Mistress Branican - 07

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  première fois, résisterait-elle à ce dernier coup? Bien que quatre
  ans se fussent écoulés depuis le départ de John, ce serait comme
  si sa mort n'eût daté que de la veille! Le temps, qui avait passé
  sur tant d'autres douleurs humaines, n'avait point marché pour
  elle!
  Tant que Mrs. Branican resterait à Prospect-House, on pouvait
  espérer qu'aucune indiscrétion ne serait prématurément commise.
  M. William Andrew et le docteur Brumley avaient pris leurs
  précautions à cet égard, en empêchant journaux ou lettres
  d'arriver au chalet. Mais Dolly se sentait assez forte pour
  sortir, et, bien que le docteur ne l'eût pas encore autorisée à le
  faire, ne pouvait-elle quitter Prospect-House sans en rien
  dire?... Aussi ne fallait-il plus hésiter, et, comme cela avait
  été convenu, Dolly apprendrait bientôt qu'il n'y avait plus à
  compter sur le retour du _Franklin_.
  Or, après la conversation qu'elle avait eue avec M. William
  Andrew, Mrs. Branican avait pris la résolution de sortir, sans
  prévenir ses femmes, qui auraient tout fait pour l'en dissuader.
  Si cette sortie ne représentait aucun danger dans l'état actuel de
  sa santé, elle pouvait amener de déplorables résultats, dans le
  cas où un hasard quelconque lui ferait connaître la vérité, sans
  de préalables ménagements.
  En quittant Prospect-House, Mrs. Branican se proposait de faire
  une démarche au sujet de Zach Fren.
  Depuis qu'elle connaissait le nom de ce marin, une pensée n'avait
  cessé de l'obséder.
  «On s'est occupé de lui, se répétait-elle. Oui!... Un peu d'argent
  lui aura été donné, et je n'ai pu intervenir moi-même... Puis Zach
  Fren est parti, il y a cinq ou six semaines... Mais peut-être a-t-
  il une famille, une femme, des enfants... de pauvres gens à coup
  sûr!... C'est mon devoir d'aller les visiter, de subvenir à leurs
  besoins, de leur assurer l'aisance!... Je les verrai, et je ferai
  pour eux ce que je dois faire!»
  Et, si Mrs. Branican eut consulté M. William Andrew à ce propos,
  comment aurait-il pu la détourner d'accomplir cet acte de
  reconnaissance et de charité?
  Le 21 juin, Dolly sortit de chez elle vers neuf heures du matin;
  personne ne l'avait aperçue. Elle était vêtue de deuil -- le deuil
  de son enfant, dont la mort, dans sa pensée, remontait à deux mois
  à peine. Ce ne fut pas sans une profonde émotion qu'elle franchit
  la porte du petit jardin -- seule, ce qui ne lui était pas encore
  arrivé.
  Le temps était beau, et la chaleur déjà forte avec ces premières
  semaines de l'été californien, bien qu'elle fût atténuée par la
  brise de mer.
  Mrs. Branican s'engagea entre les clôtures de la haute ville.
  Absorbée par l'idée de ce qu'elle allait faire, le regard
  distrait, elle n'observa pas certains changements survenus dans ce
  quartier, quelques constructions récentes qui auraient dû attirer
  son attention. Du moins n'en eut-elle qu'une perception très
  vague. D'ailleurs, ces modifications n'étaient pas assez
  importantes pour qu'elle fût embarrassée de retrouver son chemin,
  en traversant les rues qui descendent vers la baie. Elle ne
  remarqua pas non plus que deux ou trois personnes, qui la
  reconnaissaient, la regardaient avec un certain étonnement.
  En passant devant une chapelle catholique, voisine de Prospect-
  House, et dont elle avait été l'une des plus assidues
  paroissiennes, Dolly éprouva un irrésistible désir d'y entrer. Le
  desservant de cette chapelle commençait à dire la messe, au moment
  où elle vint s'agenouiller sur une chaise basse dans un angle
  assez obscur. Là, son âme s'épancha en prières pour son enfant,
  pour son mari, pour tous ceux qu'elle aimait. Les quelques fidèles
  qui assistaient à cette messe ne l'avaient point entrevue, et,
  lorsqu'elle se retira, ils avaient déjà quitté la chapelle.
