villeparisis, et Marie-Antoinette y a bien fait faire un jardin
anglais.
--Qui dépare tout de même la façade de Gabriel, répondit M. de
Charlus. Évidemment ce serait maintenant une sauvagerie que de
détruire le Hameau. Mais quel que soit l'esprit du jour, je doute tout
de même qu'à cet égard une fantaisie de Mme Israël ait le même
prestige que le souvenir de la Reine.
Cependant ma grand'mère m'avait fait signe de monter me coucher,
malgré l'insistance de Saint-Loup qui, à ma grande honte, avait fait
allusion devant M. de Charlus à la tristesse que j'éprouvais souvent
le soir avant de m'endormir et que son oncle devait trouver quelque
chose de bien peu viril. Je tardai encore quelques instants, puis m'en
allai, et fus bien étonné quand un peu après, ayant entendu frapper à
la porte de ma chambre et ayant demandé qui était là, j'entendis la
voix de M. de Charlus qui disait d'un ton sec:
--C'est Charlus. Puis-je entrer, monsieur? Monsieur, reprit-il du
même ton une fois qu'il eut refermé la porte, mon neveu racontait tout
à l'heure que vous étiez un peu ennuyé avant de vous endormir, et
d'autre part que vous admiriez les livres de Bergotte. Comme j'en ai
dans ma malle un que vous ne connaissez probablement pas, je vous
l'apporte pour vous aider à passer ces moments où vous ne vous sentez
pas heureux.
Je remerciai M. de Charlus avec émotion et lui dis que j'avais au
contraire eu peur que ce que Saint-Loup lui avait dit de mon malaise à
l'approche de la nuit, m'eût fait paraître à ses yeux plus stupide
encore que je n'étais.
--Mais non, répondit-il avec un accent plus doux. Vous n'avez
peut-être pas de mérite personnel, si peu d'êtres en ont! Mais pour un
temps du moins vous avez la jeunesse et c'est toujours une séduction.
D'ailleurs, monsieur, la plus grande des sottises, c'est de trouver
ridicules ou blâmables les sentiments qu'on n'éprouve pas. J'aime la
nuit et vous me dites que vous la redoutez; j'aime sentir les roses et
j'ai un ami à qui leur odeur donne la fièvre. Croyez-vous que je pense
pour cela qu'il vaut moins que moi? Je m'efforce de tout comprendre et
je me garde de rien condamner. En somme ne vous plaignez pas trop, je
ne dirai pas que ces tristesses ne sont pas pénibles, je sais ce qu'on
peut souffrir pour des choses que les autres ne comprendraient pas.
Mais du moins vous avez bien placé votre affection dans votre
grand'mère. Vous la voyez beaucoup. Et puis c'est une tendresse
permise, je veux dire une tendresse payée de retour. Il y en a tant
dont on ne peut pas dire cela!
Il marchait de long en large dans la chambre, regardant un objet, en
soulevant un autre. J'avais l'impression qu'il avait quelque chose à
m'annoncer et ne trouvait pas en quels termes le faire.
--J'ai un autre volume de Bergotte ici, je vais vous le chercher,
ajouta-t-il, et il sonna. Un groom vint au bout d'un moment. «Allez me
chercher votre maître d'hôtel. Il n'y a que lui ici qui soit capable
de faire une commission intelligemment, dit M. de Charlus avec
hauteur.--Monsieur Aimé, Monsieur? demanda le groom.--Je ne sais pas
son nom, mais si, je me rappelle que je l'ai entendu appeler Aimé.
Allez vite, je suis pressé.--Il va être tout de suite ici, monsieur,
je l'ai justement vu en bas», répondit le groom qui voulait avoir
l'air au courant. Un certain temps se passa. Le groom revint.
«Monsieur, Monsieur Aimé est couché. Mais je peux faire la commission.--Non,
vous n'avez qu'à le faire lever.» «Monsieur, je ne peux pas, il
ne couche pas là.--Alors, laissez-nous tranquilles.--Mais, monsieur,
dis-je, le groom parti, vous êtes trop bon, un seul volume de Bergotte
me suffira.--C'est ce qui me semble, après tout.» M. de Charlus
marchait. Quelques minutes se passèrent ainsi, puis, après quelques
instants d'hésitation et se reprenant à plusieurs fois, il pivota sur
lui-même et de sa voix redevenue cinglante, il me jeta: «Bonsoir,
monsieur» et partit. Après tous les sentiments élevés que je lui avais
entendu exprimer ce soir-là, le lendemain qui était jour de son
départ, sur la plage, dans la matinée, au moment où j'allais prendre
mon bain, comme M. de Charlus s'était approché de moi pour m'avertir
que ma grand'mère m'attendait aussitôt que je serais sorti de l'eau,
je fus bien étonné de l'entendre me dire, en me pinçant le cou, avec
une familiarité et un rire vulgaires:
--Mais on s'en fiche bien de sa vieille grand'mère, hein? petite
fripouille!
--Comment, monsieur, je l'adore!
--Monsieur, me dit-il en s'éloignant d'un pas et avec un air glacial,
vous êtes encore jeune, vous devriez en profiter pour apprendre deux
choses: la première c'est de vous abstenir d'exprimer des sentiments
trop naturels pour n'être pas sous-entendus; la seconde c'est de ne
pas partir en guerre pour répondre aux choses qu'on vous dit avant
d'avoir pénétré leur signification. Si vous aviez pris cette
précaution, il y a un instant, vous vous seriez évité d'avoir l'air de
parler à tort et à travers comme un sourd et d'ajouter par là un
second ridicule à celui d'avoir des ancres brodées sur votre costume
de bain. Je vous ai prêté un livre de Bergotte dont j'ai besoin.
Faites-le moi rapporter dans une heure par ce maître d'hôtel au prénom
risible et mal porté, qui je suppose n'est pas couché à cette
heure-ci. Vous me faites apercevoir que je vous ai parlé trop tôt hier
soir des séductions de la jeunesse, je vous aurais rendu meilleur
service en vous signalant son étourderie, ses inconséquences et son
incompréhension. J'espère, monsieur, que cette petite douche ne vous
sera pas moins salutaire que votre bain. Mais ne restez pas ainsi
immobile, vous pourriez prendre froid. Bonsoir, monsieur.
Sans doute eut-il regret de ces paroles, car quelque temps après je
reçus--dans une reliure de maroquin sur le plat de laquelle avait
été encastrée une plaque de cuir incisé qui représentait en
demi-relief une branche de myosotis--le livre qu'il m'avait prêté et
que je lui avais fait remettre, non par Aimé qui se trouvait «de
sortie», mais par le liftier.
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