  C'est alors que son esprit fut frappé d'un détail d'aménagement
  qui ne laissa pas que de la surprendre. Il lui sembla que l'autel
  n'était plus celui devant lequel elle avait l'habitude de prier.
  Cet autel plus riche, d'un style nouveau, était placé en avant
  d'un chevet, qui paraissait être de construction récente. Est-ce
  que la chapelle avait été récemment agrandie?...
  Ce ne fut encore là qu'une fugitive impression, qui se dissipa dès
  que Mrs. Branican eut commencé à descendre les rues de ce quartier
  du commerce, où l'animation était grande alors. Mais, à chaque
  pas, la vérité pouvait éclater à ses yeux... une affiche avec une
  date... un horaire de railroads... un avis de départ des lignes du
  Pacifique... l'annonce d'une fête ou d'un spectacle portant le
  millésime de 1879... Et alors Dolly apprendrait brusquement que
  M. William Andrew et le docteur Brumley l'avaient trompée, que sa
  folie avait duré quatre ans et non quelques semaines... Et, de là,
  cette conséquence, c'est que ce n'était pas depuis deux mois, mais
  depuis quatre années que le _Franklin_ avait quitté San-Diégo...
  Et, si on le lui avait caché, c'est que John n'était pas revenu...
  c'est qu'il ne devait jamais revenir!...
  Mrs. Branican se dirigeait rapidement vers les quais du port,
  lorsque l'idée lui vint de passer devant la maison de Len Burker.
  Cela ne lui occasionnait qu'un léger détour.
  «Pauvre Jane!» murmurait-elle.
  Arrivée en face de l'office de Fleet Street, elle eut quelque
  peine à le reconnaître -- ce qui lui causa plus qu'un mouvement de
  surprise, une vague et troublante inquiétude...
  En effet, au lieu de la maison étroite et sombre qu'elle
  connaissait, il y avait là une bâtisse importante, d'architecture
  anglo-saxonne, comprenant plusieurs étages, avec de hautes
  fenêtres, grillées au rez-de-chaussée. Au-dessus du toit,
  s'élevait un lanterneau, sur lequel se déployait un pavillon dont
  l'étamine portait les initiales H. W. Près de la porte s'étalait
  un cadre, où l'on pouvait lire ces mots en lettres dorées:
  HARRIS WADANTON AND CO.
  Dolly crut d'abord s'être trompée. Elle regarda à droite, à
  gauche. Non! c'était bien ici, à l'angle de Fleet Street, la
  maison où elle venait voir Jane Burker...
  Dolly mit la main sur ses yeux... Un inexplicable pressentiment
  lui serrait le coeur... Elle ne pouvait se rendre compte de ce
  qu'elle éprouvait...
  La maison de commerce de M. William Andrew n'était pas éloignée.
  Dolly, ayant pressé le pas, l'aperçut au détour de la rue. Elle
  eut d'abord la pensée de s'y rendre. Non... elle s'y arrêterait en
  revenant... lorsqu'elle aurait vu la famille de Zach Fren... Elle
  comptait demander l'adresse du marin au bureau des steam-launches,
  près de l'embarcadère.
  L'esprit égaré, l'oeil indécis, le coeur palpitant, Dolly continua
  sa route. Ses regards s'attachaient maintenant sur les personnes
  qu'elle rencontrait... Elle éprouvait comme un irrésistible besoin
  d'aller à ces personnes, afin de les interroger, de leur
  demander... quoi?... On l'aurait prise pour une folle... Mais
  était-elle sûre que sa raison ne l'abandonnait pas encore une
  fois?... Est-ce qu'il y avait des lacunes dans sa mémoire?...
  Mrs. Branican arriva sur le quai. Au delà, la baie se montrait
  dans toute son étendue. Quelques navires roulaient sous la houle à
  leur poste de mouillage. D'autres faisaient leurs préparatifs pour
  appareiller. Quels souvenirs rappelait à Dolly ce mouvement du
  port!... Il y avait trois mois à peine, elle s'était placée à
  l'extrémité de ce wharf... C'est de cet endroit qu'elle avait vu
  le _Franklin_ évoluer une dernière fois pour se diriger sur le
  goulet... C'est là qu'elle avait reçu le dernier adieu de John!...
  Puis, le navire avait doublé la pointe Island; les hautes voiles
  s'étaient un instant découpées au-dessus du littoral, et le
  _Franklin_ avait disparu dans les lointains de la haute mer...
  Quelques pas encore, et Dolly se trouva devant le bureau des
  steam-launches, près de l'appontement qui servait aux passagers.
  Une des embarcations s'en détachait en ce moment, poussant vers la
  pointe Loma.
  Dolly la suivit du regard, écoutant le bruit de la vapeur qui
  haletait à l'extrémité du tuyau noir.
  À quel triste souvenir son esprit se laissa entraîner alors -- le
  souvenir de son enfant, dont ces eaux n'avaient pas même rendu le
  petit corps, et qui l'attiraient... la fascinaient... Elle se
  sentait défaillir, comme si le sol lui eût manqué... La tête lui
  tournait... Elle fut sur le point de tomber...
  Un instant après, Mrs. Branican entrait dans le bureau des steam-
  launches.
  En voyant cette femme, les traits contractés, la figure blême,
  l'employé, qui était assis devant une table, se leva, approcha une
  chaise, et dit:
  «Vous êtes souffrante, mistress?
  -- Ce n'est rien, monsieur, répondit Dolly. Un moment de
  faiblesse... Je me sens mieux...
  -- Veuillez vous asseoir en attendant le prochain départ. Dans dix
  minutes au plus...
  -- Je vous remercie, monsieur, répondit Mrs. Branican. Je ne suis
  venue que pour demander un renseignement... Peut-être pouvez-vous
  me le donner?...
  -- À quel propos, mistress?»
  Dolly s'était assise, et, après avoir porté la main à son front,
  pour rassembler ses idées:
  «Monsieur, dit-elle, vous avez eu à votre service un matelot nommé
  Zach Fren?...
  -- Oui, mistress, répondit l'employé. Ce matelot n'est pas resté
  longtemps avec nous, mais je l'ai parfaitement connu.
  -- C'est bien lui, n'est-ce pas, qui a risqué sa vie pour sauver
  une femme... une malheureuse mère...
  -- En effet, je me rappelle... mistress Branican... Oui!... c'est
  bien lui.
  -- Et maintenant, il est en mer?...
  -- En mer.
  -- Sur quel navire est-il embarqué?...
  -- Sur le trois-mâts _Californian_.
  -- De San-Diégo?...
  -- Non, mistress, de San-Francisco.
  -- À quelle destination?...
  -- À destination des mers d'Europe.»
  Mrs. Branican, plus fatiguée qu'elle n'aurait cru l'être, se tut
  pendant quelques instants, et l'employé attendit qu'elle lui
  adressât de nouvelles questions. Lorsqu'elle fut un peu remise:
  «Zach Fren est-il de San-Diégo?... demanda-t-elle.
  -- Oui, mistress.
  -- Pouvez-vous m'apprendre où demeure sa famille?...
  -- J'ai toujours entendu dire à Zach Fren qu'il était seul au
  monde. Je ne crois pas qu'il lui reste aucun parent, ni à San-
  Diégo ni ailleurs.
  -- Il n'est pas marié?...
  -- Non, mistress.»
  Il n'y avait pas lieu de mettre en doute la réponse de cet
  employé, à qui Zach Fren était particulièrement connu.
  Donc, en ce moment, rien à faire, puisque ce marin n'avait pas de
  famille, et il faudrait que Mrs. Branican attendît le retour du
  _Californian_ en Amérique.
  «Sait-on combien doit durer le voyage de Zach Fren? demanda-t-
  elle.
  -- Je ne saurais vous le dire, mistress, car le _Californian_ est
  parti pour une très longue campagne.
  -- Je vous remercie, monsieur, dit Mrs. Branican. J'aurais eu
  grande satisfaction à rencontrer Zach Fren, mais bien du temps se
  passera, sans doute...
  -- Oui, mistress!
  -- Toutefois, il est possible qu'on ait des nouvelles du
  _Californian_ dans quelques mois... dans quelques semaines?...
  -- Des nouvelles?... répondit l'employé. Mais la maison de San-
  Francisco à laquelle ce navire appartient a déjà dû en recevoir
  plusieurs fois...
  -- Déjà?...
  -- Oui... mistress!
  -- Et plusieurs fois?...»
  En répétant ces mots, Mrs. Branican, qui s'était levée, regardait
  l'employé, comme si elle n'eût rien compris à ses paroles.
  «Tenez, mistress, reprit celui-ci, en tendant un journal. Voici la
  _Shipping-Gazette_... Elle annonce que le _Californian_ a quitté
  Liverpool il y a huit jours...
  -- Il y a huit jours!» murmura Mrs. Branican, qui avait pris le
  journal en tremblant. Puis, d'une voix si profondément altérée que
  l'employé put à peine l'entendre:
  «Depuis combien de temps Zach Fren est-il donc parti?... demanda-
  t-elle.
  -- Depuis près de dix-huit mois...
  -- Dix-huit mois!»
  Dolly dut s'appuyer à l'angle du bureau... Son coeur avait cessé
  de battre pendant quelques instants. Soudain ses regards
  s'arrêtèrent sur une affiche appendue au mur, et qui indiquait les
  heures du service des steam-launches pour la saison d'été. En tête
  de l'affiche, il y avait ce mot et ces chiffres:
  MARS 1879
  Mars 1879!... On l'avait trompée!... Il y avait quatre ans que son
  enfant était mort... quatre ans que John avait quitté San-
  Diégo!... Elle avait donc été folle pendant ces quatre années!...
  Oui!... Et si M. William Andrew, si le docteur Brumley lui avaient
  laissé croire que sa folie n'avait duré que deux mois, c'est
  qu'ils avaient voulu lui cacher la vérité sur le _Franklin_...
  C'est que, depuis quatre ans, on était sans nouvelles de John et
  de son navire!
  Au grand effroi de l'employé, Mrs. Branican fut saisie d'un spasme
  violent. Mais un suprême effort lui permit de se dominer, et
  s'élançant hors du bureau, elle marcha rapidement à travers les
  rues de la basse ville.
  Ceux qui virent passer cette femme, la figure pâle, les yeux
  hagards, durent penser que c'était une folle.
  Et si elle ne l'était pas, la malheureuse Dolly, n'allait-elle pas
  le redevenir?...
  Où se dirigeait-elle? Ce fut vers la maison de M. William Andrew,
  où elle arriva presque inconsciemment en quelques minutes. Elle
  franchit les bureaux, elle passa au milieu des commis, qui
  n'eurent pas le temps de l'arrêter, elle poussa la porte du
  cabinet où se trouvait l'armateur.
  Tout d'abord, M. William Andrew fut stupéfait de voir entrer Mrs.
  Branican, puis épouvanté en observant ses traits décomposés, son
  effroyable pâleur.
  Et, avant qu'il eût pu lui adresser la parole:
  «Je sais... je sais!... s'écria-t-elle. Vous m'avez trompée!...
  Pendant quatre ans, j'ai été folle!...
  -- Ma chère Dolly... calmez-vous!
  -- Répondez!... Le _Franklin_?... Voilà quatre ans qu'il est
  parti, n'est-ce pas?...»
  M. William Andrew baissa la tête.
  «Vous n'en avez plus de nouvelles... depuis quatre ans... depuis
  quatre ans?...»
  M. William Andrew se taisait toujours.
  «On considère le _Franklin_ comme perdu!... Il ne reviendra plus
  personne de son équipage... et je ne reverrai jamais John!»
  Des larmes furent la seule réponse que put faire M. William
  Andrew.
  Mrs. Branican tomba brusquement sur un fauteuil... Elle avait
  perdu connaissance.
  M. William Andrew appela une des femmes de la maison qui
  s'empressa de porter secours à Dolly. L'un des commis fut aussitôt
  expédié chez le docteur Brumley, qui demeurait dans le quartier,
  et qui se hâta de venir.
  M. William Andrew le mit au courant. Par une indiscrétion ou par
  un hasard, il ne savait, Mrs. Branican venait de tout apprendre.
  Était-ce à Prospect-House ou bien dans les rues de San-Diégo, peu
  importait! Elle savait, à présent! Elle savait que quatre ans
  s'étaient écoulés depuis la mort de son enfant, que pendant quatre
  ans elle avait été privée de raison, que quatre ans s'étaient
  passés sans qu'on eût reçu aucune nouvelle du _Franklin_...
  Ce ne fut pas sans peine que le docteur Brumley parvint à ranimer
  la malheureuse Dolly, se demandant si son intelligence aurait
  résisté à ce dernier coup, le plus terrible de ceux qui l'eussent
  frappée.
  Lorsque Mrs. Branican eut repris peu à peu ses sens, elle avait
  conscience de ce qui venait de lui être révélé!... Elle était
  revenue à la vie avec toute sa raison!... Et, à travers ses
  larmes, son regard interrogeait M. William Andrew, qui lui tenait
  les mains, agenouillé près d'elle.
  «Parlez... parlez... monsieur Andrew!»
  Et ce furent les seuls mots qui purent s'échapper de ses lèvres.
  Alors, d'une voix entrecoupée de sanglots, M. William Andrew lui
  apprit quelles inquiétudes avait d'abord causées le défaut de
  nouvelles relatives au _Franklin_... Lettres et dépêches avaient
  été envoyées à Singapore et aux Indes, où le bâtiment n'était
  jamais arrivé... une enquête avait été faite sur le parcours du
  navire de John!... Et aucun indice n'avait pu mettre sur la trace
  du naufrage! Immobile, Mrs. Branican écoutait, la bouche muette,
  le regard fixe. Et lorsque M. William Andrew eut achevé son récit:
  «Mon enfant mort... mon mari mort... murmura-t-elle. Ah! pourquoi
  Zach Fren ne m'a-t-il pas laissée mourir!»
  Mais sa figure se ranima soudain, et son énergie naturelle se
  manifesta avec tant de puissance, que le docteur Brumley en fut
  effrayé.
  «Depuis les dernières recherches, dit-elle d'une voix résolue, on
  n'a rien su du _Franklin_?...
  -- Rien, répondit M. William Andrew.
  -- Et vous le considérez comme perdu?...
  -- Oui... perdu!
  -- Et de John, de son équipage, on n'a obtenu aucune nouvelle?...
  -- Aucune, ma pauvre Dolly, et maintenant, nous n'avons plus
  d'espoir...
  -- Plus d'espoir!» répondit Mrs. Branican d'un ton presque
  ironique.
  Elle s'était relevée, elle tendait la main vers une des fenêtres
  par laquelle on apercevait l'horizon de mer.
  M. William Andrew et le docteur Brumley la regardaient avec
  épouvante, craignant pour son état mental. Mais Dolly se possédait
  tout entière, et, le regard illuminé du feu de son âme:
  «Plus d'espoir!... répéta-t-elle. Vous dites plus d'espoir!...
  Monsieur Andrew, si John est perdu pour vous, il ne l'est pas pour
  moi!... Cette fortune qui m'appartient, je n'en veux pas sans
  lui!... Je la consacrerai à rechercher John et ses compagnons du
  _Franklin_!... Et, Dieu aidant, je les retrouverai!... Oui!... je
  les retrouverai!»
  
  
  X
  Préparatifs
  
  Une vie nouvelle allait commencer pour Mrs. Branican. S'il y avait
  eu certitude absolue de la mort de son enfant, il n'en était pas
  de même en ce qui concernait son mari. John et ses compagnons ne
  pouvaient-ils avoir survécu au naufrage de leur navire et s'être
  réfugiés sur l'une des nombreuses îles de ces mers des
  Philippines, des Célèbes ou de Java? Était-il donc impossible
  qu'ils fussent retenus chez quelque peuplade indigène, et sans nul
  moyen de s'enfuir? C'est à cette espérance que devait désormais se
  rattacher Mrs. Branican, et avec une ténacité si extraordinaire
  qu'elle ne tarda pas à provoquer un revirement dans l'opinion de
  San-Diégo au sujet du _Franklin_. Non! elle ne croyait pas, elle
  ne pouvait pas croire que John et son équipage eussent péri, et,
  peut-être, fut-ce la persistance de cette idée qui lui permit de
  garder sa raison intacte. À moins, comme quelques-uns inclinèrent
  à le penser, que ce fût là une espèce de monomanie, une sorte de
  folie qu'on aurait pu appeler la «folie de l'espoir à outrance».
  Mais il n'en était rien: on le verra par la suite. Mrs. Branican
  était rentrée en possession complète de son intelligence; elle
  avait recouvré cette sûreté de jugement qui l'avait toujours
  caractérisée. Un seul but: retrouver John, se dressait devant sa
  vie, et elle y marcherait avec une énergie que les circonstances
  ne manqueraient pas d'accroître.
  Puisque Dieu avait permis que Zach Fren l'eût sauvée d'une
  première catastrophe, et que la raison lui fût rendue, puisqu'il
  avait mis à sa disposition tous les moyens d'action que donne la
  fortune, c'est que John était vivant, c'est qu'il serait sauvé par
  elle. Cette fortune, elle l'emploierait à d'incessantes
  recherches, elle la prodiguerait en récompenses, elle la
  dépenserait en armements. Il n'y aurait pas une île, pas un îlot
  des parages traversés par le jeune capitaine, qui ne serait
  reconnu, visité, fouillé. Ce que lady Franklin avait fait pour
  John Franklin, Mrs. Branican le ferait pour John Branican, et elle
  réussirait là où avait échoué la veuve de l'illustre amiral.
  Depuis ce jour, ce que comprirent les amis de Dolly, c'était qu'il
  fallait l'aider dans cette nouvelle période de son existence,
  l'encourager à ses investigations, joindre leurs efforts aux
  siens. Et c'est ce que fit M. William Andrew, bien qu'il n'espérât
  guère un heureux résultat de tentatives qui auraient pour but de
  retrouver les survivants du naufrage. Aussi devint-il le
  conseiller le plus ardent de Mrs. Branican, appuyé en cela par le
  commandant du _Boundary_, dont le navire était alors à San-Diégo
  en état de désarmement. Le capitaine Ellis, homme résolu, sur
  lequel on pouvait compter, ami dévoué de John, reçut l'invitation
  de venir conférer avec Mrs. Branican et M. William Andrew.
  Il y eut de fréquents entretiens à Prospect-House. Si riche
  qu'elle fût maintenant, Mrs. Branican n'avait pas voulu quitter ce
  modeste chalet. C'était là que John l'avait laissée en partant,
  c'est là qu'il la retrouverait à son retour. Rien ne devait être
  changé à sa manière de vivre, tant que son mari ne serait pas
  revenu à San-Diégo. Elle y mènerait la même existence avec la même
  simplicité, ne dépensant au delà de ses habitudes que pour
  subvenir aux frais de ses recherches et au budget de ses charités.
  On le sut bientôt dans la ville. De là un redoublement de
  sympathie envers cette vaillante femme, qui ne voulait pas être
  veuve de John Branican. Sans qu'elle s'en doutât, on se
  passionnait à son égard, on l'admirait, on la vénérait même, car
  ses malheurs justifiaient qu'on allât pour elle jusqu'à la
  vénération. Non seulement nombre de gens faisaient des voeux pour
  la réussite de la campagne qu'elle se préparait à entreprendre,
  mais ils voulaient croire à son succès. Lorsque Dolly descendant
  des hauts quartiers se rendait soit à la maison Andrew, soit chez
  le capitaine Ellis, lorsqu'on l'apercevait, grave et sombre,
  serrée dans ses vêtements de deuil, vieillie de dix ans -- et elle
  en avait à peine vingt-cinq -- on se découvrait avec respect, on
  s'inclinait sur son passage. Mais elle ne voyait rien de ces
  déférences qui s'adressaient à sa personne.
  Pendant les entretiens de Mrs. Branican, de M. William Andrew et
  du capitaine Ellis, le premier travail porta sur l'itinéraire que
  le _Franklin_ avait dû suivre. C'était ce qu'il importait
  d'établir avec une rigoureuse exactitude.
  La maison Andrew avait expédié son navire, aux Indes après relâche
  à Singapore, et c'était dans ce port qu'il avait à livrer une
  partie de sa cargaison avant de se rendre aux Indes. Or, en
  gagnant le large dans l'ouest de la côte américaine, les
  probabilités étaient pour que le capitaine John fût allé prendre
  connaissance de l'archipel des Hawaï ou Sandwich. En quittant les
  zones de la Micronésie, le _Franklin_ avait dû rallier les
  Mariannes, les Philippines; puis, à travers la mer des Célèbes et
  le détroit de Mahkassar, gagner la mer de Java, limitée au sud par
  les îles de la Sonde, afin d'atteindre Singapore. À l'extrémité
  ouest du détroit de Malacca, formé par la presqu'île de ce nom et
  l'île de Java, se développe le golfe du Bengale, dans lequel, en
  dehors des îles Nicobar et des îles Andaman, des naufragés
  n'auraient pu trouver refuge. D'ailleurs, il était hors de doute
  que John Branican n'avait pas paru dans le golfe du Bengale. Or,
  du moment qu'il n'avait pas fait relâche à Singapore -- ce qui
  n'était que trop certain -- c'est qu'il n'avait pu dépasser la
  limite de la mer de Java et des îles de la Sonde.
  Quant à supposer que le _Franklin_, au lieu de prendre les routes
  de la Malaisie, eût cherché à se rendre à Calcutta en suivant les
  difficiles passes du détroit de Torrès, le long de la côte
  septentrionale du continent australien, aucun marin ne l'eût
  admis. Le capitaine Ellis affirmait que jamais John Branican
  n'avait pu commettre cette inutile imprudence de se hasarder au
  milieu des dangers de ce détroit. Cette hypothèse fut absolument
  écartée: c'était uniquement sur les parages malaisiens que
  devaient se poursuivre les recherches.
  En effet, dans les mers des Carolines, des Célèbes et de Java, les
  îles et les îlots se comptent par milliers, et c'était là
  seulement, s'il avait survécu à un accident de mer, que l'équipage
  du _Franklin_ pouvait être abandonné ou retenu par quelque tribu,
  sans aucun moyen de se rapatrier.
  Ces divers points établis, il fut décidé qu'une expédition serait
  envoyée dans les mers de la Malaisie. Mrs. Branican fit une
  proposition à laquelle elle attachait une grande importance. Elle
  demanda au capitaine Ellis s'il lui conviendrait de prendre le
  commandement de cette expédition.
  Le capitaine Ellis était libre alors, puisque le _Boundary_ avait
  été désarmé par la maison Andrew. Aussi, bien que surpris par
  l'inattendu de la proposition, il n'hésita pas à se mettre à la
  disposition de Mrs. Branican, avec l'acquiescement de M. William
  Andrew, qui l'en remercia vivement.
  «Je ne fais que mon devoir, répondit-il, et, tout ce qui dépendra
  de moi pour retrouver les survivants du _Franklin_, je le
  ferai!... Si le capitaine est vivant...
  -- John est vivant!» dit Mrs. Branican d'un ton si affirmatif que
  les plus incrédules n'auraient pas osé la contredire.
  Le capitaine Ellis mit alors en discussion divers points qu'il
  était nécessaire de résoudre. Recruter un équipage digne de
  seconder ses efforts, cela se ferait sans difficultés. Mais
  restait la question du navire. Évidemment, il n'y avait pas à
  songer à utiliser le _Boundary_ pour une expédition de ce genre.
  Ce n'était pas un bâtiment à voiles qui pouvait entreprendre une
  telle campagne, il fallait un navire à vapeur.
  Il se trouvait alors dans le port de San-Diégo un certain nombre
  de steamers très convenables à cette navigation. Mrs. Branican
  chargea donc le capitaine Ellis d'acquérir le plus rapide de ces
  steamers, et mit à sa disposition les fonds nécessaires à cet
  achat. Quelques jours après, l'affaire avait été conduite à bonne
  fin, et Mrs. Branican était propriétaire du _Davitt_, dont le nom
  fut changé en celui de _Dolly-Hope_, de favorable augure[4].
  C'était un steamer à hélice de neuf cents tonneaux, aménagé de
  manière à embarquer une grande quantité de charbon dans ses
  soutes, ce qui lui permettait de fournir un long parcours, sans
  avoir à se réapprovisionner. Gréé en trois-mâts-goélette, pourvu
  d'une voilure assez considérable, sa machine, d'une force
  effective de douze cents chevaux, fournissait une moyenne de
  quinze noeuds à l'heure. Dans ces conditions de vitesse et de
  tonnage, le _Dolly-Hope_, très maniable, très marin, devait
  répondre à toutes les exigences d'une traversée au milieu de mers
  resserrées, semées d'îles, d'îlots et d'écueils. Il eût été
  difficile de faire un choix mieux approprié à cette expédition.
  Il ne fallut pas plus de trois semaines pour remettre le _Dolly-
  Hope_ en état, visiter ses chaudières, vérifier sa machine,
  réparer son gréement et sa voilure, régler ses compas, embarquer
  son charbon, assurer les vivres d'un voyage qui durerait peut-être
  plus d'un an. Le capitaine Ellis était résolu à n'abandonner les
  parages où le _Franklin_ avait pu se perdre qu'après qu'il en
  aurait exploré tous les refuges. Il y avait engagé sa parole de
  marin, et c'était un homme qui tenait ses engagements.
  Joindre bon navire à bon équipage, c'est accroître les chances de
  réussite, et, à cet égard, le capitaine Ellis n'eut qu'à se
  féliciter du concours que lui prêta la population maritime de San-
  Diégo. Les meilleurs marins s'offrirent à servir sous ses ordres.
  On se disputait pour aller à la recherche des victimes, qui
  appartenaient toutes aux familles du port.
  L'équipage du _Dolly-Hope_ fut composé d'un second, d'un
  lieutenant, d'un maître, d'un quartier-maître et de vingt-cinq
  hommes, en comprenant les mécaniciens et les chauffeurs. Le
  capitaine Ellis était certain d'obtenir tout ce qu'il voudrait de
  ces matelots dévoués et courageux, si longue ou si dure que dût
  être cette campagne à travers les mers de la Malaisie.
  Il va sans dire que, pendant que se faisaient ces préparatifs,
  Mrs. Branican n'était pas restée inactive. Elle secondait le
  capitaine Ellis par son intervention incessante, résolvant toutes
  difficultés à prix d'argent, ne voulant rien négliger de ce qui
  pourrait garantir le succès de l'expédition.
  Entre temps, cette charitable femme n'avait point oublié les
  familles que la disparition du navire avait laissées dans la gêne
  ou la misère. En cela, elle avait seulement complété les mesures
  
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